
fupprimé l*!mpôt. C ’étoit celui de quatre pour
cent, qu'on levoit fur le prix de la vente des
cfclaves. Tant il elt vrai que la forme y fait
quelque chofe , ÔC que celle du citoyen de Geneve
n’ell pas la meilleure !
Je ne fais ce que je dois aux lumières des
hommes célébrés dont je viens de rapporter le
fentiment ; fi le mien différé , je n'en fens que
mieux la difficulté de mon fujet ; mais, je .n'en
fuis point découragé.
Les impôts , quels qu’ils foient, à quelque endroit
, Ôc fous quelque qualification qu’on les
perçoive, ne peuvent porter que fur les richeffes,
ÔC les richeffes n’ ont qu'une fource. Dans les états
dont le fol ell fe r tile , c’elt la terre ; dans ceux
où il ne produit rien , c’ ell le commerce.
L ’impôt fur les marchandifes ell donc celui qui
convient dans les derniers ; car il n'y a rien
autre chofe fur quoi l'affeoir.
L'impôt fur la terre ell le plus naturel & le
feul qui convienne aux autres ; car pour ceux-ci ,
c’ell-elle qui produit toutes les richeffes.
Me voilà déjà en contradiction avec Montef-
quieu , pas tant qu’on le croît. On établira des
droits tant qu'on voudra, ôc fur tout ce qu'on
voudra ; ce fera toujours à ces deux principes
originaires de tous les produits qu’ils fe rapporteront
; on n’aura fait que multiplier les recettes,
les frais ôc les difficultés.
Je ne parle pas des états defpotiques ; les taxes
par tête conviennent à la tyrannie ôc à des ef-
claves. Puifqu'on les vend , on peut bien les
taxer ; c’ell auffi ce qu’on fait en Turquie. Ainfi
celui qui a cru trouver les richeffes de l’état
dans un feul impôt capital, propofoit pour là
nation les taxes de la fervitude.
C ’ell donc un impôt unique ôc territorial, que
je propofe pour les états agricoles , Ôc un feul
fur les marchandifes à l'entrée ôc à la fortie ,
pour ceux qui ne font que commerçans. Je ne
parlerai que des premiers, parce que tout ce que
j ’ en dirai pourra s’appliquer aux autres, en fub-
ftituant un droit unique fur les marchandifes à
la place du fol.
Ces idées font fi loin des idées communes , que
Ceux qui jugent des chofes fans les approfondir ,
ne manqueront pas de «ies regarder comme des
paradoxes. Faire fupporter toutes les charges publiques
par les terres ! On ne parle que de la
néceffité d’ en foulager les propriétaires ôc les
cultivateurs. Perfonne n’ell plus convaincu que
moi de cette néceffité ; mais une chimere, c’ell
de croire les foulager par des taxes ôc des augmentations
fur d’autres objets.
Tout fe tient dans la fociété civile comme
dans la nature. ôc mes .idées fe tiennent , mais
i l faut me donner le tems de les développer.
Parce qu’une des parties qui conflituent le
Corps politique ell extrêmement éloignée d’une
autre , on croît qu’il n’exille entr’elles aucun
rapport ; j ’aimerois autant dire qu’une ligne , en
géométrie, peut exifter fans les points intermédiaires,
qui correfpondent à ceux qui la terminent.
On n’imagine pas charger les terres en im-
pofant les rentiers de l ’état. Cependant je fuppofe
qu’ il n’y eût que deux fortes de citoyens : les uns
poffédant ôc cultivant les terres ; les autres n’ayant
d’«autres biens que des rentes fur l’état. Je fuppofe
encore que toutes charges publiques fuffent affedlées
fur les derniers. Je dis qu’alors ce feroient les
propriétaires des terres qui les fupporteroient,
quoiqu’ils paruffent en être exempts , Ôc il ne
faut pas un grand effort de logique pour le concevoir.
Les terres n’ont de valeur que par la confom-
mation de leur produit. L a fubfillance des cultivateurs
prélevée , la valeur du furplus feroit
nulle , fi les rentiers ne les confommoient. O r ,
plus l’état prendra fur les revenus de c e u x - c i ,
moins ils confommeront ; moins ils confomme-
ron t, moins les terres produiront. Ce fera donè
ceux qui les poffedent, qui fupporterom l’impôt
en entier ; car leur revenu fera moindre de tout
ce qu’il aura retranché de ceux des confom-
mateurs. ■
Dans la fituation aéluelle des chofes qu’on
impofe fur les rentiers publics, ce ne fera pas
fur leur économie que l’on prendra. Il y a long-
tems que l’excès du luxe l ’a bannie de tous les
états de la fociété. On ell bien fage quand on
ne fait qu’égaler fa dépenfe à fa recette ; ainfi
ce fera fur leur confommation ; ôc c’ell mal rai-
fonner que de dire qu’ils n’en feront pas moins.
On ne fauroit diminuer la caufe , fans que l ’ effet
foit moindre ; ou ils la diminueront pour fatifi»
faire à l’impôt , ‘ôc cette diminution produira
celle du revenu des terres ; ou ils la continueront
, mais à crédit ; ôc alors ce fera une confommation
négative , plus préjudiciable encore
que la diminution réelle. Celui à qui il ne reftoit
rien de Ion revenu , ne continuera la même dépenfe,
qu’en ne payant point le débitant qui lui
fournit ; celui-ci ne paiera ppint le marchand qui
lui vend, ÔC ainfi de fuite jufqu’au premier acheteur
des denrées , qui -, n’étant point payé, ne
paiera point le cultivateur de qui il les acheté ,
ôc pour qui cette portion des fruits de la terre
ell perdue , quoique confommée.
Les taxes par tête ne font pas plus dillantes,
ni plus étrangères que celles - ci à cette fource
commune , où il faut que toutes fe rapportent.
Elles ont la même réaaion ôc les mêmes effets ;
ce qui fuffiroit pour conclure que , de quelque
maniéré que le retour s’ en faffe , c’ell toujours
fur la terre que portent les impôts;mais comme
cette vérité ell fondamentale 3 je m’attacherai à
la prouver encore d’ une maniéré plus forte. Auparavant
, il ne fera pas inutile de réfuter ic ï
un
un fophifme, par lequel on a coutume de vouloir
réduire le mal qui réfultè de l ’excès des tributs ;
c ’ell le lieu de le faire, parce qu’on pourroit
s’en prévaloir contre moi., en abufant de mes
principes.
« Le gouvernement, diroit-on , ne théfaurife
>3 point. Tout ce qu’il leve fur les peuples, il
» le dépenfe , ôc cette dépenfe produit ou fa
» confommation , ou celle des gens qui en pro-
» firent. Les impôts ne diminuent donc point la
» confommation générale ; elle ne fait que changer
.» de place en partie , ainfi que les richeffes nu- 4 méraires, ou lignes des valeurs, qui ne. font
» que changer de mains. Il fu it, que la confommation
générale reliant la même, le produit
» des terres, qui en ell l’objet, ne diminue point.
» Donc lés impôts, n’y 'préjudicient point: donc
» les terres ne fupportent pas les impôts. ,
V o ilà , je crois , cet argument dans toute fa
force. V o ic i ce qui doit en réfulter, s’il ell julie.
Quelque exccffifs que foient les tributs qu’exige
le gouvernement, n’en réfer.vant rien , la fociété
en général n’en peut être moins riche, les terres
moins cultivées , le commerce., moins floriflant.
Ils ne produiront qu’un mal local en particulier ;
mais ce qu’ils ôteront à ceux qui les fupporte-
ront au-delà de leurs forces, paffera à d’autres ;
1 état n’y perdra rien 3 ôc la fomine de toutes les
fortunes n’en fera pas moins la même.
Ge raifonnement êffc infîdieux ; on n’en a pèut-
être que trop abufé pour- féduire ceux qui n’é-
•toiént pas fâchés de l’être ; mais outre que c’ell
déjà un très-grand mal que ces variations *de
fortunes dans les particuliers, qui caufent toujours
une plus grande dépravation de moeurs , ôc dans
chaque famille une révolution , dont l’état entier
ne manque jamais, de fe reflçntir ; ce n’elt point
du tout ainfi qu’il aura du r e lie , les faits le
prouvent, ôc leur témoignage ell plus fort que
tous les raifonnemens du monde.
Jamais on n’a levé de fommes fi exorbitantes
fur les peuples ; une indullrie meurtrière a épuifé
tous les moyens de les dépouiller. Jamais , par
conféquent, les gouvernemens li’ont dû fa ire , ôc
n’ont fait effectivement tant de dépenfes Ôc dé
confommation. Cependant les campagnes font ilé-
riles Ôc défertes , le commerce lahguilïant , les
fujets ôc les états ruinés.
Que ceux qui , trahiffant là v érité, la juflice Ôc
1 humanité, ont infînué •& prétendu que les charges
immodérées dévoient avoir des effets contraires,
nous difent doric la caufé de ceux-ci; leur intérêt,
qui n’ell pas celui des autres, leur indifférence
fur les calamités publiques , dans lefquelles iis
trouvent leur bien , ne les a point inllruits, je la
dirai pour eux.
i° . II n’ell pas vrai que la confommation du
gouvernement, ou de-ceux qui profitent des dé-
prédations qui fe commettent dans fa' recette ôc
Finances. Tome L
dans fa dépenfe, fuppléc à celle que les impôts
infupportables forcent les particuliers de retrancher
fur la leur. Une grande confommation générale,
ne réfulte que de la multiplicité des petites
; lé fupefflu de plulieurs , quelque faftueux
qu’on les fuppofe , ne remplace jamais ce qu’il
abforbe du nécelïaire de tous dont il ell la ruine.
Deux cents particuliers , avec mille livres
de rentes chacun , ÔC cent -domelliques qu’ils •
n’ont p as ,n e confomment pas autant que quatre-
vingt mille perfonnes , entre lefquelles leurs revenus
feroient divifés.à raifon de mille livres
chacun ; en un m o t, donnez à un feul le revenu
de cent citoyens, il ne peut confommer que pour
lu i, Ôc pour quelqu’un qu’il emploie à fon fervice.
Le nombre des confommateurs , ou la quantité
de confommation, fera toujours moindre de quatre
cinquièmes au moins ; d’où l’on v o i t , pour le
•dire en paffimt, que tout étant égal* d’ailleurs ,
ÔC la fomme dés richefles étant la même, le pays
où elles feront le plus divlfées , fera le plus riche
ÔC le plus peuplé ; ce qui' montre lès avantages
que donnoit l’égalité des fortunes aux gouver-
-nemens anciens fur les modernes.
Il ne faut pas m’objeéter la diffipation des
riches qui abforbent non-feulement leurs revenus
ôc leurs capitaux , mais même le falaire des
pauvres , dont la vanité exige encore le- tra v a il,
lorfqu’elle n’eil plus en état de le payer.
L e luxe , qui produit cette diffipation , qui
éleve les fortunes , les renverfe, ôc finit par les
engloutir , ne favorife point la confommation dont
je parle , ÔC qui ell celle des chofes de néceffité ,
ôc que l ’état produit ; au contraire, il la reftreint
à proportion de la profufion qu’il fait des autres.
II faut bien qu’il en foit ainfi ; car en aucun
tems les . hommes n’ont ufé avec tant d’abondance
de tout ce qui leur ell utile ou agréable,
ôc jamais les productions ’nationales n’ont été
moins cultivées ;~d’où l’on peut'inférer que plus
on dépenfe dans un é ta t , moins on y fait ufage
des denrées de fon crû.
Et il en réfulte deux grands inconvéniens : le
premier, que les charges publiques étant les mêmes ,
fouvent-plus fortes , font réparties fur moins de
produits ; le fécond, que ceux qui y contribuent
le plus ont moins de facultés pour les fupporter ;
d’où il fuit qu’ils en font accablés.
z°. Plus le gouvernement dépenfe , moins i l
reftitue au peuple ; cette propofition e l l, en partie ,
une fuite de la précédente : quelques fuppalîtions
que faffent les gens intéreffés à perfuader le contraire
, on calculera toujours julle , quand on
prendra pour la valeur d’un de ces termes la
raifon inverfe de l ’autre.
L a diffipation des revenus publics provient des
guerres que l ’on fait aü-dehors , des alliances
qu’on y acheté, des récompenfes démefurées qui
s’accordent, ôc qui font toujours plus exceffives
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