
notions (impies du bon fens & de l ’humanité.
D e quel étonnement ne feront pas frappées les
générations futures, en voyant, à la honte de ce
Eecle raifonneur, des hommes inftruits , vouloir
faire revivre les droits tyranniques de ce defpo-
tilme , de les établir en principes ? Non , jamais elles
ne pourront fe perfuader qu’une pareille doélrine
ait été prêchée dans un gouvernement d’ailleurs fi
éclairé fur les devoirs de l ’homme, & qui fait fi
bien ce que chaque homme attend de fa juftice
de fa protection.
Approcher la perfonne du fouverain, entrer
dans fes confeils , commander fes armées , occuper
des places éminentes qui font partager la puiflànce
légiflative , &c veiller au maintien dè l ’ordre pub
lic , recevoir les honneurs dûs aux bienfaiteurs
des nations , voilà , fans doute , les prérogatives
de la noblefle ; voilà ce qui la diftingue du peuple.
Mais à qui perfuadera-t-on que le noble e ii confondu
avefc le payfan, parce qu’ils font tous deux
afluj écris à une contribution qui ne profite que
très-médiocrement au dernier, tandis que le premier
en tire' un avantage d’autant plus grand ,
qu’il a des pofleffions plus étendues ? Sera-ce au
noble ? A moins d’ être infenfé , il ne peut pas
Imaginer que tout ce qui l’éleve au-deflus du
lîmple citoyen, ell anéanti par le paiement d’une
taxe , impôfee même fur les terres du domaine
du roi. Mais , fi ce noble étoit aflez fimple
pour être blefle de cette égalité de contribution,
ne lui reliera-1—il pas encore aflez d’orgueil,
pour qu’il fe croie fupérieur à fon fermier de à
fon jardinier ?
D e fon côté , le payfan ne fe targuera pas de
ce qu’il contribue, comme fon feigneur , aux dé-
penfes des grands chemins. Hélas î interrogez les
malheureufes victimes, des caprices de l’opulence,
& demandez-Ieur, s’ils iro n t, fâris façon, fe placer
fur le banc du feigneur , lui difputer l’eau-bénite
6c l’encens ? Non , non ; hommes iiipérieurs par
la naiflànce , par les dignités , ne craignez rien
de cette égalité prétendue qui femble vous effrayer.
C e t impôt, pour être payé par tous les fujets ,
ne confondra ni les ordres , ni les clafles. Ce n’efl
pas en le payant, que les grands deviendront
petits , & que les petits s’élèveront : autant vau-
droit-il dire que vous êtes confondus avec eu x ,
parce que , comme e u x , vous n’avez que deux
bras , que vous marchez fur deux pieds , que vos
âmes > comme vos corps, font fujettes aux mêmes
paffions, aux mêmes infirmités.
Cependant ces objections contre la fuppreflion
des corvées, né |relièrent pas fans réplique. Ce
qu’il y eut de fingulier, ce furent deux hommes
de l’ordre de la noblefle, qui > fe livrant à un
zèle patriotique , infpiré par une raifon fupé-
rieure , firent voir que l’abolition des corvées étoit
un bienfait, & que l’impôt qu’on y fubjtituoit,
loin d’être une nouvelle charge , étoit ..a u con*
traire, une diminution des charges exiflantes.
Le mémoire de M. le vicomte de Touftain, fut
préfenté aux états de Bretagne , fous le titre de
pro aris & focis , avec une dédicace adreffée à
trois citoyens , un ^eccléfiallique , un noble & un
roturier , entre lefquels il veut de l’émulation ,
de point de rivalité.
Comme ce mémoire n’a de rapport direCl qu’à
la Bretagne , pour laquelle il préfente un plan
analogue à fa cbnilitutiqn de pays d’états, il fuffira
de remarquer que cet écrivain , appréciant les
prérogatives des deux premiers ordres de l ’état,
& l’utilité du troifieme, penfe que l’immunité facer-
dotale eii inhérente à la perfonne du miniflre de
l’é g life , mais nullement à fes pofleflions territoriales
ou pécuniaires, qu’il regardevcomme inflan-
tanées de précaires ; que la noblefle doit fe nourrir
& fe contenter principalement d’pbjets analogues
à l’éclat de .à l’honneur, de que ces, deüx ordres
doivent venir fraternellement au fecours du troifieme
, q u i, étant l’ordre nourricier, ne peut être
ni aflez ménagé , ni aflez nombreux.
Le fécond défenfeur de la fuppreflion des corvées,
fut M. le marquis de C ... L ’écrit qu’il publia dans
cet efprit, mérite d’autant mieux d’être configné
ici , qu’il réunit à la force d’un raifonnement
vi&orieux, tous les agrémens d’un flyle léger ÔC
rapide.
« Béniflons le miniflre bienfaifant qui nous
» délivre du double fléau des corvées., de des
» exaCleurs . de corvées. Béniflons celui dont la
la main , en brifant le joug le plus odieux qui
» fe foit jamais appefanti fur des. hommes libres,
» nous fait trouver des reflources fur ces'mêmes
» grands chemins fi. long;>■ teins arrofés de nos
§§= larmes. T e l eil, d’un bout du royaume à l’aqrre,
» le' cri de ce peuple , qui ne demande au gouverna
nemënt que de lui permettre de travailler, &
» de manger' en paix le pain acheté par fes fueurs.
» Mais le bienfai c de la deflruCtion des 'corvées 9
trpuve des cenfeurs dans la capitale.
» Il faudra, difent-ils, payer un impôt pour
» les chemins.
» N ’eft-ce donc pas lever un-impôt, que de
.» forcer ceux qui n’ont que leurs journées pour
y> vivre , à^donner au gouvernement quinze jours
» de leur tems ? '
... §J| N ’eft-ce pas lever un impôt., que d’obliger uti'
» laboureur à employer, pour le fervice public,
» fes chevaux de fes voitures ? ’
• . » G’efl fi bien un im p ô tq u e ceux qui a voient
» de l’argent, étoient au-torifés à racheter leurs'
33 .corvées, q u i, fouvent alors, étoient faites par
•» ceux qui n’-a voient- pu fe racheter.
33 II y aura donc cette feule différence, entre
» i’adminiitration par corvées, de la nouvelle adv>
imniflration , que l’impôt fera payé par ceux
a0 qui ont quelque chofe , au lieu de l ’être par
a» ceux qui n’onfc rien ; qu’il féra diminué de tout
33 ce qu’y ajoutaient les pilleriés de les vexations
33 des prépofés ; des frais qu’il en coûtoit aux
x corvoyeurs , pouf fe-tranfportpr fur des ateliers
33 éloignés, d’après Cette maxime barbare, que >3 plus les payfans travaillent-loin de leurs chau-
3> mieres, plus ils fe hâtent d’achever une corvée
x devenue plus fatigante. Les chemins conflruits
>3 par des ouvriers bien payés, coûteront moins
» que lorfqu’ils fétoient par des malheureux ,
» dont la mifere avoir épuifé les forces , de qui
>3 ne gagnant rien pendant la corvée , n’avoient
33 pas de quoi fe nourrir, de travailloient mal.
33 Concluons donc que , bien loin d’amener un
33 impôt nouveau, l ’abolition des corvées produit
33 une diminution d’impôt.
3» Mais ajoute-t-on , dans un' befoin réel ou 3> imaginaire, on s’emparera de l’impôt des che-
33 mins ; ils feront abandonnés , ou les corvées
» rétablies.
33 II n’efl malheureufement que trop prouvé par
33 les faits , ( nous ne parlons pas ici du droit)
33 qu’en France le gouvernement peut impofer les
» tributs qu’il v eu t, fans que ces tributs aient
33 d’autres bornes que la juflice de ceux qui gou-
33 vernent, ou les facultés du peuple ; ainfi on ne
33 s’emparera jamais de l’impôt des chemins , pour
33 rétablir les corvées. i° . Parce que ce feroit un
» mauvais calcul ; car les corvées coûteroient
33 -plus cher à l’état ; qu’un nouvel impôt égal à
33 celui dont on fe feroit emparé. z°. Parce que
» les .corvées 9 une fois détruites , ne reparoîtront
33; plus. Il en fera d’elles comme de tous les autres 33, ufages barbares , nés dans des fiecles de féro-
>3 cité de d’ignorance ; & nous ferons délivrés
33 des corvées pour jamais , auffi fûrement que de
33 l’efclavage de la glebe & de la fcholaftique.
33 Quant à l’abandonnement des chemins, s’il y 33 a des momens de fouflranee-, où la nation ne
» foit pas en état de payer la çonflruélion de-
33 nouveaux chemins , il faudra la fufpendre. Mais
» fuppofons qu’un de ces momens foit arrivé
33 dans le tems c\\xe les corvées fubfiftoient, quel
33 avantage auroit-il pu réfulter pour la nation ,
33 de ce que , outre fes^ autres charges , le -peuple
33 auroit eu de plus celle des corvées ,• & ,fi jamais 3p on fe retrofivoit dans les mêmes circonflances ,
33 fe pîaindroit-on d’avoir ce fardeau 'de ‘moins ?
- >3 En' payant les chemins , on Tait ce qu’ils
»•coûtent, & l’on peut borner fa dépenfe. En-
33 les faifant faire par corvées , on-ignore ce qu’on
33 ^dépenfe. Vo ilà pourquoi les. corvées pourroient
33 .continuer dans des tems où un impôt pour les
3? chemins feroit fufpendu. L ’état reflembleroit
» alors à un homme dérangé , qui dépenfe d’au-
p tant plus p que ne payant rien prenant à
un plus haut p r ix , mais à c r é d i t , il n’ ell pas
effrayé \du tableau de fes prodigalités.
3> D ’ailleurs il y a peu de circonflances où les
,conflruélions de chemins doivent être interrompues
lorfqu’elles font payées , parce qu’aiorâ
elles font une reffource pour le peuple , à qui
elles procurent des falaires.
?3 Enfin, les chemins font fi utiles aux com-
merçans , aux grands propriétaires , aux villes
ou aux provinces qu’ils traverfent, de fur-touc
aux voyageurs de tous les états , que , pour les
laifler dépérir, ou pour ne pas conflruire ceux
dont l ’utilité eil réelle , il faudroit non-feulement
que le gouvernement fe livrât à des vues
d’oppreflion , d’avidité , de prodigalité , mais
encore qu’il eût perdu toute idée d’ordre ; qu’il
comptât pour rien la richefle de.l’éta t, le commerce,
les manufaélures, de même la commodité
des côurtifans, des hommes riches : il faudroit
qu’il fût également corrompu de flupide. Or , fî
l’état aéluel dès lumières en Europe, de fur-
tout, en France, n’efl pas une reffource fure
contre la corruption des miniflres à v en ir , i l
y a du moins un degré de ftupidité de d’inertie
qui ne peut plus être à craindre. •
» En un mot, pour être rafluré fur les incon-
véniens de l’impôt fubflitué aux corvées, il fuffit
qu’il ne fo i t , ni plus aifé , ni plus difficile
d’impofer une nouvelle taxe , que de détourner
à d’autres ufages celle des chemins.
33 Mais ce n’ efl là'que le prétexte des cris qui
menacent de s’élever contre la deflruélîon des
corvées : ils ont des caufes fecretes qu’i l efl
bon de développer.
33 î®. Les riches habitans de Paris voient, dans
la deftruélioxi des jcoivées 3 un impôt à pay e r,
& le haufîement des falaires pour les ouvriers
de leurs, terres ; de comme ils n’ont ni le tems ,
ni l’habitude de réfléchir, ils ne peuvent voir
qu’il rél'uitera de cette même deflruclion, une
amélioration de leurs terres , de au premier
bail , une augmentation de revenu , fupérieure
à ce qu’ils peuvent perdre.
33 1°. Suppofons que- dans un état il y ait un
impôt qui rapporte vingt-quatre millions au
trëfor public, & qui en coure cinquante-trois
au peuple ; que même cet impôt ne foie pas le
feul de fon efpèce , de que le peuple paie plus
de cent millions pour des frais de régie , qu’il
feroit facile de fupprimer. Suppofons encore
que les befoins de l ’état , aient forcé d’anticiper
fur les revenus publics, en forte que ceux
qui les, reçoivent ou qui les diflribuent, fa fient
au gouvernement de groffes avances, à un intérêt
onéreux ,- & qu’avec de l ’économie de de
l’ordre, on puifle épargner au peuple le poids
de ces intérêts. Suppofons enfin , que de mau-
vaifes opérations de finances, & la chute du
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