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que l’exemple ou la néceflïté qui put leur en faire
naître l ’idée. O r , l’exemple étoit contraire , puisque
les empereurs Romains, à la puiffance defquels
ils fuccédoient , n’étoient point gênés par des
loix domaniales. Nulle nécelïité d’ailleurs ne les
obligeait, comme on l’a déjà dit , à s’impofer cette
contrainte ; ÔC tous les faits prouvent qu’ils ne le
l ’impoferent pas.
C ’eft une obfervation également judicieufe ôc
évidente de l’auteur de VEJprit des loix , que l'hérédité
des fiefs & l’établijfement général des arricre-
fiefs , éteignirent le gouvernement politique , & formèrent
le gouvernement féodal» D ’où il s’enfuit que
le gouvernement, changeant de nature , changea
aufli de principes ; ôc par conféquent, qu’on ne
doit pas chercher, ôc qu’on ne peut pas trouver
l ’origine des maximes ôc des ufages du gouvernement
féodal de la troiiîeme race , dans les ufages
ôc dans les maximes du gouvernement politique
des deux précédentes.
On ne fauroit confîdérer trop attentivement
que quand Pépin-le-Bref fut couronné ro i, il n’acquit
que les ornemens royaux , ôc qu’il n’y eut rien
de changé dans la nation; mais que,.fous les def-
cendans de Pépin, le royaume-tomba dans l’anarchie
; de forte que quand Hugues Capet fut couronné
r o i , i l y eut un grand changement, parce que
l’Etat paffa de l’anarchie à un gouvernement quelconque
; en un mot, que la chofe changea , parce
qu’un grand fief ', uni à la couronne , fit cefler
l’anarchie , & que le titre de roi fut uni au plus
grand fief. Obfervons encore , avec le même auteur
, que quand la couronne de France fortit de
la maifon de Charlemagne , l ’hérédité des fiefs
étant établie dans le royaume, la couronne, comme
un grand fief, fut aufli héréditaire , ôc qu’il fui-
v it de la perpétuité des fiefs, que le droit de pri-
mogéniture s’établit parmi les François , droit inconnu
dans la première race. La couronne fe par-
tageoit entre les freres ; les aïeux fe divifoieqt
de même , & les fiefs ou bénéfices à vie , n’étant
pas un objet de fuccefîion, ne pou voient être un
objet de partage.
Ces vérités ont été apperçues par Mézeray ;
M. le' préfident de Montefquieu les a développées ;
mais s’il eft permis d’ajouter de nouvelles réflexions
à l’ appui des tiennes, il ne paroîtra pas douteux ,
ce me femble , que les plus grands changemens
n’aient été caufés par la néceflîté phyfiqne des cir-
conllances , loi impérieufe , à laquelle .toutes les
autres cèdent , ftriélement obfervée tant que la
caufe fubfifte , ôc qui n’ eft plus qu’un vieux pré-
jugé quand la caufe a celle.
Le pouvoir irréfiftible des circonftances fur la
Conftitution de l’Etat , ell bien démontré dès la
première race ; c a r , bien que ce fût une maxime ;
du gouvernement des François , que tous les fils
des rois fulfent également admis au partage du
royaume de leur pere , fans que l’aîné eût aucun ,
avantage fur les cadets , fans que la nation eût
plus d’influence dans le partage que dans la fuc-
ceflion même ; cependant le due Pépin ayant
ulurpé l’Aullrafie , où il commanda en maître ,
la France , depuis ce démembrement, ÔC tant qu’il
fubfifta , ne parut plus fufceptible d’aucune divi-
fion. Alors on ceffa de voir le frere partager avec
lefrere. Clovis III fuccédafeula fon frere T h ie r r i,
au préjudice de Childebert , qui ne régna qu’a -
près la mort de Clovis. On ne trouve plus qu’ un
fouverairt en France , dans toute la fuite de la
première race. C ’eft que, dans le vrai ôc par le
fa it, la France n’étoit plus fufceptible de d iv i-
fion, ÔC que l ’autorité des rois , ou plutôt des maires
du palais, auroit été refferrée dans des bornes.
trop étroites.
Tout partage eût été bien plus impraticable
encore à la mort de Hugues Capet . puifque ce
prince n’avoit certainement pas la douzième partie
de ce qui compofe aujourd’hui le royaume
de France. La même impombilité fublifta encore
long-tems. Le droit de primogéniture s’établit in-
fenfiblement , par la fage précaution que prirent
nos rois d’aflocier leurs fils aînés-à leur couronne:
Louis V I I I , facré à Reims , le <5- août 1223 ,
fut le premier que fon pere ne fit pas couronner
de fon vivant ; l’ordre de la fucceffion étoit af-
furé par une pofîeflîon de deux fîècles.
Le domaine royal n’ étoit pas affez confïdérable
pour que nos rois pufîent en faire de grandes lar-
g elfes, quand ils l’auroient voulu. Leurs revenus
étoient plus qu’abforbés par leurs befoins perfon-
nels. Ils n’avoient , pour établir le fonds de leurs
dépenfes , que le domaine de la couronne , qu’an*
ciennement on appelloit tréfor.
Hugues C ap et, couronné r o i , ne fut ni plus
riche , ni plus puiflant , comme roi , qu’il
l’ëtoit comme duc de France ÔC comte de Paris
; il n’acquit que la fuzeraineté , titre qui
devint formidable entre les mains de fes defeen-
dans , ÔC qui , on l’avoue , leur fervit à rétablir
le gouvernement politique fur les ruines de l ’anarchie
féodale ; mais après la révolution de plu-
fieurs fiècles , ôc après des événemens , qui plus
d’une fois conduifirent la France bien près de fa
perte.
Il eft vrai que fous Philippe Ier , arriere-
petit fils de Hugues Capet , le domaine royal fut
augmenté en 1079 , du Gâtinois , par une donation
de Foulques , comte d’Anjou, ôc en no<5,
de la vicomté ôc de la ville de Bourges , par voie
d’acquifition. Il eft encore vrai que Louis-le-Gros,
fils ôc fucceflTeur de Philippe Ier , commença à fe
reflaifir de l’autorité que les grands vaflaux ayoient
ufurpée, en établiflant les communes , en affranchif-
fant les ferfs dont le nombre étoit encore très-
grand , en affoibliflant le pouvoir exceflif des'juf-
tices feigneuriales.
Mais les plus grands coups furent frappés par
Philippe-
‘"fISlf pMijHl
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PhîHppe-Augufte , mort en 1223 , qui réunit à
la couronne la Normandie, l’A njou, le Maine,
la Touraine , le Poitou , l’Auvergne, le Verman-
dois , l’Artois , Montargis , G ien , ôte. ôcc. Par
la foumiflion immédiate de toutes ces provinces au
trône, le roi fe trouva beaucoup plus puiflknt qu’aucun
de fes grands vaflaux en particulier , ôc en
état de maintenir la balance contre eux tous, quand
tous eiifient été ligues contre lui.
Il étoit alors fi peu queftion de l’inali énabi-
lîte du domaine , qu’en 1218 ce monarque donna
à l’un de fes chambellans le palais des Thermes,
dont on attribuoït la conftrudiion à quelqu’un des
empereurs Romains , qui avoienefixé leur demeure
dans les Gaules.'
Louis V III alla bien plus loin encore , car il
donna à trois de fes fils des provinces entières
en pleine propriété. On objeCte inutilement que
ces dons ne tirent point à conféquence contre
l ’inaliénabilité parce qu’ils furent faits.à des fils
de France ; car la pleine propriété , transférant
aux donataires la liberté de difpofer de ces grands,
fiefs , ils auroient pu les démembrer , les aliéner,
les faire paffer par des mariages dans une famille
étrangère à la famille royale , ôc peut-être fon
ennemie. Si l ’on eût tenu le domaine pour inaliénable
par une loi de l’Etat , le teftament de
Louis V I I I n’eût pas été exécuté fans aucune difficulté
; mais on ne dut pas tarder à s’apperce-
voir que fi l’exemple de ce prince étoit imité
par fes defeendans , les avantages , que le régné
glorieux de Philippe-Augufte avoir procuré à la
France , s’évanouirent bientôt. Aufli ne paroît-
il pas que Saint Louis ni Philippe-le - Hardi
aient exercé des libéralités indiferetes envers
leurs fils cadets.
Saint Louis en eut deux qui lui furvécurent ,
P ie r re , comte d’Alençon, ôc Robert , comte de
Clermont en Beauvoifis. Philippe-le-Hardi eut
pareillement deux fils cadets qui lui furvécurent,
Charles , comte de Valois , ôc Louis , comte
d Eyreux. Ces quatre comtés n’étoient - ils que de
fimples titres; ou furent-ils donnés en propriété aux
quatre princes qu’on vient de nommer ? c’eft fur
quoi l ’hiftoire garde le filence. Quoi qu’il en fo it ,
ce n étoit du moins que de grandes terres , ôc
non de grandes provinces , comme l’Auvergne ,
X Anjou Ôc le Poitou. Mais le vrai remede ne fut
trouvé Ôc employé que fous Philippe - le - Bel ,
par ljnftitution des apanages . à charge de re>
tour.
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_ V o ilà quel fut le premier pas vers l’inaliénabilité
du domaine de la couronne" : fatisfait apparemment
d’avoir pourvu à l’objet qui étoit le plus
eflèntîel, par la tranquillité du royaume, Phi-
lippe-le-Bel lui-même fit de fi grandes largeffes
de ces biens du domaine qu’on fuppofe inaliénable
, que fes fuccefleurs «furent obligés de les révoquer.
{L'abbé V e lly tom e 6 , page 4 3 1 .)
Finances. Tome» f .
La confommation de l ’oeuvre étoit réfervée
au roi Charles—le-Sagc. Mais cet hiftorien n’a
pas dû dire que les dons faits par Philippe-le-
Bel aux dépens de fon domaine, furent révoqués
par les fuccefleurs ; s’il eft v r a i, comme l’attefte
le Préf. Hénault , que par fon ordonnance de
1364, Charles V n’ ait révoqué que les domaines
aliénés depuis la mort de Philippe-lc-Bel. Selon
la règle des inclufions, les aliénations antérieures
à cette époque auroient été confirmées pour avoir
tout leur effet.
Charles V I eft le premier de nos rois ,. qui ,
lors de fon facre , ait fait ferment de ne point
aliéner fon domaine. SoUs fon régne , il fe fit une
ordonnance folemnclle, en forme de pragmatique ,
en affemblée ôc par délibération des princes du
fang , des grands officiers de la couronne^'des
gens de fon grand conféil , des gens de fa cour
de parlement , de fa chambre des comptes Ôc tré-
foriers de France ; par laquelle ordonnance , dont
i’exécution fut. urée Ôc promife fur les faints évangiles^
tous dons ôc aliénations du domaine furent
prohibés , caffés ôc .annullés , tant pour ce qui
concernoit le domaine ancien , que pour ce qui
pouvoir écheoir au r o i , par dons, achats, fuc-
ceflîons, forfaitures ôc confîfcations, Brillon, qui
date cette Içi du 14 février 1401 , (1402 nouveau
ftyle ) dit qu’elle fut faite fur les .remontrances
des Etats généraux affemblés à Paris ,
qu’elle fut enregiftrée en la cour de Parlement ,
le 17 avril de la même année , ôc qu’il fut ordonné
qu’elle feroir publiée à fon de trompe par
tout le royaume, afin que perfonne ne s’en pût
dire ignorant.
Tant de précautions , tant de folemnités au-
roient-elles été néceflaires, fi la maxime de l ’ina-
liénabilité du domaine eût été aufli ancienne que
la monarchie ? Brillon prétend que la cdùtume de
vendre ôc donner les terres du domaine à perpétuité
, ôc fans faculté de réméré, a duré jufqu’à
cette même année 1401. En cela il s’eft trompé,
puifque Philippe-le-Bel, environ quatre-vingts ans
auparavant , avoit donné à Philippe de France ,
fon fécond fils , le comté de Poitou , fous condition
de retour à la couronne , à défaut d’hoirs
mâles. Mais il paroît certain que l’ordonnance
du 14 février 1402, eft la première loi folemnelle
qui ait déclaré le domaine royal inaliénable.
On peut juger par les circonstances qui l’accompagnèrent
, de l ’ardeur avec laquelle toute la nation
i’avoit'defirée. Les remontrances des Etats
généraux, la délibération des princes du fang ,
le concours des grands officiers de la couronne , celui
des cours fupérieures de juftice, l’obfervation jurée
fur les évangiles, tout cet appareil prouve la néceffité
de cette loi-, fon importance , ôc combien
on craignoit qu’elle ne fût pas ponctuellement exécutée.
C ’eft que les peuples y avoient le plus grand
E e e e H
in té rê t, ôc qu’il n’y avoit pas d’autre moyen de