
» frappes des inconvéniens attachés à la nature
» de cette contribution.
35 Enlever forcément le cultivateur à fes tra- 53 vaux , c’eft toujours lui faire un tort réel ,
» lors même qu’on lui paie; fes journées. En vain 35 l’on croiroit choifir , pour lui demander un tra- 53 vail forcé, des tems où les habitans de la cam- 3> pagne font moins occupés ; les opérations de
» la culture font fi multipliées, fi variées , qu’il
33 n’eft aucun tems entièrement fans emploi : ces
» tems , quand il en exifteroit, differeroient dans 33 des lieux très-voifins, ôc fouvent dans le même 3» lieu, fuivant la différente nature du fo l, ou les
» difterens genres de culture. Les adminiftrateurs
» les plus attentifs ne peuvent connoître ces va-
» riétés dans tout leur détail ; d’ailleurs la nécef- 3» fité de raffembler fur les ateliers un nombre
33 fuffifant de travailleurs , exige que les com-
33 mandemens foient généraux dans un même
» canton. L ’erreur de l’adminiftrateur peut faire
33 perdre aux cultivateurs des journées dont au- 33 cun falaire ne pourroit les dédommager. Prendre
as le tems du laboureur , même en le payant, feroit >3 l ’équivalent d’un impôt ; prendre fon tems fans 33 le paye r, èft un double impôt ; & cet impôt
33 eft hors de toute proportion’-, lorfquül tombe
39 fur le fimple journalier qui n’a , pour fubfifter,
» que le. travail de fes bras.
33 L ’homme qui travaille par force , ôc fans ré-
33 çompenfe , travaille avec langueur & fans in-
39 térêt ; il fait dans le même tems moins d’ou-
33 v ra g e , 5C fon ouvrage eft plus mal fait. Les
33 corvoyeurs , obligés de faire fouvent trois
33 lieues ou davantage , pour fe rendre fur l’ate-
» lie r , autant pour retourner chez eux, perdent,
39 fans fruit pour l’ouvrage, une grande partie
sa du tems exigé d’eux. Les appels multipliés ,
~ 33 l’embarras de tracer l’ouvrage , de lé diftri-
33 buer, de le faire exécuter à une multitude
33 d’hommes raffemblés au hafard, la plupart fans
33 intelligence , comme fans volonté, confomme 33 encore une partie du tems qui refte. Ainfi l’ou- 39. vrage qui fe fa i t , coûte au peuple Ôc à l ’état, 3> en journées d’hommes ôc de voitures , deux
>3 fois , 6c fouvent trois fois plus qu’il ne coute- 39 r o i t , s’il s’exécutoit à prix d’argent.
33 Ce peu d’ouvrage exécuté fi chèrement, eft 33 toujours mal fait. L ’art de conftruire des chauf- 33 fées d’empierrement , quoiqu’affcz fimple , a 33 cependant des principes 6c des règles qui dé-
33 terminent la maniéré de former l’encaiffement, 33 de choifîr & de pofer les bordures, de placer 3> les pierres fuivant leur groffeur & leur dureté ,.
33 fuivant la nature de leur compofitioh , qui les
33 rend plus ou moins fufceptibles de réfifter au
33 poids des voitures ou aux injures de l’air.
» De l’obfervation attentive de ces règles, d'é- 33 pend la folidité des chauffées. ôc de leur-durée ; 3a de cette attention ne peut être attendue , ni
3* même exigée des hommes qu’on commande à 33 la corvée, qui tous ont un métier différent ,
» & qui ne travaillent aux chemins qu’un petit
33 nombre de jours chaque année. Dans les tra-
33 vaux payés à prix d’argent, l’on preferit aux 33 entrepreneurs tous les détails, qui tendent à la
» perfection de l ’ouvrage. Les ouvriers qu’ils
33 choifîffent, qu’ils inilruifent 6c qu’ils furveillent,
33 font, de la conftruéiion des chemins, leur mé- >3 tier habituel, 6c le favent. L ’ouvrage eft bien 33 fa it, parce que s’il l ’étoit mal, l ’entrepreneur
33 fait qu’on l’obligeroit à le recommencer à fes 53 dépens. L ’ouvrage fait par la corvée, refte mal
33 fa it, parce qu’il feroit trop dur d’exiger des
33 malheureux corvoyeurs une double tâche, pour
33 réparer des imperfections commifes par igno-
» rance; il en réfulte que les chemins font moins
33 foüdes , 6c plus difficiles à entretenir.
33 II eft encore une autre caufe qui rend les
>3 travaux d’entretien , faits par corvée , beaucoup
33 plus difpendicux.
33 Dans les lieux où les travaux fe font à prix
y> d’argent, l’entrepreneur , chargé d’entretenir
33 une partie de route, veille continuellement fur
*33 les dégradations les plus légères ; il les répare à
33 peu de frais , au moment qu’elles fe forment, 33 & avant qu’elles aient pu s’augmenter, eh forte
33 que la route eft toujours roulante, 6c n’exige 3» jamais de réparations coûteufes.
33 Les routes , au contraire, qui font entre-
33 tenues par corvée, ne font-réparées que iorfqùe
33 les dégradations font affez fenfibles, pour que
33 les perfonnes chargées de donner des ordres
33 en foient averties. D e - là il arrive que ces
» routes, formées communément de pierres groffié-
33 rement caffées , étant d’abord très-rudes , les >9 voitures y fuivent toujours la même trace, ôc
33 forment des ornières qui coupent fouvent la
33 chauffée dans toute fa profondeur.
33 L ’impoffibilité de multiplier à tous momens
33 les commandemens de corvée, fait que, dans la
33 plus grande partie des provinces , les répara-
>3 dons d’entretien fe font deux fois l’année, avant
33 6c après l’hiver, 6c qu’aux époques de ces deux
33 réparations , les routes fe trouvent très-dégra-
. 33 dées. On eft obligé de les recouvrir , de nou-
3> veau , de pierres dans leur totalité ; ce qui ,
» outre l’inconvénient de rendre à chaque fois la
>3 -chauffée auffi rude que dans fa nouveauté , en-
33 traîne une dépenfe annuelle en journées d’hommes
33 ôc de voitures , fouvent très-apprechante de la
33 prémiere conftruClion.
33 Tout ouvrage qui exige quelque inftruétion,
y* quelque induftrie particulière , eft impoffible à
33 exécuter par corvée. C ’eft par cette raifon que ,
33 dans la confection des routes entreprifes par
33 cette méthode, l’on eft obligé de fe borner à 39 des chauffées d’empierrement groffiérement conf- 33 truites, fans pouvoir y fubftiruer des chauffées
33 de p av é , lorfque la nature des pierres l’exi- 33 g ero it, ou lorfque leur rareté 6c l ’éloignement
33 de. la carrière rendroient la çonftruCtion en >3 pavé incomparablement moins chere que celle
33 des chauffées d’empierrement , qui confdmment >3 une bien plus grande quantité de pierres.
33 Cette différence de prix , fouvent très^grande,
33 au défavantage des chauffées d’empierrement,
'33 eft une augmentation de dépenfe réelle., 6c de
» fardeau pour le peuple, qui rcfulte de l ’ufage 39 des corvées.
3® Il faut y ajouter une foule d’accidens ; la
33 perte des beftiaux qui arrivent fur les ateliers 39 déjà excédés par une longue route , fuccombent
33 aux fatigues qu’on exige d’eux ; la perte même
» des hommes , des chefs de famille bleffés , ef-
» tropiés , emportés par des maladies qu’occa-
y> lionne l’intempérie des faifons ou la feule fa-
39 tigue ; perte fi douloureùfe , quand celui qui >3 périt fuçcombe à un rifque forcé , ÔC qui n’a
?» été compenfé par aucun falaire.
33 II faut ajouter encore les frais, les con- 39 tràintes , les amendes , les punitions de toute
» efp.èee, que néceffite la réfiftance à une loi trop
39 dure, pour pouvoir être exécutée fans récla-
33 mation. Peut-être auffi les ^vexations fecretes , 33 que la plus grande vigilance des perfonnes char-
33 gées de l’exécution de nos ordres, ne peut
?> entièrement empêcher dans une adminiftration
33 auffi étendue , auffi compliquée que celle de la
35 ' corvée , où la juftice diftributive s’égare dans
33 une multitude de détails, où l’autorité fubdi-
33 vîfée , pour ainfi dire à l’infini, eft répandue
33 dans un fi grand nombre de mains , /& confiée,
33 dans les dernier es branches , à des employés
33 fubalternes,qu’il eft prefqu’impoffible de choifir
y avec certitude , ôc très-difficile de furveiller.
33 Nous croyons impoffible d’apprécier tout ce
33 que la corvée coûte au peuple.
3»^ En fubftituant à un fÿftême auffi onéreux dans 33 fes effets , auffi défectueux dans fes moyens ,
33 l’ufàge de faire conftruire les routes à prix 33 d’argent, nous aurons l'avantage de favoir pré-
33 cifément la charge qui en réfultera pour nos
33 peuples, l ’avantage de tarir à la fois la fourcc
33 des vexâtions ôc celle des défobéiffances, celui 33 de n’avoir plus à punir , plus à commander
» pour cet objet, ÔC d’économifer l’ufage d’au-
33 torité qu’i l eft fi fâcheux d’avoir à prodiguer.
33 Ces différens motifs fuffiroient pour nous faire 33 préférer, à l’ ufage des corvées , le moyen plus 39 doux ôc moins difpendieux de faire les chemins 33 à prix d’argent. Mais un motif plus puiffant 33 ôc plus décifif encore nous détermine ; c’eft 39 l’injuftice inféparable de l’ufage des corvées.' '
» Tout lé poids de cette charge retombe ôc ne
» peut retomber que fur la partie la plus pauvre
» de nos fujets , fur ceux qui n’ ont de propriété 33 que leurs bras ÔC leur-,induftrie, fur les cuiti-
33 vateurs ôc fur les fermiers. Les propriétaires >3 prefque tous privilégiés, en font exempts, ou
33 n’y contribuent que très-peu.
33 Cependant, c’eft aux propriétaires que les
33 chemins publics font utiles, par la valeur que
33 des' communications multipliées donnent aux
33 productions de leurs terres. Ce ne font ni les
' 33 cultivateurs ad uels, ni les journaliers qu’on y
>3 fait travailler, qui en profiteront ; les fucceffeurs
33 des fermiers aduels , paieront aux propriétaires
33 cette augmentation de valeur en accroiffement
33 de loyers. La ciaffe des journaliers y gagnera
33 peut-être un jour une augmentation de falaires
33 proportionnée ~ à la plus grande valeur des
33 denrées; elle y gagnera de participer à l’aug~
33 mentation générale de l ’aifahce publique ; mais
33 la feule ciaffe des propriétaires recevra une
33 augmentation de richeffes prompte ôc immédiate ;
33 ôc cette richeffe nouvelle ne fe répandra dans
le peuple, qu’autant que ce peuple l ’achetera
, 33 encore par- un nouveau travail.
33 C ’ eft dont la ciaffe des propriétaires des
33 terres qui recueille le fruit de la confedion des
33 chemins ; c’eft elle qui de„vroit feule en faire 33 l’avapce , puifqu’elle en retire les intérêts.
39 Comment p o u r r o it- il être jufte c£’y faire
33 contribuer ceux qui n’ont rien à eux ? de les
39 forcer à donner leur tems ôc leur travail fans
33 falaire , de leur enlever la feule reffource qu’ils
33 aient contre la mifere ÔC la faim , pour les faire
» travailler au profit de citoyens plus riches 199 qu’eux ?
33 Une erreur toute oppofée a fouvent engagé
33 radminiftrarion à facrifier les droits des pro- 33 priétaires au defir mal entendu de foulager la 39 partie pauvre de nos fujets , en affujettiffant,
33 par des loix prohibitives , les premiers à livrer 39 leurs propres denrées' au-deffous de leur véri-
33 table valeur.
- 33 Ainfi , d’ un côté, l’on commettolt une injuf-
>3 tice contre les propriétaires , pour procurer
33 aux fimples manouvriers du pain à bas prix ;
33 ôc de l’autre , on enlevoit à ces malheureux , en
33 faveur des propriétaires , le fruit légitime de
>3 leurs futurs ôc de leur travail.
33 O n craignoit que le prix des fubfiftances ne
33 montât trop haut, pour que leurs falaires puf-
33 fent y atteindre ; 6 c, en exigeant d’eux gra-
33 tuitement un travail qui leur eût été payé , fi
33 ceux qui en profitent en euffent fupporté la
33 dépenfe , on leur ôtoit le moyen de concur-
33 rence, le plus propre à faire monter ces fa-
33 laires à leur véritable prix.
33 C ’étoit bleffer également les propriétés ôc la 133 liberté des différentes claffes de nos fujets ;
33 c’étoit les appauvrir les uns Ôc les autres, pour
33 les favorifer injuftement tour - à - tour. C ’ eft
33 ainfi qu’on s’ égare , quand on oublie que la 33 juftice feule peut maintenir l’équilibre entre