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fubfti tuant des papiers portant intérêts à des fonds
morts j 6c de favorifer une plus grande confom-
mation , pourfuit ainfi : Si l’on oppofe à ces cir-
conftances favorables , qui ne font pas , peut-être,
de grande importance , les défavantages fans
nombre qui» accompagnent nos dettes publiques ,
dans tpute l’économie intérieure de l’éta t, on ne
trouvera aucune çomparaifon entre le bien 8c le
mal qui çn résultent.
Premièrement, il eft certain que les dettes nationales
attirent une prodigieufe affluence de peuple
& de richeflcs dans la capitale, par les grandes
fommes que,.d’on leve dans les provinces, pour
payer l’intérêt de ces dettes, & peut-être :auffi
par les avantages du commerce , pour ceux qui
habitent-la capitale , fur de relie du royaume.
L a queftion fe réduit à fa voir fi , dans notre
pofîtion,il eft de l’intérêt public que l’on accorde,
à Londres, tant de privilèges , que l’on a déjà
portés à un point fi énorme, 8c qui paroiflent
encore augmenter tous les jours. Beaucoup de gens
ei* i e s cçnféquçnces. Pour moi,,je ne
puis-m’empêçher de penfer que , quoique lai tête;
fo it , fans-, contredit, trop grofle pour le corps ,
cepep.dant cette grande yille eft f i . heureufement
fituêe^ quel l’cjiorme quantité, de fes habitans , eft
un moindre inconvénient, que ne feroit même une
glus p.etite capitale » pour,un plus grand royaume.
Secondement, les fonds publics étant une forte
de papier de crédit, ont . tous lesdéfavantages
attachée à Cette efpèce de monnoie. Ilsbanniffent
l’or & l’argent du commerce le plus confidérable
de l ’état ; fis' les réduifent à la circulation commune
, 8ç, par çe moyen , rendent les provifîons ;
& le travail plus chers qu’ils ne le feroient au- i
trement.
Troifiémemént ,les taxes"qui font levées, pour i
payer l’intérêt de ces dettes, embarraflent l’in-
duflrie , hauffent le prix du tra v a il, 8ç -font une
oppreffion -fur le petit peuple.
Quatrièmement, comme 'fes étrangers pofledent
une partie de nos fonds nationaux , ce s 1 dettes'
rendent, en quelque maniéré, le publié leur tributaire
, 8c peuvent, avec le tems , bccafionner
le tranfport de notre peuple & de notre induftrie.
Cinquièmement, la plus grande partie du fonds
public étant toujours dans les'maitis de'gens pàr
réffeux, qui vivent fur leurs.revenus, nos.effets ,~
de cette efpece , donnent un ÿrartd encouragement
à la vie oifîve & inutilèi ■■•s
M ais, quoiqu’en balançant lé touty'Te "tort que:
nos fonds publics font au commerce & à Pinduftrié
foit très-.confidëfable’; il n’eft rien en compa-
raifon du dommage qui en réfulte pour l’état',
confidéré comme corps politique ', qui doit fe
foutenir lui - même dans la foeiété des nations ,
& avoir affaire aux autres états, dans l'es guerres
8c dans les ^négociations. Ic i le mal eft pur ôc
fans mélangé , fans aucune circonftance favorable
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qui puifle entrer en compenfation, & ce mal eft
de la nature la plus grave 8c la plus importante ;
aum un écrivain très-éclairé a très-bien dit,.que
les dettes publiques font femblables à ces vers
rongeurs , dont les ravages fecrets dans un corps ,
abforbent enfin fa fübfiftance.
On, nous d i t , a la vérité1. ,qtie Te public n’ eft
pas plus foibîe à ràifon de fesdétèes,;puifqu’èlles
fon t, la- plupart, dues aux hâfeitarïs ?du pays -, Ôc
qu’elles apportent autant à l’un , qu’elles tirent :de
l^autre ; que c ’eft comme fi l ’on tranfportoit de
l’argent, de la main droite à la main gauche, ce
qui fait que la perfonne de l’érat n’elt ni plus
riche, ni plus pauvtfc qu’àuparavant. Ces compa-
raifons fpécieùfes, ÔC ces raifonnemens , quoique
foibles , pourroient paffer, -fi nous n’avions pas
à juger fur des principes. Je demande s’ il eft pof-
fible, dans la nature des chofes , de furcharger
les peuples de taxes , même lorfque le fouvferain
réfide parmi eux? Le feul doute paroît extravagant,
puifqu’il eft néceffaire que dans chaque ré publique
il y ait une certaine pjroportio’mobfervée
entre Ja partie laborieufe Ôç la partie oifive ; mais
jfi le produit annuel de nos : taxes préfentes eft
engagé,, ne faut-il pas en inventer de, nouvelles
& ne peut-on pas abufer de cette rèflource, au
point qu’elle- devienne ruineufe Ôc deftrudive ?
Sans doute_ qu’il n’importe pas à l’éta t, .comme dit
Locke , que l’argent foit dans, la caiffe -dè Jean ou
dans çelLe de Pierre ; mais il importe à l ’état que
tout foit ordonné-de façon que celui qui a de
l’argent , foit encouragé à le faire, circuler pour
le bien public.
Dans toute nation , il y a' toujours quelque
méthode de lever dé l’argent , plus facile que les
autres , parce qu’elle èft plus analogue à la maniéré
de v ivre dii: peuple , Ôc aux commodités
qui font à fon ufagè. -i
En Angleterre , les droits fur la dreçhe '& fur
la bierë rapportent un très-grand revenu , parce
que les opérations de moudre demandent un tel
appapèil , qu’il n’eft guère pofliblé de les céler ;
en même tems-ces denrées ne font pas fi abfolument
néeeflàires à la vie , que leur augmentation de
prix affedlât beaucoup le petit peuple. Ces taxes
étant - toutes engagées, quelle difficulté pour en
trouver de ' nouvelles ?
Lés* droits; fu r lès- cqnforfimatioris font pïùs
■ égaux, & moins à charge que ceux fur les poffef-
fions. Quel malheur , pour le public y que les premiers
foient épuifés-, & que P on foit obligé d’avoir
recours aux taxes Je s plus onéreufes.
" Si - tous 1 les propriétaires des terres n’étoient
fé e les intendans du public , la néceffité ne les
obligerôi-t - elle pas à-mettre en oeuvre tous les
artifices que pratiquent les intendans, pour exercer
l ’oppfeflion , lorfque l’abfence ôc la négligence
du propriétaire les mettent à 1 l’abri de toutes recherches
?
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Quelqu’un oîera - t - il afiiiref qu’on ne doit
mettre aucunes bornes aux dettes nationales, £c
que le public ne feroit pas plus foible , quand il
y auroit douze ou quinze fchellings par livre
fterling fur les terres , engagés avec tous les
droits & les impôts d’aujourd’hui? Cette opération
a donc quelque autre effet que la fimple tranflation
de propriété, d’une main à l’autre. Dans cinq
cents ans , la poftérité de ceux qui font en carofle,
8c de ceux qui font derrière, aura -probablement
changé de place, fans que le public ait été affeéié
de ces révolutions.
Il faut avouer que parmi les hommes de tout
rang, une longue habitude a introduit, à l’égard
des dettes publiques , une étrange nonchalance ,
qui reflemble aflez à celle dont nos théologiens fe
plaignent^ avec tant de véhémence , à l’égard de
leurs dogmes religieux.
L ’imagination la plus propre à fe flatter , ne
fauroit efpérer que le miniftere, ni aucun autre à
l ’avenir, ait une fobriété aflez rigide & aflez confiante
pour faire quelque progrès confidérable dans
l’acquittement de nos dettes , ou que la fituatioh
des affaires politiques , leur laiffe aflez de loifir &
de tranquillité pour exécuter une pareille entre-
prife.
Cômmè il n’eût fallu qu’ un peu de prudence ,
lorfque, pour la première fo is , nous avons commencé
cette pratique d’engager les- fonds publics,
pour inférer de la nature des hommes en général,
& des miniftres en particulier , que les chofes
parviendroient au point où nous les voyons ; de
même , à préfent qu’elles font arrivées, il n’eft
pas difficile d’en prévoir la conféquence, & certainement
ce ne peut être que l’ un de ces deux
événemens ; il faut que là nation décruife le crédit
public , ou que le créait public détruife la nation.
En Angleterre ,• comme dans quelques autres pays,
i l eft impoflible que tous les deux fubfiftent, de
la maniéré dont on les a gouvernés jufqu’ici.
Il peut venir un tems, où l ’argent de la nation
foit épuifé , où la confiance commence à manquer.
Supposons que, dans cette détrefle , la nation foit.
menacée d’une invafion , ou qu’on craigne une
rébellion , dont l’étendard eft déjà déployé ; que
peuvent faire alors un prince 6c fon miniftre ?
Il y auroit de la fo lie , fi ayant dans leurs mains
des moyens cie fe tirer d’une telle extrémité, ils
négligcoîent de s’ en fervir. Les fonds créés &
hypothéqués en ce tems , produiront un revenu
annuel confidérable , fuffifant pour la fureté & la
défenfe de la nation. L ’argent eft peut-être prêt
à,être délivré à la tréforerie, pour acquitter un
quartier d’intérêt ; la néceffité parle , la crainte
prefle , la raifon exhorte, la compaffion feule s’op- T
pofe , Ôc c’eft en vain. On fe fervira de l’argent I
deftiné au fervice courant, fous les proteftadons
les plus folemnelles de le remplacer immédiatement.
Il n’en faut pas davantage pour opérer la *
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mort naturelle du crédit public. C ’eft une révolution
, à laquelle il tend auflî naturellement, que le
corps animal tend à fa deltruélion.
Il faut pourtant convenir que les hommes en
général font de fi grandes dupes, que quelque
violent que fût le choc que cauferoit au crédit public
, une banqueroute volontaire en Angleterre ,
ce crédit ne feroit peut-être pas long-tems fans
fe relever, & fans devenir auffi floriflant qu’au-
pasravant. Le roi de France , pendant la derniere
guerre, ( terminée.en 1748) a emprunté de l ’argent
à un intérêt plus bas qu’il n’écoit fous fon prédé-
ceffeur , & auflî bas que le parlement d’Angleterre
en trouve , en confidérant le taux commun de
l’intérêt dans les deux royaumes , & quoique les
hommes foient plus gouvernés par ce qu’ils ont
vu , que par ce qu’ils prévoient ; cependant les
promeffcs, les proteftations , de belles apparences,
& les appâts de l’intérêt préfent, ont fur eux une
fi puiffante influence , que peu font en étar d’y
réfifter.
Dans tous les ficelés, les hommes font pris aux
mêmes pièges , parce qu’ils y font pouffés par
l’intérêt perfonnel. Les mêmes manoeuvres cent
fois répétées , les abufent encore. Les excès de
l ’efprit populaire & du patriotifme , font encore
le grand chemin du pouvoir & de la tyrannie.
La crainte de détruire pour jamais le crédit 3 en
fuppofant que c’eft un mal , eft On épouvantail
inutile. Un homme prudent prêteroit réellement
plutôt au public, après qu’on viendroit de pafler
l’éponge fur fes dettes, qu’il ne lui pi-ê ter oit à
préfent, où elles font fi énormes. C ’eft ainfi qu’ un
fripon opulent, quand même on ne pourroit pas
le forcer à payer , eft un débiteur préférable à
un honnête banqueroutier ; car ie premier , pour
conduire fes affaires , peut trouver qu’il eft de fon
intérêt de payer fes dettes , fi elles ne font pas
exorbitantes , Sc le dernier n’eft pas en état de
le faire.
Le public eft un débiteur que perfonne ne peut
obliger à payer : la feule caution que fes créanciers
aient avec lu i , c’ eft l’intérêt de conferver
fon crédit j mais cet intérêt’ peut aifément être
balancé par une dette immenfe, par des conjonctures
difficiles 5c extraordinaires. D e plus , la
néceffité, le befoin du moment fouvent forcent les
états à prendre des niefures qui font contre leurs
intérêts.
La balance du pouvoir, en Europe, a paru à
nos aïeux , ainfi qu’à nous , trop inégale , pour
qu’elle s’y maintienne encore long-tems fans notre
afliftance , & beaucoup de vigilance de notre part.
Mais nos enfans, laffés de ces efforts continuels,
& accablés fous le' poids des charges publiques ,
peuvent demeurer oififs , & voir tranquillement
leurs voifins opprimés & conquis, jufqu’à ce qu’à
la fin eux-mêmes ôc leurs créanciers foient à la
merci du conquérant ; & , à proprement parler ,