
publics comme une autre forte de taille que l’on
pouvoir divifer dp même,' en autant de portions
qu’il y avoit d’hommes dans les' communautés^
fur lefquelles le tout étoit impofé. Rien ne paroît
en effet plus naturel, plus fimple, & en même
rems plus jufte que cette idéê-; cependant elle ne
répond point du tout dans l ’exécution , au principe
de faire le plus d'ouvrage pojjible dans U
moins, 4e tems pofible , & de plus elle entraîne
«îes inconvéniens de toute efpèce.
I l fuffiroit, pour s’en convaincre, de considérer
l ’état de la route de Tours, au Çhâteau-du-Loir ;
cette route , a été commencée il y à quinze à dix-
huit ans , par conféquent long-tems avant l’arrivée
de M. l’intendant ÔC de M. B'ayeiîx dans
cette généralité; elle a été divifée en plufïeurs
milliers de tâches , qui ont été reparties fur tous
les particuliers : néanmoins ce n’eft encore aujourd'hui
qu’avec mille peines qu’on en peut atteindre
la fin. On a dû penfer vraifemblablement
dans le commencement de cette route , que par
une voie fi fimple ÔC fi équitable en apparence,
chaque particulier pouvant aifément remplir en
trois ou quatre" ans au plus , la tâche qui lui étoit
donnée, la communication de ces deux v ille s ,
devoit être libre ôc ouverte dans ce même terme;
puis donc que l’exécution a fi peu répondu au
p ro je t, il eft bon d’examiner de près ce genre
de travail, pour voir s’il n’y a point quelque vice
caché dans la méthode qui le conduit.
I l femble au premier coup d’oeil que le défaut
le plus confidérable , & celui duquel rous les autres
font dérivés , eft d’avoir totalement fait
Changer de nature à un ouvrage p ub lic , en le
décompofant à l’infini * pour n’en faire qu’une
multitude fans nombre d’ouvrages particuliers ;
d’avoir par4 à trop diyifé l ’intérêt commun , ôc
rendu la conduite de ces travaux 4’une difficulté
étonnante ôç même infurmontablg.
Un feul ouvrage , quoique confidérable par le
nombre des travailleur , comme font ordinairement
tous les travaux publics , ne demande pas
beaucoup de perfonnes pour être bien conduit;
tin feul ouvrage , une feulé tête , le nombre des
bras n’y fait rien ; mais il faut qu’avec l’upité
d’cfprit, il y ait aufij unité d’aélion : ce qui ne
fe rencontre point dans tout ouvrage public que
l ’on a déchiré en mille parties différentes, où
j’intérêt particulier ne tient plus à l ’intérêt général
, ôc où il faut par conféquent un bien plus
«rand nombre de têtes pour pouvoir les conduire
tous ènfemble avec quelque fiiccès , ôc pour les
réunir malgré le vice de la méthode qui les
défunit.
Puifque la diftribution de la taille avoit conduit
à la diftributiqn dé toute une route en tâches
particulières , on auroit dû fentir que, comme il
falloir plufieurs colleéleürs par communauté pour
ieyer une impofition d’argent ? il auroit fallu au
moins un cçnduéleur fur chacune pour tenir tes
rvole s '& les états de cette corvée ta r i f é e ôc pour
tracer ôc. conduire tputes les portions d’ouvrage
aûignées à chaque particulier. On aura pu faire
fans doute cette réflexion fimple ; mais l’ économie
fur le nombre des employés, ne permettant
pas , dans un état où il fe fait une grande
quantité de ces fortes d’ouvrages , ‘ de multiplier
autant qu’il feroit néceffaire, fur-tout dans cette
méthode , le,s ingénieurs , Jes infpeéïeurs , les
conducteurs, &c. il eft arrivé que l’on n’a jamais
pu embrafl'er ôc fuivre tous ces ouvrages particuliers,
pour les conduire chacun à leur perfection.
Quand on fuppoferoit que tous les particuliers
ont été de concert , dès le commencement, pour fç
rendre fur toute l ’étendue de la route | chacun
fur fa partie , un infpeéteur & quelques conducteurs
.ont-ils fuffi le premier lundi, pour marquer
à un chacun fon lieu , pour lui tracer fa
portion , pour veiller pendant la femaine à ce
qu’elle fût bien faite, ôc enfin pour recevoir toutes
ces portions les unes après les autres le famedi,
ôc en tlonner à chacun le reçu ôc la décharge?
Qui ne voit qu’il y a de l ’impoflîbilité à conduire
ainfi chaque particulier, lorfquç l ’on a entrepris
de la forte une route divifée dans toute fon étendue
? Ces inconvéniens inévitables dès la première
femaine du travail , ont dû néceffairemènt
entraîner le défordre de la fécondé; de faifons
en faifons ôç d’années en années , il n’a plus, fait
que croître ôc augmenter jufqu’au point où il eft
aujourd’hui. De l’impoflïbilité de les conduire,
on eft tombé enfuite dans l’impoflîbilité de les
contraindre ; le nombre des réfraélaires ayant
bientôt excédé tout moyen'de les punir.
J’ai tous les jours , dit l'auteur de cet article ,
des preuves de cette fituation étrange pour un
ouvrage public , où depuis environ deux mois
de travail, je n’ai jamais trouvé plus de trois
eorvoyeurs ènfemble , plus de dix ou douze fur
toute l’étendue de la route, ôc où le plus,.fou-
vent je n’ai trouvé perfonne. Je n’ai, pas été
lông-tcms fans m’appercevoir que le principe
d’une telle défertio’n ne pouvoir être que dans
la divifion contre nature d’une aétion publique
en une infinité d’aélions particulières , qui n’ é-*
toipnt unies ni par le lieu , ni par le tems , ni
par l’iijrérêt commun..: chaque particulier fur cette
route ne penfe qu’à lui ; il choifît à fa volonté
le jour de fon travail, il croit qu’il en eft comme
de la taille que chacun paie féparément, ôc le
plus tard qu’il peut, il ne s’embarraffe de celle
des autres que pour ne pas commencer le prer
mier j ôc comme chacun fait le même raifonne-
mgnt, perfonne ne commence.
Je peux dire quç je n’ai point encore été fuç
cette route avec un but où un objet déterminé,
fçit 4’y trouver telles ou telles communautés,
foit de me rendre fur {pi pu tel atefief pour y
tracer
Cracef l’ouvrage. Dans le printems dernier, par
exemple, où je n’ai point laiffé paffer de femaine
fans y aller , je ne me fuis toujours mis en marche
qu’à l’aventure , ôc parce qu’il étoit du devoir
de mon état d’y aller ; fituation où je ne me fuis
jamais trouvé dans mes autres travaux, pour lesquels
je ne montois jamais à cheval fans en avoir
auparavant un fujet médité , Ôc fans avoir un
objet fixe ôc un but réfléchi qui m’y appelloif.
Ce n’eft point faute d’ordonnances néanmoins,
ôc faute de règlemens de la part de l’autorité publique,
fi ces travaux fe trouvent dans une telle
fituation ; ils n’ont même été peut-être que trop
multipliés ; les bureaux qui en font occupés ôc
qui entrent dans les plus petits détails de cette
partie, en font furchargés ôc même rebutés depuis
long-tems : mais, malgré la fageffe de ces règlemens
, ôc quel que foit leur nombre, ce n’eft
pas la quantité des loix ÔC les écritures qui conviennent
pour le progrès des travaux , mais
plutôt .des loix vivantes à la tête des travailleurs;
ÔC pour cela il me paroît qu’il faut donc les réunir,
afin qu’ils foient tous à portée de voir, la main
qui les conduit, Ôc afin qu’ils fentent plus v ivement
l ’impreflïon de Pâme qui les fait mouvoir.
L ’intention des ordonnances e ft, dans le fond ,
que tous les particuliers ayent à fe rendre , au
reçu defdits ordres, ou au jour indiqué, fur les
ateliers , pour y remplir chacun leur objet ;
mais c’eft en cela même que confifte ce vice qui
corrompt toute l’harmonie des travaux.* puifque
s’ils y vont tous , on ne pourra les conduire ,
ôc que s’ils n’y vont pas , on ne pourra les punir
d’une façon convenable.
La voie de la prifon, qui feroit la meilleure ,
ne peut être admife, parce qu’il y a trop de
réfraétaires , ôc que chaque particulier ne répondant
que pour fa tâche , il faudroit ' autant de
cavaliers de maréchauffée qu’il y a de réfraélai-
res. La voie des garnifons eft toujours infuffi-
lànte j quoiqu’elle ait été employée une infinité
de fois ; elle fe termine par douze ou quinze
francs de frais , que l’on*répartit avec la plus
grande précifion fur toute la communauté rebelle
, en forte que chaque particulieren eft ordinairement
quitte pour trois, f ix , neuf, douze
ou quinze fous : or quel eft celui qui n’aime mieux
payer une amende fi modique pour fix femaines
ou deux mois de défobéiffance, que de donner
cinq à fix jours de fon tems pour finir entièrement
fa tâche ? aufii font-ils devenus généralement
infenfibles à cette punition , fi c’en eft une ,
Ôc aux ordonnances réglées des faifons. On n’a
jamais vu plus d’ouvriers fur les travaux après
les garnifons, jamais plus de monde fur les routes
dans la huitaine ou quinzaine après l’indication
du jour de la corvée qu’auparavant; on ne
xeconnoît la faifon du travail que par deux.ou
trois eorvoyeurs que l’on rencontre parfois , ôc
Finanças* Tome /*
par les plaintes qui fe renouvellent dans les campagnes
fur les embarras qu’entraînent les corvées
ôc les chemins.
Il n’eft pas même jufqu’à la façon dont travaillent
le peu de eorvoyeurs qui fe rendent
chacun fur leur partie, qui ne découvre les défauts
de cette méthode ; l’un fait fon trou d’un»
cô té , un autre va faire fa petite butte ailleurs,
ce qui rend tout le corps de l’ouvrage d’une
difformité monftrueufe : c’ eft fu r -to u t un coup
d’oeil des plus fînguliers, de voir au long de la
route auprès de tous les ponceaux ôc aqueducs
qui ont demandé des remblais , cette multitude
de petites cafés féparées ou ifolées les unes de*
autres , que chaque corvoyeur a été faire depuis
le tems qu’on travaille fur cette route , dans les
champs ôc dans les prairies , pour en tirer la
toife ou la demi-toife de remblai dont il étoit
tenu par le rôle général. Une méthode auffi Singulière
de travailler , ne frappe-t-elle pas tout
infpeéteur un peu verfé dans la connoiffance des
travaux publics , pour Iefquels on doit réunir
tous les bras, ôc non les divifer ? On ne défunit
point de même les moyens de la défenfe d’ un
état ; on n’aflïgne point à chaque particulier un
coin de la frontière à garder, ou un ennemi à
terraffer : mais on aflemble en un corps ceux qui
font deftinés à ce ferv ice, leur union les rend
plus forts ; on exerce fur un grand corps une
difeipline que l ’on ne peut exercer fur des particuliers
difperfés , une feule ame fait remuer
cent mille bras. Il en doit être ainfi des ouvrages
publics qui intéreflenr tout l’é ta t, ou au moins
toute une province.. Un feul homme peut pré-
fider fur un feul-^ouvrage où il aura cinq cents
ouvriers réunis , mais i l ne pourra fuffire pour
cinq cents ouvrages épars, où fur chacun il n’y
aura néanmoins qu’un feul homme. Il ne convient
donc point de divifer cet ouvrage ; ôc la
méthode de partager une route entière entre des
particuliers, comme une taille , ne peut convenir
tout au plus qu’à l ’entretien des routes quand
elles font faites, mais jamais quand on les conf-
truit.
Enfin pour juger de toutes les longueurs qu’entraînent
les corvées tarifées, il n’y a qu’à regarder
la plupart des ponceaux de cette route : ils
ont été conftruits, à ce qu’on dit , il y a plus
de douze ou treize ans; néanmoins, malgré toutes
les ordonnances données en chaque faifon ,
malgré les allées , les venues des ingénieurs-inf-
peéteurs , dçs garnifons, les remblais qui ont été
répartis toife à toife, ne font point encore fait*
fur plufieurs , les culées en font ifolées prefque
en entier * le public n’a pu jufqu’à préfent paffer
deffus d’une façon commode; ôc il pourra arriver
, fi cette route- eft encore quelques faifon*
à fe finir , qu’il y aura plufieurs de cgs ouvrages
auxquels il faudra des réparations fur des
parties qui n’auront cependant jamais fe rv i; chof«