
prévenir les charges extraordinaires , qifî leur |
»voient été impofées fous les régnés précédens.
Pour s’en convaincre , il faut fe rappeller que
la différence , entre le gouvernement politique
des deux premières races , ôc le gouvernement féodal
de la troifieme , confifta en deux points capitaux.
D ’un côté , nos rois des deux premières races ,
outre les impôts que payoient leurs fujets, avoient
aftiijetti diverfes nations à des tributs envers la
France ; & d’autre côté, ils avoient des milices
toujours fubfiftantes dans les provinces ; les pof-
fefïeurs des terres faliques , ôc les tenanciers dés
terres données en bénéfices , étoient obligés au
fervice perfonnel ; il n’y avoit point de tems l i mité
pour la durée de ce fervice, qui ne ceffoit
qu’avec la guerre que le monarque avoit trouvé
à propos d’entreprendre.
Dans la troifieme race , nos rois furent privés
de l’ un & de l’autre de ces deux grands avantages.
Le fervice militaire féodal étoit borné à quarante
jours ; les grands vaffaux immédiats ne s’y croyoient
tenus que pour les guerres qui intéreflfoient la
nation en général , ôc fur ce principe , pré-
tendoient être en droit d’examiner & de décider
fi la guerre étoit bien ou mal entreprife. Souvent
ils abandonnoient le monarque au milieu d’une campagne
, parce que le tems du fervice étoit fini.
Souvent eux-mêmes faifoient la guerre au roi ,
Ôc, dans ces guerres , fe faifoient fuivre par leurs
propres vaffaux ; abus étrange d’un pouvoir ufurpé,
ôc qui néanmoins étoit en certain cas autorifé
par les loix féodales.
I l en coûta trois années de guerre au roi
Louis-le-Gros , pour réduire le feul feigneur du
château du Puifet, qui interrompoit la communication
de Paris avec Orléans. Doit-on être fur-
pris , après cela , que l’anarchie féodale fe foit
maintenue f i . long - tems , qu’il ait fallu une
révolution de plufieurs fiècles , pour parvenir
au rétabîiffement du gouvernement politique ,
pour rendre à la couronne les droits & la fplen-
deur dont elle jouiffoit fous le régné de Charlemagne
, ôc même dès celui de Clovis ?
A la difficulté d’affembler des armées , au défaut
de fubordination 6c d’obéiffance dans les troupes
, fe joignoit encore la modicité des finances
royales ; double obftacle qui ne pouvoit être fur-
monté que par une politique adroite , prudente ,
ôc conftarament dirigée vers le même b u t, malgré
la contrariété des éyénemens.
Les revenus de nos rois ne confîftoient que dans
leurs domaines , que l ’on peut divifer fous neuf
efpè.ces. i° . Les produits de juftice , des bailliages
Ôc prévôtés royales , qu’ils doiinoient quelquefois
à ferme aux baillis 6c prévôts. z ° . Les produits des
terres domaniales, reçus aufïï par les baillis & prévôts.
$°. La gruerie, le cens ôc autres droits fei-
gneuriaux. 40 L a régale. j ° . Les droits d’entrée
6c de fortie. 6°. L a monnoie. 70• Ees droits de
procuration ou de gîte. 8°. Les Juifs. p°. Les redevances
dues par les vaffaux dans quatre cas extraordinaires
; favoir , quand le roi faifoit fon fils
aîné chevalier ; lorfqu’il marioit fa fille aînée ,
lorfqu’il furvenoit une guerre ; lorfqu’il étoit fait
prifonnier...................Ceux qui étoient chargés de
recevoir ces revenus des rois , les apportoient à
Paris , dans les trois termes de la Saint-Remi ,
delà Chandeleur, de l ’Afcenfion, & il y a eu un
tems où ils étoient remis au temple , entre les mains
du chevalier du temple, qui étoit le gardien particulier
du tréfor du roi.
Il ne faut pas croire que ces neuf articles pro-
duififfent des fommes fort confidérables , car nos
rois ne les percevoient que dans leur propre domaine
, qui n’êtoit pas d’une grande étendue , fi
on le compare avec le refte de la France. Les
feigneurs des grands fiefs jouiffoient chez eux des
mêmes droits , fans en excepter çplui de faire battre
monnoie. D ’ailleurs , que pouvoient* , par-
exemple , rendre les douanes, dans un tems où les
François ne faifoient prçfque aucun commerce ?
Quel pouvoit être le produit de la monnoie lé gitimement
adminiftrée , dans un tems où l ’or 6c
l’argent étoit d’une rareté extrême ? Les droits
de gîte méritent à peine d’être mis en ligne de
compte. Il y avoit plus d’utilité dans les taxes fur
les Juifs ; mais ce n’étoit pas un revenu annuel
, c’étoit une reffource dans des befoins extraordinaires
, tantôt on les chaffoit du royaume, tantôt
on les y rappelloit pour un certain nombre
d’années ; permiffion qu’ils payoient chèrement au
r o i , 6c dont ils ne favoient que trop fe dédommager
fur les fujets.
Il n’étoit pas poffible de faire de grandes cho-
fes avec de fi .faibles moyens. Aufïï ne s’apperçut-
on d’aucun, changement notable en France , pendant
fix régnés confécutifs , qui remplirent le cours
de deux fiècles.
Ce fut par des progrès lents & prefque infen-
fibles , mais fûrs & folides, que les prédéceffeurs
de Philippe-Augufte lui ouvrirent le chemin aux
viéfaires qu’il remporta, ôc aux conquêtes qui en
furent le fruit.
En agrandiffant leur domaine, nos rois augmentèrent
fans doute en revenus 6c en pouvoir ; mais
cet accroiffement même donna lieu a de plus fortes
dépenfes. Les guerres avec des puiffances voifînës ,
& particuliérement avec l’Angleterre, qui n’étoient
interrompues que par des guerres encore plus rui-
neufes , portées dans l’Afïe & dans l’Afrique contre
les ennemis de la foi chrétienne , produisirent
les plus grands changemens dans l’Europe. Il
étoit impofïïble de fubvenir à tant de fra is , fans
autre fecours que celui du fervice militaire féodal
, ôc des revenus du domaine de la couronne.
Des befoins plus étendus ôc plus fouvent renouvelles
, obligèrent nos rois de demander des a ides
'ôc des fubfides à leurs fujets. L ’étâbliffement
des communes en autorifoit la demande , 8c en fa-
cilitoit la perception ; mais ces aides & fubfid.es
n’étoient que pour un tems limité ôc affez court ;
ils cefloient avec les caufes qui en avoient ocea-
fionn-é la levée.
Charles V I régnoit depuis vingt ans ; il y en
avoit neuf qu’il ne jouifloit de fa raifon que par
intervalles, dans le tems que fut faite l ’ordonnance
folemnelle du 14 février 1402 , concernant l ’inaliénabilité
du domaine. Elle ne pouvoit être placée
dans des circonftances où elle fût plus nécef-
faire. Plus les objets de dépenfe fe multiplioient,
plus il étoit important de conferver fans atteinte,
les fonds deftinés à leur acquittement. Les dons
ôcles aliénations dutfa/mzi/zéappauvrifToient l’Etat,
pour enrichir des favoris, des hommes p.uiflans qui
fe faifoient redouter, ÔC des courtifans qui ne con-
tribuoient point aux charges publiques. Le poids
en devenoit plus accablant pour les peuples, ôc
les demandes du roi plus fréquentes ôc plus confidérables.
En un mot, il n’étoit pas poffible que
le tréfor-roÿal fe diffipât, ôc que le vuide n’en
fût pas rempli aux dépens du peuple.
C ’efl: ce qu’a très-bien vu le profond écrivain,
à qui eft dû l’efprit des loix. Le domaine d’un
E ta t, eft-il aliénable , ou ne l ’eft-il pas , dit Mon-
tefquieu ? Cette queftion doit être décidée par la
loi politique . . . . , parce qu’il eft néceffaire qu’il
y ait un domaine pour faire fubfifter l ’E ta t . . . . Si
donc on aliéné le domaine, l ’Etat fera forcé de
faire un nouveau fonds pour un autre domaine.
Mais cet expédient renverfe le gouvernement politique
, parce que, par la nature de la chofe , à
fchaque domaine qu’on établira , le fujet paiera toujours
plus, 3c le fouverain retirera toujours moins.
Tels furent évidemment les motifs qui portèrent
les Etats généraux de 1402 , à demander la promulgation
de la loi 0 qui déclara fi folemnellement le
domaine de la couronne inaliénable. Mais ce remede-,
quoique le feul qui pût être efficace , en y joignant le
retranchement des dépenfes fuperflues, fe trouva im-
puiflant, à caufe des troubles qui agitèrent cruellement
la France , pendant le refte du régné de
Charles V I , ( dont la durée fut encore de vingt
ans, ) ÔC qui auroient fait pafler la première couronne
de l’Europe fur la tête d’un ufurpateur ,
fi la valeur de l’héritier légitime n’avoit pas été
fécondée par des événemens extraordinaires ÔC qui
tiennent du prodige.
Il eft dit dans l’ordonnance du domaine , donnée
à Moulins en 1 ƒ6(5, que les règles ôc maximes
anciennes de l’union ôc confervation du domaine
, étant à aucuns affez mal, Ôc aux autres peu
connues, il a été eftimé très-nécefïàire de les faire
recueillir ôc réduire par articles , ôc iceux confirmer
par édit général 5c irrévocable.
L ’article Ier porte , que ce \e domaine && la cou- j
» ronne ne peut être aliéné qu’ en deux cas feu-
» lement ; l’un, pour apanage des puînés de la
» maifon de France , auquel cas y a. recours à la
» couronne, par leurs décès fans mâles,, en pa-
» reil état Ôc difpofitions qu’étoit ledit domaine,
33 lors de la conceffion de l’apanage , nonobftant
33 toute difpofîtion , poffeffion , aéte exprès ou 3> taifible, fait ou intervenu pendant l ’apanage ;
33 l’autre , pour l’aliénation à deniers comptans ,
33 pour la néceffité de la guerre , après lettres-
33 patentes pour ce décernées en Parlement, au-
33 quel cas y a faculté de rachat perpétuel. 3>
Par l’article V , défenfes font faites aux cours
de Parlement ôc chambres des comptes , d’avoir
aucun égard aux lettres1-patentes , contenant aliénations
du domaine ôc fruits .d’icelui , hors .les cas
fujfdits, pour quelque caufe ôc tems que ce fo i t ,
ne fût-ce que pour un an.
Au même mois de février 1 y é ô , il y eut un autre
édit pareillement donné à Moulins, par lequel,
attendu l’utilité ÔC la néceffité de mettre en culture
ÔC labeur , les terres vaines ôc vagues , prés ,
palus ôc marais vacans , appartenans au roi , il
fut ordonné qu’il enjjeroit fait aliénations à perpétuité
, à cens , rentes ôc deniers modérés, fans
que ces aliénations puffent être dans la fuite révoquées
, pour quelque caufe ôc occafion que ce
fut.
Cet édit fut enregiftré au Parlement de Paris
le 27 mai fuivant, à la charge que lefdites terres
ne pourroient être baillées qu’ à cens portant lods ,
ventes, défauts ôc amendes, quand le cas y écheoi-
r o i t , félon les coutumes des lieux , & à rentes perpétuelles
ôc non rachetables , fans que les preneurs
puftenf donner aucuns deniers d’entrée, pour
quelque raifon ou caufe que ce fût , fur peine de
payer le quadruple , ôc de perdition de la chofe ,
laquelle, en ce cas , la cour déclara dès - lors
réunie à la couronne.
Tous les auteurs qui ont traité du domaine ,
hiftoriens ôc jurifconfultes , reconnoiuent unanimement
que , depuis l ’établiflemcnt des fiefs jufqu’à
Charles IX , nos rois uferent fans obftacle du
droit d’infépder des terres dépendantes de leur
domaine, foit pour récompenfe de fervices rendus
à l’Etat, ou par pure libéralité ; que ces inféodations
ont eu tout leur effet , qu’elles n’ont ja mais
été conteftées , Ôc que les poflefFeurs aétuel«
de ces fiefs ne. peuvent être légitimement in quiétés.
Ain fi , l’année. 1^66 eft une époque doublement
remarquable , par rapport au domaine de la couronne
: premièrement s en ce que nos rois fe font
alors ôté le pouvoir de faire les inféodations dont
il s’agit ; fecondement, en ce que dans le mênje
tems a été fixée la confiftance du domaine , qui
étoit encore fort incertaine.
L ’incertitude n’avoit pour objet ni les droits
régaliens, ni les anciennes terres ôc pofleffions du
domaine ; mais il n’y avoit point de principe confiant
fur les réunions à la couronne , de biens
E e e e i j