
» de la ligue. Colbert eut à réparer les maux
» qu’avoient caufés le règne orageux & faible de
» Louis X I I I , les opérations brillantes , mais
» forcées , de Richelieu , les .querelles dé la
» f r o n d e l ’anarchie des finances, fous Mazarin.
» Tous deux trouvèrent le peuple accablé >3 d’impôts , èc le roi privé de la plus grande
» partie de fes revenus. Tous deux eurent le
» bonheur de rencontrer deux princes qui avoient
» le génie du gouvernement, capables de vou-
•» loir le bien , a fiez .courageux pour l’entre-
33 prendre , affez fermes pour le Foutenir , défi—
» firant de faire de grandes chofes , l’un pour
» la France , & l’autre pour lui-même.
>3 Tous deux commencèrent par liquider les
33 dettes de l ’é ta t, & les mêmes befoins firent 3# naître les mêmes opérations. Tous deux tra- >3 vaillefent enfuite à accroître la fortune publi-
» que. Ils furent également combiner la nature
35 des divers impôts ; mais Sully ne fut pas en
33 tirer tout le parti poflîbîe. Colbert perfec-
» donna l ’art d’ établir, entre ces impôts, de juftes
33 proportions.
33 Tous deux diminuèrent les frais énormes de
» la perception, bannirent le trafic honteux des
33 emplois , qui enrichifFoit & avilifïoit la cour ;
» ôtèrent aux courtifans tout intérêt dans les
sa fermes.
33 Tous deux firent ceffer l ’horrible confufîon ;
» qui régnoit dans les recettes, ôc les gains im- I
» menfes que faifoient les receveurs. Mais dans
33 toutes ces parties, Colbert n’eut que la gloire
3b d’imiter Sully , & de faire revivre les an- 3» ciennes ordonnances de ce grand homme.
33 L e miniftre de Louis X I V , à l’exemple de
» celui de Henri I V , a Aura des fonds pour 3» chaque dépenfe ; à fon exemple il réduifit l’in-
>3 térêt de l’argent. Tous deux travaillèrent à
33 faciliter les communications. Mais Colbert fit
39 exécuter le canal de Languedoc, dont Sully
39 n’avoit eu que le projet.
33 Tous deux connurent également l’art de faire
-» tomber fur les riches & fur les habitans des 3> v ille s , les remifes accordées aux campagnes.
33 Mais on leur reproche à tous deux , d’avoir 3> gêné l ’induftrie par des taxes.
33 Le crédit, cette partie intéreflànte des ri-
» cheffes publiques , qui fait circuler celles que >3 l’on a , ôc fupplée à celles que l ’on n’a pas,
33 paroît n’avoir pas été affez connu par Sully,
>3 & affez ménagé par Colbert.
33 Les gains exceffifs des traitans furent répri-
33 mes par tous les deux; mais Sully connut mieux 3* de quelle importance il eft pour un état , de
33 rapprocher les profits des finances, de ceux 3> qu’on peut faire dans les entreprifes de com-
33 merce ou d’agriculture. Les monnoies attirèrent
33 leur attention ; mais Sully n’ apperçut que les
» maux, ou ne trouva que des remedes dange-
» reux. Colbert porta dans cette partie , une
33 fupériorité de lumières qu’il dut à fon fiecle >3 autant qu’à lui-même.
39 On leur doit à tous deux l’éloge d’avoir vu
33 que la réforme du barreau pouvoir influer fur
33 l ’aifânce nationale ; mais l’avantage des rems
33 fit que Colbert exécuta ce que Sully ne put
33 que defîrer.
33 L ’un, dans un -terns d’orage , ôc fous un roi
33 foldat, annonça feulement à une nation guer-
33 riere qu’elle devoit eftimer les fciences ; l’autre-,
33 miniftre d’un roi qui portoit la grandeur jufques
33 dans les plaifirs de l’efprit , donna au monde
» l ’ exemple trop oublié , peut-être, d’honorer ,
33 d’enrichir ôc de développer tous les talens.
33 Sully entrevit le premier l’utilité d’une ma-
3» rine ; c’étoit beaucoup en fortant de la bar-
» barie ; nous nous fouvenons que Colbert eut
33 la gloire d’en créer une.
» Le commerce fut protégé par les deux mi-
3» niftres ,• mais l’un vouloit le tirer prefque tout
33 entier du produit des terres, l ’autre des ma-
33 nufaélures.
33 Sully préféroit, avec raifon , le produit q u i,
33 étant attaché au fo l , ne peut être partagé ni
33 envahi , ÔC qui met les étrangers dans une dé-
33 peridance néceflaire. Colbert ne s’apperçut pas
33 que l’autre n’ eft fondé que fur des befoins de
33 caprice ou dé g o û t, ôc qu’il peut paffer avec
33 les artiftes dans tous les pays du monde. 33 Sully fut donc fupérieur à Colbert dans la
33 cojinoiffànce des véritables - fources du com-
33 merce ; mais Colbert l’emporta fur lui du côté 39 des foins , de l’aélivité & des calculs politiques
33 dans cette partie. Il l’emporta par fon atten-
33 tion à diminuer les droits intérieurs du royaume,
33 que Sully avoit augmentés quelquefois ; par fon 3? habileté à combiner les droits d’ entrée ôc de
33 fortie $ opération qui eft peut-être un des plus
33 favans ouvrages du légiflateur , Ôc où la plus
» petite erreur de combinaifon peut coûter des
33 millions à l’état.
33 II fera difficile d’égaler Colbert dans les
» détails ôc les grandes vues du commerce. Il
33 fera difficile de furpaffer Sully dans les encou-
39 ragemens qu’il donna à l’ agriculture. Ce n’eft
33 pas que Colbert ait négligé entièrement cette
33 partie importante. Colbefr , à l’exemple de
33 S ully , voulut faire naître l’aifance dans les
33 campagnes. Il diminua les tailles, il prévint,
33 autant qu’il p u t , les maux attachés à une im-
33 pofition arbitraire ; il protégea , par des règle-
33 mens utiles , la nourriture des troupeaux ; il
y> encouragea la population par des récompenfes ; 3> mais faute d’avoir permis le commerce des
* grains, tant d’opérations admirables furent
33 prefque inutiles ; il n’y avoit point de richeffe >3 réelle ; l’état parut brillant Sc le peuple fort
33 malheureux ; l’or que le trafic faifoit circuler ,
» ne paryenoit point jufqu’à la claffe des cul-
» tivateurs ; le prix de!s- grains baiffa fans ceffe ,
33 ÔC l’on finit enfin par la difette.
33 Tels furent les principes Ôc les fuccès diffé-
33 rens de ces deux grands hommes. Si maintenant
33 nous comparons leur caraâere ôc leur talent ,
3> nous trouverons que tous deux eurent de la
33 jufteffe ôc de l’étendue dans l’èfprit, de la gran- 3» deur dans les projets , de l’ordre ôc de 1 ac- 33 tivité dans, l’exécution ; mais Sully faifît mieux
33 là maffe entière du- gouvernement ; Colbert en
33 développa mieux les- details.
33 L ’Un avoit plus de cette politique moderne
sa qui calcule. ; l ’autre de cette politique des an-
33 qiens légiflateurs qui voyoient tout dans un
sa grand principe. Le plan de Colbert etoit une
33. machine vafte Ôc compliquée où il falloir fans
33 ceffe remonter de nouvelles roues: le plan de 33 Sully étoit fimple ôc uniforme comme celui de
33 la nature. Colbert attendoit plus des hommes;
33 Sully attendoit plus des chofes-.
'33 L ’ un créa des reffdu-rces inconnues à la
39 France ; l ’autre employa mieux les reffourr
33 ces qu’elle avoit. L a réputation de Colbert
33 dut avoir plus d’éclat ; celle de Sully dut- ac-
33 quérir plus de folidité.
33 A l’égard du caraélere , tous deux eurent
33 le courage ÔC la vigueur d’ame fans laquelle
33 on ne fit jamais , ni beaucoup de bien , ni beau-
» coup de m a l, dans un état ; mais la politique
33 de l’un , fe fentoit de l’auftérité de fes moeurs;
33 celle de l’autre, du luxe de fon fiécle.
33 Ils eurent la trifte conformité d’être haïs,
33 l ’un des grands , l’autre du peuple. On repro-
33 cha de la dureté à C o lb e r t, de la hauteur à
3> Sully ; mais, fi tous deux choquèrent dés par-
33 ticuliers , tous deux aimèrent la nation.
33 Enfin , fi on examine leurs rapports avec les
33 rois qu’ils ferv irèn t, on trouvera que Sully
33 faifoit la loi à fon maître, ôc que Colbert >3 recevbit la loi du fien ; que le premier fut plus
33 miniftre du peuple , le fécond plus le miniftre
» du roi. Enfin d’après les talens des deux prin-
33 ces, on jugera que Sully dut quelque chofe
33 de fa gloire à Henri IV , ôc que Louis X IV 3* dut une grande partie de la fienne à Colbert.
S’il nous étoit permis de prévenir ici le jugement
de la poftérité, nous nommerions un troi-
fierae miniftre des finances-, digne d’une place
•entre Sully ôc Colbert. Ses premières opérations,
comme celles de ces deux grands hommes, commencèrent
par jeter de l’ordre ôc de la clarté dans
les recettes ôc les dépenfes. Toutes lès branches
des revenus de l ’é ta t, reçurent enfuite dés améliorations,
ôc par ,1a réforme qu’il mit dans lès
plans de leur régie , ÔC par les retranchemens
qu’elle produifit dans les bénéfices des régiffeurs.
Bientôt contrarié par des circonftances impérïeufes,
il fut tirer les plus grandes reffources
du crédit public , dont jamais perfonne ne connut
mieux les effets , ôc fûbvenir à des dépenfes
effrayantes , fans avoir recours à des impôts,
mais par la feule voie des emprunts qui obte-
noient la confiance publique ; adminiftrateur fen-
ftble' au fort malheureux des habitans de? campagnes,
ôc toujours occupé des moyens de l’adoucir
; parfaitement éclairé fur les rapports de l’agriculture
avec le commerce ôc avec la richeffe publique,
il eut le courage de mettre des bornes à
l ’autorité de fa place, Ôc à la faculté d’augmenter
arbitrairement, les contributions- , en portant la
bienfaifance du monarque à ordonner que le brevet
général de toutes les impofitions ne pourroit jamais
être augmenté au-delà de ce qu’il étoit c-n
1780., que par une loi enregiftrée dans les-cours.
C ’eft également fa follicitude pour les infortunés
qui , fans être coupables , perdent leur liberté ,
par . les fuites du malheur ôc de la mifere, pour
éprouver le malheur, peut-être plus fenfible cn-r
c o r e ,. d’être, confondus avec de vils fcélérats ;
c’eft fa tendre pitié pour les êtres-indigens, dont
la détreffe ôc les infirmités ne trouvent de refugq
que dans ces établiffemens fondés par la charité
publique , mais dont le féjour dangereux, par la
multitude des malades ôc des mourans , confondus
dans les mêmes lits , devenoit, trop fouvent, le
principe d’une mort prochaine , qui ont obtenu
de la bonté du monarque, deux édits qui feront
à jamais des monumens de la fenfibilité du.fouye.-
rain, Ôc de l’humanité de fon miniftre.
Voye[ Hô p i t a u x .
Cette loi , réclamée depuis fi long-tems par la
philofophie , en faveur de ces infortunés qu’une
ancienne barbarie féodale avoit attachés au fol
qu’ils habitent, comme des troupeaux livrés à la
diferétion d’un maître abfolu , n’eft-elle pas due
encore aux grandes vues qu’il a montrées dans
fon adminiftration ; Ôc l’exemple de cette abolition
de la fervitude dans les domaines du roi-, du droit
de fuite dans tout le royaume, n’a-t-il pas attiré
l’admiration de l’Europe, ôc heureufement produit
des imitateurs?
Enfin , cet adminiftrateur auflî défintéreffé,
auflî ami du. peuple que Sully , auflî a& if , auflî
infatigable que Colbert, qui a fans ceffe travaillé
à faire tout le bien que permettoient les circonftances
, en annonçoit un plus grand encore.,
par les projets qu’il a mis fous les yeux de fa
majefté, ôc auxquels il ne manquoit plus que le
moment favorable de la paix , pour confommer
| leur exécution. Il ne faut que lire le compte qu’il
a rendu en 1781 , de ce qu’il avait fait, de ce
qu’il vouloit faire , pour juger fi jamais miniftre
conçut des projets plus propres à opérer le bonheur
de la nation & la prospérité de l’état.
Fbyq; CONTRÔLE DES ACTES , CORVEES ,
D r o i t s , G a b e l l e s , T a il l e s , T r a i t e s ,