
Il ne faut pas cependant que le defîr de tout
ménager, 8c la crainte de bleffer certaines opinions,
d’attaquer certains préjugés , 8c de réformer
d’anciens ufages , retiennent dans les liens
d’une habitude délavantageufe pour le commerce,
&\ préviennent en faveur des objeCtions que l’on
peut entendre , ou fe faire à foi-même ; mais il
faut les pefer avec autant d’attention que d’impartialité.
Rien n’eft plus aifé que de fe faire
illufion fur une madere auflî délicate.
On objectera peut-être, par exemple, au changement
dont il s’agit, qu’il n’eft pas à propos
de mettre les étrangers en état de prendre une
connoiflànce fi claire 8c fi pofitive de tous nos
droits , 8c qu’il eft d’une faine politique de laiffer
à cette madere des embarras 8c des obfcurités ,
qui, dans certaines occafions , nous rendent les
maîtres des interprétations de la loi , 8c d’en
faire même de nouvelles, fans que l’étranger puifle
appercevoir nos vues , ou du moins s’en plaindre
raifonnablement.
Une pareille objeCtton femble d’autant plus forte,
qu’elle offre en apparence quelque chofe de fenfé &
d’impofant ; mais au fond , elle n’eft que fpécieufe
8c fe réfute fans peine. La confervation de nos intérêts
pourroit-elle dépendre de ces vaines fub-
tilités dont les particuliers peuvent faire ufage
entr’eux? Les états fe gouvernent par de plus
grands principes : la rufe ne s’emploie qu’au défaut
de l’autorité , mais le gouvernement étant le maître
de faire ouvertement ce qii’il juge convenable
à fes intérêts , a-t-il befoin de recourir à de
petites rufes imaginées par les foibles contre les
forts ?
Il n’ eft pas queftion , en un mot , de tromper
l’étranger , ni même de lui faire illufion. Il s’agit
de faire profpérer notre commerce , 8c de former
à cet effet, un plan d’impofition auflî jufte que
raifonnable , de l’établir en connoiffance de caufe,
de le rendre clair pour tput le monde, 8c de le
fuivre avec fermeté. Le reftè fuivra comme de
foi-même , fans équivoque 8c fans fubtiliré.
Quelles que puiffent être les çbje&ions que l’on
pourroit faire , elles auront toujours un avantage
fort confidérable , ce fera d’éclairçîr l’une des
matières qui nous intéreffent le plus ; 8ç fi ces
difficultés ne font pas capables d’empêcher- que
l’on ne faffe un nouvel établiffement, plutôt que
de fe contenter de mettre en règle les titres
aduels, 8c de conftater les ufages que l’on fuit
aujourd’hui, il fera queftion de voir quel plan
l’on voudra choîfir pour çonfommer l’opération.
C ’eft le fuj.et de la quatrième queftion.
» Quelle feroit, dans le cas où l’on fe déter-
3» mineroit à faire un changement, la maniéré
37 la plus fûre 8c la plus convenable de travailler
79 à cette opération ?
On a jufqu’à préfent expofé, comparé 8c pefé
fcrupuleufcment toutes les raifons qui peuvent décider
à faire un changement dans la perception,
8c celles qui en peuvent détourner.
Mais comme ces dernieres n’ont été expofées
qu’en réponfe aux motifs qui peuvent engager à
réformer les inconvéniens , l’injuftice 8c les contrariétés
qui réfultent de notre pofition ; on ne
fauroit fe diflimuler qu’il s’en faut bien que les
confidérations qui militent contre un changement,
foient auffi fortes, auflî folides , auflî convaincantes
, fur-tout vis-à-vis du. gouvernement, que
celles qui demandent un nouvel ordre dans cette
partie.
On fuppofera donc un moment, pour répondre
à la quatrième queftion que l’on vient de rap-
peller, que le défordre 8c l’obfcurité, le peu de
fureté 8c d’égalité qui réfultent des droits aéluels,
préjudicient affez au commerce, pour que l’on fe
détermine à reprendre toute la grande machine
des droits dans fon entier , & à la décompofer
pour en former une autre dans laquelle on puifle
trouver, finon une perfection totale, au moins
la fuppreffion de beaucoup d’abus.
Il faut, avant de fe décider , tant de préalables
8c de préliminaires indifpenfables, qu’il ne feroit
pas étonnant qu’en indiquant le moyen que l’on
croira le meilleur, on parût plutôt s’eflàyer, interroger
, confidérer , confulter fur ce que l’on proposera
, que déterminé fur la propofition. L ’objet
eft d’une fi grande confidération , 8c l’exécution
d’un projet dans lequel le général peut être inté-
reffé, tient à tant de chofes, qu’il mérite bien
qu’on l’envifage fous toutes les faces, & que l’on
cherche à prévoir tous les effets qui peuvent en
réfulter.
Il eft d’abord à propos de convenir d’une première
propofition générale 8c inconteftable, c’eft
qu’il faut des droits à l’entrée & à la fortie de
toute nation, de tout royaume & de tout état
quelle quefoitla nature de fon gouvernement. Si ce
principe avoit befoin de preuve, il fuffiroit, pour
l’établir , de préfenter l’exemple du monde entier.
Ce que l’univers pratique, ne fauroit être regardé
comme nuifible ou comme abufif; ces droits ont
d’ailleurs pour fondement, de puiflans motifs qui
s’accordent également avec la faine politique 8c
l’intérêt public.
Ils font un hommage, envers le fouverain , une
précaution contre la furprife, 8c la feule façon
d’opérer , de conferver & d’augmenter le bien de
toute la famille , car c’eft ainfi qu’il faut envifager
les fujets d’une même domination. .
En admettant une fois cette première vérité ,
il s’enfuivra naturellement que lès droits doivent
être perçus fur l’extrême frontière.
Comment imaginer en effet que les fujets d’une
province limitrophe , foient plus étrangers que
ceux de l’intérieur; 8c que ceux qui habitent les
pays fitués au nord d’un état, foient plus ou moins
favorifés que ceux dont la pofition eft au fud?
Doit-on ,
Doit-on, d’ailleurs, envifager comme une faveur
bien réelle pour certaines provinces , de
jouir a quelques égards d’exemptions ou de modérations
apparentes , tandis que ces prétendus avantages
les privent eflentiellement de beaucoup d autres
qui réfulteroient de plus d’uniformité dans -
la perception ?
De ces obfervations naiffent trois profofîtions.
Il faut des droits. *
Il eft à propos qu’ils foient perçus fur 1 extrême
frontière.
Ils devroient être par-tout uniformes.
On croit les deux premières propofitions abfo-
lument vraies ; mais la troificme eft fufceptible
d’objeélions , 8c c’eft peut - être ce qui rend fi
difficile la maniéré de former un enfembie dont
toutes les parties s’accordent, fe lient 8c fe répondent
fans qu’il y ait entr’elles aucune forte
de contrariété 8c de difproportion.'
On fait d’autant plus volontiers cette obferva-
| tion, qu’en parcourant les différens tarifs actuellement
en ufage , on apperçoit que dans la rédaction
de chacun, il femble que l’on n’ait pas eu
le moindre égard aux autres tarifs , 8c que l’on
ait confîdéré chaque province en particulier,
comme féparée de toutes les autres, Ôc fans relations
avec elles^
Il s’agiffoi.t de rédiger un tarif ; l’ufage avoit
la plus grande part à l’ouvrage : quelques cir-
conftances momentanées 8c particulières, à la
province dont étoit queftion , déterminoient fur
d’autres articles. On choififfoic enfin un taux général,
pour ce qui n’étoit point tarifé; 8c c’eft
ce qui fait que par une erreur affez naturelle ,
on a préfumé depuis , que ce taux général avoit été
la mefure de la quotité du droit impofé fur chaque
marchandife ; mais cette prétendue découverte
échappe lorfque. l’on envifage les chofes de plus
près : un mûr examen défabufe fur le principe;
on ne le trouve pas même applicable à la vingtième
partie des droits ; 8c l’on s’apperçoit au contraire,
( en le comparant à tous les autres articles, ) qu’il
s’en éloigne fi prodigieufement, que l’application
la plus grande, ne conduit pas même à conjeéhirer
quelles font les maximes que l’on a fuiyies.
Ceux qui, par une vénération pour l’antiquité,
qu’ elle ne mérite pas en tout, ou par refpeél pour
les auteurs de ces ouvrages , peut-être auffi par
pareffe , pour éviter un travail auffi confidérable
qu’ennuyeux , fe contentent d’imputer aux chan-
gemens furvenus dans le prix des marchandifes 8c
denrées, les énormes différences qui fe trouvent
entre le taux du tarif 8c la taxe indiquée pour la
chofe qui en eft chargée , comptent fans doute
fe tirer d’embarras , en donnant une folution ,
qu’ils font bien fûrs qu’on leur paflera plus facilement
, que l’on ne fe refoudra à l’examiner.
l’on ne fauroit trop appuyer fur la néceffité des
plus mûres réflexions dans le choix des moyens.
Il en eft un que l’on doit à une perfonne donc
les lumières 8c les intentions font également ref-
peétables. Il convient de le confronter avec
toutes les pofitions, tous les rapports 8c foutes les
fuppofitions poffibles , en approfondiffant des idées
qui ne peuvent que gagner à être développées.
Cet examen fervira à perfectionner le projet
même, à l ’étendre, à le défendre des abus qui
pourroient s’y -glifler , à le préfenter , en un
mot, comme un tarif toujours vivant, dont la
réforme , en cas de befoin, dépendroit de ceux
mêmes qui y feroient affujettis , 8c • fans qu’ils
puffent jamais oppofer aucune difficulté raifonnable.
Ce plan confîfte à former un tarif de droits qui
feroient ifolés de toute application particulière
aux lieux , aux tems , aux circonftances ; tarif
dont la bafe , le principe 8c la règle feroient
auffi utiles en Efpagne , en Angleterre 8c en Hollande
C ’eft pour éviter*de pareils inconvéniens, que |
Finances. Tome I.
, qu’ en France , 8c qui conviendroit à la
Bretagne, à la Flandre, à l’Alface, autant qu’aux
provinces de Normandie 8c de Picardie ; tarif qui
étant au fond eflentiellement le même ,~~p'ourroit
-cependantêtre différent, fuivant les provinces où
il feroit admis , enforte qu’il n’y auroit véritablement
d’uniforme que l’efprit de ce tarif. Nous
remettons au mot tarif, à indiquer les moyens
de parvenir à former celui dont il s’agit.
Nous terminerons cet article , en empruntant
ici du Dictionnaire univerfel des fciences , au mot
commerce , un parallèle entre les commefçans 8c
les fermiers dans un gouvernement.
« Si une balle de laine , valant deux écus,' en
x> produit huit lorfqu’elle eft manufacturée , le
53 revenu du pays eft donc augmenté du double ;
as 8c comme naturellement l’ouvrier doit faire une
» plus grande confommation , que dans le tems
33 où il étoit fans travail , il eft clair que la nt-
yj tion gagne la valeur du double de la .laine*
33 Donc augmenter le nombre des efpèces , que
33 l’entrepreneur gagne’ ou non , c’eft confidéra-
33 blement enrichir le pays ; c’eft le décharger
33 d’un n'ombre onéreux de pauvres 8c de fainéans,
33 qu’on met en état de vivre plus commodément,
33 8c de fupporter plus facilement avec leurs con-
33 citoyens les frais de l’état.
33 Le laboureur 8c le payfan tirent du commerce
33 tous leurs moyens de payer ; on ne peur dimi-
3* nuer le commerce, fans diminuer en même tems
3» 8c dans le même rapport les moyens qui leur
33 font néceffaires pour payer. Il faut donc que
33 le recouvrement des impofitions en fouffre con-
33 fidérablement.
33 En Angleterre, la première raifon de l’état
3ï eft le commerce j en France , il n’en eft pas de
T t