
ravir , fous ce prétexte , à la fociété , la plus
grande partie de fes biens : c’eft un ftellionat
fpirituel, plus condamnable ÔÇ plus pernicieux que
le ftellionat c iv ile ., que les loix puniflent avec
tant dé rigueur.
Severe condamna Vétronius, celui de fes favoris
qu’il aimoit le plus , à être étouffé dans la
fumée , pour avoir , difoit - i l , vendu de la fumée
, c’eft-a dire, les grâces ôc les faveurs qu’il
pouvoit obtenir de lui. A force d’être jufte
Severe fut cruel : mais quand, au rapport du
P . Duhalde, Tchuen- ttio déclara qu’il avoit
fe u l, dans, tout l’empire , le droit d’offrir des fa-
crifîces au fouverain feigneur du xdel, il affranchit
fes fujets de la plus pefante des vexations.
On dit que le prince à qui les Chinois doivent
ce bien dont ils jouiflent encore aujourd’hui, fe
fit rendre compte du nombre de ceux qui v ivaient
de cet emploi , aux dépens de la république
, fans en fupporter les charges , Ôc fans lui
rendre aucun équivalent de celles qu’ils lui occa-
fionnoient. Il trouva qu’ils montoient à trois
cents mille , qui coûtoicnt aux citoyens chacun
quarante fols par jou r , au moins , de notre mon-
nôie ; ce qui formoit deux cents dix-neuf millions
que ces gens inutiles levoient par année fur ceux
qui foutenoient l’état par leurs travaux & leurs
contributions. L ’empereur n’en faifoit pas percevoir
autant pour les befoins 'de l’empire , &
jugea qu’il fe rendroit complice de ces vexations
en les tolérant. Il femble que lés fouverains de
ce vafte pays n’aient jamais craint que de ne pas
faire affez le bien de leurs fujets.
Dans les principales contrées de l’Europe, il
s'eft formé , fous le même prétexte, des corps
puiffans Ôc nombreux qui fe font engraiffés, à
1 excès, de la fubftance du corps politique qui
les renferme.
Dès leur origine il a fallu fe défendre de leur
cupidité. Valentinien le vieux, en 370 , cinquante
ans après Conllantin, fut obligé de publier une
lo i pour leur défendre de profiter de la {implicite
des peuples, Ôc fur-tout de celle des femmes,
de recevoir, foit par teftament, foit par donation
entre-vifs,aucun héritage ou meubles , des vierges
ou de quelques autres femmes que ce fût, & leur
interdit, par cette l o i , toute converfation avec
le fe x e , dont ils n’avoient que trop abufé.
V in g t ans après , Théodofe fut contraint de
renouvcller ces. défenfes..
En France , Charlemagne , S. Louis, Philippe-
le-Bel , Charles-Ie-Bel, Charles V , François I ,
Henri I I , Charles I X , Henri III , Louis X IV
ôc Louis X V . En Angleterre , Edouard I ,
Edouard III & Henri V en ont fait de fem-
blables contre les acquiûtions de gens de mainmorte.
Narbona ÔC Molina citent celles qui ont. été
faites en Efpagne, en Caftille, en Portugal , ôc
dans le royaume d’Àragon.
Guilo , Chopin ôc Chrifiin rapportent des loix
femblables qui ont eu lieu en Allemagne.
Il y en a de Guillaume I I I , comte de Hollande ,
pour les pays-bas ; de l’empereur Frédéric II ,
pour le royaume de Naples ; ôc Giannone fait
mention de celles qui ont été faites à V en ife , à
Milan , de dans l’Italie.
Enfin, par-tout ôc dans tous les tems , l’efprit
dominant de ces corps a toujours été de tout
envahir. Où les précautions ont été moins fé-
veres ÔC moins multipliées , ils y font parvenus :
où l’on a le plus oppofé d’obftacles à leur avidité ,
ils poffedent encorê une grande partie des biens
de l’état.
On croiroit du moins que pour tant de r i-
cheffes , les corps qui en joui fient, rendent gratis
des fervices très - importuns à la fociété , mais
on fe tromperoit.
U n mémoire publié en 1764 , noiis apprend
qu’une feule de leurs maifons leve fur les habi-
tans les plus mal - aifés, douze mille livres de
pain par femaine ; quantité dont l’évaluation commune
fuppofe cent quatorze confommateurs , à
raifon d’une livre ÔC demie par jour chacun.
Mais .ces hommes ne fe nourriffent pas feulement
de pain, ne fe défalterent point avec de
l’ eau. Quand on ne porteroit leur nourriture qu’à
trente lois par jour , y compris leur habillement ,
on trouvera que cette maifon feule leve par année
, fur le public , foixante-deux mille quatre
cents douze livres , fans compter la valeur du
terrein qu’elle occupe , la conftruétion ôc l ’entretien
du bâtiment.
En ne fuppofant donc dans Une ville que trente
maifons tant d’hommes que de filles, qui, comme
celle-ci, doivent, par une condition expreffe de
leurs inftituts , ne fubfifter que de contributions
publiques ; la capitale fupportera , pour cet
unique objet , un million huit cents foixante-
douze mille quatre cents cinquante livres d’impôt
par année. On peut juger , par proportion, de
l’énormité de ces levées pour le relie du royaume
entier, ôc de ce que ces gens laiffent aux citoyens
utiles pour fupporter les charges de l’état.
Je fais bien que je dis des chofes monltrueufes,
ÔC qu’on pourroit me foupçonner de les fuppofer ,
fi elles étoient moins connues ; mais je dis vrai ,
ôc comme dit Montagne , par tout mon faoul.
Quiconque prendra la peine de lire le mémoire
d’où ces faits font tirés , ne m’accufera ni de paf-
fion , ni de partialité.
On y verra même que, pour en écarter, toute
idée de. partialité , je n’ai fait entrer dans les
évaluations que les dépenfes néceflaires.
C ’ell ainfi que, par la violation d’une part, ôc
l’ignorance de l’autre, des droits naturels ôc pofi-
tifs, les plus facrés ôc les plus inviolables, tout
dévient, dan s 4a fociété c iv ile , des fujets de chargés
accablantes-; que fon fervice ôc fon utilité ne font
que des prétextes à la vexation ; que loin d’être
un état de fureté pour les individus qui la corn-
pofent, e’ eft un état de deftruélion plus malheureux
que ne feroit celui de nature, où du moins
ils auroient le droit de pourvoir à leur propre
confervation ; droit que, par l’abus qu’on en fait,
ils ne femblent avoir conféré que pour en armer
contre eux-mêmes ceux qui l’exercent.
J’entends de loin ces gens d’un efprit docile,
improuver . la févérité de ces réflexions , leur
oppofer l’ufage, Ôc prétendre qu’ un abus qui a
prévalu eft confacré , qu’il étoit inévitable dès
qu’il fubfifte. Je répondrai qu’avec ces maximes
la coutume tient lieu d’équité. Je n’ai pas tant
d’apathie pour les malheurs dont l ’humanité gémit.
Topulari fiientio rempubLicam prodere.
Je n’ignôre pas que je ne réformerai rien.
L ’erreur a tant d’attraits pour les hômmes , que
la vérité même ne les empêcheroit pas d’en être
les viétimes ; mais l’autorité des abus ne peut
rien contre le droit naturel, univerfel , inaliénable,
que tous reconnoiffent, ôc qu’il ne dépend
de perfonne d’annuller.
C ’eft une vérité qu’ on ne peut trop répéter ,
& jamais ma bouche ou ma plume , en contradiction
avec mon coeur , ne la trahira. L a nature
n’a point fait les hommes pour d’autres hommes ,
comme ils croient qu’elle a fait les’ animaux pour
eux. Les fociérés ne font point inftituées pour la
félicité de quelques - uns , ôc la défolation de
tous. Toute charge publique , dont l ’unique ôc
direét objet n’ eft pas l ’utilité générale ôc particulière
des citoyens , ou qui excede çe qu’exige
cettç utilité, eft injufte ôc oppreflïve ; c’eft une
infraction aux loix fondamentales de la fociété ,
ÔC à la liberté inviolable dont fes membres doivent
jouir-
Ce feroit beaucoup qu’ elles fuffent réduites à
cette légitime proportion, de ce qui ell vraiment
néceflaire pour le bien de tous ; mais ce ne feroit
point affez ; il faudroit encore,
i° . Qu’elles ne fuffent point arbitraires ; cette
condition eft la plus importante de toutes.
zd. Qu’ elles fuffent réparties avec égalité , ôc
fupportées par tous les citoyens, fans exception
ni. différence que celle réfultante de l’inégalité de
leur force, ou faculté particulière , ôc encore en
raifon de la portion plus ou moins confidérable ,
pour laquelle ils participent aux avantages delà
fociété.
30. Que par la maniéré d’y contribuer, elles
ne fuffent. point contraires à la liberté naturelle
ôc civile dont ils doivent jouir pour leurs per-
fonnes ôc pour leurs biens.
4°. Il faudroit que la levée en Tût fimple ôc
facile ? que le produit en parvînt aifément au tréfor
pub lic , ÔC en paffant par le moins de canaux
poflibles.
y0. Que le retour au peuple -en fût prompt,
afin qu’il n’ en foit pas trop appauvri , ÔC qu’il
puiffe continuer de les fupporter.
6°. Que les règlemens de la contribution de
chacun ne dépendît de la volonté de perfonne ;
mais d’une loi fixe ôc fupérieure à toute autorité,
en forte que çe fût plutôt un tribut volontaire,
qu’une exaction.
7 0. Et enfin, qu’il n’en réfultât ni interception ,
ni gêne dans le commerce des productions de
la terre , du travail ôc de l’induftrie des habitans ,
dont la circulation fait les richeffcs , ôc les produits
toujours en raifon de la liberté dont elle
jouit;
V o ilà les conditions d’un problème que depuis
long-tems le bien public offre - à réfoudre ; il
femble qu’on peut le réduire à cet énoncé.
Trouver une forme d'impofition qui , fans altérer
la liberté des citoyens & celle du commerce, fans ■
vexations & fans troubles 3 ajfure a l'état des fonds
fujjifans pour tous les tems & tous les befoins , dans
laquelle chacun contribue dans la jufie proportion de
fes facultés particulières , & des avantages dont il
bénéficie dans la fociété.
Jufqu’à préfènt, ce problème eft relié info-
luble. D e toutes les parties de l ’adminillration
publique, celle de la levée des fubfides, devenue
la plus importante, a été ‘la plus négligée î je
crois en fa voir la raifon.
Chez les anciens , il étoit indifférent de quelle
maniéré ils fuffent fupportés. Dans les républiques
de la Grece , ils n’étoient ni au ch o ix , ni à la
difpofition de ceux qui gouvernoient ; on en con-
noifl’oit l’ufage ÔC la néceflîré. On favoit que le
bien de l’état en étoit toujours l’unique objet.
U n’y avoit rien à preferire à ceux que l ’amour
de la patrie rendoit toujours prêts à facrifîer jufqu’à
leur vie. Etoit-elle en danger ? s’agiffoit-il
de fa gloire ou de fon intérêt ? Perfonne ne
comptoit, les femmes mêmes fe dépouilloient ; il
fuffifoit de montrer le befoin ; le fecours étoit aulïï
prompt ôc plus abondant. Tout ce qu’auroit pu
faire lë légiflateur, n’auroit jamais produit l’effet
de cet enthoùfiafme de vertu patriotique. Aufli
trouve-t-on fort peu de règlemens fur cette matière,
dans les inftitutions politiques de ces peuples.
Ceci ne contredit point ce qui a été dit au
commencement de cet article. L à il s’agiffoit des
tributs ordinaires ; ici on entend bien que je parle
des circonftances où i l en faut de plus confidé-
rables.
Nous avons remarqué plus haut que les R o mains,
dans la fplendeur de la république , maîtres
abfolus de leurs perfonnes ôc de leurs biens , les
affocioient, fans réferyes, pour la défenfe ôc les