
D O M
R A I S O N S . R É F L E X I O N S.
Si , en France , on a reçu ou introduit le droit
d’aîneffe , le retrait féodal, ôc lignager , pour la
confervation des familles ; pourquoi ne garderoit-
on pas le retrait perpétuel pour la confervation
de la couronne, fous la grandeur de laquelle les
familles fe repofent ôc font à couvert î
Les empereurs défend oient exprefîemen t la vente
de leurs palais, en quelques lieux & en quelques
provinces qu’ils fufTent fîmes ; les nôtres ont fou-
vent tiré des leurs des fecôurs confîdérables, dans
la néceflïcé de leurs> affaires.,
L a condition des particuliers qui meurent & fe
fuccédent, ne peut être comparée à un Etat qu’on
doit fuppofer éternel ; le retrait perpétuel n’ajouts
affur ement rien à. la majefté de la couronne , Ôc
fana le retrait, elle ne feroit pas moins l’appui
8c la proteélion. des familles. D ’ailleurs , la faculté
du retrait féodal ôc lignager n’ell que paffagere ÔC
momentanée, ôc l’autre eft confiante, perpétuella
ôc imprefcriptible.
Les: empereurs , ayant vendu les terres de la
couronne , pouvoient en trouver d’autres pour leur
argent ; mais ils n’auroient pas trouvé des palais „
capables de les loger avec leur fuite i c'eft fans
doute par cette raifon qu’ils en avoicnt défendu
la vente. Au refie , on n’à jamais ouï- dire que
nos rois eufTent vendu les leurs ,. ôc qu’ils en euflent
tiré des feéours confîdérables. dans la néceffité de
leurs affaires. Ils peuvent avoir vendu quelques
anciens palais ruinés y de même que d’autres portions
de leur domaine. ; mais plutôt pour fe dé—
barrafler d’un entretien onéreux , que dans la vu©
d’une reffource pour le rétabliffement de leurs af«*
faires»
Pour appuyer tes raîfons que l’auteur rapporte
tontre l’aliénation, il cite Suétone, Tacite, Dion ,
le B re t, O liv e , Chopin , Dumoulin , Grimaudet,
Sleidan , ôc le Lévitïque ; mais ni le mérite des
raifons , ni l’autorité des citations ne paroiflent
capables de détruire la propofîtion de l’aliénation ,
ôc les motifs fur 1-efquels elle eft fondée..
Mais à quoi bon tant d’efforts r ponr démontrer
l’avantage Ôc la poffîbiliré de l ’aliénation du domaine
à titre de propriété incommutable ? Malgré
les fermens que les rois font à leur faere , malgré
la loi promulguée en 1539 par François Ier , le
ro i Louis X IV h’a - t- il pas exécuté en partie ce
que no.us propofons aujourd’hui. ?
Ce prince, par édit de rôpy , avoït alluré cette
propriété incommutable , à l ’egard de tous les
domaines aliénés depuis l’ordonnance de iydô.-La
paix conclue , par le traité de Rifwick , l’ayant
mis en état de fe pafler de ces fecours extraordinaires
, il fit furfeorr à cet édit ; mais les dé'pen-
fes dans-lefquclles il fe trouva engagé", pour fou-
tenir le droit de fon petit-fils à- la couronne d*Ef-
pagne , Tobligerent de nouveau à recourir à ce
même expédient; ÔC , par- édit du mois d’avril
1701 , il déclara aliénable J à titre d’inféodation
Ôc de propriété incommutable, non-feulement les
hautes juftices , par démembremens des juftices
royales; mais encore.toutes les parties du domaine>
connues fous le nom de petit domaine t qui confié
tent en. cens,, rentes., moulins , fours-., preffoirs „
halles , maifons , boutiques , échopes , terres vaines
ôc vagues, landes , "bruyères , palusmarais 5*.
bacs, péages , chaffes , pêches > ban vin lcfquel&
biens ôc d r o it so u du moins la plus grande partie
d’iceux, a-voit déjà été reconnue aliénable àr
perpétuité ôc fans faculté de rachat , par déclaration
du 8 avril PÔ72 ; Ôc en outre,, ce même
édit de iy o t confirma les. poiïefleurs des domaines.
ôc droits aliénés , -depuis l’année 1 y66 , dans la
jouiflance perpétuelle , ôc propriété incommutable.
defdits domaines ôc droits,.
On dira fans doute que. la raifon qui a déterminé
le miniftere à confentir, à. l ’aliénatiom
perpétuelle ôc irrévocable de ces differentes parties
, eft la modicité de chacune prife en particulier
, ÔC la dépenfe qu’elles exïgeoient pôui?
leur entretien ; mais qu’il n’en eft pas de même-
pour les corps de terres ôc feigneuries ic e font
en effet les motifs qui furent allégués dans le teins,.
Mais y qu’èft-ce que c’eft que toutes les terres
ôc feigneuries du royaume , tant du roi que des;
particuliers ? en quoi confiftent-elles ? En juftice
châteaux , maifons, cens, rentes, moulins, fours *
preffbïrs , terres-, prés, vignes , landes, bruyères
marais , étangs , bois , péages, chaffes, pêches „
ôcc, c’eft.- à-dire > dans un affemblage plus ou moias
tmïfidérable des parties, qui forment ce qu’on
appelle le petit domaine.
O r , fi l ’on prétend que l’entretien ÔC la régie
des parties détachéqs de ce petit domaine font
onéreux ou peu utiles ; comment pourra - t - on
dire que ces mêmes parties , réunies ôc accumulées
pour former un corps de terre , ne foient pas
fujettes aux mêmes inconvéniens 1? Et pourquoi
les motifs , qui ont déterminé à l’aliénation ir révocable
de l’un > n’auroient - ils pas la même
influence fur l’autre , puifque le tout eft conftam-
ment ôc néceflairement affujetti au fort de fes
‘parties intégrantes ?
G et te comparaifon ne feroit peut-être pas jufte >
■s’ il s’agiffoit d’un particulier. Quand fes biens
font réunis en un corps, il-voit tout d’un coup-
d’oeil , par lui ou par fes gens d’affaires ; fi au
contraire ils font divifés ôc éloignés , il lui en
coûte beaucoup de peines ôc de frais , pour fe,
porter par-tout où les befoins exigent fa pré-
fence.; Ôc s’il veut fe difpenfer d’agir par lui-
même, il eft obligé de multiplier fes agens , dont
les appointemens confomment une partie du produit
de fes héritages ; mais il n’en eft pas de même
du roi ; il a par-tout des officiers payés pour veiller
à fes intérêts. Ses fermiers le font de tout le
domaine du royaume ; leurs prépofés font répandus
dans toutes les provinces , ôc les biens de cette
efpèce dans les mains du fouverain , fufceptibles
d’ailleurs de plufîeurs inconvéniens , ne le font
pas de celui-ci.
La loi fondamentale de l’E ta t, ne permet pas,
ajoutera-1-on , d’aliéner le domaine ; rnais les
parties , dont la déclaration de 1672, , ôc les édits
de 1697 ôc 1702 ont ordonné l’aliénation à titre
de propriété incommutable, n’appartenoient-elles
pas auffi - bien au domaine de la couronne , que
celles qui n’y font pas comprifes?
Et i’ édit de François Ier, de 1739, a-t-il fait des
exceptions, qui aient autorifé la perpétuité des
aliénations qui ont été faites ?
Ainfî , quant à la tranfgreffion de la loi , il
ne doit pas plus fubfîfter de difficultés pour l ’un ,
que l’ on en a trouvé pour l’autre ; ôc'à l’égard
des motifs qui ont déterminé l’aliénation , ils
n’ont pas plus de force pour le petit que pour
le grand domaine.
Quand un préjugé a été adopté par une nation
entière, on ne doit point le heurter de front; la
prudence exige que l’on paffe infenfiblement d’un
terme à l’autre, Ôc que l’on ménage jufqu’aux erreurs
de la multitude ; mais ceux qui tiennent les
rênes du gouvernement n’ont jamais cru , fur-tout
en matière de finance , que ces confédérations fuf-
fent affez puiffantes , pour leur faire rejeter les
avantages qu’une nouvelle' route pouvoit leur
pffrir.
Les premiers pas ont déjà été faits vers l ’aliénation
perpétuelle du domaine , par les règle-
mens que nous venons de citer. Pour aller plus
lo in , il ne s’agit plus que d’un prétexte îaifon-
nable ; tels que peuvent être les befoins de l’E ta t ,
pour une guerre auffi intéreffante què celle d’aujourd’hui,
où nos ennemis , après avoir rejeté des
propofitions , que nôtre amour pour la paix avoir
diétées à leur avantage , ont eu affez benne opinion
de?:leur fupériorité , pour demander ôc é f-
pérer la ceffion de cinq ou fix de nos provinces
frontières , les plus riches ÔC les plus importantes
à notre 'fureté.
Par toutes ces raifons , je perfîfte à dire que ,,
dans l’état qù fe trouve actuellement le domaine
dé; la couronne , ôc en fuppofant un befoin de
finance, il feroit plus avantageux , à l’égard de
celui non encore aliéné , i°-.de le vendre que de
le garder ; z°. de ftipuler cette vente perpétuelle
plutôt que réverfible , en réfervant tel nombre de
forêts, châteaux ôc feigneuries , que le confeil du
roi aviferoit bon d’être ; ôc à l’égard du domaine
déjà aliéné fauf celui qui eft entre les mains des
princes ôc princeffes du fang, que j’ exclus de cette
prôpofition , d’en faire un rachat général , ôc en-
fuite une vente perpétuelle ôc irrévocable aux plus
offrans , fans préférence pour les poffefleurs actuels
, à la charge, par les nouveaux acquéreurs,
de rembourfer les anciens, ôc de porter le fur -
plus au tréfor royal,
M. deForbonnais , que nous avons toujours cité
avec éloge, effleure la qüeftion de l ’inaliénabilité ,
dans fes Recherches & confidéradons fur les finances ,
édition in-ix , tome premier, page 156. Son fyftême ,
quoique different de celui que nous venons d’ex-
pofer , a néanmoins le même but. V o ic i comment
il s’exprime,
« £)n a long-tems regardé le domaine de la cou-
» ronne , comme le véritable patrimoine de nos
39 rois , ôc cette maxime fe répété encore quelque*
; » fois. Mais a-t-on diftingué bien nettement les
33 principes, dbnt elle dérivç ? Il eft clair que les
t 33 cirçonftances politiques , au commencement de
' » la troifieme raeç , forcèrent les princes à mettre
33 tout en ufage pour conferver leur domaine, de-
33 venu prefque l’unique branche de finance , fur
I 33 laquelle ils puffent compter folidement , dans un
‘ 33 tems qu’on peut appeller d‘'anarchie.
33 Par les. mêmes .motifs , il fut utile que les
3? rois acquiflent la plus grande quantité de do-
33 mairies qu’il leur feroit poffible , ioit afin d’aug-,
33 menter les forces réelles de la couronne, foit
33 afin de multiplier les vaffaux immédiats , Ôc de
33 miner fourdement la puiflàncç de cette foule
33 de petits tyrans qui s’étoient établis dans toutes
33 les provinces.
> «3 Ce double avantage frappa vivement les ef*
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