
d’autant plus furprenante, que ces remblais, l’un
portant l ’autre, ne demandoient pas chacun plus
de dix à douze 'jours de corvée, avec une trentaine^
de voitures au plus, & un nombre proportionné
de pionniers.
Peut-on s’empêcher de repréfenter ici en paf-
iant I embarraffante fîtuation d’un infpeéleur , que
l ’on croit vulgairement être l ’agent & le mobile
de femblables ouvrages ? n’eft-ce point un polie
dangereux pour lu i, qu’une befogne dont la conduite
ne peut que le deshonorer aux yeux de fes
fupérieurs 8c du public , qui, prévenus en faveur
d’une méthode qu’ils croyent la meilleure 8c la
plus jufte, n’ en doivent rejeter le mauvais fuc-
cès que fur la négligence ou l’incapacité de ceux
à qui l’infpeétion en eft confiée ?
Non—feulement les corvées tarifées font d’une
difficulté infurmontable dans l’exécution , elles
font encore injuftes dans le fond. i ° . Soient fup-
pofés dix particuliers ayant égalité de biens, &
par conféquent égalité de taille , & conféquem-
ment égalité' de tâches ; ont-ils auffi tous les dix
égalité dé force dans les bras? C ’ eft fans doute
ce qui ne ferencontre guère; àinfi, quoique fur
les travaux publics Ces dix manouvriers ne puif-
fent être tenus de travailler fuiyanr~ieur taille ,
mais fui van t leur force, il doit arriver & il arr
iv e tous les jours qu’en réglant les tâches fui-
yant l’efprit de la taille , on commet une injuf—
t ic e , qui fait faire à l’un plus du double ou du
triple , au moins plus de la moitié ou du tiers
qu’à un autre. 2°. Si l ’on admet pour un moment
que les forces de tous, ces particuliers foient au
même degré, ou que la différence en foit légère,
le terrein qui leur eft diftribué par. égale portion
, eft-il lui-même d’une nature allez uniforme'
pour ne préfenter fous volume égal qu’une égale
réfîftançe à tous ? Cette homogénéité de la terre
ne fe rencontrant nulle p a r t , il naît donc de-là
encore cette injuftice dans les répartitions que
l ’on vouloit éviter avec tant de foin. Il eft à
préfumer qu’on a bien pu, dans les commencemens
de cette route, avoir.quelques égards à la différente
nature des .contrées ; mais ce qu’il y a de
certain, c’eft qu’il ne refte plus nul veftige qu’on,
ait eu primitivement cette attention ; bien plus ,.
quand on l’auroit eue, comme c’eft une chofe
que l’on ne peut eftimer toife à to ife , mais par
grandes parties , il ne doit toujours s’enfuiyre
que la difproportion entre toutes les tâches ;
injuftice où l ’on ne tombe encore que parce que
l ’on a choifi une méthode qui paroiffoit être jufte.
Enfin, fi l’on joint à tant de défauts effentiels §
l’impoffibilité qu’il y a encore d’employer une
telle méthode dans des pays montueux & hors
des plaines , c’eft un autre fujet de la défapprou-
ver & d’en prendre une autre dont l ’application
puiffe être générale par fa fimplicité. Il eft facile
de comprendre que les tâches d’hommes à
hommes ne peuvent être appliquées aux defcen-
tes & aux rampes des grandes vallées, où il y
a en meme tems des remblais confidérables à élever
ôc des déblais profonds à faire dans des terreins
inconnus, & au travers de bancs de toute nature
qui fe découvrent à mefure que l’on approfondit.
Ce font-là des travaux q u i, encore moins que
tous les autres , ne doivent jamais être divifés
en une multitude d’ouvrages particuliers. On pré-
fentera pour exemple la route de Vendôme,
qu’il eft queftion d’entreprendre dans quelque
tems. Ï1 y a, fur cette route , deux parties beaucoup
plus difficiles que les autres à traiter, par
la quantité de déblais, de remblais , de roches
oc de bancs de pierres qu’il faudra démolir fuivant
des pentes réglées , & néceflairement avec
les forces réunies de plufieurs communautés ; l ’un
de ces endroits eft cette grande vallée auprès de
Villedômé, qu’il faut defcendre 8c remonter ;
l ’autre eft la montagne de Château-Renault. Ces
deux partie« , par où il conviendra de .commencer'
parce qu’elles feront les plus difficiles , demanderont
la plus grande affiduité de la part des
infpeéleurs , & le concours d’un grand nombre
de travailleurs de de voitures, afin que ces grands
morceaux d’ouvragé puiffent être terminés dans
deux ou trois faifons au plus, fans quoi il eft
prefquc évident qu’ils ne feront peint faits en
trente années , fi on divife la mafle des déblais
& .des remblais en autant de portions qu’il y
aura de particuliers : puis donc que la corvée 3
fur le ton de la taille, eft défeélueufe en elle-
meme par-tout, 8c ne convient point particulièrement
aux endroits les plus difficiles & les
plus confidérables des ouvrages publics , il convient
préfentement de chercher une règle générale
qui foit confiante & uniforme pour tous les
lieux & pour toutes les natures d’ouvrage.
On ne propoferà ici que cê qui a paru, ré pondre
au principe de faire le plus ouvrage pof-
fible dans le nioins de tems pojfible, & l ’on n’avancera
rien qui n’ait été exécuté fur de très-
gr nds travaux avec le plus grand fuccès & à la
fatisraâion des fupérieurs; cependant comme il
peut arriver que la fîtuation & l ’économie des
provinces foient différentes , & que le génie &
le çaraélere des unes ne répondent pas toujours
au génie 8c au cara&ere des autres , l’on foumet
d’avance tout ce que l ’on expofera aux lumières
& aux connoiffances des fupérieurs.
L ’aéte de la corvée n’étant pas un aéle libre ,
c’eft dans notre gouvernement une des chofes
dont il paroît par conféquent que la conduite 8c
les règlemens doivent être fimples 8c la police
breve & militaire. Un .ade de cétte nature ne
fupporte point non plus une juftice minutieufe ,
comme tous les autres a&es qui ont diredement
pour objet da liberté civile & la fâreté des citoyens.
L a conduite en doit être d’autant plus
fimple , que l ’on ne peut prépofer pour y veiller
qu’un très-petit nombre de perfonfics, 8c la police
en doit être d’autant plus conclfe, qu’il faut que
ces ouvrages foient exécutés dans le moins de
teins pôffiblc-, pour i f en point tenir le ^fardeau
fur les peuples pendant un grand nombre d années,
La véritable occupation d’un infpedeur chargé-
d’un travail public , eft de réfider fur fon ouvrage,
d’y être plus fouvent le piquet d’une main pour
tracer , 8c l’autre main libre po„Lir pofter les
travailleurs 8c les conduire fans qu’ils fe nuifent
les uns aux autres , que d’avoir une plume entre
les doigts pour tenir bureau au milieu d’un ouvrage
qui ne demande que des yeux 8c de 1 aétion.
Suivant ces principes, il ne me paroît pas
convenable d’entreprendre en entier & à la fois
la conftruélion de toute une - route ; les travailleurs
y feroient trop difperfés , chaque partie
ne pourroit être qu’imparfaitement faite : l’inf-
peéleur , obligé de les aller chercher les uns
après les autres , pafferoit tout fon tems en tranf-
port de fa perfonne 8c en courfes , ce qui mul-
tiplierpit extrêmement les inftans perdus pour lui
8c pour les travailleurs qui ne font rien en fon
abfence , ou qui ne. font rien de bien. I l devient
donc indifpérifable de n’entreprendre toute une
route que parties à parties, en commençant toujours
par celles qui font les plus difficiles 8c les
plus urgentes-, 8c en réunifiant à cette fin les forces
de toutes les communautés chargées de la
conftruélion. On ne doit former qu’un ou deux
ateliers au plus , fur chacun defquels un infpec-
teur doit faire fa réfîdence. Les communautés y
feront appeliées par détachement de chacune
d’elles, qui fe relèveront toutes de femaines en
femaines ; ces détachemens travailleront en corps,
mais à chacun d’eux il fera afiigné une tâche particulière
, qui fera déterminée fuivant la quantité
des jours qu’on leur demandera, fur la force
du détachement, dont les hommes robuftes corn-
penferont les fôibles, & enfin fur la nature du
terrein.
On évitera avec grand foin tout ce qui peut
multiplier les détails 8c attirer les longueurs ; les
ordonnances adreflees aux communautés, une feule
fois chaque faifon , indiqueront tout fîmplement
le jou r , le lieu , la force du détachement, & la
nature des outils & des voitures.
Sur ces ordres , les détachemens s’étant rendus
au commencement d’une fémaine fur l’atelier indiqué
, on diftribuera d’abord à chaque détachement
une longueur de foffés proportionnée à fes
forces , & on les poftera de fuite les uns au bout
des autres. On fuivra vce.tte manoeuvre jufqu’à ce
que les foffés foient faits fur toute la partie que
l ’on aura cru pouvoir entreprendre dans une
faifon ou dans une campagne. On fouillera enfuite
l’encaiffement de même , 8c lorfqu’ il fera ouvert Sc
drefle fur ladite longueur , on en ufera auflï de la
même forte pour l’empierrement, en donnant chaque
femaine pour tâche à chaque détachement une longueur
fuffifance d’encaiffement à remplir , qui fera
proportionnée à la facilité ou à la difficulté du
tirage 8c de la voiture de la pierre. C e t empierrement
fe fera à l ’ordinaire , couche par couche.
Les tâches hebdomadaires feront marquées les
unes au bout des autres. Le cailloutis ou jard
fera amené & répandu enfuite , & les berm es feront
ajuftées & réglées auffi fuivant la même
méthode.
Si l’ouvrage public confifte en déblais & en
remblais dans une grande & profonde vallée , on
place les détachemens fur les . côtes qu’il faat
trancher ; on les difpofe fur une ou plufieurs
lignes ; on fait marcher les tombereaux par colonnes,
ou de telle autre façon que la difpofition
du lieu Je permet ; 8c comme dans ce genre de
travail il ne fe voiture de terre qu’au tant que
l ’on en fouille par jour , & qu’il feroit difficile
d’apprécier ce que lés pionniers peuvent fouiller
pour une quantité quelconque .de voitures , eu
égard à la diftance du tranfport ; c’eft par la
quantité de voyages que chaque voiturier peut
faire chaque jo u r , que l’on regie le travail gu
journalier. Un piqueur placé fur le lieu de la
décharge , donne à cette fin une contre-marque
à chaque voiturier pour chaque voyage ; 8c comme
chacun d’eux cherche à finir promptement la
quantité qui lui eft preferite pour le jour 8c pour
la femaine , chaque voiturier devient un piqueur
qui preffe le manouvrier, & chaque manouvrier
en eft un auffi vis-à-v is de tous les voituriers.
C ’eft à l ’intelligence de l’infpeéteur à proportionner
au jufte , chaque jour (parce que l’emplacement
varie chaque jour , ou au moins chaque
femaine ) , la quantité de pionniers au nombre
des voitures, & le nombre des voitures à la
quantité de pionniers, de façon qu’il n’y ait point
trop de voitures pour les, uns , & trop peu de
manouvriers pour les autres , fans quoi il arri-
veroit qu’il y auroit ou une certaine quantité
de voitures , ou une certaine quantité de manouvriers
qui perdroient leur tems , ce qu’il eft de
-conféquence de prévoir & d’éviter dans les cor-
~vées. C ’eft dans de tels ouvrages' que les talen s
d’un infpefleur fe font connoîcre s’il en a , ou
qu’il eft à portée d’en acquérir 8c de fe perfectionne^
dans l’art de conduire de grands ateliers.
Enfin de femblables travaux , par le nombre des
travailleurs, par la belle difeipline que l ’on y
peut mettre , par le progrès furprenant qu’ils
font chaque femaine ôc chaque faifon , méritent
le nom d’ouvrages publics.
J’ai toujours é v ité , continue l'auteur de cet article,
dans les travaux où je me fuis trouvé , com-
pofés de quatre 8c cinq cents travailleurs , &
d’un nombre proportionné de voitures , de faire
mention dans les ordonnances dont la difpenfa-
tion in’étoit confiée, de toutes les différentes par