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Dans le même tems où les douanes de
l ’Italie étoient fermées, Q. Mucius Scevola,
proconful ou gouverneur de Pergame, punit
rigoureufement les chevaliers Romains
qui s’étoient rendus coupables d’extorfions
dans la perception des revenus de la république
dont ils étoient les fermiers. Il en
condamna plufieurs a la prifon, & fit mettre
en croix un efclave qui avoir été le
complice de fon maître (16).
Il établit auffi des infpecteurs d’une probité
reconnue & très-verfes dans lès affaires
de finance, pour examiner les livres des
Publicains, & parvint en moins de neuf
mois à réformer tous les abus qui s’etoient
introduits dans les taxes & dans la manutention
des finances de fon proconfulat.
A juger de ces abus par l’étendue & les
effets de la reconnoiffance des habitans de
Pergame , il falloit qu’ils fuient bien op-
preffifs, puifqu’ils confacrerent la mémoire
du gouverneur qui les en avoit délivrés ,
en infirmant en fon honneur une fête à
laquelle ils donnèrent le nom de Mucia.
Monument qui prouve combien la juftice
a d’empire fur le coeur des peuples, &
plus glorieux pour Mucius, que l’éclat pafi-
îager d’un jour de triomphe.
Plufieurs autres gouverneurs de province
fuivirent l’exemple de Mucius Sce-
v o la , & le fénat chargea les confuls & les
préteurs de porter également leur vigilance
fur la levée dey deniers publics ;
en forte , difeat Us hijîoriens, , que. les
vexations des fermiers qui avoient rendu
le joug de la république infupportable,
furent arrêtées du moins pour quelque
tems.
La fupprefîîon des douanes en Italie
ne dura qu’environ cinquante ans, c’eft-
dire, jufqu’à la diftature de Jules Céfar ,
qui les rétablit au'rapport de Suétone (17).
Augufte, fon héritier, trouvant le tré-
(16) Hiftoire univerfelle, traduite de l’aoglois ,
in-4» torn. 8 j pag. 608.
(17) Peregrinarum merciuffi portoria in
Julio Çssfa re , çaput 43*
for public épuifé par les guerres civiles,
& infuffifant, malgré ces bouveaux revenus
, pour payer la folde des troupes,
fonda une caiffe militaire. A fon entretien ,
il affeda le produit du vingtième qu’il im-
pofa fur les fucceffions , les legs, & toute
efpèce de donation à caufe de mort (t 8).
On rapporte à ce fujet que, mécontent
de ce que le fénat différoit d’approuver l’é—
tabliffement de ce vingtième , qui étoit
annoncé depuis quelques années, il ufa de
l’adrelfe fuivante.
Cet empereur déclara qu’il alloit mettre
encore une taxe fur toutes les terres &
les maifôns, fans dire quelle feroit fa quotité
, ni la forme de fa levée. Il envoya en
même tems des émiffaires en différens endroits
, pour dreffer des rôles de toutes les
propriétés ; chaque fénateur craignant,
d’après ces préliminaires , d’être plus
chargé par cette nouvelle impofition , que
par le vingtième des fucceffions, opina
pour ce dernier. Il fut établi comme l’empereur
l’avoit propofé. C’eft à ce même
empereur que paroît remonter l’origine de
la taille & de la capitation (19), qu i fe font
perpétuées jufqu’ànous; mais il leur donna
une bafe plus certaine qu’auparavant, en
faifant faire avec foin ce dénombrement
dont parle l’évangile (20}. On prétend que
c’eft fur ce travail qu’il compofa & écrivit
de fa propre main le rationarium ou brevia-
rium imperii.
Les fiicceffeurs d’Augufte accrurent &
multiplièrent les impôts, ou plutôt les
exadions, fuivant leur caradère de fagefîè
ou d’avarice.
' Néron, à fon avènement au trône des
Céfars , témoigna le defir de fupprimer
les droits de douane, qui fans doute don-
noient un produit conlïdérable ; mais il fe
(18) Dion Caffiits, lib. yy , pag. ydy, edition de
16a S.
(19) Tributa ordinaria inftituit alia , in agros ,
alia in capita , dit Suetone.
(zo) S. Luc. Exiit editum a Caefare Auguito y ut
deferiberetur uniyerfus orbis.
rendit aux rajfons du fénat, qui lui repré-
fenta que c’étoit préparer la ruine de l’empire,
que de diminuer les revenus deftines-
a le foutenir,parce que, s’il ôtoit les douanes,.
bientôt après om lui demanderoit
l ’abolition de tous les autres impôts (ii).
Après s’être rendu aux rëpréfentations
du fénat, il renouvella & confirma des
loix faites pour réprimer les vexations &
la cupidité des fermiers publics. Jufques-là
leurs baux & leurs droits avoient été tenus
fecrets ; il fut ordonné qu’ils feroient publics
& affichés ; que les receveurs ne
pourroient, après une année révolue, demander
ce qu’ils auroient négligé de percevoir
(ia). Que le préteur à Rome & les
gouverneurs ou leurs lieutenans dans les
provinces (13), connoîtroient de tout ce qui
aurait rapport à la manutention des fermiers.
Mais lorfque des gouverneurs avides ou
avares les favorifoient, il n’y avoit plus de
bornes à.la tyrannie.
. On voit fous Jules Céfar, Licinius , ci-
( z i) Dubitavit Nero,.an cunâa ve&igalia omitti
juberet, idque pulcherrimum donum generi morta-e
lium daret, fedimpetum ejus atcinuêré fenatores dif-
folut-ionem imperii docêndo, ,fî frudtus quibus ref-
publicafuftineretur, diminuerentur, quippe fublatis
portoriis, fequens ut tributorum abolitio expoilu*
laretur. Tacit. Lib* 13 , annalium, cap. 50.
I l fuit de ce paflage , que Tacite emploie également
le mot de veftigaL, & de portorium pour dé-
figner les droits de douane & autres impofés fur les
objets de commerce , ÔC les diftinguer des taxes qui
fe.Ievoient fur les terres., 8c fur les perfonnes auxquelles
il applique le mot de tributum. ,
(22) Temperandas plané publicanorum cupidines
edixit princeps , ut legés cujufqüe publici occultæ
ad id tempus, proferiberentur , omiffas petitiones
non ultra annum refumerent. Tacit. Lib. 13 , annalium
y cap. 50 S’ j*i.
(23) 11 parôît parla lettre de Cicéron à fon frere,
gouverneur d’Afie , que la plus grande difficulté
de fa place étoit de contenir les publicains fans les
mécontenter, cc Hic te ita v erfari, ut & publicanis
fatisfacias, præfertim publicis malè redemptis , 8c
focios perire non finas divina cujufdem virtutis
efle yidetur, id eft tuas# » ed. 1776 9 pag. 23*.
devant fon elplave, enfuite fon affranchi ,
& intendant dans les Gaules , profiter des
nouveaux noms donnés au mois de juillet &
d’août, pour compofer l’année de quatorze
mois,afin d’exiger des Gaulois la contribution
perfohnelle qui leur étoit impofée par
chaque mois. C ’eft à cette tyrannie qu’on
attribue la révolte des Gaulois & des
Sicambres. Ce Licinius, accufé dans la
fuite de côncuffion , fait voir à Augufte un
monceau d’or & d’argent, lui repréfente,
que c’eft pour , lui qu’il l’a recueilli , &
que c’eft ainfi qu’on ôre au peuple tout:
moyen de fe révolter. Prenez , lui dit-il ,
cet or & cêt argent ; je ne l ’ai point deftiné
à d’autre ufage qu’à palier en vos mains.
Cette courte apologie lui'fervit de juftifi-
cation , & fit de fon juge , fon complice.
Indépendamment des droits qui le
levoient à l’importation & à l ’exportation,
& qui parodient avoir été d’un objet très-
important, les finances des Romains com-
prenoient beaucoup d’autres revenus que
•l’avarice & la cupidité des empereurs aug-
mentoient arbitrairement. La plus ancienne
des impolitions étoit la taille réelle, d’abord
fixée par les rois de Rome au dixième
du produit des terres , & au huitième de
celui des arbres- fruitiers. Les terres du
domaine de l’empereur n’étoient pas exem-
tes de cette taille , & elle étoit affife par
des officiers publics appellés Cerijîtores Pe-
requatores. Elle fe payoit en trois tems, au
premier feptembre , au premier janvier &
au premier mai (24).
Après la taille réelle , étoit le droit ap-
; pellé fcnptura , qui avoit été impofé fur
les beftiaux qu’on menoit paître dans les
(24) Traité des finances & de la faufTe monnoie
des Romains, irz-12.1740. Cet ouvrage, dont icma-
nuferit eft dépote à la- bibliothèque du roi , étoit
relié inconnu jufqu’ à l’époque de. fa publication.
On l’attribue à M. de Chaflipol, qui avoit été intendant
de la mgifon de Bouillon, & ami de M. de
Colbert. Ce minillre l’engagea à le compofer, pour
avoir une connoilfance détaillée des finances des
Romains les ordonnances qu’il a fait rédiger fur
cette matière, annoncent qu’il a beaucoup emprunté
1 de leur légiflation,