
Il eft certain aufîi, que le bon ou mauvais
effet que produifent certains droits, ne fe borne
pas à la marchandife fur laquelle ils portent directement
: il fe communique à tout , parce que
tout fe tient, ôc qu’une branche de commerce ne
fauroit être affedtée , fans que toutes les autres
s’en reffentent ; il faut donc , pour juger de l’importance
de cette portion du gouvernement, avoir
devant les yeux cette liaifon intime, qui fe trouve
entre toutes les différentes parties qui compofent
la fociété.
Ces réflexions amènent naturellement l’examen
de. la troifieme queftion.
« Quelle fenfation, la perception aCluelle des
». droits du roi , fait-elle fur notre commerce
» en particulier ? Eft-il à propos de la réformer
y*, en tout ou en partie , Ôc de faire un nouvel
», étabiiffement, quel qu’il puiffe être ?»
Si la balance du commerce eft en notre faveur
( autant qu’elle le peut être ) , on ne fauroit
dire que les droits aéhiels nous foient préjudiciables.
Si notre commerce n’eft pas encore porté au
point où il pourroit aller , il 'faut en rechercher
les raifons, & voir fi c’eft à la perception des
droits qu’on doit s’en prendre.
Quant à la pofition actuelle de notre commerce,
i l n’eft pas douteux qu’elle eft à notre avantage ;
le témoignage entier de l’Europe nous l’affure ;
& quand nous n’aurions pas pour nous cette voix
unanime , nous pourrions en juger par ce qui
réfui te de ce commerce même.
L ’immenfe quantité d’argent monnoyé que nous
voyons en France , celle que l’on emploie à d’autres
ufages, qu’à fervir de ligne commun de tradition,
prouve les profits çonfidérables que nous
faifons dans le commerce y ôc comme nous n’avons
aucunes mines d’or ni d’argent , ce que nous
avons de ces métaux ne peut nous être procuré
que par le commerce y & c’eft une démonftra-
tion fans réplique., de l ’avantage réel & folidè
que nous en retirons.
Le particulier , négociant, ne jugeant àu commerce
, que par celui qui lui eft. propre ôc per-
fonnel, fe loue ou fe plaint de fa condition, fui-
vant la circonftance plus, ou moins favorable à
fes intérêts ; ÔC dès-rlo,rs exagère les pertes ou
les avantages , félon qu’il eft àffeéïé des. uns ou
des autres.
Mais celui qui faifît l’enfemble d’un coup d’oeil,
celui même qui, fans porter fes vues fur des objets
auflï vaftes , voudra feulement réfléchir un
inftant fur ce qui fe paffe , faifîra bientôt le vrai ,
&. fe convainquera, fans, peine que nous . avons
dans le commerce, un avantage, confidérable fur les
autres nations. ; en, deux, mots , la balance du
commerce eft la feule voie , par laquelle ait pu
nous venir tout l’argent que nous, poffédons. Mous
avons de l’argent y la balance a donc, été, en notre
faveur. Nous avons beaucoup d’argent ; elle nous
a donc été très-favorable. On ne peut afiiirément
rien oppofer de folide à cet argument.
Mais cette même balance a-t-elle été autant en
nôtre faveur qu’elle pouvoit l’être ? c’eft une quel—
tion plus difficile à réfoudre , & qui eft également
fufceptibls de l’affirmative ou de la négative
, fuivant la maniéré de l’examiner, & félon
l’étendue des vues de celui qui entreprendra de
la difeuter.
Qui peut nier, par exemple , que chacun de
ceux qui prennent la profeflïon du commerce, n’ait
tendu avec la plus grande ardeur à fon plus grand
avantage ; que dans. le genre du commerce qu’il
a entrepris , il n’ait fondé toutes les voies , ÔC
qu’il ne fe foit fervi de tous les moyens , pour
y trouver fon utilité ?
Perfonne n’ignore que depuis ce miniftre , dont
le génie a éclairé la nation fur un point fi inté-
reflant pour elle, chacun n’ait cherché , comme
à l’envi , à foutenir , à favorifer , à protéger
cette profeflïon, ôc que le confeil n’y ait donné
tous fes foins, avec une conftance qui ne s’ eft ja«
mais démentie.
Faveurs particulières faîtes à l’induftrie ; ré-
compenfes accordées aux découvertes ; fonds employés
à faire naître des branches de commerce,
ou bien à les augmenter ; règlemens les plus fa-
ges , établis dans les fabriques ôc manufactures ,
pour affurer la fidélité des fabricans -, ôc procurer
à la marchandife cfette qualité fupériçure ,
qui lui fait avoir la préférence fur celle des autres
nations 4 exemptions de tous droits- accordés à
plufieurs de ces fabriques ; diminution confidérable
ordonnée en faveur des autres : tels font les
moyens mis en oeuvre par le gouvernement,
pour favorifer le commerce , & pour l’améliorer
; grâces connues de tout le monde , ôc qui
ne peuvent être contredites.
S’il nous refte encore quelque chofe à defirer
dans notre commerce , malgré toutes ces attentions
ôc ces arrangemens , il feroit difficile d’en
chercher la caufe ailleurs , que dans les droits
impofés fur les marchandées. Leur multiplicité ,
leur diverfîté , les différences, qui fe trouvent dans
les titres de perception , font autant de circonftan-
ces qui peuyept rendre ces droits onéreux au
commerce y parce qu’elles occafîonnent fans cefle
des frais, des conteftations, des retardemens qui
retombent inévitablement fur la marchandife : car
tout eft calculé , les dépenfes du tranfport , les
frais ÔC les embarras des vifîtes , les retardemens
ÔC les dangers -a les difeuffions mêmes , & les conteftations
qne l’on, peut effuyer,.
A- ces inconvéniens, il faut ajouter que la perception
, variant prefqu’autant qu’il y a de bureaux,
rien n’eft plus capable d’induire les né-
gocians en erreur , de les exciter à la fraude ,
&.de la-leur faciliter. Que d’un- autre côté, la
p lu p a r t des titres n’étant point en règle, les fermiers
font expofés à percevoir trop ou trop peu,
à forcer les droits ou à les perdre ; ce qui s’éloigne
également des vrais principes de l’adminiftration.
Si quelques-uns de ces droits font bien conl-
tans Ôc bien constatés par des titres originaux ,
les autres n’ont pour fondement qu’un ufage arbitraire,
Ôc par conféquent fufceptible de toutes
fortes d’abus.
La majeure partie du royaume paroit ( à la
première infpedtion ) environnée de bureaux ,
affez exactement, pour répondre de tout ce que
peut exiger le bien du commerce , fi les droits
par eux-mêmes étoient propres à produire l’effet j
que l’on croyoit pouvoir en attendre ; mais cette
ceinture eft formée par des droits fi differehs
entre eux , ÔC dont le plus grand nombre e f t fi :
peu relatif au bien de l’état , qu’il paroit diffi-,
c ile , pour ne pas dire impoflïble , d’aflurer par
cette voie tous nos avantages.
Ces droits avoient été établis en differens
tems, Ôc relativement à des circonftances qui ne
fubfiftent plus aujourd’hui : cependant ils font
encore la règle ôc la loi.
L ’Alface, qui fert actuellement de frontière à
la France , ne dépendoit pas de ce royaume,
lorfqu’on y établit les péages qui s’y perçoivent ;
les intérêts étoient différens, parce que les principes
n’étoient pas les mêmes.
La Lorraine ôc la Franche-Comté font dans 1
le même cas. Il n’eft pas douteux que la fituation
politique de ces provinces a changé confîdéra-
blement, depuis leur réunion à la France. Les
mêmes droits ne leur conviennent donc plus ;
ils font cependant reftés tels qu’ils étoient , ôc
l’on lent tous les inconvéniens qui doivent en ré-
fulter : peut-être ne feroit-il pas difficile de
faire v o ir , qu’aujourd’hui ces droits font auflï
préjudiciables au commerce du royaume en général
, qu’ils pouvoient, dans leur origine , être
utiles aux fouverains qui en ont établi la perception.
C ’eft donc une chofe affez bizarre que de continuer
à fe fervir de cette mefure , quand les
circonftances ont changé. C ’eft parce que , malgré
le changement des circonftances , on a
perçu les mêmes droits, que la même marchandife
, qui n’en paie que de très-modiques , en.
entrant par l’Alface , ou par la Lorraine , en
paie de çonfidérables , li elle eft introduite dans
le royaume , par les provinces méridionales , ou
les droits font beaucoup plus forts. Cette marchandife
, qui, dans tous les cas, eft deftinée pour
notre confommation, mérite-t-elle une faveur plus
grande dans un cas que dans un autre ?
Si de l’enceinte du royaume , on pénétré juf-
ques dans l’intérieur, on eft encore plus étonné
de voir que la plupart de nos provinces font étrangères
les unes à l’égard des autres ; ôc on ne
fauroit envifager fans .peine, des* pays fournis à
la même domination , divifés par les bureaux qui
les féparent, ôc affujettis à des loix fi différentes
par rapport au commerce , c’efl-à-diredans la
chofe qui naturellement doit le plus les rapprocher.
Il femble même , en plufieurs endroits , que
l’on ait voulu donner des entraves à cette communication
fi jufte ÔC fi naturelle , qui doit être
entre les fujets du même fouverain : les droits
locaux en font la preuve ; ÔC ce qu’il y a de
plus fâcheux pour le commerce, Ôc pour la circulation
, c’eft que la plupart de ces droits ont
été .établis fur des rivières ; comme fi l’on eût
affeétë' de placer la contrainte, dans les endroits
où la nature a donné les moyens de commercer
avec le plus d’aifance ôc de liberté.
Tous ces-inconvéniens étant une fois bien conf*
. tâtés , ce n’eft plus la matière d’une queftion ôc
d’un-dou'te , • de favoir fi la perception aéhieiie
doit être changée.
Les raifons générales qui follicitent ce changement
pour tout le royaume , fon t, d’un côté ,
l’efpérànce, ôc même la certitude de mieux concilier
les droits avec les véritables intérêts du
commerce , par une règle uniforme ôc bien confta-
tée. D ’autre part, la crainte d’occafionner une
commotion générale , fi l’on touche à toutes les
provinces étrangères ôc réputées étrangères.
L ’inutilité de l’arrangement, fi l’on ne les y
comprend pas toutes à-la-fois , peuvent détourner
de tout changement.
Le réfultat de l’opération n’eft pas moins em-
barr-affant.
Une augmentation de droits reffembleroit plutôt
à une loi de rigueur, qu’à un motif de bonté
qui détermine à ce que l’on croit avantageux «.u
commerce.
Une diminution exigeroit des facrifices.
Impoflïbilité de faire l’une , difficulté de fe réfoudre
à l’autre : Iftm ôc l’autre parti demande les
plus mûres réflexions , parce que tous les deux
entraînent des tonféquénees très-importantes...
Se refufer à ce changement , c’eft laiffer fub-
fifter tout ce dont on croit avenir à fe plaindre ;
l’admettre, n’eft pas une chofe fans embarras ÔC
fans danger.
Il ne faut pas-exagérer les difficultés y mais
on ne doit pas non plus fe les diflïmuler : c’eft
au vrai qu’il faut tendre, ôc ce vrai n’eft pas facile
à faifîr. Des vues générales ne fuffifent pas
pour y conduire ; elles font fouvent contredites
par des confidérations particulières , ôc par les
détails que l’on avoit cru pouvoir écarter.
C ’eft en développant , en rapprochant , en
comparant toutes les parties , celles mêmes qui
paroiffent les moins relatives les unes aux autres,
que l’on découvre des raifons , finon d’applaudir
à certains établiffemens, du moins de les tolérer
par certaines .confidérations.