
parler exactement, il n’y a que les propriétaires
8c les confommateurs inoccupés , qui fuppprtent
réellement les tributs.
Tout le monde travaille pour les derniers , 8c
ils ne travaillent pour perforine. Ils paient donc
la confommation de tout Te monde, 8c perfonne
"ne paie la leur : ils n’ ont àucun moyen de recouvrer
ce qu’ils ont payé pour eux 8c pour les
autres ; car iis ne leur fourniffent rien au prix
duquel ils puiffent l ’ajouter. C ’eût à eux que fe
termine la fucceflîon des rembourfemens de tous
les droits impofés fur les marchandifes ,< 8c fur
les duvriers qui les ont façonnées depuis leur
origine jufqu'à leur derniere confommation.
Un propriétaire eft impofé pour fa perfonne
8c pour fes fonds ; fon fermier elt impofé de
même , les denrées, qu’ils confomment le font
auffi.
; Les .valets du fermier font taxés pour eux , 8c
pour tout tout ce. qui fert à les nourrir 8c â les
habiller.
Les beftiaux, les matières 8c les inltrümens du
labourage font impofés.
Tout cela eft à la charge du propriétaire ; le
fermier n’afferme fon bien, que déduction faite de
tous ces différens droits qu’il aura à fupporter
directement, pour ceux qui lui font pèrfonnels ;
indirectement, par l’augmentation qu’il fera obligé
de payer pour le prix des journées, des beftiaux,
des matières 8c des inftrumens qui lui font nécef-
faires. Le propriétaire ne reçoit du produit de
fa terre , ou de fon bien quelconque, que l’excédant
des dépenfes 8c du bénéfice du fermier,
dans lefquels tous ces droits font, avec raifon ,
calculés. C ’efl donc le propriétaire qui les fup-
porte , 8c non pas ceux fur qui ils font levés ;
car fans cela, il affermeroit fon bien davantage.
Ainfî , en multipliant à l ’infini les taxes fur
toutes les perfonnes 8c fur toutes les chofes, on
n’a fait que multiplier , fans aucune utilité, les
régie s, les perceptions, 8c tous les inftrumens de
la ruine, de la défolation, 8c de l’efclavage des
peuples.
Qu’eft-ce donc qui a fait penfer aux meilleurs
efprits , que les droits fur les confommations ,
d’où réfulte infailliblement cette diverlîté funefte,
étoient les moins onéreux aux fujets, ‘8c les
plus convenables aux gouyernemens doux 8c modérés
?
L à où font ces droits, la guerre civile eft
perpétuellement avec eux : des milliers de c itoyens
armés pour leur confervation 8c pour empêcher
la fraude , menacent fans ceffe la liberté,
la fû re té , l’honneur 8c la fortune des autres.
Je voudrais diffimuler des maux plus grands
encore , .^dont ces impôts font la fource. L ’é norme
difproporrion entre le prix de la chofe oc
le droit , en rend la fraudé très - lucrative, 8c
invite à la pratiquer. Des gens qu’on pourfuit
comme des criminels, perdent la vie pour avoir
tenté de la cônferver ; 8c l’on exerce toute la
rigueur des peines infligées par la loi , contre
ceux que fouvent la néceffité a réduits à s’y ex-
pofer. Je n’aime p oint, .difoit C ic é ron , qu’un
peuple quj eft le dominateur de l’univers, en foit
en meme tems le faéteur. I l y a quelque chofe
de plus affligeant que ce qui déplaifoit à Cicéron.
Tous les droits fur les confommations n’ex-
pofent pas, je le fais , les citoyens à des dangers
fi terribles ; mais tous font également contraires
à leur liber té, à leur fûreté, 8c à tous
les droits naturels 8c civils j par les furveillances ,
les inquifitions 8c les recherches auflï oppreflîves
que ridicules qu’ils occafionnent.
Ce n’ eft pas la meilleure adminiftration, que
celle ou la bienfaifance eft réprimée comme le
crime , où l’on force la nature à s’oppofer à la
nature , 8c l’humanité à l ’humanité.
Ce ne fera pas non plus- où cette foule de
droits fubfiftera , que le commerce fera floriffant :
on ne confîdere pas allez le préjudice qu’il en
éprouve, 8c celui qui en' réfulte pour l’état ,
quand, pour l’intérêt du fîfc , ôn l’accable de
toutes les entraves que lui caüfe cette diverlîté
de perceptions.
I l feroit tems néanmoins d’y fonger. Le commerce
elt devenu la mefure de la .puiffance des
empires : l’avidité du gain , produite par l’excès
des dépenfes du lu x e , a fubftitué l’efprit du trafic ,
qui énerve i ’ame 8c amollit le courage, à l’efprit
militaire , qui s’eft perdu avec la frugalité des
moeurs.
Des gens , pour qui raifonner cfl toujours un
tort , en ont accufé la philofophie, 8c ont voulu
lui attribuer lçs défaftres qui s’en font fuivis ;
cela prouve qu’ils n’ont point Te bonheur de la
cônnôître, ni de fentir avec quelle énergie elle
infpire le goût du bien , l ’amour de fes devoirs,
8c l ’enthoulîafme des chofes grandes, juftes , honnêtes
8c vertueufes, fur - tout l’horreur, de l’in-
juftice 8c de la calomnie.
Quoi qu’il en foit*des fauffes imputations que
la lottife 8c la méchanceté prodiguent en tous
genres contre la vertu 8c les gens de bien , il
efl certain que la ruine du commerce eft le produit
néceffairë des impôts fur les marchandifes , '
i° . par des eaufes qui leur font inhérentes;
2°. par les moyens qu’ils fourniffent à la rapacité
d’exercer toutes les vexations qu’elle peut imaginer
; 8c quand on fait de quoi elle eft capable ,
on frémit de cette liberté qui fait l’efclavage du
commerce, le tourment 8c la perplexité continuels
de deux qui le pratiquent.
Tous fes mouvemens font épiés ,8c contraints ;
des formalités fans nombre font autant de dangers
à travers lefquels il marche , fi je puis m’exprimer
ainfi , fur des pièges'tendus , fans ceffe 8c de tous
côtés, à la bonne foi ; foit qu’on les ignore,
foit
foit par inadvertance, fi on en néglige aucune ,
c ’en eft affez , on eft perdu.
Depuis l ’entrée d’une marchandife étrangère,
depuis la fortie de la terre , 8c même avant ,
pour celles que le fol produit, jufqu’à leur entière
confommation, elles font entourées de gardes
Sc d’exabteurs qui ne les quittent plus. A chaque
pas, ce font des douanes , des barrières, des
péages , des bureaux , des déclarations à faire ,
des vifîtes à fouffrir , des mefures , des pefées,
des tarifs inintelligibles, des appréciations arbitraires
, des difeuffions à avoir , des droits à fup-
poyter, 8c des vexations à éprouver.
Quiconque a vu les quittances de tout ce
qu’une denrée a payé dans toutes Tes formes 8c
dans tous les lieux où elle a paffé, fait bien que
je ne dis 'rien d’outré-, 8c que n’attefte l’énoncé
de ces écrits.
Avec la multitude de ces droits, on en voit
l ’embarras ; l’intention la plus pure , dans ceux
qui font la perception , ne les garantit poinc de
l ’incertitude 8c de l ’injuftice. Que de fauffes applications
8c d’erreurs, qu’on ne peut exiger
qu’ils mettent à la charge de leurs commettans ,
Sc qui tombent toujours à celle du public ! D ’ailleurs,
le moyen dé régler tant de droits q u i,
la plupart, font par eux-mêmes indéterminables ?
Si c’eft fur le pié de la valeur de la chofe, le
principe eft impraticable. Comment fixer le prix
d’une marchandife ? Il varie fans celle ; elle n’a
pas aujourd’hui celui qu’elle avoît hier ; il dépend
de fon abondance ou de fa rareté, qui ne
•dépendent de perfonne ; de la volonté de ceux
qui en font ufage , 8c de toutes les révolutions
de la nature 8c du commerce , qui font que les
denrées font plus ou moins communes , les débouchés
plus ou moins favorables.
L ’impôt ne fe prête à aucune de ces circonf-
tances ; il varieroit continuellement, 8c ne feroit
qu’une nouvelle fource de difficulté.
Si c’eft fur la quantité , fans égard à la qualité
| qu’il eft réglé , il n’a plus de proportion
avec la valeur réelle des denrées , toutes celles
d’une même efpèce font également taxées. Il en
arrive que le pauvre, qui ne confomme que le
plus mauvais, paie autant de droits pour ce qu’il
y a de pis , que le riche pour ce qu’il y a de plus
excellent ; ce qui rend la condition du premier
doublement malheureufe : exclu , par fa mifere,
de F ufage des meilleurs alimens, il -fupporte encore,
en partie,Tes impôts de ceux quç prodiguent
l ’orgueil 8c la ienfualité des autres. Les quantités
.-égales , l’opulent oifif ne fournit pas plus à l’ éta t,
,en flattant fon goût d’un vin exquis, que le raa-
nouvrier indigent, en confommant le plus commun
, pour réparer fes forces épuifées par le
travail.
I l n’ y a pas là feulement de l ’injuftice, il y
a de la cruauté ; c’ eft trop accabler la portion la
Finances, Tome I ,
plus précieufe des citoyens ; c’eft lui faire fentir ,
avec trop d’inhumanité, l’excès de fa dépreffion ,
8c l’horreur de fa deftinée , qui pourroit être
celle de tous les autres.
I l feroit trop long de parcourir tous les vices
qui tiennent effentiellement à la nature de ces
impôts ; en voilà plus qu’il n’ en faut pour prouver
que leurs effets ne font pas ceux qu’on leur a
attribués. Paflons aux préjudices les plus graves
qui réfuitent de la néceffité de les affermer.
L ’intérêt du fermier étant de groflïr le d ro it,
au lieu de l ’affimiler à toutes les viciffitudes du
commerce, qui pourroient en caufer la diminution ^
il ne cherche fouvent qu’à l’étendre en tordant
le fens de la loi ; il tâche, par des interpréta-*
tions captieufes, d’àfïujettir ce qui ne l ’étoit pas r
il trouve prefque toujours, dans quelques expref-
fions équivoques, de quoi favorifer une exaction
plus force.
N ’oublions pas les évaluations outrées , lorsqu’il
s’agit de fixer le droit, 8c delà vient cette
foule de difficultés, de ccmtçftations 8c de procès
qui caufent, dans le tranfport 8c la vente des
marchandifes, des obftaclcs 8c des délais qui en
occafionnent le dépériflement , fouvent la perte
entière, la ruine de ceux à qui elles appartiennent.
. On peut à la vérité laifler fa denrée au traitant
pour le prix qu’il y a mis ; mais ce moyen qu’on
a cru propre à contenir fon avidité , n’eft que
celui de réunir entre fes mains les finances 8c le
commerce : il s’emparera , s’il le v e u t , de toutes
les marchandifes , deviendra , par conféquent, le
maître des prix , 8c le feul négociant de l’ état ;
8c cela ayec d’ autant plus d’avantages 8c de facilités
, que n’ayant à fupporter des droits auxquels
ces marchandifes font fujettes, que la portion qui
en revient au fouverain, il pourra toujours les
donner à meilleur compte que les autres négocians
qui ne pourront foutenir cette concurrence ; témoin
la vente des eaux-de-vie à Rouen, dont les
fermiers font devenus,, de cette maniéré , les dé-
bitans exclufifs. Cet exclujif ne fubfifte plus depuis
i f ans.
On ne peut nier aucun de ces préjudices des
impôts fur les confommations , fans méconnoître
des vérités malheureufement trop fendes. D ire ,
avec l ’auteur de VEfprit des lo ix , qu’ils font les
moins onéreux pour les peuples , >8c ceux qu’ils
fupportent avec le plus de douceur 8c d’égalité ,
c’eft dire que plus ils font accablés , moins ils
fouffrent. Les bénéfices démefurés des traitans,
les frais immenfes de tant de régies 8c de récou-
vremens , font autant de furcharges fur les peuples
, qui ajoutent, fans, aucun profit pour le
prince , plus d’ un quart en fus à ce qu’ils auroient
à payer , fi leurs contributions paffoient directement
de leurs mains dans les fiennes.
Quant à la douceur 8c à l’égalité de ces impôts
, Hérodien écrit qu’ils font tyranniques , 8c
M m