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aufïî redoutable.au fouvcrain, que celle des rois
voifins de les frontières. Us introduifirent les inféodations
, & fe donnèrent, à leur tour , des
vaflaux qui 11e relevoient que de leurs perfonnes,
comme eux-mêmes ne relevoient que du roi.
Hugues Capet, lui-même, étoit de ce nombre,
en qualité de duc de France. Ce duché compre-
n o ic , outre de vaftes domaines en Picardie ôc en
Champagne , les ville Ôc comté de Paris , l’Or-
léanois , le pays C h a r t r a in le Perche , le comté
de Blois , la Touraine , l’Anjou & le Maine.
JL.es comtes d’Anjou, de Blois , de Chartres* &
de Tours , étoient fes fous-vaflaux.
Ce Prince étoit donc le plus puiffant , ou du
moins l’un des plus puiflans de tous les grands
vaflaux, par l ’étendue de fon fief & par fa fitua-
tion. Le duché de France 8c le comté de Paris
lui. fervirent de degrés pour arriver au trône :
mais il eft aifé de concevoir que , devenu le
fuzerain , plutôt que le fouverain de fes pairs ,
ceux-ci fe maintinrent fans peine dans leurs ufur-
pations ; 5c que , s’il ayoit attaqué l’un d’entre
.eux, il les auroit eu tous pour ennemis.
■ Quelques auteurs ont avancé que Hugues Capet
avoit réuni 5c incorporé z:\i~domaine roy al, le
duché de France 5c le comté de Paris , pour n’en
être jamais féparés.' Mais il n’ÿ a point de char-
tre de cette réunion , qui s’eft confommée par le
fait , 5c non par une loi fpéciale.
On trouve même dans l’hiftoire de ces tems-
l à , des preuves bien claires que nos rois ne s'occupaient
pas encore du foin de rendre leur domaine
inaliénable, ni d’y réunir les parties qui
en avoient été diftraites.
Henri , frere de Hugues Capet , 5c duc de
Bourgogne, étant mort fans enfans, avoit difpofé
par teftament, de fon duché, en faveur du roi
Robert fon neveu. Si les loix domaniales avoient
alors exifté ? Robert n’ eût pas été le maître de
ne pas réunir le duché de Bourgogne à fa couronne.
Il n’eft pas douteux du moins qu’il ne le
pût-, puifqu’il tenoit ce duché à titre de fuc-
çeffion. Cependant il en inveftit Henri , fon fécond
fils ; 5c Henri , devenu roi de France, céda
Ce même duché, en pleine propriété, à Robert,
fon frere cadet, U eft probable que les rois
flobert 5c Henri I craignirent d’ébranler leur
tronp , encore mai affermi , 5c de réveiller la
jaloufie des grands vaflaux , qui n’auroient pas
vu d’ un oeil tranquille l’aççroiflement de pùif-
fance , que la poflefïïon du duché de Bourgogne
auroit apportée à leur fuzerain,
Quoi qu’il en foit , long-tems encore après
Cette époque, pos rois ne doutoient pas qu’ils ne
puflent librement 8c valablement difpofer d.e la
propriété de partie de leurs domaines, en faveur
de leups fils cadets, Louis Y I I I , par fon
^ftament', déclara Louis , fon fils aîné , roi de
? & donna l’Arcpis à fan fécond fils, le.
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Poitou au troifieme , l’Anjou 5c le Maine au
quatrième , 5c ce teftament fut exécuté fans aucune
contradnftion.
L ’inaliénabilité du domaine n’étoit donc pas
encoTe loi de l ’E ta t , ni reconnue comme telle
par la nation. M. le préfidènt Hénault, tout favorable
qu’il eft à la caufe du domaine , dont il
fait remonter l’inaliénabilité jufqu’à la fondation
de la monarchie , demeure pourtant d’accord que
Louis V I I I , par fon teftament, fit des démern-
bremens des portions du domaine , 5c que les
puînés en avoient alors la propriété , les apanages
n’étant pas encore trop connus.
Philippe-le-Bel eft le premier qui ait mis dans
l’apanage du comté de Poitou 5c autres terres
qu’il donna à fon fils puîné, Philippe de France ,
depuis r o i , furnommé le L ong, la condition de
retour à défaut d’hoirs mâles, 5c que depuis elle
a toujours été obfervée. Ce. qui étoit donné
fans cette condition de retour à défaut d’hoirs,
paffbit donc certainement en pleine propriété au
donataire ,. avec faculté d’en difpofer par toutes
les voies que le droit ôc là coutume autorifént.
Les raifonnemens les plus fubtils 5c les plus fpé-
cieux font fans force , contre ces faits qui les
démentent.
Si l’on -pouvoif s’ en rapporter au témoignage
d’un jurifconfulte Anglois , q u i, fous le régné
d’Edouard I , compofa une pratique dü 'droit de
fon p a y s , fous le titre de Flet-a, nous aurions
une époque certaine de la première loi domaniale
, non-feulement pour la France, mais encore
pour tous les fouverains de l’Europe,
Cet auteur raconte qu’en 12 72, il fe tint, à
Montpellier, une aflemblée folemnelle de tous
les rois chrétiens : Omnium regum chriftianorum
apud Mohtem-pejfoloniam , dans laqueMe ils convinrent
que le domaine de leur couronne feroic
inaliénable , 5c que les chofes qui en auroient été
démembrées, y feroient réunies.
M. le préfidènt Hénault qui cite ce trait fin«
gulicr, 5c qui a bien fenti qu’une pareille aflem-
blée de tous les rois chrétiens, péchoit contre
toute vraifemblance , dit qu’ils convinrent par
eux ou par leurs ambafladeurs. Mais le jurifconfulte
Anglois ne parle point d?ambafladeurs ;
il afllire que tous les rois chrétiens fe réunirent
en perfonnes.
Cet écrivain a été contredit par Selden dans
une favante diflertatiori, 5c Selden a été fuivi,
tant par Lauriere dans le recueil des ordonnances
, que par dom Vaiflette dans fon hiftoire du
Languedoc. Mais, dit M. le préfidènt Hénault,
tout cela ne fait qu’une autorité , 5c qui fait fï
Selden n?avoit pas des raifons politiques pour
nier le fait, fans s’autorifer d’aucune preuve ?
Cette réflexion femble annoncer dans le célèbre
écrivain qui la propofe , dü penchant à
admettre pour yraie l’anecdote du Flçta ; il n’çft
■
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pourtant pas facile de pénétrer le motif qui la
lui feroit adopter; car, fi l’on accorde la réalité
de l’aflemblée de Montpellier , -il s’enfuivra de-là
jnanifeftement, qu’avant la prétendue réfolution
qui y fut prife, l ’inaliénabilité du domaine des
couronnes étoit tout au moins très-problémati-
•que ; conféquence deltruélive du fyftême de
M. le préfidènt Hénault , qui tient que. le domaine
royal étoit inaliénable, meme fous les rois
des deux premières races , 5c que c eft une erreur
de croire que ce n’a été que depuis Philippe.
le Hardi , que nos rois ont cefle de pouvoir
aliéner leur domaine.
Mais on ne trouve dans l’fiiftoire aucune trace,
aucuns veftiges de l’aflemblée de Montpellier.
Le filence général des annales de toutes les nations
ne fuffit-il pas pour anéantir la déposition
folitaire du jurifconiulte Anglois ? Quelles raifons
auroient pu déterminer tous les rois chrétiens
à fe réunir , afin de porter enfemble une
commune pour l’inaliénabilité de leurs domaines ?
Quel intérêt avoit chacun de ces princes en particulier
, à ce que le domaine de tous les autres
fût inaliénable ?
Un événement aufli extraordinaire que celuir
là , qui fuppofe néceflairement de longs préliminaires
, beaucoup de difficultés vaincues, beaucoup
d’obftacles applanis , le concours 5c le déplacement
de plulieurs fouverains pour une opération
qu’ils pouvoient faire avec la même foli-
dité fans for tir de leurs Etats, eft évidemment
fabuleux 5c chimérique,
C ’ eft ainfi que penfent l’abbé V e l ly , ÔC M.
David Houard, avocat au Parlement de Rouen,
qui ad on n é , en 176 6 , une collection des anciennes
loix des François , confervées dans les
Coutumes angloifes , recueillies par Littleton. On
y trouve une notice très-ample ôc très-curieufe
du Fieta ; compilation ainfi appcllée , parce quelle
avoit été faite par un Anglo is, dans la prifon
nommée The FLeet , c’eft~à—dire , la flotte.
L ’abbé V e lly , après avoir appuyé fon avis
fur les raifons les plus fortes 5c les plus conformes
à la faine critique , les termine par ces ex-
preflîons remarquables. Ce n’eft qu’infenfiblement
8c après de longues réflexions, que nos monarques
ont enfin reconnu la vérité du grand principe
j qui les met dans une heureufe impuiflànce
d’aliéner « leur domaine.
Bien loin que cet hiftorien reçoiye le fyftême
de l’inaliénabilité fous les deux premières races ,
il ne le regarde pas .même, comme établi du tems
de Philippe-le-Bel. C ’eft encore le fentiment de
l’illuftre magiftrat qui a immortalifé fon nom par
une profonde connoiflance des loix 5c de l’efpric
dans lequel elles ont été données à tous les peuples
policés. Il s’ en fallait bien, d i t - i l , que l ’on
eût dans ce -tems-là, ( du tems .des maires du palais
) l’idée d’un domaine inaliénable ; c’eft une
chofe très-moderne, 5c qu’on ne connoifloit ni
dans la théorie, ni dans la pratique.
Eflayons donc , s’il eft poflible , d’en aflîgner la
véritable époque, ôc de faire connoître comment
les loix domaniales fe font introduites, 5c par
quels progrès elles ont acquis de la force, de
l’étendue 5c-de la Habilité.
Pour remplir cet objet, il faut d’abord côn-
fidérer ce qu’étoit la France fous la première <Sc
au commencement de la fécondé race de nos rois , 5c l ’état où fe trouva le royaume , non-feulement
lorfqüe 'Hugues Capet parvint à la couronne ,
mais encore fous fes fuccefîeurs , pendant plus
de deux fiècles,. La comparaifon de ccs deux Etats
fi différens l ’un de l ’autre, nous conduira naturellement
au but qu’il* s’agit d’atteindre.
Les Gaules divifées en dix-fept grandes provinces,
étoient - riches , peuplées 5c floriflànres ,
Idrfquc les Francs 5c d’autres peuples fortis de là
Germanie les enlevèrent à l’empire Romain. Les
conquérans fe distribuèrent entre, eux le tiers des
terres, 5c laiflerent les deux autres tiers aux peuples
conquis , c’eft-à-dire , aux naturels Gaulois ,
ôc aux Romains qui s’étoient établis en grand
nombre dans les Gaules. On les confondoit presque
tous fous le nom .de Romains, parce qua
ceux-ci qui avçicnt fubjugué les autres , formoient
la nation dominante.
C lo v is , fes premiers defeendans , Pépin - le -
B r e f , Charlemagne , n’étoient certainement pas
dans le cas de regarder les revenus- de leurs domaines
,' comme une rcflburce néceflàire pour fou-
tenir la fplendeur de leur couronne. Au contraire,
fuivanE la remarque de Mézeray , ils étoient obligés
d'en donner a plufieitrs , ou pour récompenser ceux"
qui les fervoient 3 ou pour retenir ceux qui pouvoienc
faire du mal. Cet hiftorien ajoute , il eft v r a i, quë
ces donations n’étoient qua vie feulement, 5c que
c’eft pourquoi ils les nommoient àes bénéfices ,
nom qui n’eft demeuré que dans l ’églife. II« accordèrent
fans doute de Amples jouiflànces" viagères,'
fous le titre1 de bénéfices ; mais ils détachèrent
aufli de leurs domaines , des rerres, des
héritages, pr&dia , pour être pofledés proprictai-
rement par les donataires. Les dons immenfes ,
à tant d’églifes ôc de monafteres , étoient-ils faits
fous la condition de rentrer dans le domaine royal ï
L ’ordre de la nature furla règle unique de nos
premiers rois , dans un point de bien plus hauteim-
portance ;ils partagèrent leurs Etatsentre leurs en-
fans , de même que fi c’eût été une fucceflion ordinaire,
fans fonger que ces partages afifoibliflbicmE
la monarchie , en divifant fes forces , 5c l’expo-
foient aux fuites funeftes qu’ils entraînèrent en
effet. Comment voudroit-on que, fur un objet de
bien moindre conféquence , ils fe fuflent écartés
de la loi naturelle, félon laquelle tout homme peut
difpofer librement de ce qui lui appartient ? Leur
politique ne s’étendit pas jufques-là.; il n’y a vois
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