
Sur le premier p o in t, fi l’Etat doit un capital
égal à la fournie qui repréfente le travail de cent
mille hommes , 8c qu’ il ne puiffe rembourfer annuellement
que le'dixième de cette fomme , il eft
clair qu’il n*auëg| dans la première année le
fardeau public , que du travail de cinq cents per-
lonnes ; l ’année d’après , que de celui de cinq
cents v ingt-cinq, 8c ainfî de fuite.
Mais fi la contribution ell trop forte pour le
peuple y fi elle emploie plus que fon tems 5c fes
forces difponibles, fi elle le détourne des travaux
d’amélioration, fi elle le prive du repos qui lui
c il néceflàire , ôcc. ôcc. ne vaut-il pas mieux remettre
annuellement une fomrae égale au travail
de dix mille hommes , que de n'en retrancher que
le vingtième , 8c employer lé~ïelle à rembourfer
les ictus publiques ?
On dira que les fommes rembourfées ceffant de
lepréfenter un travail itërile , comme celui qui
fert à l’entretien des armées ou au fafte des cours,
elles paffent bientôt des propriétaires des fonds à
la claffe laborieufe , qui pourra augmenter le prix
de fon trav a il, ou diminuer quelques heures de
ces journées ; mais ces retours font-ils affez rapides
ÔC affez immédiats, fur-tout Iprfqu’ils doivent
avoir pour yéhiçules l’argent monnoyé ou
les papiers , qui prêtent à tant de fpéculations 8c de
manoeuvres différentes? Ne fuit-il pas de cps réflexions
, que fi le peuple ell furchargé , il ya.ut
mieux remettre des impofitions , que rembourfer la
dette ?
L ’examen du fécond point ell très-intéreffant.
}En coûte-t-il plus a l ’Etat pçur recevoir que pour
payer §
S i.p o u r rembourfer annuellement une fomme
égale au travail de dix mille hommes , vous êtes
obligé d’exiger du peuple une fomme égale à celui
de douze mille ; vous ferez un très-mauvais marché.
Pour que les cho fes fuffent égales , il faudroit que
Je paiement des créanciers exigeât un fur-taux
pareil ^-peurprjès,
Quittons un moment ces- formules abftraites,
pour citer un exemple choifi dans notre pays.
Beaucoup de gens croient que les aides coûtent
plus de vingt pour cent de perception. Elles peuvent
rapporter autour de quinze millions. On demande
à préfent, fi lorfqu’en 1784 on forma un
fonds d’amortiffement de vingt millions , il n’eût
pas mieux valu abolir les droits d’aides , ou les
changer en un fimplc impôt territorial, qui pro-
duifant encore un certain revenu, auroit facilité
la converlîon de la gabelle dans une taxe répartie
pu marc la livre de la taille ou du vingtième.
Ajoutons qu’en fuppofant même que les impov
firions font réparties avec juftice, 8c perçues avec
économie, il faudroit encore , avant de fônger à
jrerftbourfer les dettes , s’ informer bien exactement
s’il n’exifte pas d’emploi d’ argent plus preffé.
Quand ? on France , on auroit aboli Igs droit?
d’aides 8c de gabelles , je regarderois encore les
canaux de communication entre la Somme 8c Lcl-
cau t, entre la Mofelle , la Meufe 8c la Marne ,
entre là Saône Ôc la Seine, comme des opérations
plus utiles qu’un rembourfement de foixante millions.
J’en dirois autant de la perfection des grands
chemins , de la conftruélion des ponts , du deffé-
chement des marais, du défrichement des landes,
ôcc. 8ct.
Il ne faut pas oublier non plus que le remboûr-
fement des aettes difpofe tous les gouvernemens à
la guerre , tandis que les dépenfes utiles rendent
la paix avantageufe , fans en abréger la durée.
Convenons donc que, à quelques inconvéniens
près , qui ont été énoncés , la dette publique n’ell
pas une plaie fi grande qu’on fe l ’imagine, qu’elle
n’eft un mal réel qu’autant qu’elle repréfente des
dépenfes exçeflives ; enfin, que fon rembourfement
n’eft pas d’une néceflîté abfolue, ni même
l’objet le plus important d’une bonne adminiftra-
tion.
On peut faifonnablement accorder au fyftême
qui vient d'être analyfe, qu’en eâèt une dette publique
modérée, dont le capital a été dépenfé dans
l ’Etat, n’efi pas d’un grand danger ; quoique cependant
elle exige déjà une augmentation d’impôts
, pour en payer les intérêts , 8c que cette
augmentation foit un mal, dont les progrès ne
peuvent être ni arrêtés ni calculés.,
Mais une autre objection , c’ell que les gou-
yernemens de l’Europe , dans la lituation politique
où ils font tous , ne bornant jamais leurs
dépenfes d’après leurs revenus annuels, cherchent
dps lùpplémens dans les emprunts , ouverts à toutes
les nations , 8c par-là ruineux pour celle qui
emprunte ; car la facilité de trouver ainfi des
reffources, produit la facilité d’en u fe r , 8c nourrit
les befoins. Dégénérant bientôt en habitude ,
elle accumule fans cëffe des dûtes nouvelles fur
des dettes anciennes ; elle multiplie les dépenfes,
8ç détourne de l’économie , fans laiffer voir de
terme à ces excès. Vient la néceflîté d’augmenter
les dépenfes , en proportion de l’accroiffement des
dettes': ÔC à mefure de cette augmentation , qui
s’étend fur le prix des denrées 8c fur celui de
l ’induilrie , l’agriculture , les manufactures 8c le
commerce dépériflent fenfiblement ; elles feroient
même bientôt écrafées entièrement^ fi la pofition
de tous les autres Etats-, auffi obérés 8c livrés de
même à des moyens ruineux , n’éroit en quelque
forte le palliatif des maux particuliers à un feul.
S’il fe trouyoit une puiflànce qui pût fe dif-
penfer de faire des dettes hors de fes limites , qui
joignît à une nombreufe population un gouver*-
nement modéré , un fql fertile à une grande fo-r
brîété, 8c un revenu capable d ’entretenir des for*
ces refpeélables , fans enlever des bras à l’induf*
trie f fi cette puiflànce avoit 4,es fujets patie^s
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laborieux , dociles 8c attachés à là patrie ; n’ en
doutons pas , elle donne^oit un jour des leçons a
l ’Europe. En vain, tous les états de cette partie
ligués enfemble voudroiètft s’oppofer à fes progrès ;
liTmain infcnfible du tems l’ameneroit par degrés
à envahir fücçefiivement toutes ces fouvçrainetés ,>
gémiffantes fous le poids accablant de leurs dettes ,
fans qu’elles puffent obtenir ni fecours ni efforts
de fujets énervés , 8c au moins indiflerens fur leur
changement de domination ; puifquils n y ver-
roient que l’efpérance de jouir d’une condition
moins malheureufe.
Avant de donner le tableau‘ de la dette nationale
, de la dette de l’Angleterre , nous devons
examiner comment le continent de l’Amérique ,
après avoir trouvé , dans une dette modérée, les
moyens de brifer les liens qui l’attachoient à
l ’Europe , a pris de fages mefures pour éteindre
cette dette , ôc écàrter tout ce qui pouvoit nuire
à l’acçroiffement 8c à la profpérité de la républi-
que. . . .
Cette dette , tant étrangère que domeftique, fui-
vant le détail qui en a été publié , confifte en
quarante-deux millions trois cents foixante-quinze
dollars, q ui, à cinq livres huit fols tournois par
dollar, font deux cents vingt-fix millions huit
cents deux mille vingt-huit livres, argent de F rance,
en 1785 ; ou dix millions quatre-vingt miile quatre
vingt-dix livres fterlings , à vingt-deux livres
dix fols.
Il eft'dû à la France , à la Hollande , fept millions
huit cents quatre-vingt-cinq mille quatre-
vingt-trois dollars , dont l’intérêt eft à quatre 8c
cinq pour cent, 8c à fes propres fujets , trente-
quatre millions cent quinze mille deux cents quatre-
vingt-dix dollars, portant un intérêt de fix pour
cent. •
L ’adreffe que le congrès, ou le pouvoir Souverain
, a fait paffer au-mois de juin 178f , à tous
les Etats confédérés , fur l’objet de cette dette publique
, va développer fes vues , 8c préfenter fa
maniéré de penfer tant fur la bafe que fur la fin du
crédit public. Ce fera en même tems une leçon
utile à tous les gouvernemens qui ont des dettes ,
8c défirent y fatisfaire.
Le premier foin du congrès , après l’heureux
événement de la paix , a été d’examiner les dettes
que la guerre a fait contrarier aux États-Unis ,
pour y pourvoir , 8c de s’occuper des moyens de prévenir
tout ce qui pourroit troubler l’harmonie 8c
la tranquillité de la confédération. On a le ré-
fultat de fes délibérations dans les différentes recommandations
jointes à la préfente.
Le premier , 8c le point le plus important qui ,
frappe le congrès , c’eft de pourvoir d’une maniéré
efficace aux dettes des États-Unis, qui montent
à quarante - - deux millions trois cents
foixante-quinze dollars. Cette fomme , effectuée
en un feul paiement> ou à des temés peu élpignés
, eft un effort qui excede évidemment nos
reffources ; 8c , quand cette opération feroit praticable
, le bien public demanderoit que cette
' dette fuivît le cours d’une extinction graduelle,
8c qu’il fût fait des fonds pour payer,.en attendant,
les intérêts annuels, qu’on peut évaluer à deux
millions quatre cents quinze mille neuf cents cin—
quante-fix dollars : il faut donc trouver de« fonds
qui procurent au moins cette fomme par an.
Les moyens de remplir le tréfor publie , tels
qu’ils font réglés par les articles de la confédération
, -confidérés avec l ’attention la plus férieufe,
font infuffifans 8c inapplicables à la forme qu’il
faut donner à la dette publique. Il paroît impoffi-
ble de concilier , avec la ponctualité eflèntielle
dans le paiement des intérêts de cette dette , les
délais 8c les incertitudes , , auxquels eft expofé un
revenu à établir 8c à percevoir à diverfes époques
, par trei^pautorites indépendantes. Il étoit
impofiible que le congrès , dans fes recommandations,
ne s’écartât pas un peu de la conllitution fédérative
; mais un écart fi léger ne rend point
l’opération incompatible avec l’objet qu’on a en
vue , 8c il ell 'd’ailleurs motivé fur les confidéra-
tions folides de l’intérêt général 8c de la faine
politique.
Le fonds auquel on a penfé d’abord , eft une
taxe fur les importations. Parmi les raifons qui
militent en faveur de ce- parti , . i l fuffira de rappel
1er que les taxes fur les confommations fonfi
toujours les moins onéreufes, parce qu’ elles font
fupportées par ceux qui ont à-la-fois la volonté
8c la faculté de les payer ; celles qui portent
fur\le commerce étranger, font les plus compatibles
avec le génie 8c la politique des Etats libres :
mais , d’après les pofitions relatives de quelques-
uns des Etats les plus commerçans , on ne peut
faire ufage de cette rpffource, fans une conformité
concertée par l’entremife du congrès.
En renouvellant cette propofîtion , nous n’avons
point oublié les oppofitions qui ont autrefois empêché
de l ’adopter unanimement. Nous avons l i mité
la durée du revenu à vingt-cinq ans , 8c laiffé
aux Etats la nomination des officiers qui doivent
le percevoir. Selon les ftricles maximes du crédit
national, le revenu ne devroit pas être féparé de
fon objet, 8c devroit relier joint à la même auto-»
rité , q u i, par fa nature , difpenfe le premier *•
8c eft refponfable du fécond. Le congrès , en fe
relâchant fur cet objet , efpere qu’on v erra, dans
cette condefcendance, fa difpofition à fe prêter .dans
toüs les tems aux voeux de fes conftituans, & fon
voeu ardent pour l’établiffement d’ un fonds „ qui
le mette en état de fatisfaire aux obligations que
iui impofent l ’honneur 8c la juftice.
Pour rendre ce fonds auffi productif qu’il eft
poflîble , 8c donner moins de prifes aux collufions
8c a la fraude , on a dû recommander une impo-
firiçm affez force fur les articles les plus lùfceptî»