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laiflànt cependant le droit d’ y préfenter , ÔC la
plus grande partie des dîmes ; le relie fut réfervé
pour la fubiiitance des curés qui leur furent fub-
llitués*
Les chanoines réguliers conferverent cepëndant
la liberté de deflervir ces cures, à condition qu’ils
auroient un compagnon , ôc comme* le deffervant
étoit le premier à fon égard, on le nomma prieur ;
c ’ eft pourquoi ces bénéfices ont été appellés prieurés
cures , quoiqu'on effet ce ne foit que de amples
cures, femblables aux autres.
L a plupart des auteurs prétendent que les dîmes
font de droit polîtif, ôc non de droit divin :
fi les dîmes étoient de droit divin , difent-ils ,
elles feroient dues aux curés , jufqu’à concurrence
d’une fubfiftance ôc d’un entretien commode 6c honnête
, parce que ce font les vrais & immédiats
palleurs du peuple. D ’ailleurs, les papes n’auroient
pasdifpenfé, comme ils l’ont fait, des ordres entiers,
tels que font ceux de M alte , de Cluny 6c C î-
teaux , de payer la dîme des fruits de leurs héritages
* car fi la preftation des dîmes eil de droit
divin , le pape n’en peut difpenfer , ni donner des
privilèges contraires à la loi de Dieu ; ainfi , le
paiement 6c lu quotité de la dîme font abfolument
de droit pofîtif , fujets aux loix ordinaires des
autres biens de l’églife , 6c fufceptibles de change-
mens 6c d’altération ; auffi en eft - il arrivé plu-
iieurs ; fans quoi, l’églifc , qui ne meurt p oint,
qui n’aliéne point, 6c peut recevoir fans cefle,
poûederoit maintenant tous les biens de l’état ;
les dîmes ôc les terres , dont la dévotion l’avoit
enrichie , font quelquefois repaffées dans "Tes
mains des laïques.
L ’ an 755 , Charles Marte l, après fa viéloire
fur Abderame, général des Sarrafins , qu’il défit
, près de Tours , ne pouvant faire fubfîfter
fes troupes, parce que l’églife poffédoit une grande
partie des biens de la couronne , ôc voulant, pour
ainfi d ir ç , indemnifer l’état de fes dons excef-
|ifs , prit les tréfoys Ôc les revenus des églifes,
ôc donna , pour récompenfe à fes capitaines , des
abbayes ôç des évêchés,
Carloman , trouvant la même difette , fit ordonner,
du confpntement des eccléfialliques , vo-
igntairç ou forçç qu’il pourroit prendre une
partie des terres de l ’églife , pour les donner ,
à titre d’u fufruit, aux officiers de fes troupes, ôc
les rois, Carliens n’inveftirent pas feulement les
laïques des terres de l’églife ; mais auffi des dîmes
, ôc de tous les droits ôc des revenus de
l ’au te l, des diftributions ,' des méfiés, Ôçc.
Ç ’eft l’origine du droit de préfentation ôc de
patronage des feigneurs laïques, ôc des dîmes inféodées
, qui furent auffi autorifées par le concile
de Latran, tenu fous Alexandre III.
L e s v capitaines, qfufyuitiers de ces biens ,, les
tranfmirent à leuys héritiers * ceux-ci commen-
ferent à les regarder comme leur patrimoine , Ôç
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leurs defeendans , qui n’en firent aucun doute 5
en difpoferent, comme d’un propre, par vente ,
donation , Ôcc. ce qui fubfifioit encore en 1/79 ;
puifque le cle rgé, affemblé à Melun cette même
année , fit des remontrances au roi , par lefq-u elles
il expofa que les évêchés, les abbayes , les collégiales
étoient pofiedés par les, capitaines , ÔC
qu’une abbaye avoit été adjugée, par le confeil
du ro i, à une dame , comme lui ayant été conftituée
en dot par fon contrat de mariage , pour être
propre à elle ôc aux liens ; nous voyons encore
qu’en 1615 , fous la régence de Marie de M éd ias ,
la princefle de Conty obtint la réferve de l’abbaye
de Saint-Germain-des-Prés, c’ell-à-dire, la jouif-
fance viagère des revenus de ce riche bénéfice.,
au cas que le prince fon époux , qui en étoit
pourvu , vînt à mourir avant elle.
Autrefois, la dîme étoit levée fur toutes fortes
de fruits, tant induftrieux que naturels, même fur
le fruit des arbres , pacages , moulins , trafic
des marchandifes , pêches à é rivières ÔC étangs,
mouches à • miel, vignes , veaux , agneaux , ÔC
autres animaux domelliques , Ôc les eccléfiaf-
tiques pourfuivoient avec rigueur les particuliers
pour les y contraindre ; mais le gouvernement
ayant conlidéré que l’églife poffédoit des biens-
fonds , Ôc qu’il s’en falloir bien qu’elle s’en fût
tenue à fa première fimplicité , il crut pouvoir
retrancher une partie de leurs prétentions. Phi-
lip pe -le -B e l, entre autres, ordonna par fa confti-
tution de l’ an 12.94, que ces/ décimés ' feroient
payées fuivant la coutume de chaque lieu , afin
"de faire jouir de la faveur de la perception , ceux
qui feroient aflez heureux pour fe trouver dans
le cas , n’ofant en entreprendre davantage.
Tant que l’églife n’a poffédé que les dîmes ÔC
les anciennes dotations , elle a été exempte de
coûtes charges ; nos rois n’ayant pas voulu pa-
roître moins religieux que le furent autrefois les-
Egyptiens , les Juifs , ôc -prefque toutes les autres
nations , qui exceptoient leurs prêtres de toutes
fortes de fubfîdes, fi ce n’ eft dans le cas d’urgente
néceflité , qui alors n’admet ni règle, ni loi.
Mais comme l’églife pofiede maintenant de
grandes richefles , ces mêmes rois ont eftimé que,
fans, blefler leur confcience , ils pou voient en tirer
des fecours pour la défenfe de l’état, dont l’églife
fait partie. «Pourquoi notre tréfor eft-il épuifé ?
» Pourquoi nos richefles ont-elles été tranfpor-
» tées à l’églife ? Les évêques régnent, la majefté
» de l’état eft avilie , ÔC fa fplendeur a pafle à
y> leurs perfonnes. Ce font-les plaintes d’un de
» nos ro is , rapportées par Grégoire de T o u r s ,
» liv. 4 , chap. 46. »
D e quelque nature que foient les biens de l’ églife
, ceux qui les ont donnés ou vendus, n’ont
pu les affranchir de la contribution, ÔC des charges
réelles ôc foncières, à laquelle la loi naturelle ôc
l’ établiffement des empires les a originairement
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affujettis. Les oblations ôc les dîmes regardée* , I
par plufieurs , comme biens fpiritucls , ne font pas
plus exemptes de cette contribution que les autres
biens , lorfque les autres ordres de l’ état fe trouvent
furchargés , parce que l’églife » qui eft la
première partie du corps politique , doit contribuer
à fa confervation , ôc c’eft ce qui a été
ordonné par les ' décrétales des papes , par les
empereurs chrétiens , Conftantin, Valentinien,
Théodofe, Juftinien , ôc par les capitulaires de
Charlemagne', de .Louis le Débonnaire, ôcc.
L a patrie^tient le premier rang après la divinité
, ôc il y a une fi grande liaifon entre l ’églife
ôc l’é ta t , que nous ne faurions manquer à l’un, fans •
être coupables envers tous les deux.
Quoique 'pour l’honneur des eccléfialliques , la
lo i les ait affranchis de tributs ôc autres charges
publiques , on ne peut pas préfumer que l ’état ait
voulu tourner fes loix contre lui-même , ôc les
interpréter au préjudice du falut public.
Rome fe voyant affligée par les armes de Sylla,
& fans refiources d’ailleurs , le fénat permit de
prendre jufqu’aux reliques, ôc aux dépouilles des
temples , ôc d’en faire de la monnoie , pour fub-
venir aux frais de la guerre.
Auffi nos rois ont eu , de tous les tems , le pouv
oir ôc l ’autorité de contraindre le clergé à les
fecourir pour la défenfe de leur é ta t , fans attendre
leur confentement ni leur permiffion. L ’hifto-
rien Aimoin , liv . ? , chap. 5 4 , nous aflure qu’anciennement
le tiers des revenus des abbayes de
France , étoit réfervé pour l ’entretien des armées
roy ale s , en cas de néceflité.
Conftantin le grand ôc fes fuccefîeurs , permirent
à l ’églife de pofleder des immeubles Ôc d’im-
menfes richefles ; mais ils la firent contribuer aux -
charges ordinaires de la république ; même en
tems de' paix , aucuns biens n’en étdient exempts.
Les rois fuccefîeurs de Chariemagneôc de Louis
le Débonnaire , n’ont jamais/ellreint la dévotion
envers les églifes ;• ils n’ont point fait renoncer
les prêtres à leur patrimoine ; ils ne les ont point
déclarés incapables des faveurs teftamentaires ; ils
n’ont point aflujetti leurs perfonnes ôc leurs biens
aux tailles ôc aux charges ordinaires de l’érat ;
ils fe font contentés du droit de décime, qui eft ;
fort peu d c .ch o fe , eu égard aux pofleflïons du
clergé.
Mézeray prétend qu’avant le feptieme fiecle,
i l ne fe prenoit aucuns tributs fur les biens ôc les
perfonnes appartenans à l ’églife , mais que les
évêques ôc les abbés qui vouloient s’acquérir la
proteélion ôc les bonnes grâces du roi ôc des grands,
ayant commencé à leur donner des euloges ou
préfens, cette coutume fe tourna en un droit né-
ceflaire , qu’on exigeoit d’eux , quand ils man-
quoient à le payer.
Mézeray eft affurément dans l’erreur ; je trouve,
au contraire, que' fous' la première race de nos
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r o i s , .les eccléfiaftiques étoient fujets à deux fortes
de contributions envers le roi : l ’une étoit ordinaire
ÔC réglée ; les fonds des biens de l’églife ,
comme ceux des particuliers, étoient affujettis à
un certain cens qui fe payoit annuellement au
tréfor royal ; l’autre étoit extraordinaire ÔC s’in»-
pofoit lorfque les rois la jugeoient néceflaire pour
le bien de l’état.
Grégoire de Tours loue la jiiftice Ôc la piété
de Theodeber Ier, roi d’Auftrafie , qui régnoic
en J5? , d’ avoir remis librement aux églifes d’A uvergne
, le tribut qu’elles avoient accoutumé d’apporter
dans fon tréfor ; elles le payoient donc,
C ’ eft un fubfide que les rois font de tems immémorial
, en droit ôc en poflefîion de lever fur
le clergé , non-feulement par cette puiflance qui
permet aux fouverains de faire contribuer tous
les ordres à la défenfe commune ; mais encore
parce que poffedant une grande quantité de fiefs ,
celui-ci do.it le fervice comme les autres fbuda-
taires : S i ecclefia accipit feudum, ténetur fervare
quodjervant alii feudatorii. Bald. leg. ult, cod. fine
cenf. ôcc.
On ne parle point des décrets des papes , qui ,
quoique, jaloux de l’indépendance du clergé, n’onc
pu réfifter à la juftice des motifs de cette im-
pofition ; le roi n’a pas befoin de cette autorité.
On voit par les fragmens des aéles d’un concile
tenu à Tours , l’an 5*49, que Clotaire II demanda
aux évêques la troifieme partie des revenus de
l ’églife ; ce qui prouve, dit le pere Longueval,
dans fon hiftoire de l ’églife gallicane , que ce
n’étoit point un impôt, puifqu’on vouloir le confentement
des évêques , mais un don gratuit que
plufieurs cependant faifoient malgré eux.
Par le deuxieme canon, d’un concile tenu fous
Childeric III, dernier roi Mérovingien , il eft dit
que le roi retiendra durant quelque tems , une
partie du revenu des églifes , qui lui avoit été
accordée par forme de cens; ôc que, fi les befoins
continuaient , ou que le roi le commandât , il
feroit fourni une fécondé contribution gratuite,
à condition toutefois que les églifes n’ en feroient
point réduites'à une trop grande pauvreté, ôc
que celles qui tomberoient dans ce malheur , ren-
tareroient dans la jouiflanoe de leurs biens.
Charles May tel, maire du palais, leva les décimes
en 758 , au fentiment de Loyfeau , pour faire la
guerre aux Lombards , en faveur du pape , ôc , félon
d’autres , pour s’oppofer à Pinvafîon des Sarrafins
: Bellorum mole prejfus ecclejiis Galli&, décimas
imperavit & indixit.
Ces impofitions étoient ordinairement réfolues
dans les affemblées générales , que Pépin avoit
ordonnées tous les ans au premier de mai. Charlemagne
confirma ces affemblées , ôc ordonna , par
un de fes capitulaires , que les biens , qui avoient
coutume d’être chargés de cens roy al, n’en pour-
roient être exemptés , quand bien même ils feroient
donnés aux églifes.