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patrimoniaux que le prince pofledoit avant ion avènement
au trône ; de ceux qui provenoient de conquêtes
fuivies1 de traités ; de ceux que les rois
pouvoient acquérir ; de ceux, enfin , qui pouvoient
leur advenir à titre de fucceffion , ou par échoi-'
tes , c’eft-à-dire , par forfaitures , confiscation ,
aubaine , bâtardife, &c. C ’étoit d’ailleurs une question
de favoir , s’il falloit une réunion exprefle
par des lettrés-patentes dûment enregiftrées , ou
Il la réunion s’opéroit tacitement ôc de plein
droit.
Charles IX , en définiflant le domaine, par l’article'
2 de fori premier édit de 1566, déclara que
; 4e domaine de la couronne étoit entendu celui qui
.. étoit èxpreffément confacré uni ôc incorporé à
la couronne, ou qui avoit été tenu Ôc adminiftré
par les receveurs ôc officiers royaux , par l’efpace
de dix ans, & . étoit entré en ligne de compte.
Quelque formelle que foit cette lo i , fur la né-
ceffité d’une réunion exprefle , ou du moins d’une
réunion , opérée tacitement par une poffeffion con-
fufe de dix années ; plufîeurs écrivains n’ont pas
!aMe de foutenir , comme on l’a déjà d i t , qu’elle
fe faifôit , non en vertu de la volonté du roi ;
mais par l’effet de l’union qu’il contractait lui-
même avec l’Etat , comme l’a dit, M. Gibert ,
infpeéieur du domaine« Cependant, gênés par une loi
trop précife , pour ne lui laiffer aucune application
, ils ont pris le parti d’en reftreindre l’effet
aux feuls biens qui proviennent d’échoites. La poffeffion
de dix années, ce font les termes de De-
nifart, ne s’entend que des biens, qui appartiennent
au roi à titre d’échoite ; parce qu’on regarde
ces biens comme des fruits du domaine , dont fa
majefté à la libre difpofition. Il avance ailleurs ,
que les biens qui échêoientau roi par droit de déf-
hérence , aubaine ôc confîfcation , ne font point
partie du domaine royal.
Mais cette diftinélion purement arbitraire , eft-
elle conciliable avec une loi qui n’y donne aucune
ouverture , & qui renferme , généralement
& fans exception , toutes les efpèces de biens domaniaux
? Ubî lex non difiinguit , nec nos difiin-
guere debemus. C ’eft un axiome reçu dans tous les
tribunaux du monde , & auquel la faveur du domaine
, quelque grande qu’elle foit , ne fauroit
donner atteinte.
Sur quoi peut être fondée la reftritftion aux
feuls biens d’écboite ? ce ne font , dit-on , que
dés fruits du domaine.. Cela eft vrai , ’ quant aux
meubles ôc effets mobiliers ; mais cela ne l’eft pas
à l’égard des fonds ôc immeubles , fuivant la règle
, que ce qui produit des fruits ne peut pas être
réputé fruits. Denîfart a cru trancher la queftion ,
en alléguant que les bieris d’échoite ne font point
partie du domaine royal ; c’eft une erreur évidente.
Les biens d’échoite , de même que tous
autres biens qui appartiennent au r o i , fe réunif*
fent au domaine , par la poffeffion de dix années ,
pcllo que rédit de i f66 l’exige. Et s’il y ayoiî I
'des biens , dont la réunion dût fe faire de plein
droit , fans le concours de la volonté du monarque
, ce feroient les biens échus par droits d’aubaine
, de confîfcation , ôcc. puifque ces droits
eux-mêmes font une partie précieufe dü domaine
de la couronne ; au lieu qu’une terre acquife par
le r o i , pourroit l’être également par un de fes
fujers, ôc n’a point de rapport néceffaire au do»
maine.
Quand la loi s’énonce avec précifion Ôc clarté p
elle ne laiffe aucun prétexte aux interprétations ,
aux diftinétions , aux exceptions. Si la puiflance
Iégiflatrice avoit jugé que l’édit de iy66 ne fe
fût pas expliqué aflez nettement , n’y auroit-elle
pas pourvu par le feul moyen qui pût y fuppléer ?
c’eft - à - dire , par une loi interprétative , plus
étendue ôc plus formelle. 4
M. Colbert, en entrant dans le mîniftere >trouva
les domaines difperfés, à caufe des differentes alié—
. nations qui en avoient été faites' ; même depuis
le commencement du régné de Louis X IV , il
s’occupa eflentiellement du foin de les réunir.
L ’édit des réunions eft du mois d’avril 1667. On
lit dans le préambule, que l’intention du ro i, en
entrant dans le patrimoine facré de fa couronne,
étoit de trouver, par ce moyen, dé quoi foula-
ger confidérablement fes peuples. Il y eft ajouté
que, pour prévenir ôc réfoudre toutes difficultés ,
il étoit néceffaire d’établir les differentes qualités
du domaine, de régler les conditions de rembour-
fement ÔC la forme de la réunion , fuivant les
maximes preferites par les ordonnances. '
S’il eût été néceffaire d’éclaircir les anciennes
ordonnances , par de nouvelles difpofitions fur les
differentes qualités du domaine , peut-on douter
qu’ elles n’ euflent été placées dans un règlement général
, où le roi fe propofoit pour but , de prévenir
ou réfoudre toutes difficultés .? Cependant
l’édit d’avril 1 667 , contient précifément ôc littéralement
en l ’article II , les mêmes chofes que
celui de février 1 j6 6 , en l’article premier. II
n’y a de plus , que l’énumération des a été s par
Jefquels la preuve de la qualité des domaines peut
être faite.
En toute autre matière que celle-ci , aucun hif-
torien ni jurifconfulte ne fe permettrait de mé-
connoître des limites tracées de la main même du
fouveraîn , ni d’excepter de la loi ce qui s’y trouve
compris, par les expreflions les plus générales ÔC
les moins fufceptibles de reftrîélion ; mais dans le
préjugé où font ceux qui tiennent pour principe ,
que l’inaliénabilité du domaine de îa couronne eft
auffi ancienne que la monarchie même , ôc que les
réunions au domaine ont Heu de plein d ro it , Ôc
fans la volonté du monarque , ils ont envîfagé les
plus anciennes ordonnances de nos rois de la
troifîeme race, non comme confirmatives d’un éra-
bliflement politique tout nouveau, infenlîblement
amené par la néceffité des circonftances ; mais
comme de Amples règlement, donnés fur l’exécution
d’une loi fondamentale de l’E ta t , ôc née avec
l’Etat, par une fuite naturelle du droit des gens.
C ’eft en partant de cette erreur de fait Ôc de droit,
que , ramenant tout à cette prétendue loi fondamentale
, facrée Ôc inviolable, ils ont cru pouvoir
apporter des exceptions ôc des reftriélions aux.ordonnances
du royaume. C ’eft ainfi qu’au lieu de
fe fonder fur le texte des ordonnances , ils en ont
expliqué le fens ôc les-difpofitions , d’après des
maximes qui n’ont'pour bafe , qu’ iine Opinion enfantée
par un zèle mal entendu ôc trop légèrement
adopté.
Lès faufles conféquences que le préjugé a entraînées,
doivent tomber avec le préjugé même ;
dès qu’il eft prouvé que fous la trpifieme fa c e , de
même que fous les deux premières , le domaine
a été aliénable à perpétuité , ôc librement aliéné
par nos rois , jufqu’au régné de Philippe-Ie-Bel;
dès qu’il eft prouvé que la première loi folem-
nelle , qui ait déclaré le domaine de la couronne
inaliénable , a été accordée aux inftances des
Etats généraux, a Semblés en 1402 , fous le régné
de Charles V I ; dès qu’il eft prouvé , de l’aveu
des auteurs mêmes lés plus rigides, qui ont écrit
fur les droits domaniaux, que les aliénations‘par
inféodations ont été autorifées par le droit commun
de la France , jufqu’à l’édit dé février i$66.
Enfin , dès qu’il eft prouvé que c’eft par rai-
fon d’Erat , par juftice pour les peuples , pour
leur foulagement , pour diminuer la charge des
impôts fur leurs remontrances , que nos rois fe
font mis dans l ’heureufe impuiffance d’aliéner leur
domaine , il eft inévitable d’avouer que les loix
domaniales , depuis leur introdùclion , ont eu plus
ou moins d’étendue, qu’elles ont été plus ou. moins
féver'es , fuivant que la législation y a été déterminée
par les circonftances , ôc conféquemment,
que l’inalié.nabiliré du domaine n’eft rien moins
qu’une loi fondamentale de la monarchie , née
avec la monarchie même.
Il n’eft pas poffible que les partifans de ce fyf-
tê me fe foient diffimulé combien i l étoit incompatible.
avec les inféodations des terres dépen-
dan tes du domaine : auffi , n’ont-ils rien oublié
pour affoiblir les conféquences qui en réfuïtent
contre eux ; mais ils renverfent d’une main ce
qu’ils édifient de l’autre , ôc leurs efforts ne fervent
qu’à déceler leur embarras.
En effet , ils prétendent que les inféodations
n’étoient pas une diftra&ion réelle du patrimoine
de la couronne, ôc én même temss, ils reconnoif-
feRt qu’il a fallu les interdire pour l ’avenir. Sur
quoi on eft d abord en droit de leur objeéîer que
la prohibition des inféodations n’eft donc pas une
fuite de la prétendue loi fondamentale. Ôc abfolue
de l’inaliénabilité du domaine que cette prohibition
a été fondée fur d’autres motifs.
Pour prouver que les inféodations n’étoient pas
une diftraétion réelle d’un patrimoine facré ôc
eflentiellement inaliénable , ils difent que le dor
maine diredl demeuroit dans la main du roi , ÔC
que les droits dus aux mutations, tenoient lieu de
la faculté de rachat perpétuel ; mais c’eft brouiller
toutes les idées , Ôc confondre la directe avec la
mouvance'; c’ eft transformer en domaine direél la
fouveraineté ÔC la füzeraineté.
En .ce fens, le roi a incontefta-blement le domaine
direct de tous les fiefs, de fon royaume. En quoi
les terres nouvellement inféodées differ oient-elles
dés fiefs plus anciennement érigé s , de ces fiefs qui
s’étoient formés, Ôc qui étoient. devenus héréditaires
fur la fin de la fécondé race ? Les poffèf-
feurs dqs uns Ôc des,, autres n’en étoient - ils pas
égaleiflenti.p.rppriétaires inçommutables ? Comment
la faculté' dé rachat perpétuel feroit-elle remplacée
par les droits dus aux mutations ? Des profits
de fiefs , dus feulement en certains cas qui arrivent
rarement , peuvent-ils équivaloir à des revenus'annuels
, ôc au droit imprefcriptible de rentrer
à volonté dans la ,poffeffion du fief même, en
rem'oourfant le prix, de l’engagement ? N ’e f t - c e
pas en confidération du domaine utile , de la jouif-
ïance aéluelle , de la perception ..effective des revenus
du <£orriaine de la couronne,, qu’il a été déclaré
inaliénable ? "Abandonner le domaine utile ,
c’ eft rendre la loi illufoire ; c’eft en perdre tout
le ’ffuit. .
Les inféodations ,des terres dépendantes du
mai.ie étoient de véritables; aliénations , ôc l ’on ne
peyt.,; fans fermer volontairement les yeux à l ’é v idence,
foutenir qu’elles n’étoient pas réputées une
diftraéüon réelle du patrimoine royal ? Il eft clair *
au contraire , que c’éft parce qu’elles formoient
une diftradion très-réelle de ce patrimoine, qu’elles
ont été interdites pour l’avenir, par l ’ordonnance
de 1 $66 , qui érablit la confïftançe du domaine ,
ôc qui en défend l’aliénation à titre perpétuel.
En ce tenis, difent les auteurs domaniaux , l ’objet
principal des inféodations fe trouvoit détruit
par la füppreffion Ou diminution des ferviees de
fiefs, devenus inutiles par les changemens arrivés
dans l’adrainiftration des armes ôc de la juftice.
Rien de plus vrai que, ce m o tif, ôc rien de plus
jufte ; on n’a garde de le contredire.
Lorfque le gouvernement, de féodal qu’il étoit ,
s’eft trouvé infenfiblement converti en gouvernement
politique , lorfque les armées de nos rois
ont été compofces de troupes nationales ôc étrangères
, foudoyées au moyen de tributs perpétuels
impofés fur les peuples ; ces changemens dans l’ad-
miniftration de la juftice ÔC des armes , ont du
néceffairement en produire d’auffi grands dans les
principes du gouvernement.
Les inféodations qui , pendant le cours de plu-
fieurs fîècles, avoient eu un objet d’utilité , étant
devenues inutiles Ôc même nuifibles, il falloit en
régler l ’ufage ôc le reftreindre ; car les inféoda?