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L a certitude d’unê propriété incommutable ,
imprimeroit à ces héritages une valeur qui excé-
deroit de beaucoup le prix pour lequel ils qnt
été originairement vendus ; le produit de cette
finance feroit employé jufqu’à due concurrence à
rembourfer les engagiftes , 8c l ’excédent feroit
porté au tréfor-royal , pour fervir aux hefoins
qui auroicnt été l ’occafion de cette nouvelle aliénation.
A l’égard de ceux qui poffedent à titre de ré compense,
il a été fait dans le teins des évaluations
des domaines qui leur ont été abandonnes,
ou il n’en a point été fait; s’il en a été fa it , il
feroit jufte de leur payer en argent^ le prix de
cette évaluation ; s’il n’en a point ete fa it , on
pourroit autorifcr également leur jouiffance , la
rendre incommutable 8c fans retour, ou fixer un
capital qui en feroit l’échange. Si les Convenances
exigeoient que ces héritages paffaffent en d’autres
mains ; par ce moyen l ’équité feroit reli-
gieufement obfervée à l’égard des premiers, 8c
les féconds auroient de nouvelles grâces à rendre.
Cette propofition paroîtra fans doute très-
extraordinaire à beaucoup de perfonnes : Comment,
, dira-t-on , aliéner irrévocablement une
poffefifion facrée ; le domaine de la couronne dé- •
claré inaliénable par tant d’ordonnances, aller,
contre une. loi fondamentale de l’Etat? Loin, que
qui que ce foit ait jamais eu une pareille id é e ,
loin que l’on ait jamais penfé à donner atteinte
à une maxime auffi rëfpeétable, l’on s’ eft efforcé
de dégager ce même domaine, 8c de le ramener à
fa fource. Cette libération a paru fi importante ,
fi intéreflante , que le tréfor-royal n’étant pas en
état de faire une pareille acquifition , on a été
à la veille d’y fuppléer par une impofîtion générale
fur les peuples, ou par un rembourfement
en contrats de rentes perpétuelles fur la ville.
On fait que le préjugé d’in aliénabilité eft fort
invétéré , que , faute de fonds dans le tréfor ro y a l,
on a propofé de retirer les engagemens par impo-
fition ou par conftitution ; mais on doit remarquer
en même tems que cette loi , qui interdit les
aliénations , eft fort éloignée des avantages que
l’on lui attribue ; que le rembourfement par impôt
feroit une injuftice criante à Pégard des peuples
, & que celui par conftitudon feroit ruineux
pour l ’état , 8c même diamétralement oppofé au
fyftême de l’aliénabilité : c’ eft ce que l’on va tâcher
de prouver.
Si on impofe en une feule fois là- fournie totale
du rembourfement, elle formera un objet fi con-
fidérable, qu’il fera au-deffus des forces du peuple
, déjà extrêmement chargé ; fi c’ eft dans des
termes proportionnés à la poffibilifé des moyens
du peuple , ce -fera faire languir les acquéreurs,;
& les priver d’ un argent qu’eux ou leurs auteurs
ont payé comptant ; ce fera les mettre dans l’im-
pofiïbilité de foutenir leur état , d'entretenir -8c *
élever leurs familles ; ce fera les forcer à demeu*
rer oififs 8c inutiles à la république, faute de moyens
pour employer leurs talens 8c leur induftrie ; ce
fera les priver de la reflource des remplacemens,
parce que des fonds , fur lefquels la confiance aura
peine à s’établir , 8c qui rentreront lentement, ne
pourront jamais être employés avec avantage; l’ac«
quéreur ne voudra pas être garant des faits du
prince ; le vendeur ne voudra pas en courir les
rifques ; tout demeurera dans une inaélion ruineufe :
8c dans l’autre cas d’impofition totale , ou partielle
, il fera extrêmement injufte d’obliger des
gens à payer ce qu’ils ne doivent pas , pendant
qu’ils peuvent à peine fuffire à payer ce qu’ ils
doivent.
Si pour rembourfement on conftitue des rentes
fur la ville , le roi eft trop jufte pour les me'ttre
à un denier plus bas que cinq pour cent. Or il
eft très-certain que fe domaine que fa majefté re-
tireroit, ne lui procureroit pas de quoi l’indem-
nifer de cette charge , parce que les réparations ,
les autres frais , 8c les vices de la régie, qui no
peut jamais atteindre à la précifion de celle des
particuliers , abforberoient une grande partie des
produits ; en forte que la dépenfe annuelle excé-
deroit de beaucoup la recette.
Et quand la balance feroit en équilibre, ce qu’il
n’eft pas permis d’ efpérer , quel avantage en ré-
fulteroit-il ? aucun du côté du revenu, puifqu’i l
feroit égal ; au lieu qu’il y auroit du côté des
fujets une perte véritable - 8c intéreflante : un
grand nombre d’entr’eux, paffant de l’état de cultivateur
à celui de rentier , cefferoient de travailler
pour l’utilité commune , étant reconnu que
le rentier n’ eft dans la fociété qu’un membre 017
f i f , qui mange le pain qu’i l ne gagne pas.
Mais, dira-t-on, il importe à l’Etat de retirer
le domaine , 8c de faire ceflcr les aliénations : à
la bonne heure , fi vous pouvez trouver des moyens
équitables 8c faciles ; mais celui que vous propo-
fez n’a pas ce mérite, 8c de plus il eft inconfé-
quent.
JEn effet , vous voulez racheter une aliénation
par une autre aliénation ; car des rentes confti-
tuées fur les tailles , fur les aides 8c gabelles , fur
les poftes , font une aliénation auffi véritable 8c auffi
réelle que celle du domaine , puifque toutes ces parties
font actuellement le vrai domaine du roi ; oc
aliénation pour aliénation , ne vaut-il pas mieux
laifler fubfifter les anciennes , que d’y en fubftituer
d’autres plus onéreufes au prince 8c à fes fujets?
Les règles qui s’ obfervoient dans l’empire Romain
, dont le riche 8c vafte domaine méritoit
toute la confîdération du gouvernement , étoient
bien différentes des nôtres ; les voici , avec les
motifs qui les avoient déterminées , telles qu’on les
l i t , avec le parallèle des maximes Françoifes fur
cette matière, dans un livre intitulé, Traite des
finances des Romains , imprimé en 174° » chez
Briaffon 7
Briaffon, à.Paris, fans nom d’auteur , 8c compofé
par ordre de feu M. de C o lb e r t, à ce que l ’anonyme
dit dans fa préface.
ce Les Romains croyoient qu’ils pourroient y
» avoir un commerce effectif entre la république
» 8c les citoyens , entre le public 8c le particulier;
33 auflî-bien pour les fonds que pour les fruits ,
33- pour les immeubles que pour le mobilier.
33 Ils avoient éprouvé que , dans certaines con-
3? jon&ures , l’Etat n’avoit pas moins befoin de
33 vendre , que d’intérêt d’acheter.
33 Dans les acquittions de particulier à par-
3» ticulier , le retrait perpétuel étoit quelque-
33 fois ftipulé ; mais jamais dans celles entre le
» fifc 8c les par ticulier s.
R A I S O N S D E S F R A N Ç O I S C O N T R E
L ' A L I É N A T I O N .
Il faut toujours avoir un -fonds fixe 8c affuré
dans un Etat ; c’ eft de-là que dépend fa fureté 8c fon repos.
L e retrait ne fait aucun tort aux particuliers ;
cette loi eft publique : on acheté à cette condition.
L e retrait eft fort avantageux au roi , étant
une reflource affurée contre la néceffité de l ’aliénation.
Les particuliers infèrent fouvent cette condition
du retrait dans leurs contrats de vente , 8c
au Parlement de Touloufe , on juge qu’elle eft
imprefcriptible ; quoiqu’ en pays coutumier elle
fe preferive par trente années. -
Les terres du domaine confiftent ordinairement
en duchés 8c autres apanages , diftingués par des
titrés éclâtans , inconnus à l’empire Romain.
33 Ifs penfoient que .c’étdit! aller contre la na-
33 ture des chofes , que de vouloir perpétuer la
33 propriété de certains fonds à un même maître,
- 33 Ils tenoienc que l’on pou voit vendre les chd-
33 fes confacrées aux dieux , à plus forte raifon ,
33 celles qui appartenoient au public.
i» -- Enfin, ils étoient convaincus que la faculté
33 ou retrait diminueroit le prix des. acqui {irions. si
Telles étoient les raifons des Romains , que
l ’auteur appuie de l’autorité des- écrivains qui en
ont parlé, 8c particuliérement de Tite-Liv e , T a cite,
Horace ,V irg ile , Appien, 8c des loix Romaines.
V o ic i , fuivant' ce même écrivain , les
maximes des François contré l ’aliénation ; "en
marge defquelles nous mettrons^ nos réflexions, j
R É F L E X I O N S S U R CES R A I S O N S ,,
P ar M. DUPI Isf .
Je. ne dis pas le contraire ; mais celui donc
il s’agit eft - il de cette efpèce ? n’eft-il pas pref.
que anéanti per les aliénations ? Dans l ’état où
nous nous trouvons à préfent, ce fonds certain
eft-il ailleurs que dans la bourfe des fujers , 8c
dans la confiance que le gouvernement leur ini-
pirera ? O r , plus iis auront d’aifance , 8c plus ce
fonds aura d’étendue 8c de fûreté.
Sans doute , le retrait éventuel ne fait aucun
tort aux particuliers qui acherent ; mais il en
fait un confidérable à ceux qui vendent j 8c à
l’Etat. Il avilit l’héritage il empêche, le .commerce
, les améliorations , les embeiliffemens , 8c
par conféquent la circulation des efpèces , le travail
des ouvriers, 8c les bénéfices de l’induftrie.
Le retrait n’ eft point avantageux au roi ; avec
de l’argent , il peut acheter des terres , fans qu’il
foit néceffaire de retirer celles qu’il aura vendues*;
ce parti même eft préférable à l ’autre, en ce que
ce commerce de vente 8c d’achat , avec certitude
de propriété incommutable ^ maintient les
héritages dans leur jufte valeur.
Les contrats où cette condition eft ftipulée ,
font rares -, 8c il eft notoire que les héritages qui
en font chargés, perdent infiniment de leur valeur,
par les raifons ci-defliis alléguées ; ainfi cette obi
jedion eft plutôt favorable que contraire au projet
d’aliénation.
Le roi pourroit réferver celles qu’ il jügeroit
à propos pour des apanages , ou autres emplois.
Au furplus, nul inconvénient que des particuliers
poffedent des terres qui ont eu titre de duché :
R o fn y , Saint-Fargeau, 8c tant d’autres en font
la preuve : 8c quand les Romains auroient connu
ces titres , il eft certain que ces vains noms n’au-
roient pas été capables d’en impofer à leur fage
politique.
Finances. Tornç I, D d d d