
rempruntera de la ville de Brême ; ôt foit qu’elle
prête de l’argent qui repréfente des fubfiftances ,
ou des fubfiftances qui repréfentent un travail ;
les fubfides n’ayant pas changé de nature les ma-
giftrats de Hambourg raifonneront ainlî : « Si nous
»0 pouvons faire la paix après la campagne , nous
» conferverons encore trois ans /’état de gêne où nous
» nous fommes mis cette année-ci. Nous continuerons
» encore deux ans d*épargner le Jtxïeme du travail
» public , ou la folde de deux mille hommes, pour
» nous acquitter envers nos voifins ; cette, charge fera
» plus longue , mais moins pefante ; elle fera portée
» fans murmure, nous aurons fauvé l’état, le gouver-
» nement & nous-mêmes , ce qui eft encore plus inté-
» rejfant. »
On ne parle pas de l’avantage qu’on fait au prêteur
, avantage qui augmente ou prolonge encore
un peu l’embarras du débiteur, mais qui eft compenfé
par ceux que ce dernier a été à portée d’obtenir à la
guerre. Mais fi les riches particuliers de Hambourg,
voyant que leur fortune a été épargnée, Ôc que
l’état accorde un avantage confidérable à ceux
dont il emprunte le fecours , fe décident , par intérêt
, à ce qu’ils auroient pu faire par efprit de
patriotifme ; s’ils économifent fur leurs jouiffances
actuelles , c’ cft-à d ire , fur le travail qu’ils fou-
doient, pour prêter eux-mêmes ce travail au gouvernement
; fi les fommes qui le repréfentent font
égales à la moitié de celles qu’on a fuppofées avoir
été fournies par la ville de Brême, Hambourg n’ eft
plus redevable à l’étranger que du travail de dix
mille hommes. Enfin , fi les citoyens de cette dernière
ville ont fourni les quatre cinquièmes de la
fomme empruntée, l ’Etat ne refte plus débiteur
que du travail-de quatre mille hommes.
Quant à l’intérêt ôc aux rembourfemens qu’il
doit à fes propres fujets , on voit bien que cette
charge n’ eft qu’idéale , car- il faut bien qu’il s’en
procure la valeur d’une façon ou de l ’autre. Or il
fe trouve qu’il la reprend à-peu-près fur ceux-
jnêmes qui la reçoivent; on dit à-peu-près, parce
que tous les gens aifés n’ ont-pas prêté des fonds;
mais cette petite inégalité eft bien moins importante
pour le public, que le bonheur du peuple,
lequel ne perdra rien toutes les fois qu’on n’augmentera
pas fon tra v a il, ôc qu’on ne diminuera
point fes fubfiftances.
Que fe roit-ce , fi les plus riches Hambourgeois
nvoient dans leurs coffres une certaine quantité
d’argent comptant, c’eft-à-dire de créances fur le
travail des étrangers ? Alors ces citoyens, en portant
leur argent au gouvernement, lui donneroient
les moyens de foutenir la guerre, fans rien prendre
fur le travail du peuple , fans qu’on employât cette
fomme à louer des foldats, foit qu’on s’ en fervît
pour acheter des armes, des fubfiftances, ôcc.
Il eft vrai que l’Etat auroit toujours fait des
dépenfes, mais il auroit fait un bon marché ; & fi
toutes les fois que la république fe feroit cotifée
pour payer une indemnité aux riches, e’eft-à-dire,
l ’intérêt de leur argent, ceux-ci, en le recevant
par petites fommes ôc fucccflïvcment, devenoient
plus enclins à le dépenfer ; l’Etat auroit fait la
guerre , fans que dans le fait il lui en eut rien
coûté. Il eft vrai qu’il auroit auflï une reffource
de moins ; mais que ne peut pas reproduire une
longue p a ix , un commerce floriffant ôc une bonne
adminiftration i
L ’auteur combat enfuite l’opinion de M. Hume,
qui s’ eft élevé avec force contre l’abus qu’entrai-
nent néceffairement les dettes nationales , ÔC qui
confeille de former un tréfor public , plutôt que
de faire des emprunts. Il prétend, avec raifon,
qu’il n’eft point de fommes dont un Etat puiffe
difpofer , qui n’en augmentât les richeffes St la
propriété , fi elles étoient dépenfées utilement;
qu’un canal, un port de mer, un grand chemin ,
un défrichement, qui auront coûté dix millions ,
valent cent fois mieux que dix millions dans un
coffre.
L ’expérience apprend que les tréfors amaffés
par une adminiftration économe, font diflïpéspar
une adminiftration prodigue. Charles V avoit un
tréfor confidérable ; il devint la proie du duc
d’Anjou. Le tréfor de Henri IV , qui confiftoit
en plus de cinquante millions du tems prefent,
devint la proie des faélieux ôc des partifans Italiens.
Or , fi les tréfors ne font pas avantageux pour
les nations , il faut donc qu’il arrive de deux
chofes l’une , ou qu’elles faffent la guerre fur l ’augmentation
de leurs impofitions , ou que ces importions
devenant trop onér.eufes , elles foient obligées
d’emprunter. Mais , dans le premier c a s , la
guerre n’ eft pas fort ruineufe, ôc dans le fécond ,
ce font les befoins réels ôc l’importance de la
guerre- elle-même, qu’il faut confülter.
Il réfulte de ces réflexions , que les guerres qui
fe font avec des dépenfes modérées , font beaucoup
moins fâcheufes pour les peuples , que celles
dont les frais excédent leurs moyens ; ce qui fe
réduit .encore à d ire, que la guerre eft plus ruineufe
quand on eft battu , ou qu’ on fait une partie
inégale, chofes qui n’ont rien de commun avec la
queftion de la dette publique ÔC des emprunts.
Après avoir développé la nature de la dette
nationale , ôc fon influence fur la .félicité des peuples
, il eft tems d’avertir que les chofes ont été
placées dans le jour le plus favorable. Nous
croyons avoir prouvé que les inconvéniens de
l’emprunt font les mêmes que ceinêde la dépenfe;'
mais nous ne devons pas diffimuler que la néceffité
de fuivre la chaîne de ces idées, a fait omettre
quelques particularités afTez importantes.
Par exemple, nous avons fuppofé que le gouvernement
devant rendre annuellement à quelques
particuliers ,,.ce qu’il. a levé pour payer les arrérages
de la dette, la fomme des revenus n’avoit
«as changé , & que par la même raifon, la fomme
des dépenfes-, ainfi que celle du trav a il, étoient
toujours reliées les memes.
Nous devons confidérer que ce déplacement de
revenus & de dépenfes, eft fujet à plufieurs incon-
Vériiens.
i° . Il fuppofe des recouvremens ÔC des paie-
mens qui demandent toujours quelques frais , foit
qu’il s’agiffe de lever des contributions , foit qu il
faille remplir des caiffes , les garder ou les ouvrir.
Or tous ccs frais font une dépenfe qui repréfente
un travail, ôc un travail ftérile , puifqu’il ne produit
ni fubfiftance , ni jouiffance.
x°. En admettant même que ces dépenfes , étant
împoféc* fur un revenu territorial, ôc en particulier
fur le revenu net des propriétaires , n’exigent
que peu de frais de perception , ÔC ne portent
aucun dommage* à l’agriculture ôc au commerce,
il reliera toujours un grand inconvénient ; c’eft
la féparâtion du revenu ôc de la propriété foncière.
Je fuppofe que les contrats, les fonds publics
foient partagés également entre tous-les , propriétaires,
en forte que quiconque paieroit annuellement
mille livres de plus pour l’arrérage de la
dette , fëroit poffeffeur d’un contrat portant mille
livres de rente , il en réfulteroit toujours un mal,
parce que toute diminution fur le produit d’une
propriété , tend à diminuer à fon tour l’affêélion
du propriétaire , ôc à éloigner les entreprifes dif-
pendieufes , mais utiles, comme les conftruélions,
les défrichemens, ôcc.-
D ’un autre côté, il arrive qu’ on s’attache naturellement
à la fource de fes revenus, qu’on abandonne
les campagnes pour la capitale , ôc qu’on
fe livre plus volontiers à une vie oifeufe ôc inutile.
L ’inégalité dans les effets publics redouble tous
Ccs inconvéniens ; c a r , tandis qu’un propriétaire
de vingt mille livres de rente en fonds de te r re ,
poffede encore jufqu’ à cinquante mille livres de
revenus en contrats , tel qui n’a que dix mille
livres de rente , également en biéns-fonds , paie le
cinquième de fon revenu , ôc ne poffede point de
papier.
On ne dira pas que la facilité de placer fon
capital dans les fonds publics , détourne l’argent
du commerce , ôc l’éloigne de tous les emplois
utiles ; car ceux qui ont tant répété ce lieu commun
, n’ont pas fait attention que lorfqu’un homme
acheté un contrat, celui qui le vend ne veut peut-
être recouvrer fon capital, que pour le placer en
fonds, ou dans quelque entreprile avantageufe,
Si l’Etat ouvre un nouvel emprunt, le cas fera
différent ; mais alors cet inconvénient eft une fuite
de la dépenfe aéluelle du gouvernement , ôc non
pas une conféquencc de la dette anciennement contractée.
Ce qu’on peut affurer , c’ eft que le peuple
, ou plutôt les propriétaires, q u i, dans les
foeiétés modernes , doivent feuls repréfenter la
nation , ne peuvent manquer de s’affoiblir confi-
dérablement, toutes les fois qu’ ils troqueront des
propriétés foncières contre des pofleifions incer«»
taines , toujours dans la main du gouvernement ;
foit que ce gouvernement porte le nom de monarchie
ou d’ariftocratie , ils doivent tomber tôt
ou tard dans la dépendance.
Ce qu’on dira encore, c’eft que fi malheureu-
fement les effets publics font tellement multipliés ,
que connoître leur valeur , fuivre leurs change-
mens , gouverner foi-même ccs variations, foit
.devenu un art obfcur ôc difficile, il s’établira une
efpèce de commerce ftérile , appellé agiotage ,
commerce qui ne réuflît jamais qu’aux dépens des
propriétaires , toujours dupes des gens à argent ;
mais on obfervera auflï que tous ces nouveaux inconvéniens
doivent être plutôt imputés aux faute»
du gouvernement, qu’à la dette en elle-même ; §C
omrépétera encore que fi on veut remonter à leur
fource , on les attribuera moins à l’ignorance qu’à
la foibleffe des miniftres ; de façon qu’en derniere
analyfe, on trouvera , au lieu des vices inhérens
aux emprunts, ceux qui naiffent des guerres entreprifes
contre le voeu des peuples, ou qui font
la fuite néceffaire de toute' prévarication dans
l’exercice de l’autorité publique.
Si la dette eft effentiellement un mal , comme
dette, ôc non pas feulement comme repréfentant
une dépenfe , le premier foin de tout gouvernement
doit être de la rembourfer le plus tôt qu’il
pourra. Mais cette opération eft-elle toujours la
plus avantageufe ? c’ eft ce dont il faut s’affurer.
Pour y parvenir , imaginons un Etat qui ait emprunté
précédemment une fomme égale au travail
de cent mille hommes, pour l’arrérage de laquelle
il rend annuellement celui de cinq mille hommes.
Suppofons encore qu’une fage économie, foit dans
l’entretien des troupes, foit dans les dépenfes de
la cour „ lui permette d’ épargner annuellement une
fomme repréfentant le travail de dix mille individus
, quel ufage fera-t-il de cette épargne ? s’ en
fervira-t-il pour diminuer le fardeau général du
peuple , en remettant annuellement fur les impofitions
une fomme correfpondante à cette épargne ;
ou bien Femploiera-t-il au rembourfement pro-
greflîf de la dette publique ?
D ’un autre côté , la dette3 en diminuant peu-à-
peu, finira par s’éteindre entièrement, ôc le peuple
fe trouvera à-la-fois libéré de toute la contribution
qui fourniffoit aux arrérages de cette dette.
De l’autre, il peut fe faire que les taxes étant
exceffïves ou mal réparties , la nation ait un be-
foin plus preffant d’un prompt foulagement ; il
peut fe faire encore que les frais de certaines impofitions
étant trop confîdérables , l’anéanti ITement
de ces impofitions foit l’opération la plus néceffaire.
Ainfi cette queftion fe réduit à ces deux points.
Le peuple a-t-il befoin d\n allégement immédiat ?
En coute-t-il plus au gouvernement pour recevoir
que pour payer ?