
Ces vérités ont été fi fouvent & fi éloquemment
démontrées, qu’elles font parfaitement connues de
tout le monde. Il ne faut donc les confidérer que
dans le rapport qu’elles ont avec la matière que
l’on traite, 8c fur-tout avec la première queftion.
Quelle eft l’influence du commerce fur la force,
fur la gloire 8c fur la profpérité d’une nation?
L ’état le plus puiflant, le plus riche 8c le plus
floriflant, eft celui qui, pendant la paix , dépend
le moins des productions du fol 8c de l’indulirie
de fes voifîns, 8c qui les rend tributaires de fon
commerce ; c’eft celui qui , dans les cas de guerre,
peut rendre fes forces redoutables, 8c ne pas craindre
celles de l’étranger.
Quoique tous ceux qui ont écrit de I’adminif-
tration civile 8c politique , donnent pour premier
principe de la force. 8c de la gloire d’un état ,
le plus grand nombre d’hommes , il eft certain
néanmoins que ce principe même dérive de l’agriculture
8c du commerce ; c’eft ce que l’on n’aura
pas de peine à démontrer.
Les hommes font attirés dans un état par l’ef-
poir d’y vivre plus fûrement, plus abondamment
8c plus agréablement.
Ils font donc engagés naturellement à s’établir
dans les lieux où fe réunifient tous ces avantages.
Ces avantages ne peuvent leur être procurés
que par la plus grande quantité d’argent.
Il n’eft que deux moyens d’avoir beaucoup de cette
marchandife, qui repréfente 8c paie toutes les autres.
L ’exploitation des mines pour les nations qui
les pofsèdent, 8c pour les peuples qui n’en pofsè-
dent pas , une agriculture animée, un commerce
aétif, éclairé, 8c bien établi.
Le commerce eft donc évidemment le produit de
l ’agriculture, 8c la fouree de tous les avantages
dont un état puifle s’applaudir 8c fe glorifier ;
l ’appui le plus confiant de fon crédit , la bafe de
fa grandeur , le fondement de fa puiflance, le
foutien de fes forces , la feule chofc , en un mot,
qui rende les nations floriflantes, d’une maniéré
également glorieufe ,8c durable.
Il n’eft pas furprenant, après cela, que le commerce
foit l’objet principal de l’attention de tous
les peuples. E ft - il, en effet, de contrées reculées
où l’on ne pénètre , de climats intempérés que
l ’on n’affronte , pour y porter ce qu’il lui faut,
8c pour y prendre ce dont on a befoin ? n’y ya-
t-on pas même pour y chercher ce qui manque
à d’autres peuples qui n’ont ni le courage, ni
la force , ni l’induftrie d’aller s’en pourvoir dans
les lieux mêmes qui les produifent ?
Quand on dit que le commerce eft la gloire 8c
le foutien d’une nation , c’cft autant qu’il l’enrichit
& qu’il lui procure le plus d’argent qu’il eft pof*
fible. Mais pour que cet argent enrichifle un
royaume, un état , une nation , il faut que cet
état foit réellement propriétaire de cet argent,
8c qu’il lui appartienne pour toujours.
Or cet argent ne lui appartient pas, s’il le
doit à fes voifins , ou s’il eft obligé de le faire
refibrtir pour fatisfaire à des befoins indifpen-
fables. Il eft, donc évident que fournir plus 8c
tirer moins , eft le feul moyen qui, toute com-
penfation faite, puifle rendre un état propriétaire -
de la folde ou du réfultat du compte qui s’opère
naturellement entre deux nations commerçantes ;
8c c’eft ce que l’on entend , ' lorfque l’on dit que
la balance du commerce penche en faveur de l’une
des deux.
Mais autant qu’on remarque de toutes parts ce
ce defir extrême de fournir à fes voifins le plus
de chofes qu?il eft poflible, autant aufli voit-on
de tous côtés une attention bien j.ufte 8c bien
naturelle à fout ce qui peut mettre une .nation en
état de fe pafler des autres.
C ’eft dans cette vue que l’on cherche par toutes
voies à fe procurer chez fo i, non--feulement les
chofes- de première'néceffité , mais encore celles
de luxe que l’on s’efforce au moins d’imiter d’après
les autres. Tous les peuples, en un mot, ont fur
cet article les mêmes principes 8c la même émulation
; 8c quoiqu’ils ne parviennent pas tous au
même but , ce n’eft pas qu’ils ne foient tous
pénétrés des mêmes vérités ; mais c’eft qu’il eft,
un nombre infini de circonftances qui retardent
-ou dérangent l’effet que devroient produire les
vérités les mieux établies , 8c fouvent le fond de
la chofe même contrarie ce que l’on voudroic
faire de plus avantageux.
Une force fupérieure fera, par exemple, que
les befoins de tel peuple, excéderont fonfuperflu.
Le climat rendra l’induftrie de tel autre moins
grande par le peu de force ou de génie des habi-
tans. Chez un autre , les moyens de faire mieux
ne font point aflez connus, aflez développés : tel
autre aura mal concerté fes mefures : tel autre ,
enfin , a , dans la nature 8c dans la forme de fon
gouvernement , quelques vices qu’il n’a point
encore réformés , faute de les avoir apperçus.
Toutes ces chofes peuvent fans doute éloigner
de ce que l’on pourroit faire de plus avantageux
à la nation ; mais parmi ces obftacles , il en eft
auxquels on peut remédier par des opérations plus
juftes 8c mieux combinées.
Èn vain une nation auroit-elïe en fa faveur la
nature la mieux difpofée , 8c l’art le plus intelligent
, fi le commerce qui fe fait des productions
de l’un 8c de l’autre , n’éfoit pas fécondé par tout
ce que le gouvernement peut faire en fa faveur
pour en éloigner les obftacles, 8c pour en accélérer
les progrès.
La manutention des droits , efl^ un des points
de l’adminiftration qui influe le plus fur cet
objet intéreflant, 8c c’eft ce que l’on va tacher
de faire voir en développant la fécondé queftion.
» Quelle eft l’influence que les droits établis
» fur les marchandises , ont néccflairement fur le
» commerce en général, quelle que foit la nation
» cjhez laquelle cette impofition eft établie ï »
Ces impofitions paroiflent d’abord les plus
juftes 8c les plus douces à fupporter.
Elles font les plus juftes, puifque, du confen-
tement de toutes les nations , il n’eft point de
fouverain qui n’ait le droit inconteftable de ne
rien laifler entrer dans fes états , 8c de n en rien
laifler for tir fans fa permiflion«
Elles font les plus faciles à fupporter , en ce
qu’elles ne portent que fur le confommateur , 8c
que Je confommateur les paie fans s’en apperce-
voir , 8c feulement en proportion' de ce qu il
acheté.
Ces droits font d’ailleurs néceflàires au commerce
, même en ce qu’ils peuvent feuls mettre
les adminiftratcurs en état d’en prendre connoif-
fance , de le guider 8c de le protéger.
Mais ces droits enfin chargent la marchandife,
& par eonféquent ils en augmentent le prix en
proportion.
S’ils portent fur des marchandifes étrangères
dont nous ayions befoin, ils chargent notre con-
fommation.
S’ils font établis fur des chofes que nous four-
niflons à l’étranger, ils les enchérirent, 8c rendent,
par eonféquent , plus dangereufe la concurrence
de celles, qu’on peut leur oppofer. L ’augmentation
du prix diminue le débit de la chofe
enchérie, puifque, toutes qualités égales , le confommateur
fe déclare pour le bon marché, 8c que
fouvent même le moindre prix , le fait pencher
vers la moindre qualité.
Il n’eft donc pas indifferent pour le bien du
commerce d’un état quelconque , que les marchandifes
foient chargées de droits plus ou moins
confidérables.
Quel eft en effet l’objet dix commerce ? De fe
procurer ce dont on a befoin, au moindre prix
que l’on peut , 8c de fe débarrafler de ce que
l’on a de trop, le plus avantageufement qu’il eft
poflible.
Pour y parvenir, il faut que l’on puifle donner
à bas prix lès chofes dont on veut fe débarrafler ,
8c fe procurer à bon marché ce dont on a befoin ;
ce qui ne peut fe faire qu’en diminuant le prix
des unes 8c des autres.
Mais le gouvernement n’eft pas, à tous égards,
le maître d’opérer cette diminution. La rareté ,
par exemple, ou l’abondance d’une marchandife,
en augmente ©u en diminue le prix , fans que ceux
qui gouvernent puiflent l’empêcher. Il en eft de
même des frais de commiflion , qu’il n’eft pas en
leur pouvoir de changer. Ceux de tranfport ne
font pas non plus entièrement de leur reflort,
quoiqu’ils puiflent contribuer à les diminuer, par
la multiplication des canaux, 8c la perfeéfion des
grands chemins.
•Les impofitions fur les marchandifes 8c les
denrees , font les feuls moyens d’en haufler ou
diminuer le p r ix , qui foient véritablement au
pouvoir du gouvernement, puifqu’elles émanent
de fes lumières 8c de fon autorité.
Soulager notre commerce, 8c charger Celui do
l’étranger, voilà les deux principes fondamentaux
de cette partie de l’adminiftration ; mais ces principes
mêmes font interprétés fuivant les differens
cas , les differentes circonftances , 8c les differens
intérêts.
Quand on dit qu’il faut foulager le commerce de
la nation , 8c charger celui de l’étranger , c’eft
qu’on les envifage l’un 8c l’autre dans leur uni-
verfalité, 8c non relativement à telle ou telle
marchandife ; car il eft certain que dans des
cas particuliers, ce font quelquefois celles de la
^nation qui , proportion gardée , doivent être plus
chargées que celles de l’étranger.
Celles des nôtres, par exemple, que nous avons
intérêt de retenir chez nous , doivent fupporter
des droits plus confidérables que celles de l’étranger
dont nous avons befoin pour notre ufage
8c notre confommation. Les marchandifes , au contraire,
de l’étranger, que nous fommes intéreffes à ne
point laifler entrer en concurrence avec les nôtres ,
doivent être chargées de droits qui les excluent,
ou qui du moins rendent leur concours moins
dangereux ; 8c tous ces principes s’interprètent ,
varient 8c fe fubdivifent à l’infini , dans l’application
que l’on en fait aux differens cas , fuivant
la néceflité , l’importance 8c l’utilité des marchandifes
que l’on veut éloigner ou attirer.
S’agit-il de chofes dont une nation a le befoin
ou le goût, fans pouvoir fe les procurer par elle-
même , 8c qu’il faut par eonféquent tirer de l’étranger
; le gouvernement ne manquera pas de
mettre une diftinélion convenable entre les chofes
vraiment néceflaires , 8c celles qui ne font que
de luxe ou d’opinion : 8c dans les chofes mêmes
néceflaires , il aura foin encore de diftinguer celles
que l’on ne peut imiter ni remplacer , telles que
les chofes du crû, 8c voilà ce dont il favorifera
l’introduélion.
Mais loin de faciliter celles des chofes de luxe
8c de fantaifie , il les enchérira par des droits,
non-feulement pour empêcher l’argent du royaume
d’aller par cette voie à l’étranger , mais encore
pour forcer l’induftrie du régnicole à produire
ces mêmes chofes , 8c quelquefois à les furpaffer,
de maniéré à rendre notre propre concurrence
redoutable, en ce genre , à ceux mêmes dont nous
étions auparavant tributaires.
Tout ce que l’on fait, tout ce que l’on ordonne
fur cette matière tire à conféquence , 8c ne fauroit
obtenir trop d’attention. Les droits augmentent
ou diminuent , accélèrent ou retardent, arrêtent
ou facilitent les opérations du commerce, fuivant
qu’ils font établis , avec plus ou moins de con-
noiflance 8c de réflexion. D> un autre côté , le
commerce ne fauroit en fouffrir , ou profiter , fans
que le refte en reflente 8c partage l’effet fayorable
ou défavantageux.