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étoient dans un état bien different. Lapro-
fufion d’un côté, le gafpillage de 1 autre ,
des dépenfes fans mefure, des recettes fans
ordre, une cupidité inexprimable par-tout,
avoient ramené les tems malheureux du
règne de Henri II. Il falloir des impôts .
& des expédiens nouveaux, pour fuffire
aux befoins fans ceffe renailïkns. C eft dans
cette, perplexité que commença l ’année
1770.
Une des premières opérations fut de
fermer la caiffe des amortiffemens, & de
fufpendre les rembourfemens affurés fi fo-
lemnellement. Plufieurs édits burfaux furent
publiés & enregiftrés ; la liberté d’exporter
les grains fut interdite ; des arrêts
du confeil réduifirent les intérêts de quantité
d’effets royaux; les uns d’un cinquième,
les autres de deux, de moitié, fuivant le
taux de leur valeur courante. Les tontines
furent fupprimées & converties en rentes
viagères. Les penfions, les gratifications
grévées d’un , de deux ou trois dixièmes, à
commencer dès 176S , chofe inouie ; & le
paiement des billets des fermes,des refcrip-
tions des receveurs-généraux, & des affi-
gnations fur ies revenus du roi, fut fufpendu
par arrêt du confeil, fans préalable ni dif-
pofition ultérieure. Jamais les propriétés
* n’avoient été fi cruellement attaquées-, &
jamais la circulation n’avoit éprouvé des
entraves auffi défefpérantes. Voye\ ce qui
ç été dit au mot C r éd it p u b l i c .
La crife violente dans laquelle fe trou-
yoiept les finances, fut encore augmentée
par le nouveau fyftême introduit en 1770
dans l’adminiftration de la juftice. On vou-
joit faire au peuple l’infigne bienfait de fup-
primer la vénalité des .charges de magiftra-
rfature, pour en créer de nouvelles, dont
les titulaires dévoient rendre la juftice gratuitement.
Cette fubverfion de 1 ordre étab
li , grévoit, à ce qu’on prétendre fifc
de plus de quatre-vingt millions de capitaux,
& mettoit à fa charge au moins fix
millions d’arrérages , & près de deux millions
d’appointemens ou gages pour les
nouveaux officiers. Auffi ne vit-on jamais
uumilieu delà guerre la plus défaftreuf?,
O U R S P R £ L I M
fortir du génie de la fifcalité, autant d’impôts
& d’édits burfaux , qu’on en vit en
ces tems malheureux , quoiqu’on fût en
paix depuis neuf années. Des emprunts
étoient ouverts ; les rentes de l’hôtel-de-
ville furent foumifes à un dixième ; diffé-
rens pourvus d’offices fuient impofés à des
taxes ; on créa des charges de perruquiers,
de courtiers , &c. On augmenta les droits
des entrées de Paris ; on en mit de nouveaux
fur l’amidon , fur les papiers &
cartons. Enfin, l’édit de novembre 1771 ,
combla la mefure de toutes les impofi-
tions, en ajoutant deux nouveaux fols pour
livre aux fix qui exiftoient déjà, & frappant
de huit fols pour livre, tous les droits
du ro i, & même ceux des particuliers qui
jufques-là n’en avoient fupporté aucuns./
Mais paffons rapidement fur ces années
funeftes, où l ’on ne favoit améliorer les
finances de l’état, épuifées par une horrible
déprédation , qu’à force d’impôts ; où l’on
aimoit mieux facrifier la propriété & l’ai—
fance des particuliers , que de réduir
les folles dépenfes deltinées à engraifler
des vermines attaquées à fucer la fubftance
de l’Etat.
L ’aurore d’un nouveau règne commence
à brillerfiir la France ; le timon des finances
ell remis dans des mains pures & vertueu-
fes. Pourquoi lapaflion du bien public & la
j connoiffanpe des affaires ne fe frguyent-elles
pas toujours réunies à la çonnoiffance des
hommes, à l ’expérience des efforts de l’in-
térêf particulier ? Pourquoi Ja féduftion.
d’une liberté illimitée , d’une perfeétion
impoffible, vint-elle fe mêler à des fpécu-;
lations dirigées vers la félicité publique
mais trop fublimes pour convenir à une
nation chez laquelle le luxe immodéré
étouffe chaque jour le cri du patriotifine?
On nous apprend dans les Mémoires fur
la vit & lts ouvrages dç M. Turgot, qui fue
le premier chargé des finances après la more
de Louis XV', arrivée en mai 1774, qu?
les dépenfes de l ’année 1775 furpafferene
le montant de la recette, de dix-huit millions
fix cents quatré-vingt-fix mille neuf
cents quatre-vingt-douze livres , y com-
* pris
pris à la vérité vingt-trois millions huit
cents trente-trois mille quatre-vingt-onze
livres, pour des rembourfemens indifpen-
fables ; que le montant des anticipations
étoit déjà à foixante-dix-huit millions deux
cents cinquante mille livres ; que^ les pen-
lions étoient arriérées de trois a quatre
années ; qu’il exiftoit de plus, dans chaque
département, une dette exigible arriérée,
très-confidérable : mais on ne dit point
quels étoient les capitaux ; on ne diftingue
point ceux qui pouvoient être exigibles ,
de ceux qui ne l’étoient pas ; en forte qu’il
n’eft pas poffible d’évaluer, avec exactitude,
la maffe de la dette nationale à cette époque.
Des gens inftruits & modères, prétendent
qu’elle n’étoit pas moindre de trois
milliards.
L ’efprit d’ordre & l’amour du bien ,
qu’on voyoit régner dans toutes les operations
du nouveau miniftère, infpirerent la
confiance, & lé crédit fut rétabli. Au mois
d’octobre 1775 , l’intérêt de l’argent étoit
tombé à quatre pour cent. Plufieurs provinces
& le clergé empruntèrent à ce taux ,
pour rembourfer des fonds dont ils payoient
cinq pour cent.
En vingt mois, quatre-vingt-huit millions
furent répandus tant fur la dette exigible
arriérée, que fur la dette conftituee,
& fur les foixante & dix millions d’anticipations;
& malgré les fonds faits pour le
tembourfement annuel de vingt-cinq millions,
les finances fe trouvoient avec un
excédent de trois millions fix cents mille
livres de la recette à la dépenfe (92), &
qui devoit s’accroître d’année en année.
Une nouvelle adminiftration n adopta
pas les mêmes principes d’ordre, d’économie
& .d’exaélitude. Elle fut principalement
marquée par l’établiffement d’un
jeu public d’argent fur quatre-vingt-dix
numéros, jeu qui féduit toujours lès pauvres
, les efprits foibles, & les gens toujours
dévorés par la cupidité ; établiffement connu
I N A 1 R E. hij
fous le nom de Loterie Royale , & dont on
reconnoîtra peut-être un jour que les effets
font auffi funeftes aux moeurs, quenuifibles
aux finances de l’Etat.
Les anticipations qui avoient été réduites
à cinquante-un millions, remon-
terent à cinquante-fix ; on fit quelques emprunts.
; on reçut des fonds des adminif-
trateurs de la loterie royale, & des fermiers
des oârois de Lyon. La fituadon
des finances empiroit, lorfqu’au titre de
contrôleur-général fut fubftitue celui de
direéteur-général des finances. Il fe trou-
voit un déficit de vingt-quatre millions
entre la recette & la dépenfe ; il fut effacé
en peu de tems. Moins de quatre années fuf-
firent pour remonter la recette au-deffus de
la dépenfe de dix millions deux cents mille
livres ;_c’eft ce qu’établit le compte rendu
en 178 t.
En vain a-t-on prétendu que cet excédent
étoit illufoire ; que la recette étoit
forcée de trois millions cent mille livres
fur le nouveau bail des fermes ; de trois
millions fur la régie générale ; de fix millions
fur l’adminiftration générale des domaines
; que la part du roi dans les produits
de ces trois régies , étoit exagérée
à douze cents mille livres, &c. &c. &c.
L ’expérience a juftifié l’exatftitude des
fixations qui avoient été faites. Trois années
expirées ont mis en évidence que les produits
de ces perceptions , bien loin d’être
forcés comme on l’a avancé fi légèrement,
ont, malgré l’augmentation du dixième
mis en 1781, augmenté de plufieurs millions
, de façon à donner un bénéfice annuel
de foixante à foixante-dix mille livres aux
fermiers-généraux ; de quarante-huit a cinquante
quatre mille livres aux regiftèurs
généraux, & de foixante-quatre àfoixante-
douze mille livres aux adminiftrateurs
généraux des domaines ; en forte que cette
derniere partie, fur laquelle on fuppofoit
l ’exagération la plus confidérable , porte
elle feule la part du roi dans les bénéfices,
à environ quinze cents mille livres pour
chacune des trois années expirées ; & l ’on
h
(yx) Mémoires fur la vie & les ouvrages de
VL, Turgot, in-8°, page HJ 84 Ijfi,