
familles. Si l ’on calcule en effet ce qui doit leur
en coûter de peine'à ôc de travaux pour amener
leurs enfans jufqu’à l’âge où; ils peuvent pourvoir
eux-mêmes à leur fubfillance , on trouvera qu’ils
ont fupporté une terrible contribution , lorfqu’ils
font parvenus au point de donner à la fociété
des citoyens utiles , qui la peuplent ôc qui l’en-
richiflènt par leurs travaux. Dans le rapport de
leurs fituations , les plus riches ont bien moins
fourni à l ’é ta t, quelque fortes qu’aient été les
charges qu’ils ont acquittées.
L ’équité étoit dans la république Romaine ; le
contraire eft dans les gouvernemens modernes,
où les charges- font fupportées en raifon inverfe
de la part qu’on y a , du crédit ôc des richefîes
qu’on y poflede.
Mais le privilège d’exemption des tributs qu’a-
voit autrefois la noblefle dans ces gouvernemens,
ne fubfifte plus, parce que la caufe en eit détruite
, ôc qu’il n’y relie aucun prétexte.
Cette exemption, qui même n’en étoit pas
une, n’avoit lieu que parce que les nobles étoient
chargés de tout le fervice de l ’état ; ils le dé-
fendoient, le gouvernoient , ôc adminiilroient la
juftice à leurs frais. Il étoit jufle alors qu’ils
fuflent difpenfés des tributs que fupportoient en
échange ceux qui l ’étoient de toutes ces charges.
I l ne le feroit plus aujourd’hui , que la noblefle
n’efl tenue à aucune de ces obligations ;
qu’au lieu de mener des troupes à la guer re, de
les nourrir, de les entretenir à fes dépens, elle
eft payée fort chèrement pour y aller feule ; que
même les récoinpenfes exceffives qu’elle exige du
gouvernement pour les chofes fouvent les moins
utiles , caufent la fur charge des peuples. C e feroit
non-feulement vouloir jouir de tous les avantages
d’un traité, fans en remplir les conditions ,
fflais encore faire tourner à fon profit toutes les
charges qu’il nous impofoit.
On voit par-là que, dans le dro it, la néceflîté
de contribuer aux charges publiques, comme les
autres citoyens, qui réfulteroit de l’établiffement
de l’impôt territorial, ne blefle en rien les p riv ilèges
de la noblefle.
Elle les blefle encore moins dans le fait. Eft-ce
qu’ elle ne fupporté pas tous les impôts Ôc tous
lès droits aéluels ? L ’exemption des tailles pour
quelques - uns des biens qu’ elle poflede , n’efl:
qu’une fiélion. Si elle n’efl: pas impofée.nommément
pour raifon de ces biens, les fermiers le font
pour e lle , ÔC les afferment d’autant moins. La
feule différence qu’il y ait entr’elle & les autres
contribuables, c ’eft qu’au lieu de payer aux re ceveurs,
elle paie à fes fermiers ; fi elle oppofoit
fes prérogatives à l’impôt territorial qui n’affêéle
que les fonds & affranchit les perfonnes, en fup-
primaut les taxes capitales auxquelles elle s’eft
ïbumife fans difficulté , n’en pourroic-on pas conclure
qu’elle fait plus de cas de fes biens que
d elle-même , 5c qu’elle craint moins les marques
de fervitude pour fa perfonne que pour eux ?
Mais cette oppofîtion feroit auffï contraire à
les véritables intérêts qu’à fa dignité. Si tous les
impôts étoient réunis en un feul fur la terre, elle
auroitj comme les autres, de moins à fupporter
tout ce qui fe leve au-delà pour les frais de leur
perception , ôc pour enrichir ceux qui la font.
Ses fertniers étant moins chargés, affermeroient
fes biens davantage ; fes revenus feroient plus
confidérables, fes dépenfes moins fortes ; ôc ce
qui doit la toucher infiniment plus que perfonne
encore, elle feroit affranchie du joug de la cupidité
, & de toutes les infractions qui fe commettent
à la liberté c iv ile , dans la levée des droits actuels
, dont elle n’efl: pas plus exempte que la multitude
des citoyens.
Si les privilèges de la noblefle ne font point
un obftacle a cet établiflement,- certainement ceux
des gens de main-morte le feront beaucoup moins
encore, ce C ’efl: en vain , dit un -des premiers
» d’entre eux ( S. Cypricn ) , que ceux dont la
» raifon & la juftice proferivent également les
» privilèges, répondent à l’une ôc à l ’autre par
» la pofleffion , comme fi la coutume & I’ufage
» pou voient jamais, avoir plus de force que la
» vérité , ÔC devoit prévaloir fur elle. »
Les prétentions de ce corps n’ont pas même les
avantages de l’ancienne pofleffion. Elles étoient méconnues
avant 17 11 ; en aucuns têms antérieurs
ils n’ont été difpenfés des charges publiques y ils
fupportoient même, autrefois, celles de donner
des citoyens à l ’état.
Si les miniftres de l ’ancien facerdoce , dont ils
réclament la parité , ne contribuoient point à, fes
charges, c’efl: qu’ils ne pofledoient aucun bien
dans la fociété , ôc qu’ils ne vivoient que des
au'mônes qu’ils en reccvoient fous le nom de
dîmes. Ceux du facerdocè moderne voudroient-
ils être réduits à la même condition ?
Ils fupportoient les impôts dans l’empire Romain
, ôc Conftantin même, qui leur avoir tant
d’obligations , ôc qui les combloit, en reconnoif-
fance, de tant de faveurs, ne les en difpenfa pas.
En vain S. Grégoire de Naziance dit à Julien,
prépofé pour régler les tributs de cette ville ,
» que le clergé ôc les moines n’avoient rien pour
» Céfar , ôc que tout étoit pour Dieu. » Julien
ne les impofa pas moins.
Autant en fit Clotaire premier-, malgré l’audace
d’Injurius, évêque de Tou r s, qui ofa lui
dire: « Si vous-penfez, fire , ôter à Dieu ce qui
33 eft à lu i , Dieu vous ôtera votre couronne. 33
Clotaire les oblige de payer à l’état , chaque
année, le tiers des revenus des biens eccléfiafc«
tiques ; & Pierre de B lo is , quoiqu’il foutînt
avec la plus grande violence «c que les princes
» ne doivent exiger des évêques & du clergé ,
» que des prières continuelles pouf eux , ôc que
w> s’ils veulent rendre l’églife tributaire , qui-
33 conque eft fils de l’églife doit s’y oppofer-, ôc
■$> mourir plutôt que de le fouffrir, » ne put
empêcher que fes confrères ôc lui ne fuflent fournis
à la dîme faladine. *
Je n’ehtrerai pas dans un plus grand détail
des faits qui prouvent que , dans tous les tems ,
les raains-mor tables ont fupporté les charges de
l ’état fans diftinétion , que . même ils y contribuoient
, ÔC avec juftice, dans une proportion
plus forte que les autres. Ceux qui ont quelque
connoiflance de l’hiftoire n’en doutent pas , ôc
quiconque voudra des autorités, en trouvera fans
nombre dans VHifioire èccléjiaftique de l’abbé de
Fleury.
Je remarquerai feulement, qu’il étoit bien
étrange que des privilèges que l’on favoit fi
bien apprécier dans des fiecles de ténèbres ôc
d’ign®rance , lorfque les évêques aflemblés à
Reims, écrivoient à Louis le Germanique , ce que
3»' faint Eucher, dans une vifîon qui le-ravit au
» c ie l, avoit vu Charles Martel tourmenté dans 33 l’enfer inférieur , par l’ordre des faints qui 3ï doivent affilier , avec le C h r ift, au jugement
3* dernier , pour avoir dépouillé les églifés ,
» ôc s’être ainfî rendu coupable des péchés de
» tous ceux qui les avoient dotées ; » il feroit
bien étrange , dis-je , que dans un tems plus
é c lairé , où les évêques eux-mêmes le font trop
pour ne pas. fentir toute l’illufîon de ces prétentions
, elles paruflent d’une importance plus
grande qu’ on ne les trouvoit alors.
Je ne m’arrêterai pas à les réfuter. E f t - i l
néçeflaire de démontrer que celui à qui un autre
auroit confié fon bien , n’auroit pas le droit de
le lui refufer, ou de ne vouloir lui en remettre
que ce qu’il jugeroit à propos , ôc de la maniéré
qu’il lui convi en droit ? Les biens de main-morte
font une portion coniidérable des forces de la
fociété ; il ne dépend pas des pofleflèurs de les y
fouftraire ; en paflant dans leurs mains, ils n’ont
point changé de nature,ils ne font point à eux ,
ils ne les ont ni acquis ni gagnés ; ils appartiennent
aux pauvres /'conféquemment à la république'.
Si ce corps trouve qu’il n’eft pas de fa
dignité d’en faire partie , de contribuer à fes
charges dans la proportion des biens qu’ il y
poflede, ôc dans la même forme que les autres;
qu’il s’acquitte du voeu de ceux qui l’ont fait
dépofitaire de fes biens ; qu’il n’en rèferve que
ce qu’il faut pour vivre dans la modeftie ôc
dans la frugalité ; qu’il rellitue tout le relie aux
pauvres , ôc qu’il leur foit diftribué , non pas
pour fubfifter dans la parefle ôc dans les vices
qu’elle engendre toujours, mais pour en obtenir
leur fubfillance par le travail : que de familles
à charge à l’ état lui deviendroient utiles , ôc lui
rendroient le tribut que les autres lui refufent !
Que d’hommes produiroient ces terres ainfi cultivées
par un plus grand nombre de mains!
M ais , dit-on , ces corps fourniflent des contributions
; oui ! mais il y a une double injufticé
dans la maniéré.
i° . En contribuant beaucoup moins que les
autres, ÔC qu’ils ne le devroient.
2°. En le faifant par des emprunts , en forte
que ce font toujours les autres citoyens qui contribuent
réellement pour eux.
Il n’eft pas moins intéreflant pour tous, ôc pour
l ’é ta t , qui eft garant de ccs emprunts, de réformer
cette adminiftration vicieufe ; les biens du
clergé deviendront infuffifans, même pour l’intérêt
de fes dettes ; il fe p la in t, depuis long-tems ,
d’être obéré ; elles retombent à la charge de
la fociété ; ce qu’on appelle les rentes fur l'ancien
clergé^ réduites à moitié, en font un exemple;
rien ne prouve mieux que cet exemple , combien
il feroit avantageux pour ce corps lui - m ême,
d’ être afliijetti à des contributions annuelles ôc
proportionnelles ; conféquemment qu’il y auroit
encore plus d’utilité pour lui , que pour les
autres , dans l’impôt territorial ; indépendamment
de ce q ue , comme je l’ai fait v oir , il n’auroit
aucun droit de s’y oppofer.
Enfin , pour derniere difficulté particulière, fi
on m’objeéloit que les provinces dont j ’ai parlé ,
ont un droit inconteftable de s’adminiftrer elles-
mêmes de la maniéré qu’elles le jugent à propos £
ôc que c’eft la condition à laquelle elles fc font
foumifes au gouvernement ; je réponds que leur
adminiftration, fût-elle la meilleure , ce que je
montrerai tout-à-l’heure ne pas être , i l faut
qu’elles fe conforment à celle des autres, parce
qu’il ne doit y avoir aucune différence dans les
obligations Ôc dans le fore des fujets d’un même
état. Ces provinces font partie de la fociété , oit
ne le font pas.
Si elles en font partie , rien n’à pu altérer le
droit que la fociété a fur elles, comme fur tout
ce qui la compofe. L e gouvernement , qui n’eft
inftitué que pour la confcrvatiôn de ce dro it,
n’a pu faire aucun traité qui y foit contraire ;
en tout Cas, il ne fauroit le détruire.
Si elles n’en font point partie , la fociété générale
peut leur refufer fes avantages , Ôc les
traiter comme des fociétés étrangères , dont le
maintien ne l’intéreffe point, ôc qui doivent y
pourvoir elles-mêmes fans fon fecours.
Après avoir reconnu l ’infuffifance de ces ob-
jedlions, dira-t-on , comme quelques-uns, qu’à la
vérité elles ne formeroient point d’obftacles à cet
établiflement , mais qu’il feroit à craindre que
tous les impôts qu’il réuniroit , ne fuflent rétablis
fucceffivement par la fuite , tandis qu’ils fubfif-
teroient dans celui - là. Si cette réflexion n’eft
pas folide , elle eft affligeante , elle prouve que
les peuples font malheureufemeot accoutumés à