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celui de la vanité : les lo ix de Licurgüe oc de
Platon font admirables à cet égard. ,
L ’excès de la magnificence du culte public,
excite celle des particuliers.. On veut toujours
imiter ce qu’on admire le plus. Quand on dit que
cette magnificence eft néceflaire pour infpirer au
peuple la vénération qu’ il doit avoir pour l’objet
de fa croyance, on en donne une idée bien mef-
quine. I l me femble que les premiers chrétiens en
avoient une plus grande. Origène [dit qu’ils fai-
foient peu de cas des temples , des autels ; c’eft
en effet au milieu de l’univers qu’il faut adorer
celui qu’on croit l’ auteur de tous les efpaces,
de tous les corps & de tous les êtres ? un autel
de p ierre, élevé fur la hauteur d’une colline ,
d’où la vue fe perdroit au loin dans l’étendue
d’un vafle horizon , ne feroit-il pas plus augufte
8c plus digne de fa majefté, que ces édifices humains
où fa puiffance 8c fa grandeur paroiflent
reflerrées entre quatre colonnes ?
L e peuple fe familiarife avec la pompe &
les cérémonies , d’autant plus aifément., qu’étant
pratiquées par fes femblables , elles font plus
proches de lu i , 8c moins propres à lui en imposer
; bientôt elles deviennent un fimple objet de
curiofité, & l’habitude finit par les lui rendre
indifférentes. Si la finaxe ne fe célébroit qu’une
fois l ’année, & qu’on fe raffemblât de divers
endroits pour y aflifter, comme on faifoit aux
jeux olympiques , elle feroit bien d’une—autre
importance parmi ceux qui pratiquent ce rite.
C ’eft le fort de toutes chofes , de devenir moins
vénérables en devenant plus communes , moins
merveilleufes en vieilüflant.
D ’ailleurs , les richeffes enfouies dans les tré-
foreries font entièrement perdues pour la fociété ,
& , pour les peuples qui les fourniffent, une fur-
çharge de plus , dont ils ne tirent aucune utilité :
on pouvoit ôter du moins l’habillement d’or que
Périclès fit faire pour la Pallas d’Athènes, afin,
d ifo it- il, de s’en fervir dans les befoins publics.
Ainfi le lu xe, quel que foit fon ob jet, eft fatal
a la profpérité publique & à la sûreté des fo-
ciétés. L a pureté des moeurs eft fans doute leur
plus ferme appui ; mais quand il feroit poffible
d’en prévenir la dégradation générale , il eft des
créatures malheureufement nées, pour qui il faut
un frein plus fort; & l’honnêteté publique ne fuffi-
ro itp a s , fans la crainte des loix & des peines
qu’elles prononcent, pour contenir les malfaiteurs.
L a sûreté commune & particulière exige des
magïftrats qui veillent fans ceffe à l’exécution des
lo ix : pour que la vie ne foit point à la merci
d’ un aflaffin, pour que les biens ne foient point
la proie d’un ravifleur , il faut qu’une police,
exatfte 8c continuelle écarte les brigands des cités
& des campagnes : pour vaquer à fes affaires 8c
communiquer dans tous les endroits où elles obligent
de fe tranfporter, les routes doivent être
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commodes, sûres ; on a pratiqué de grands chemins
8c bâti des ponts à grands frais ; ce n’eft
point afîêz : fi on ne les entretient, 8c avec eux
des troupes pour les garder, on ne pourra les
fréquenter fans rifquer la perte de fa v i e , ou
celle de fa fortune. 11' faut enfin-, dans chaque
lieu ou chaque canton , des juges civils qui vous
protègent contre la mauyaife foi d’un débiteur,
ou celle d’un plaideur injufte, 8c qui vous garantirent
des entreprifes du méchant.
Pour empêcher la corruption de l’air 8c les
maladies qui en réfulteroient, il faut maintenir
la propreté dans les villes , 8c pratiquer en un.
mot une infinité de chofes également utiles 8c
commodes pour le public : comme il eft l’unique
objet de ces précautions , il eft jufte qu’il en
fupporte la dépenfe. La contribution que chacun
y fournit, a donc encore pour principe 8c pour
effet l’avantage général 8c l’utilité particulière
des citoyens.
IV . Nous avons dit que toute fociété avoit
pour caufe fondamentale de fôn inftitution , la
défenfe 8c la confervation commune de tous, 8c
celle de fes membres en particulier ; npus venons
de voir par combien de; refforts toujours
agifïàns , les forces de l’état font dirigées vers
cette fin : mais l’état n’eft qu’ ün être abftrait qui
ne peut faire ufage lui-même de fes forces, 8c
qui a befoin d’ un agent pour les mettre en aétion
au profit de la communauté. L a fociété ne peut
veiller elle-même fur fa confervation 8ç fur celle
de fes membres. I l faudroit qu’elle fût inceflam-
ment àflemblée ; ce qui feroit non-feulement impraticable
, mais même contraire à fon but. Les
hommes ne fe font réunis 8c n’ont affocié leur
puiffance , que pour jouir individuellement d’ une
plus grande liberté morale 8c civile ; 8c puis une
fociété qui veilleroit fans ceffe fur tous fes memb
re s ,, ne feroit plus une fociété ; ce feroit un
état fans peuple, un fouverain fans fujets, une
cité fans citoyens. Le furyeiliant & le fùrveillé
ne peuvent être le même : fi tous les citoyens
veilloient, fur qui veilleroient-ils ? V o ilà pourquoi
tous ceux qui ont é c r it , avec quelques principes
, fur la politique, ont établi que le peuple
avoit feul la puiffance légiflative-, mais qu’il ne
pouvoit avoir en même tems la puiffance exécutrice.
Le pouvoir de faire exécuter par chacun
les conventions de l’aflociation civile , 8c de maintenir
le corps politique dans fes rapports avec
; fes voifins , doit être dans un continuel exercice.
Il faut donc introduire une puiffance cor-
refpondanté où toutes les forces de l’état fe réunifient
, qui foit un point central où elles fe raf-
femblent, 8c qui les fafle agir félon le bien commun ;
qui foit enfin le gardien de la liberté civile 8c
politique du corps entier, 8c de chacun de fes
membres.
L e pouvoir intermédiaire eft ce qu’on appelle.
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gouvernement y de quelque efpèce ou forme qu’ ri
puiffe être ; d’où l’on peut conclure évidemment
que le gouvernement n’eft point l’état ; mais un
corps particulier conftitué pouf le régir fuivant
fes loix.
Ainfi l’adminiftration fuprême, fans être l’état,,
le repréfente , exerce fes droits, 8c l’ acquitte envers
les citoyens de fes obligations ; fans puiffance
par elle-même , mais dépofitaire de la puiffance
générale , elle a droit d’exiger de tous la
contribution qui doit fa former ; 5c chacun, en
fatisfaifant aux charges que le gouvernement
impofe à cet é.gar,d , ne fait que s’acquitter envers
lui-même 8c envers la fociété , du tribut de fes '
forces , qu’il s’ eft engagé de lui fournir , foit en
s’ unifiant pour la former , foit en reliant uni ,
pour la perpétuer 8c vivre en sûreté fous la
protection des armes 8c des loix.
V . Mais la fomme des befoins publics ne peut
jamais excéder la fomme de toutes les forces ;
elle ne peut même pas être égale ; il n’én relie- r
roit plus pour la confervation particulière des .
individus ; ils périroient, 8c l ’état avec eux.
Une confervation générale qui réduiroit les
particuliers à une exiftence miférable , reflem-
bleroit à celle d’un être dont on décharneroit
les membres pour le faire vivre : ce feroit une
chimere. Si elle exige au - delà du fuperflu de
leur néceflaire , quel intérêt auroient les peuples
à cette confervation , qui les anéantiront ? Celle
de foi-même eft le premier devoir que la nature
impofe aux hommes, 8c même l’intérêt de la
fociété. Le gouvernement qui n’ eft établi que
pour la garantir 8c rendre la condition de chacun
la meilleure qu’il eft poffible , condition pourtant
qui doit varier fans ceffe , fuivant les cir-
conftances, ne peut rien exiger de préjudiable à
cette confervation individuelle , qui lui eft antérieure,
mais feulement ce qui eft indifpenfable
pour l’affurer en tout ce qui doit y contribuer ,
autrement il agiroit contradictoirement à la nature
& à la fin de fon inftitution.
Ces idées du pouvoir exercé fur les citoyens,
au nom de la fociété , ne font point arbitraires ;
i l eft impoffible de s’en former aucune des fo-
ciétés , fans avoir celles-çi en même tems. Plus
la liberté va fe dégradant, plus elles s’obfcur-
ciffent ; où l’autorité eft abfolue , 8c par confé-
quent illégitime, elles font entièrement perdues -;
c ’eft-là qu’on voit la querelle abfurde de l’èftomac
avec les membres , 8c la ligue ridicule des membres
contre l ’eftomac ; là les chefs commandent
8c ne gouvernent point. -De-là vient que , dans
les états defpotiques, tout le monde'fe croit capable
de gouverner , 8c. qu’on immole jufqu’à
l’honnêteté, à l’ambition d’y parvenir. Avec le
pouvoir de la faire exécuter , il ne faut avoir
qu’une volonté ; 8c qui eft - ce qui en manque,
quand il s’agit de prédominer les autres ?
Si on ne voyoit dans les dignités du mihiftere ,
que les follîcitudes continuelles qui en font infé-
parables ; que l’étendue 8c la multiplicité des pénibles
devoirs qu’elles impofent ; que la fupério-
rité des talens 8c l’ univerfalité de connoiflànces
qu’il faut pour les remplir ; fi ce n’étoit enfin
l’envie de dominer 8c d’acquérir des richeffes
qui le f ît defirer ; loin de les rechercher avec
tant d’avidité, il n’y a perfonne qui ne tremblât
de fuccomber fous un fardeau fi pefant. I l n’ y a
. pas un vifir qui voulût l ’être.
C ’eft une terrible charge que d’avoir à répondre
à tout un peuple de fon bonheur 8c de
fa tranquillité. Sélcucus en fentoit le. poids,
lorfqu’il affirmoit que fi l ’on favoit combien les
foins de gouverner font laborieux, on ne dai-
•gneroit pas ramafler un diadème , quand on le
trouveroit en chemin ; 8c Roquelaure difoir une
chofe de grand fens à Henri I V , lorfqu’il lui
répondoit que pour tous fes tréfors, il ne vou-
droit pas faire le métier que faifoit Sully.
Ce n’eft point en effet , comme quelques-uns
l’ont pe.nfé, parce qu’ il y a des êtres qui font
particuliérement dellinés par la nature à marcher
* fur la tête des autres , qu’il y a des fociétés
civiles 8c des gouvernemens. Grotius 8c ceux qui
ont ofé avancer avec lui cette propofition auflï
abfurde qu’injurieufe à l ’efpèee. humaine , ont
abufé de ce qu’Ariftote avoit dit avant eux.
Nul n’a reçu de la nature le droit de commander
à fon'femblable ; aucun n’a celui de l ’acheter , 8c
l’efclàve qui s’eft vendu hier en a fi peu le pouvoir
, que, dans le droit naturel', s’ il avoit la
force de le foutenir, i l pourroit dire aujourd’hui
à celui qui l’a acheté, qu’ il eft fon maître.
On déplore le joug que la raifon 8c la vérité
ont porté dans tous les tems, quand on l i t , dans
Grotius: « Si un particulier peut aliéner fa li -
» berté 8c fe rendre efclave d’un maître 3 pour-
» quoi tout un peuple ne le pourroit-il pas ? »
On s’afflige d’entendre cet homme de bien 8c de
génie affirmer, « que tout pouvoir. humain n’ eft
» point établi pour le bonheur de ceux qui font
» gouvernés..» Non fans doute fi c’ eft par le fait
qu’il en. juge ; mais dans le d ro it, quel feroit
donc le motif qui auroit déterminé les hommes à
. fe foumettre à une autorité, fi le bonheur commun
n’en avoit été l?objet ?
Ariftote a dit qu’ils ne font point naturellement
égaux, que les uns naiffent pour l ’efcla-
v a g e , les autres pour dominer ; mais il n’ en
falloit pas conclure que l’efclàvage fût de droit
naturel ; il falloit expliquer la penfée d’Ariftote
j par la diverfité des facultés que la nature accorde
aux hommes : les uns naiffent avec plus d’élévation
dans le génie , 8c des qualités plus propres
à gouverner ; les autres avec le befoin de l’être ,
8c des difpofitions à fe laifler conduire. C ’eft
ainfi que , fuivant l’iiluftîè auteur de VEjfai Jur