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on peut appelles cet événement la mort violente
du crédit public.
Ce font-là des événemens qui ne font pas fort
éloignés , 8c que la raifon prévoit auflî clairement
, qu’aucune des chofes qui'font encore enveloppées
dans l ’avenir.
Mylord Bolingbrocke , dans fes réflexions politiques
fur l’Angleterre , s’élève également contre
l ’abus du crédit public. Il cite l’exemple de Sully ,
comme d’un grand miniftre qui releva la France
fur le penchant de fa ruine, & prépara fa prof-
périté par l’ordre 8c l ’économie qu’il mit dans
les finances. Il ajoute : Ceux qui le tireront les
premiers d’une mifere commune à nous 8c à nos
voifins , donneront la loi aux autres, ou feront,
du moins , en état de ne la recevoir de perfonne.
L a profpérité 8c la fûreté futures de notre pays,
dépendent de la prompte diminution de nos dettes
nationales»
C e t homme d’état, qui écrivoit en 174 9 , difoit
alors : Nous ne pouvons augmenter nos, dépenfes
à préfent, & nous ne ferons pas en état de le
faire, tant que nous n’aurons pas acquitté quelque
partie de nos dettes nationales , fans engager le
refte du fonds d’ainortiffement , ce qui ôteroit
bientôt toute efpérance de payer jamais aucune
partie de ces dettes , 8c ne nous laifferoit plus à
engager que notre propre terre 8c notre dreche ;
au lieu que fi une partie confidérable de ces dettes
étoit acquittée avant qu’il arrivât une nouvelle
guerre , ou quejnous fuffions réduits à augmenter
notre dépenfe annuelle, ou à tout facrifier pour
refter dans une lâche inaéiïon , notre condition
deviendroit beaucoup meilleure , foit pour nous
défendre, foit pour attaquer ; & auflï-tôt que cette
guerre feroit finie, nous pourrions reprendre le
foin d’amortir nos dettes, & continuer de nous
occuper des grands objets de notre intérêt intérieur.
John N ick o lls , écrivain Anglois très-efiimé,
& qui a publié des remarques fur les avantages &
les dêfavantages de la France & de La Grandc-Bre-
tagne, par rapport au commerce & aux autres fources
deUpuiJfancedes états, ( i n - i z , 17 *4 ) tient le
même langage que Hume & Bolingbrocke.
} Après avoir expofé quels font les effets de- !
1 abus du crédit national , il termine ce chapitre
par cette réflexion : o. Qu’on juge maintenant du
» bon fens ou de la bonne foi de ceux qui envient
» ou qui nous vantent nos richefles artificielles ,
» qui prétendent que la dette nationale n’eft rien ,
» que c’eft la main droite qui doit à la main
» gauche. Mais quand ce feroit-là le feul effet
» de la dette, n’eft-ce pas mê.me un très-grand 55 m a l, que la main droite doive toujours plus, & . 5> plus a la main gauche ? Un membre qui s’ac-
» croit monftrueufement aux dépens de la fub-
55 fiance des autres, qui deviennent fecs 8c para«
C'R £
55 lytiques, ne menace-t-il pas le corps d’une
» deftruélion totale ? » ;
Dans le tems où ces écrivains invitoient fi
fortement leur patrie à diminuer fes dettes, elles
monfoient à environ foixante-douze millions fler-
lings, ou un milliard fix cents cinqiiante-fix millions,
ainfî qu’on l’a dit à l’article Angleterre 3 où
nous avons expofé l ’accroiffement W e f f i f de cette
dette ; que diroient-ils donc aujourd’hui ? qu’elle
monte à deux cents trente - deux millions trois
cents cinquante-quatre mille cent vingt-fept livres,
qui font plus de cinq milliards de notre monnoie !
Voyei A n g l e t e r r e , où il s’ eft gliffé une
erreur de cent millions \ l’article portant cent
trente-deux , au lieu de deux cents trente-deux
millions, page 44 , première colonne, ligne 21 .
L a conféquence funefte de l ’ufage du crédit national
, eft qu’à chaque nouvel emprunt il faut un
impôt pour fervir d’hypothèque au paiement des
intérêts de la fomme empruntée, & que fucceflï-
vement les propriétés 8c les confommations fe
trouvent tellement furchargées., que la population
diminue d’abord , 8c enfuite la reproduélion, qui
eft la fource de tous les impôts.
O n n ’a pas fait en France un ufage moins abufîf
du crédit public* On prétend qu’ en 1763 la dette
nationale étoit de près de trois milliards , & qu’en
vingt années elle eft augmentée de plus d’un tiers.
Il eft vrai que les dépenfes extraordinaires de
la^ guerre , qui vient d'être terminée cette année
1783, ont occafionné cet accroiffemcnt énorme
, qui pourtant eft moindre encore que celui qui
eft arrivé chez les Anglois.
_ C ’eft à François Ier, que remonte le pre®
mier ufage du crédit, en empruntant, en différentes
fois, fept cents vingt-cinq mille livres au
denier douze, pour lefquelles il créa des rentes,
montant â foixante mille quatre cents 8c quelques
liv re s , le marc d’argent étant entre douze &
quinze livres.
Il paroit que, dès le tems de la régence, on
çommençoit à reconnoître que le crédit public , ou
celui d’un état, doit repofer fur la confiance , & ne
dépendre nullement du crédit des financiers. V o ic i
ce qu’on trouve à ce fujet, dans le rapport fait
au confeil de l ’état des finances, le 17 juin 1 7 1 7 ,
confervé dans les Confidérations fur les finances ,
tome 6» in -izy page 127.
ce Ceux qui fuppofent qu’on a quelquefois be-
» foin du crédit & des avances des traitans, font
55. dans l’illufîon ; ils n’ont aucun crédit par eux-
35 memes, 8c celui dont ils jouiffent n’eft jamais
53 fondé que fur les affaires qu’ils exploitent.
33 On les a vus plus d’une fois , quoique riches ,
33 absolument décrédités , auflï-tôt qu’on a fup-
5> primé les traités dont ils étoient chargés.
» Lorftju’un état paffe pour riche, que les fu-
55 jets & les voifins ont confiance dans la bonne
» foi de ceux qui gouvernent , & qu’on a vu ,
» pendant
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» -pendant long-tems , les dettes publiques _régü-
>3 fièrement acquittées ; cet état a du crédit. S’il 3i fe trouve obligé d’emprunter , c’eft-'à un léger
33 intérêt. Il fait agir , avec un peu d’habileté ,
33 fes fujets 8c les étrangers fui,vaut fes vues ; de
33 même que s’il les payoit actuellement. L a France
33 a eu autrefois ce crédit ; elle ne l ’a plus aujour-
33 d’hui. ( en 17 17 )
33 Mais qu’ un état, trouve à emprunter à un
33 intérêt c-xceflïf, ce n’eft pas avoir du crédit, c’eft
» en manquer ; c’eft achever de fe ruiner entiére-
o* ment. Combien de tems encore auroit - on pu
33 foutenir des emprunts, à raifon de vingt, trente,
33 quarante, 8c même quatre-vingt pour cent, de
» perte tels qu’ils fe, faifoient quelques jours
33 avant la mort du 'feu roi ?
33 Les quatre fources principales du crédit font 33 en général :
>3 i° . L a richeffe réelle ou préfumée.
- - 33 20. L a bonne conduite.
» 3°. La bonne foi.
5> 40. L ’exaélitude dans les paiemens.
33 Cette derniere fuffit prefque feule ; le pu-
53 blic examine peu les trois autres.
33 II eft difficile de ne pas convenir qu’on ait
53 ci-devant manqué dans tous les chefs. Cepen- 33 dant fi la confiance étoit rétablie, & f i, avec 53 la confiance, on pouvoir voir renaître la cir-
03 culation ôc le commerce ; peut-être trouveroit-
33 on qu’il y a fufKfamment de richefles dans le
5» royaume, 8c l’augmentation qu’on feroit dans
33 les revenus, produiroit infenfîblement de quoi
33 acquitter l ’excédent“ des dettes.
33 L a confiance eft donc'la bafe & le fonde-
53 ment du crédit d’un état ; mais comment peut-
» on la rétablir Idrfqu’elle5eft* perdue ? Le moyen
33 unique , c’eft d’avoir de la bonne foi 8c de
■»s l’exaélitude dans les paiemens.
33 Cela feroit aifé fi la recette excédoit la dé-
•33 penfe ; mais , lorfqu’après avoir facisfait au
33 paiement qu’exige le gouvernement civil 8c mi-
33 litaire, il ne refte pas de fonds fuflïfans pour
33 acquitter les charges & les dettes ; il s’enfuit
33 qu’il eft impoffïble d’avoir de l’exaélitude
33 dans les paiemens, 8c, par conféquent d’ac-
33 quérir la confiance, qui eft la fource de tout
33 bien,
33 Je ne crois pas avoir befoin de faire fur cela
>3 des réflexions. L e confeil les prévient, 8c il
33 juge dès à préfent que , tant que la dépenfe
33 excédera la recette, tant que les charges 8c
33 les dettes fubfifteront, fur le pied où elles font
53 aujourd h u i, tant que l’on ne prendra point des
33 mefures , pour éteindre les capitaux immenfes
33 qui portent fur 1 état , on ne peut efpérer ni
% confiance , n i.crédit ; au lieu q u e , fi les chofes
33 etpient au niveau , fans que le peuple fût furchar-
33 gé, tout deviendroit facile. On verroit bientôtles
.» revenus augmenter par le moyen de la cîr-
tmances. Tome. I ,
C R A
3* culation & dii commerce , 8c l’augmentation des'
33 revenus procureroit non-feulement l ’acquitte- 3> ment des dettes ; mais elle rendroit de plus , la-
33 tranquillité au public, fur celles qui refteroienc 33 à acquitter, & tous les fonds , qu’ils auroient
33 fur l ’é ta t , feroient eftimés 8c vendus leur jufte
33 p r iX . 33 . ; '
L ’eftimable écrivain , à qui l’on doit les Recherches
8? confidérations fur Les finances , dit lu i-
meme , tome 2 , in- 12 »page 84 :
ce L e crédit , que l’état trouve par le moyen 33 des receveurs-généraux des finances , lui ap-
33 partient, 8c non point à ces financiers. Chaque
33 particulier^ en prêtant fon argent à un rece-
33 veur-général, quelque riche qu’il fo i t , connoît 3? très-bien la naturé de cet engagement ; s’il
n’avoit point ;de confiance’ dans l ’état , il ne
33 prêteroit pas, ou fe prévaudroirfur les condi-
33 tions du rifque qu’il imagineroit courir. Une
33 preuve; fans réplique de tout ce qu’ on avance,
3? c ’eft que l’intérêt a hauffé , dans tous les tems
33 critiques , vis-à-vis des financiers , 8c eux-
33 .mêmes font intéreffés à ce qu’il fiait toujours
* cher. . . .
| 33 Toute conftitution d’état, qui a de la ftabi-
33 tité, aura un crédit national , proportionnel à
33 l’exaélitude 8c à l’économie du gouvernement,
33 8c à l’étendue des reffources publiques ; mais
33 tout crédit médiat eft précaire, borné de cou-
3? teux par fa nature. Ce vain étalage de crédit des
33 compagnies de finances reflemble exaélement
33 l’étalage , que feroit un grand feigneur, d’une
3? multitude de domeftiques, qui s’enrichiffent des:
3? débris de f a . fortune. ,33
M. D u to t, qui a publié des réflexions politiques
fur lés finances , après avoir été le témoin
de leur bouleverfement , du tems de la régence,,
parle du crédit public de la maniéré fuivante.
ce II demande une très-grande liberté 8c bèau-
33 coup de prudence ; il eft ennemi de toute con-- >3 trainte ; . i ln e veut être ni effarouché, ni pro-
33 digué. Il difparoît à la première atteinte qu’on
33 lui donne, & il ne manque jamais d’enfevelir
33 l ’efpèce fous fes ruines. Alors l ’ufure reprend
33 la place du crédit, & arrache aux fonds, à la,
33 culture, au commerce, à l ’induftrie, toute la,
33 valeur que le créditfizur avoit donné. Un crédit
33 fondé fur l ’efpérance d’un gain éloigné, devient,
33 imaginaire s’il excède les fonds réels qui y.
33 répondent , il perd de fa valeur, & fi on le
33' force , il perd fa nature de crédit, 3> .
Plufieurs écrivains divifent le crédit public en
deux branches.
L a première eft le crédit des compagnies e x -,
clufives, qui font chargées d’ un certain commerce ,
dont l’exercice tient au fyftême : politique , <$o
qui, par conféquent, eft lié aux, opérations du>
gouvernement.
La fecçnde branche du crédit public eft celui de
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