M<S C Ô N ne mëfutënt point leur différence par lés dègrés dè
douleur qui rendent ces deux fentimens plus ou
moins vifs , mais par le motif qui s’unit à la douleur:
fi la crainte des peines de Penfer, ou cétte honte
qui fuit le péché, animent la douleur, dès-lors
elle ri’eft qu’une fimple attrition, quel qiïe foit l’excès
du fentiment qui pénétré l’ame. Mais ce motif
eft-il l’amour de Dieu? dès-lors la douleur qUe cet
amour échauffe devient contrition.
Ceux qui fe déclarent pour le premier fentiment,
reconnoment que l’attrition eft mêlée de quelqu’a-
mour de Dieu ; 8c c’eft en Penvifageant fous cet àf-
pefl, qu’ils foûtiennent qii’elle fuffit avec le facre-
ment pour nous reconcilier avec Dieu. Mais ils ne
penfent pas tous de la même maniéré fur l’amour;
Leur divilion a fa fource dans le paffage du concile
de Trente, oh il eft dit que la contrition parfaite juf-
tifîe toujours le pécheur, même avant qu’il reçoive
le facrement, quoique cétte réconciliation foit attachée
au voeu de le recevoir. Voici le paffage en original:
Circa contritionem perfeclam duo docet facro-fanc-
ta fynodus : primum contingere aliquando eam charita-
te perfeclam ejfe , hominemqué Deo reconciliare , priuf-
quatn facramentum poemtendoe aclü fufeipiatur : alternai
, rcconciliationem hanc ipjî contritiohi ,ftne facra-
mtnti voto , quod in illâ ïnduditur, non ejje adfcriben-
dam.
Il eft vrai que quelques théologiens rigoriftes Ont
chicané fur cet adverbe aliquando qu’On lit dans le
texte dü concile, & qu’ils, cri ont inféré que la justification
n’étoit point attachée à la contrition parfaite;
mais qu’elle ne l’accompagnoit que dans quelques
circonfiances, telle que feroit celle oii un
nOmtrie prêt à expirer, fans pouvoir fe procurer le
facrement, trouveroit alors fa juftifieaîion dans le
feul fentiment d’un coeur contrit & humilié: Mais il
eft clair que ces théologiens n’ont nullement faili le
feris dii concile j puifqu’il eft évident par le texte
même, que l’adverbe aliquando, dont ils fe prévalent
ici pour autorifer leur fentiment, tomhe.fur la
contrition, qui rarement eft parfaite dans ceux qui
^’approchent du facrement, & nullement fur la juf-
tification, qu’elle produit toûjours indépendamment
même du facrement.
• ' Ce paffage a produit parmi ceux qui tiennent pour
l’amour dans le facrement de péniteneé , deux fentimens
Oppofés fur le motif qui conftitue la contrition
parfaite 8c la contrition imparfaite. Les uns font dépendre
la perfection de la contrition des. degrés de
l’amour, & les autres de l’amour même dans- quelque
degré qu’il foit , plus ou moins parfait,' fuivant
le motif qui l’anime. Les premiers ne reConnoiffent
qu’une forte d’amour, qu’ils appellent» charité, & ils
prétendent qu’il ne juftine le pécheur avant le facrement,
que lorfqti’il eft parveinu à un certaiiï.degré
d’ardeur , que Dieu a marqué pour la juftification,
& fur lequel il ne lui a pas plû de nous inftruire, pour
riortstenir continuellement dans la crainte 8c dans le
tremblêment. Les autres, outre cet amour de charité
, en admettent un autre qu’ils lui fubordonnént,&
qu’ils nomment amour d'efpéranee ou amour de con-
cupifcerice.-Le premier, difent-ils, nous: fait aimer
Dieu pour lui-même; le fecond nous le fait aimer
pour notre propre bonheur, que nous ne trouvons ,
il eft vrai, que dans la jbüîffance de cet.Être fiaprè-
me : lé premier, felcm ces théologiens ÿtire xte la no-
bleffede fort motif ta;perfé£tion qu’il communique à
la contrition, & qui la-rend juftifiante, fensle fecours
du làCfëment : le fécond au '-contraire anime l’attri-
îiOn-, & Opéré avec le facrement.
Onâaccufé M. Tournely & M. Làriguet archevêque
de Sens-, d’avoir imaginé^cette diftinCtion-des
deux amours-. .Mais on en trouve des traces affez fortes
dans S: Thomas, dont voici fes paroles. Secunda
C O N fecuridcè qiieft. 17. Spes & omnis àppeddvus môtui ex
amore derivatur. . . . * amor àutem quidam ejl pejfeclus ;
quidam ïmperfeclus. Pcrfschts quidem amor eft quo aü-
quis ftcundàm fe amatur. \ ; ; . ïmperfeclus amor eft quo
quis aliqüid amat non fecündutn ipfurn , fed ut illud bo-
nuthjibi proveniàt , Jicut homo amat rem quant concu-
pifeit. Primus autem amor pertinet ad charitatèm quà
inharet Deo fecündtim fe ipfurh. Sed fpts pertinet ad fe-
cundûrd amorern , quia ille qui fperat Jîbi aliquid obti-
! niTt intendit. Et ideo in via generadonis fpes eft priot
charitate, . . . . Spes introducit ad charitatèm, in quantum
aliquis fperans remunerari à Deà , accenditur ad
amagdam Deum, & fervandum proeceplum ejus.
Ce fyftème n’eft donc pas d’imagination ; il eft:
fonde; Mais voici probablement l’avantage qu’en
en ont voulu tirer le profeffeur de Sorbonne & l’ar-
ehevêque de Sens ; pour la confolation des âmes
timorées; Ils marchoient entre deüx écueils : d’un
côté le concile de Trente a reconnu que la contrition
éft parfaite,quand elle eft animée par la charité proprement
dite; d’uft autre il exige, aiiffi-bien que le
clergé de France àffemblé en 1700 , que ceux qui
fe difpofent à recevoir les faeremens, 8c fur-tout
celui de pénitence , commencent à aimer Dieu comme
fource de toute juftice. Î1 faut donc pour l’attrition uni
amour diftingué de la charité proprement dite, qui
eft le motif fpécifique de la contrition parfaite. Or l’amour
d’efpéranee eft un véritable amour diftingué
de la charité proprement dite : donc il peut corifti-
tüer l’attrition ; 8c cela d’autant mieux qu’en s’éloignant
par-là du rigorifme qui exige la edntritiott parfaite
, ils s’écartoient également du relâchement qui
ne demande riul amour. Car les cafuiftes relâchés
ayant avancé cette propofition : Attridô ex gehennet
metu juffteit etiam fine ullâ D û dileclione , l’affemblée
du clergé de 1700 déclare : Neque vero fatis adutipleri
poteft utrique facramtrito neceffàrium vit ce nova inehoan-
doe aefervandi mandata divina propofttum , j î pcehitens
primiac maximi mandait, quo Deus toto corde diligitur±
nullamcuram gérât. Le clergé exige donc aufii quelque
amour : mais eft-ce un amour de charité proprement
dite, eft-ce un amour d’efpéranee ? C ’eft ce que ni le
concile ni le clergé de France ne décide ; & il me fem-
ble que dans une pareille iridéeifion, des théologiens
qui proposent un fentiment probable & éloigné des
excès, font beaucoup moins fufpe&sque ceux qui par
prévention pour la dottrine Outrée ou relâchée, demandent
pour la réception du facrement des difpofi-
tions angéliques, ou fe contentent d’en admettre de
purement humaines.
Paffons maintenant au fentiment qui doflne FeX-
clufion à l’amour dans l’attrition même qu’on pré-'
tend fuffifante dans le facrement de pénitence. Suarez,
Canitolus, & Sanchez, ont reconnu que cette'
opinion n’étoit ni fort ancienne, ni fort commune 3
mais elle a acquis depuis de nombreux partifàns , entre
autres Filiutius, Azor-, Tambourin, les PP. Pin-
thereau & Antoine Sirmond. Nous »’entrerons point
à cet égard dans le' détail des preuves & des raifon*
qu’ils ont employées ; on peut les Voir dans les Pro-•
vinàales &z dans les notes de Wendrock , où mieux encore
dans les écrits de ces cafuiftes. Nous ne rapporterons
qu’un argument dfes attritionnaires, que nous
réfuterons par un raifonnément fort limple^
Si pour obtenir le pardon de nos fautes, difent-
îls, il nousfeft commandé d’aimer Dieu ; quel avantage
nous autres Chrétiens , qui femmes les erifans,
avons-nous fur les Juifs qui étôient les efclaves ? A
quoi fort le facrement de pénitence-, s’il ne fupplée
pas au défaut de l’âmour, & s’il ne nous décharge
pas de l’obligation pénible d’aimer Dieu actuellement
?
Il eft difficile de concevoir comment l'a- dîfpenfe
d’aimer Dieu feroit le privilège de la loi évangélique
C O N îur la loi judaïque, 8c comment cette difpenfe atiroit
été achetée de tout le fang de Jefus-Chrift. On veut
que le Juif qui vivoit fous une loi plus caraftérifée
par la crainte que par l’amour, fut obligé d’aimer fon
Dieu ; & l’on difpenfera de cette obligation le Chrétien
qui vit fous une loi plus caraftérilee par l’amour
que par la crainte. Hoec eft, dit Saint Auguftin (lib.
contra adimant. Munich, cap. xvij.') , hoec eft brevijjima
& apertijjîma differenda duorum Teftamentorum , timor
& amor : illud ad veterem , hoc ad novum hominem pet-
dntt. Ce que le même pere explique ainfi dans fon
ouvrage, de morib. Eccleftoe, c. xxviij. n°. 56. Quan-
quam ütrumque ( timor & amor ) fît in utroque (Teft a-
mento ) , proevalet tamen in vetere timor, amor in novo.
O r , félon les attritionnaires, ce n’eft plus le Juif qui
eft efclavë, mais le Chrétien; puifque l’amour eft
fait pour le Juif, & la crainte pour le Chrétien.* On
nous a donc trompés, quand on nous a dit tant de
fois que la crainte étoit l’apanage de la loi judaïque,
comme l’amour eft l’ame de la loi évangélique. Dans
la théologié des attritionnaires, c’eft tout le contraire.
N’eft-il donc pas plus conforme à la doûrine des
peres & à la raifon ,-de penfer que le même fentiment
qui jiiftifie le Chrétien avec le facrement, juftifioit
le Juif fans facrement ; & que tout l’avantage que le
premier a fur le fecond, c’eft que les grâces qui forment
ce fentiment, coulent plus abondamment pour
l’un que pour -l’autre ; & que la rémiffion qui s’obtient
par le miniftere des clés eft plus pleine & plus
parfaite, que celle que méritoit l’amour du Juif def-
titué de la vertu & de l’efficace du facrement. Quoi
qu en difent quelques fcholaftiques, ils ne perfuade-
ront jamais que D ieu ait exige du Juif, pour fe ré-
çoncilier avec lui , des difpofitions plus parfaites
qu il n en exige du Chrétien ; tandis que d’une main
liberale il verfe fur le dernier des grâces qu’il ne dif-
penfoit au premier qu’avec une efpece de referve.
Ne donnons point cetavantage aux Juifs, qu’ils ay ent
l’amour pour partage, tandis que nous nous bornerons
à être les èfclaves de la crainte, qui, quelque
bonne & chafte qu’on là fuppofe, eft toujours inférieure
à l’cimour. Avec plus de grâces qu’eux, il rious.
çonviendroit mal de ne pas autant aimer Dieu, pour
obtenir le pardon de nos fautes. Cette facilité de';
l ’obtenir, que les attritionnaires regardent comme
une fuite de la loi évangélique à laquelle nous appartenons
, ne confifte pas précifément en ce que Dieu
demande moins de nous que du Juif; mais plutôt en
. ce qu’il noirs accorde'beaucoup plus de grâces qu’aux
cirçonois. Penfer autrement, ce feroit rabbaiffer
le Chriftianifme.au-deffous du Judaïlme même ; puif-
qu’uné religion eft d’autant plus parfaite, qu’elle ramené
davantage à l’amour qui en fait toute la perfec tion
: Non colitur Deus nifi amando, dit quelque part
S. Auguftin. Ce feroit même outrager la juftice dè
D ie ii, puifqu’bn fuppoferoit qu’il exige plus de celui
à qui il accorde moins. Donc s’il etoit .ordonné"
au Juif d aimer Dieu s’il vouloit fe reconcilier avec
lui , il l’eft peut-être encore plus au Chrétien qui
fe trouve favorife d’un plus grand nombrettle gra-:
ce*.
Mais fi fuivant les principes des. attritionnaires
le précepte de l’amour de Dieu n’oblige pas dans
le moment même oii le pécheur pénitent follicite
la clémence 8c la miféricorde divine ; dans quelle
circonfta'nce donc, dàris quel teins , félon eux , ce
précepte oblige-t-il ?
. Il éft bon de les entendre eux-mêmes fur cette
matière. « Quand eft-ori obligé d’avoir àffeûion ac-
»: tuellement pour Dieu, dit un d’entre eux ? Sua-
>y rez dit que c’en eft affez fi on l’aime avant Parti-
» cle de la mort, fans déterminer aucun tems ; Vaf- -
qnez., qu’il-fuffit encore à l’article de la mort ;
autres.,..quand. ,bn -reçoit .Je. baptême^, d’autres
Tome l y t ~
C O N *47
>> qiiand ori eft obligé d’êtré contrit ; d’autres, les
» jours de fête : mais notre pere Caftro Palao corri-1
» bat toutes ces opinions-là, 8c avec ràifbri. Hiir-
>> tado de Mendoza prétend qu’on y eft obligé tous
b les ans, 8c qu'on nous traite bien favorablement
» encore de ne nous y obliger pas plus fouvent. Mais
» notre pere Coninck croit qu’on y eft obligé en trois
» ou quatre ans ; 8ç Filiutius dit qu’il eft probable
» qu on n y eft pas obligé à la rigueur tous lés cinq
n ans. Et cçiand donc ? Il le remet au jugement del
» iagés ». Ce font lés termes d’Efcobar.
Un de fes confrères, le P. Antoine Sirmond, ba-
lance ainfi les divèrs fentimens des cafuiftes fur lé
precepte de l’amour dé Dieu. « Saint Thomas dit
» qu on eft obligé d’aimer Dieu auffitôt après l’u-
» lage de raifon : c’eft Un peu bientôt. Scotus cha-
« que dimanche : fur quoi fondé ? D ’autres quand
» on eft grièvement tenté : oüi, en cas qu’il n’y eût
» que cette voie de fuir la tentation. Sotus , quand
» on reçoit un bienfait de Dieu: bori, pour l’en re-
» mercier. D ’autres à la mort i c’eft bien tard. Jé
» ne crois pas non plus que ce foit à la réception
| de M M facrement ; l’attrition y fuffit a vec la
» conreïlîon, fi on en a la commodité. Suarez dit
» qu on y eft obligé en un tems : mais en quel tems ?
» H vous en fait ju ge, & il n’en fait rien. Or ce que
» ce dotteur n’a pas fû, je ne fai qui le fait;
Tels font les excès où conduit lé probabilifme ; &
quand il n’auroit que cé féul défaut, d’avoir introduit
dans la Théologie une opinion aufii monf-.
trueufe que Peft celle qui, dépouillant Pattrition de
l’amour, la rend fuffifante pour le facrement de pénitence,
c en feroit affez pour l’exterminer de toutes
les écoles;
Au refté de feroit une injufticë criante que de penfer
on de dire que les fentimens de ces particuliers
foient la théologie unanime de la fociété dont ils
étoient membres. Les plus célébrés théologiens de
ce corps, Laynez, Claude le Jai, Salmeron, qui af-
liitèrent au concile dé Trente, Canifius, Edmond
Auger, Maldonat, le cardinal Toi e t , le P. Petau,
&c. ont tous reconnu la necefiîté de quelque amour,
au moins commencé, joint à Pattrition -, pour là rendre
fuffifante dans le facrement de pénitence ; 8c nr
Cheminais ni Bourdaloue , ne favorifent la morale
relâchée. Voyt^ Probabilisme;
- On doit à la vérité ce témoignage aux Janféniftes,’
d’avoir affez bien vengé les droits de l’amour divin
contre les principes relâchés de ces cafuiftes-attritionnaires.
Mais ces Janféniftes ii fiefs contre les Je-
fuites, quand il s agit de l’amour de Dieu, n?ont-ils
rien eux-mêmes à fe reprocher fur cet article? C’eft
ce qu’il faut examiner en peü de mots.-
■ u« principe reçu dans la théologié des Jan-
feniftes,qu’il n’y a que deux principes dé nos a étions,1
ravoir l’amour de charité qui rapporte tout à Dieu,;
& l’amour de-cupidité qui rapporte tout à nous-mêmes.
D e cé principe je conclus avec lés Janféniftes ,
que toute aétion qui rie procédé pas de la charité a
nécefl'airement fa fource dans là cupidité, qui l’in-
feâê & la rend vicieufe. Un autre principe non-
moins intime, ni moins effentiel au iyftèmé dès^Jan-
fériiftes; c’éft que foute grâce, quelque forme quelle
prenne dans Un coeür, eft ellé-même l’amour dé
charité, & qu’elle en teint, s’il éft permis'dé pârleri
ainfi, toutes les actions qu’elle nous fait produire^
Or cette grâce, de l’aveu des Janféniftes, rie produit:
jamais en nous un amour dé Dieu dominant lur cé—
lui des ^créatures , to'utes les fois qu’elle fe trouve
aux prifes avec une cupidité qui lui eft fupérieiiré
en degrés. Voyt^ Délectation Relat ive: D ’un
autre côté, elle produit toûjours en nous Un commencement
d’amour de charité, quoiqu’infériëur eri
degrés à la cupidité J parce que la grâce , dans lëuFà