701 D E C regarde le décorateur,& qu’ il n’eft queftion (jue de
peindre méchaniquement les locaux , pour établir
-aux yeux du ïpeftateur le lieu où fe paflè la fcene.
Ce qui nous refte des ouvrages dramatiques des
Grecs, montre affez qu’Efchyle , Euripide & Sophocle
étoient mieux inftruits , & mettaient une
plus grande importance dans tout ce qui avoit quelque
rapport à la repréfentation de leurs tragédies.
Par les difcours qui font à la tête des pièces en
machines de P. Corneille, & en parcourant les details
clairs & raifonnés qu’il y fait de tout ce qui
regarde leur fpeâacle , il eft aifé de fe convaincre
de la connoiffance profonde que ce grand homme
avoit acquise de toutes ces grandes parties qu’on
croit peut-être fort étrangères à la poéfie.
Qu’ on s’occupe à fonder avec quelque foin la
înarche , l’ordre & la méchanique des opéra de
Quinault, malgré la modeftie de ce poëte, qui n’a
cherché à nous donner ni par des explications, ni
par des préfaces, ni par des détails raifonnés , aucune
idée de fes études, de fes connoiffances, de
fa fécondité, de fon invention & de fes travaux ; il
eft impoflible de ne pas s’affûrer qu’il poffédoit à
fond toute cette matière, & que jamais homme peut-
être avant lui n’avoit fû la mettre en pratique avec
tant de méthode, d’intelligence , de variété & de
goût.
Ces exemples feroient fans doute fuffifans pour
prouver qu’un poëte lyrique ne peut acquérir trop
de lumières fur les arts qui doivent concourir à rendre
parfaite l’exécution de fes ouvrages. Ce que les
Grecs, P. Corneille & Quinault ont crû néceflaire,
eux qui avoient tant de talens divers , un fi beau
génie, un feu poétique li brillant, ne doit pas fans
doute paroitre inutile aux poëtes qui viennent après
eux , quelques talens qu’ils fe datent d’avoir d’ailleurs.
v
Mais pour le bien & le progrès de 1 art, il faut
qu’ils fâchent encore lesavantages que les connoiffances
de cette efpece peuvent leur procurer, & les
inconvéniens qu’ils ont à craindre, s’ils mettent le
pié dans la carrière fans avoir pris la précaution de
|es acquérir.
La décoration à l’opera fait une partie de l'invention.
Ce n’eft pas affez d’imaginer des lieux convenables
à la fcene, il faut encore varier le coup-
d’oeil que préfentent les lieux, par les décorations
qu’on y amene. Un poëte qui a une heureufe invention
jointe à une connoiffance profonde de cette
partie, trouvera mille moyens fréquens d’embellir
fon fpe&acle, d’occuper les yeux du fpeftateur, de
préparer l ’illufion. Ainfi à la belle architeûure.d’un
palais magnifique ou d’une place fuperbè , il fera
fuccéder des deferts arides, des rochers efearpés ,
des antres redoutables. Le fpettateur effrayé fera
alors agréablement furpris de voir une perfpeâiye
riante coupée par des payfages agréables, prendre
la place de ces objets terribles. D e - là , en obfer-
vant les gradations , il lui préfentera une mer agi-
. t é e , un horifon enflammé d’éclairs, un ciel chargé
de nuages, des arbres arrachés par la fureur des
vents. Il le diftraira enfuite de ce fpeûacle par celui
d’un temple augüfte : toutes les parties de la
belle archite&ure des anciens raffemblées dans cet
édifice, formeront un enfemble majeftueux ; & des
jardins embellis par la nature, l’art & le goût, termineront
d’une maniéré fatisfaifante une repréfentation
dans laquelle on n’aura rien négligé pour faire
naître & pour entretenir l’illufion. Les machines qui
tiennent fi fort à la décoration , lui prêteront encore
de nouvelles beautés ; mais comment imaginer des
machines, fi on ignore en quoi elles confident, la
maniéré dont on peut les çompofer, les refforts qui
D E C
peuvent les faire mouvoir, & fur-tout leur polfibi-
lité ? Voye{ MACHINE, MERVEILLEUX.
Le décorateur, quelque génie qu’on lui. fuppofe
n’imagine que d’après le plan donné. Que de beautés
ne doivent pas réfulter du concours du poëte & de
l’artifte ? Que de belles idées doivent naître d’une
imagination échauffée par la poëfie & guidée par
l’inftruftion, & de la verve d’un peintre à qui le
premier deffein eft donné par une main dire qui a
fû en écarter tous les inconvéniens, & qui ert indi**
que tous les effets ? D ’ailleurs , l’oeil vigilant d’un
poëte plein de fon plan général, doit être d’un grand
fecours au peintre qui en exécute les parties. Que
de défauts pré venus ! que de détails embellis 1 que
d’études & de réflexions épargnées !
Outre ces avantages , celui de fe mettre à l’abri
d’une foule d’inconvéniens qu’on peut par ce feul
moyen prévenir, doit paroître bien puiffant à tous
les poëtes qui fe livrent au genre lyrique.
Comment imaginer, comment fe faire entendre^
fi on ignore & la matière fur laquelle il faut que
l’imagination s’exerce , & l’art qui doit mettre en
exécution ce qu’on aura imaginé ? Le goût feul peut-
il fuffire pour empêcher qu’on ne s'égare? & le goût
lui-même eft-il autre chofe qu’un fentiment éxqiiis,
que la connoiffance des matières auxquelles il s’applique
, la comparaifon, l’expérience peuvent feules
rendre fûr ?
La pompe, la variété, le contrafte toûjours jufte
& plein d’adreffe de tous les opéra de Quinault,
font encore de nos jours un des points les moins fuf-
ceptibles de critique de ces heureufes compofitioris.
On dit plus : il n’y a point d’opera de Quinault, dans
lequel, un homme de goût verfé dans l’étude des dif-
férens arts néceffaires à l’enfemble de pareils ffpecr
tacles, ne trouve à produire en machines & en dé-'
corations des beautés nouvelles , capables d’étonner
les fpe&ateurs & de rajeunir les anciens ouvrages;
Qu’on juge par-là du fonds inépuifable fur lequel
Quinault a travaillé.
Che2 lui d’ailleurs l’effet, le fer vice d’une décora
tion, ne nuifent jamais au fervice ni à l’effet de
celle qui fuit. Les tems de la manoeuvre, les con-
traftes néceffaires pour attacher les fpettateurs ,
l’ordre, l’enchaînement, les gradations, toutes ces
chofes y font ménagées avec un art, une exa&itude ,
une precifion qui ne fauroient être affez admirées ,
& qui fuppofent la connoiffance la plus étendue de
toutes ces parties différentes.
Voilà le modèle : malheur aux poëtes lyriques ,
euffent-ils même le génie de Quinault, s’ils négligent
d’acquérir les connoiffances qu’il a crû lui être
néceffaires. Voy. Machine , Merveilleux, O pér
a . Voyez auffi Varticlefuiv. DÉCORATION, Architecture.
(B ) ... i
DÉCORATION, terme d'Architecture. On entend
fous ce nom la partie de l’Archite&ure la plus inté-
reffante, quoique confidérée comme la moins utile
relativement à la commodité & à la folidité. En effet
, combien d’édifices publics & particuliers où la
j décoration devient peu néceflaire, tels que les cafer-
nes, les hôpitaux , les manufaûiires, les marchés
& autres bâtimens (économiques ? élevés dans les
villes pour la retraite des gens de guerre, le foula-
gement des pauyres, la facilité du commerce , ou
pour l’habitation des citoyens deftinés au trafic, aux
arts méchaniques, &c ?
Plus il nous feroit aifé de démontrer l’inutilité de
la décoration dans les bâtimens que nous venons de
nommer, & plus néanmoins il doit paroître important
que la décoration que nous entendons ic i, foit
de toute beauté, puifqu’elle eft deftinée à Cara&é-
rifer les édifices facrés, les palais des fouverains, la.
demeure des grands feigneurs , les places publiques A
D E C
les arcs de triomphe, les fontaines , les théâtres,
&c. qui ne peuvent s’attirer le fufïfage des nations
étrangères que par les embelliffemens que leur procurent
la décoration des dehors & la magnificence des
dedans.
On diftingue en général quatre genres de décora-
tioh ; celle des façades , celle des appartenons,
celle des jardins , &: celle des théâtres, qui toutes
demandent des caraderes diftindifs , quoique fou-
mifes également aux lois de la convenance , de la
bienféance, & aux principes du goût : connoiff ances
qui ne peuvent jamais s’acquérir fans l’exercice du
deffein, & l’examen réfléchi des plus beaux ouvrages
antiques & modernes concernant FArchiteduré^
la Sculpture, la Peinture, &c.
D e ces quatre genres de décoration, celle des façades
eft {ans contredit celle qui exige le plus les
préceptes de l’art. L’architeéture & la fculpture
concourent également à leur embelliffement ; mais
cette derniere doit être abfolument fubordonnée à
|a* première.
Par décoration d'architecture on entend l’application
des ordres, colonnes ou pilaftres, les frontons,
les portes, les croifées, les niches, les attiques, les
foûbaflëmens, les baluftrades ; différentes parties qui
fe doivent accorder fi bien avec les maffes & la di-
menfion du bâtiment, que Fune né puiffe être füp-
primée fans nuire au refte de l’édifice.
Par décoration de fculpture on entend les ftatues ,
les trophées, les vafes qui fervent à compofer les
amortiffemens & les couronnemens des façades, ou
à enrichir chacune de leurs parties, telles que les
chapiteaux des ordres, leurs entablemens, leurs pié-
deftaux, par des ornemens en bas relief, en demi-
boffe, en rond de boffe, &c. L’on appelle encore
décoration de fculpture , celle oîi l’architeélure entrant
pour qiielque chofe, fert à la compofition des tombeaux^
des fontaines jailliffantes ou tout autre ouvrage
pittorefque & contrafté , foûtenu feulement
fur des focles ou des empatemens qui leur fervent
de bafei
Les Grecs & les anciens Romains Font emporté
de beaucoup fur nous pour la décoration d’architecture
& de fculpture. Nos édifices en France les plus
généralement approuvés, font ceux qui approchent
le plus de la compofition de ces maîtres du monde ;
néanmoins il nous refte beaucoup à faire pour arriver
à la perfeôion dés monuffiens qui nous reftent
de ces peuples. Sans doute la différence de notre
climat, la difette des matières , moins d’opulence,
& peut-être un goût trop national., ont contribué à
ne les imiter que d’affez loin. Mais d’un autre côté
nous pouvons' avancer fans prévention que fi ces
nations nous ont montré une fi belle route, nous
fommes à-préfent les feuls qui puiflions être imités
des autres peuples, pour l’élégance des formes, le
détail des ornemens & la commodité de la diftribu-
tion ; de maniéré que dans les fiecles à venir on n’hé-
iitera point de citer l’Archite&ure françoife à la fuite
de la greque & de la romaine, nos archite&es en
ayant pour ainfi dire créé une relative à notre climat
& à nos befoins.
La décoration intérieure a pour objet la magnificence
des appartemens. Cette partie de l’Architecture
eft fans contredit celle qui , après la diftribu-
tion, fait le plus d’honneur a la France ; & on peut
avancer qu’à l’exception de quelques ornemens
peut-être trop frivoles que nos fculpteurs ont introduits
dans leurs décorations, il n’eft point de nation,
fans excepter l’Italie, qui entende auffi-bien cette
partie que nous. Les hôtels deTouloufe, deSoubife,
de Thiers, de M azarin, d e Biron, de Villars, 6*c. peuvent
être regardés comme autant de chefs-d’oeuvre
en ce genre, & Fon trouve dans leur.s appartemens
D E C 7 ° 3
la richeffe des matières, la magnificence des meubles
, la fculpture , la peinture, les bronzes, les glaces
, diftribués avec tant de goût, de choix & d’intelligence
, qu’il femble que ces palais foient autant
de lieux enchantés, élevés par l’opulence pour le fé-
jour des grâces & de la volupté.
La décoration des jardins confifte dans Fart de cultiver
avec goût la nature, de maniéré que ces deux
parties concourent à former ces lieux délicieux que
nous offrent abondamment les jardins de Verfailjes,
de Marly, de Meudon, de Sceaux , dè Qiantilly,
&c. la plûpart exécutés fur les deffeins de le Nautre
& de Manfard , & où fe trouvent raffemblés avec
autant de choix que de profiifion, les chefs-d’oeuvre
de fculpture de nos plus célébrés artiftes , les
canaux, les fontaines, les cafcades, les bofquets,
les terraffes, les efcaliers , les paliffades , les berceaux
de treillage ; enfin des pavillons, des fallons ,
des belvederes, des vertugadins, des boulingrins,
des figures & des vafes de métal, de marbre , de
bronze, tout ce que Fart, le génie, le goût & la magnificence
peuvent offrir de plus fomptueux.
C ’eft l’affemblage de toutes ces différentes parties,
aidé d’une fituation avantageufe , d’une expofition
convenable & dirigée par des mains habiles , qui
attire chez nous les nations les plus éloignées, & qui
nous ont mérité la réputation de grands jardiniers ;
nom célébré dû aux foins, à la vigilance & à la capacité
de la Quintinie , de le Nautre & de le Blond ;
enfôrte que Fon dit de l ’art du jardinage en France,
comme de l’Architeélure, les jardins françois, qui fe
diftinguent de ceux de l’Angleterre & de l’Italie ; les
premiers n’étant recommandables que par leur grandeur
étonnante, une belle {implicite, & un entretien
très-recherché ; les féconds, par la difpofition des
lieux, l ’abondance des eaux & la fertilité du terroir;
ceux-ci, quoiqu’embellis par le fecours de Fart & des
artiftes , doivent leur plus grande beauté k leur fituation
, & à un ciel plus favorable pour les productions
de la nature : avantage qui ne fe rencontrant
pas chez nous, nous fait avoir recours à Fart, quoique
Fon ne puiffe difeonvenir que nos jardins en
général font plus verds, moins triftes, moins arides,
& plus capables par cet endroit de fe plier au pouvoir
de Fart ; fédu&ion fatisfaifante pour nos jardins
de propreté, & qui oppofe un contrafte ingénieux
avec nos potagers , nos vergers , nos parcs , nos
bois & nos forêts, qui nous Tait paffer alternativement
dans un même lieu de l’agréable à Futile, du
merveilleux auféduifant, & enfin de la nature à Fart.
Voye{ plus bas D E C O R A T IO N . ( Jardinage.)
La décoration des théâtres confifte en Fart de rendre
par le fecours de la perfpeélive , de la peinture &
d’une lumière artificielle , tous les objets que nous
offre la nature. Rien de fi féduifant que ce que nous
pourroit préfenter Fart dans ce genre de chofes ; cependant
nous fommes forcés de convenir que de
toutes les parties de la décoration, celle des théâtres
eft celle que nous entendons le moins. Je ne fais par
quelle fatalité, avec les talens fupérieurs de plu-
ueurs de nos artiftes, les François font encore fi
éloignés des peintres d’Italie dans ce genre. Sans
doute l’oeconomie, le peu d’efpace de nos théâtres,
la difette de méchaniciens, l’indifférence de notre
nation pour les fpeftacles à cet égard ; le dirai-je?
l’ignorance des chefs ou des entrepreneurs de nos
fpeélacles, eft la fource du peu de fuccès de nos dé*
corations théâtrales. A l’exception du célébré Ser-
vandonfpeintre italien, qu’eft-ee que la plûpart de
nos décorateurs ? des peintres de chevalet qui n’ont
jamais forti de leurs cabinets, qui ignorent l’hiftoire,
les principes de l’archite&ure , les réglés de la perf-
peftive ; & qui bien loin de faifir le génie , le goût
ou l’opinion des peuples d’où le poème eft tiré, ap