point de créature dans l’univers qui pût être finie,
ce qui eft de la derniere abiurdité , ôc contraire à
l’expérience.
Enfin le choix que la caufe fuprème a fait parmi tous
les mondes pôflibles, du monde que nous voyons ,
eft une preuve de fa liberté ; car ayant donné l’actualité
à une fuite de chofes qui ne contribuoit en
rien par la propre force à fon exiftence, il n’y a
point de râifiôn qui dût l’empêcher de donner l’exif-
tence aux autres f uites pôflibles, qui étoient toutes
dans le irrêitie cas’, quant à la poflibilité. Elle a donc
choifi la fuite des chofes qui compofent cet univers,
pour lâ tendre aôùelle, parce qu’elle lui plaifoit le
plus. L’ê't'rè néceflairè eft donc un être libre ; car
agir fùivarit lés lois de fa volonté , c’eft être libre..
Pbyet L i b e r t é , O p t im i s m e , &c.
Huitième propà/ztion. Que l’être exiftant par lui-
même , la caufe fuprème de toutes chofes, poffede
une puiflance infinie. Cette propofition eft évidente
Ôc inconteftable ; car puifqu’il n’y a que Dieu feul
qui exifte par foi-même, puïfque tout ce qui exifte
dans l’univers a été fait par lui, ÔC puis enfin que
fout ce qu’il y a de puiflance dans le monde vient de
lu i, ôc lui eft parfaitement foûmife 8c fubordonnée,
qui né voit qu’il n’y a rien qui puiffe s’oppofer à
l'exécution de fa volonté ?
Neuvième propofition. Que la caufe fuprème & l’auteur
de toutes chofes doit être infiniment fage. Cette
propofition eft une fuite naturelle & évidente des
propofitions precedentes ; car n’eft-il pas de la derniere
évidence'qu’un être qui eft infini, préfent partout
, ÔC fouverainement intelligent, doit parfaitement
connoître toutes chofes ? Revêtu d’ailleurs d’une
puiflance infinie, qui eft-ce qui peut s’oppbfer à
fa volonté, ou l’empêcher de faire ce qu’il connoît
être le meilleur & le plus fage ?
Il fuit donc évidemment de ces principes-, que
l’être fuprème doit toujours faire ce qu’il-connoît
être le meilleur, c’eft-â-dire qu’il doit toujours agir
confôrmèment aux réglés les plus févére§ de la bonté
, de la vérité, de la juftice, ôc des'autres perfections
morales. Cela n’entraîne point une nécéflité
prife dans le fens des Fataliftes, une nécéflité aveugle
8c abfolue, mais uné nécéflité morale , compatible
avec la liberté la plus parfaite. Voyeç les articles
M a n i c h é i s m e 6* P r o v i d e n c e .
Argument hifioriqùe. Moyfe dit qu’au commencement
jDieu créa le ciel 8c la terre ; il marque avec
précifiôn l’époque de la naiflance de l’univers ; il
nous apprend le nom du premier homme ; il parcourt
les fiecles depuis ce premier moment jufqu’au tems
où il écrivoit, paflant de génération en génération,
& marquant le tems de la naiflance 8c de la mort
des hommes qui fervent à fa chronologie, Si on
prouve que le monde ait exifté avant le tems marqué
dans cette chronologie , on a raifon de rejetter
cette hiftoire ; mais fi on n’a point d’argument pour
attribuer au monde une exiftence plus ancienne ;
c’eft agir contre le bon fens que de ne la pas recevoir.
Quand on fait réflexion que Moyfe rie donne au
monde qu’environ -1410 ans, félon l’hébreu, ou
'3943 ans, félon le grec , à compter du rems où il
écrivoit, il y auroit fujet de s’étonner qu’il ait fi peu
étendu la durée du monde, s’il n’eût été perfuadé de
cette vérité par des monumens invincibles.
Ce n’eft pas encore tout : Moyfe nous marque un
tems dans fon hiftoire, auquel tous les hommes par-
loient un même langage. Si avant ce tems-là on
trouve dans le monde, des nations , des inferiptions
de differentes langues., lâ fuppofition de Moyfe tombe
d’elle-même. Depuis Moyfe, en remontant à la
confufion des langues, il n’y a dans l’hébfeu que
fix fiecles ou environ, & onze, félon les Grecs : ce
ne doit plus être une antiquité abfolument inconnue.
Il ne s’agit plus que de favoir fi en traverfant
douze fiecles tout au plus, on peut trouver en quelque
lieu de la terre un langage ufité entre les hommes
, différent de la langue primitive ufitée , à ce
qu’on prétend, parmi les habitans de l’Afie. Examinons
les hiftoires , les monumens, les archives du
monde : renverfent-elles le fyftème 8c la chronologie-
de Moyfe ,1 ou tout.concourt-il à en affermir la vérité?
dans le premier ca s , Moyfe eft un impofteur
également groflier & odieux ; dans l’autre, fon récit
éll inconteftable : ôc par conféquent il y a un D i e u >
puifqu’il y a un être créateur. Or durant cette longue
durée de fiecles qui fe font écoulés avant nous ,
il y a eu des auteurs lans nombre qui ont traité des
fondations des empires 8c des villes , qui ont écrit
des hiftoire^ générales, ou les hiftoires particulières
des peuples ; cellès même des Aflyriens 8c des Egyptiens
, les deux nations, comme l’on fait y les plus
anciennes du monde ; cependant avec tous ces fe-
cours dépofitaires de la plus longue tradition, avec
mille autres que je ne rapporte point, jamais on n’a
pû remonter au-delà des guerres de Thebes 6c de
T ro y e , jamais on n’a pû fermer la bouche aux phi-
lofophes qui foûtenoient la nouveauté du monde.
Avant le légiftateur des Juifs, il ne paroît dans ce
monde aucun veftige des fciences, aucune ombre
des arts. La Sculpture & la Peinture n’arriverent que
par degrés à la perfeÛion où elles montèrent : l’une
au tems de Phidias, de Polyclète, de Lyfippe , de
Miron, de Praxitèle & de Scopas ; l’autre , par les
travaux de Nicomachus, de Protogène, d’Apelle ,
de Zeuxis ôcd’Ariftide. LaPhilofophie ne commença
à faire des recherches qu’à la trente-cinquieme
olympiade, où naquit Thaïes ; ce grand change-*
ment, époque d’une révolution dans les efprits, n’a
pas une date plus ancienne. L’Aftronomie n’a fait
chez les peuples qui l’ont le plus cultivée, que de
très-foibles progrès, & elle n’étoit pas même fi ancienne
parmi leurs favans qu’ils ofoient le dire. La
preuve en eft évidente. Quoiqu’en effet ils enflent découvert
le zodiaque , quoiqu’ils l ’euflent divifé en
douze parties 8t en 3 60 degrés , ils ne s’étoient- pas
néanmoins apperçus du mouvement des étoiles d’occident
en orient ; ils ne le foupçonnoient pas même,
& ils les croyoient immuablement fixes. Auroient-
ils pû le penfer, s’ils euffent eu quelques obferva-
tions antiques ? Ils ont mis la conftellation du bélier
dans le zodiaque , précifément au point de
l’équinoxe du printems : autre erreur. S’ils avoient
éu des obfervarions de 2202 ans feulement, n’au-
roient-ils pas dit que'lé taureau étoitau point de l’équinoxe
? Les lettres mêmes, je veux dire, l’art de
l’écriture, quel peuple en a connu l’ufage avant
Moyfe? Tout ce que nous avons d’auteurs profanes
s’accordent à dire que ce fut Cadmus qui apporta
les lettres de Phénicie en Grece ; 6c les Phéniciens ,
comme on le fait, étoient confondus avec les Affy-
riens ôc les Syriens, parmi lefquels on comprenoit
auflî les Hébreux. Quelle apparence donc que le
monde eût eu plus de durée que Moyfe ne lui en
donné, 6c toutefois que la Grece fût demeurée dans
une fi longue enfance, ne connoiffant rien,ou ne perfectionnant
rien de ce qui étoit trouvé déjà ? On voit
les Grecs en moins de quatre cents ans , devenus
habiles 6c profonds dans les arts 6c dans les fciences.
Eft-ce donc que les hommes de ces quatre heureux
fiecles avoient un efprit d’une autre efpece 6c
d’une trempe plus heureufe que leurs ayeux ?
On pouvoit dire à M. Jacquelot, de qui cet argument
eft tiré , qu’en fe renfermant dans les con-
noiffances 6c dans Les inventions de la Grece, il pre-
noit la queftion du côté le plus avantageux à fa
caufe, 6c lui oppofer l’ancienneté prodigieufe des
emjfires d’Aflyrxè , d’Egypte, de la Chine même.
Auflî prend-t-il foin de rechercher en habile critique
l’origine de ces nations, 6c de faire voir qu’elles
n’ont ( au moins ces deux premières) que l’antiquité
que leur donne Moyfe. Ceux en effet qui accordent
la plus longue durée à l’empire des Aflyriens, ne
l ’étendent pas au-delà de ryoo ans. Juftin l’a renfermée
dans l’efpacede treize fiecles. Ctefias n’y ajoûte
que 6b années de plus ; d’autres ne lui donnent que
1500 ans. Eufebe la reflerre en des bornes encore
plus étroites ; & Georges Syncelle1 penfe à-peu-près
comme Ctefias. C ’eft-à-dire qu’à prendre le calcul
le moins fevere, les Aflyriens n’auront commencé
que deux mille cinq ou fix cents ans avant J. C. 6c
environ çinq ou fix fiecles avant la première con-
noiflance que l’hiftoire nous donne de la Grece.
A l ’égard de l’Egypte, qui croira, dans la fuppofition
qu’elle fût auflî ancienne qu’elle fe vantoit de
l ’être, que Moyfe n’en eût pas accommodé l’hiftoire
avec la chronologie du monde , ôc qu’il eût ex-
pofé la fauffeté de les dates à la dérifion d’un peuple
fi connu de lu i, fi habile , fi voifin ? Cependant
il le fait defeendre d’une race maudite de Dieu; 8>c
en le difant, il ne craint point d’être repris^ Il eft
confiant, d’ailleurs, qu’il n’y a guère eu dé peuple
plus célébré que les Egyptiens dans les annales
profanes. La feule ville d’Alexandrie, devenue comme
le rendez-voUs des grands talens, renfermoit
dans fies murs, 6c fur-tout depuis l ’établiffement du
Ghriftianifme, des favans de toutes lès* parties de
l’univers , de toutes les religions ôc de toutes les
feéles; des Juifs, des Chrétiens, 6c des Philofiophes.
Oh ne peut vraiflemblablement douter qu’il n’ÿ eût
fiouvent des difputes entr’eux; car où il y a dès favans,
il y a bientôt des conteftations , 6c la vérité
elle-même y eft toûjours combattue avec ces armes
que l’efprit humain ne fait que trop bien employer
dans les matières de doélrine. Or ici tout rou-
loit fur des faits : tout dépendoit de favoir fi l’univers,
ainfi que Moyfe l ’avoit d i t , n’avoit que fix
mille ans tout au plus; fi quatre fiecles avant lu i,
ce même monde avoit été noyé dans les eaux d’un
déluge qui n’avoit épargné qu’une famillé, 6c s’il
étoit vrai que trois mille ans auparavant, il n’y eût eu
fur la terre qu’un feul 6c unique langage. Qu’y avoit-
il de plus facile à éclaircir ? On étoit fur le lieu
même. On pouvoit aifément examiner les temples j
les fepulchres , les pyramides, les obélifques ' j lès-
ruines de Thebes, 6c vifiter ces fameufes colonnes
Sciriadiques; ou, comme les appelle Ammian Marcellin
, ces fyringues foûterraines, où l’on avoit gravé
les myfteres fiacrés. On avoit fous la main les annales
des prêtres ; 6c enfin on pouvoit confidter les
hiftoires, qui alors étoient nombreufes. Toutefois
au milieu devant de reflources contre l’erreur, ces
faits pofés atfec tant de confiance dans les livres de
Moyfe, ne trouvoient point de contradicteurs ; 6c
l’on défie la critique qui ofe tant d’ofer les nommer.
Le feul Manethon, qui vivoit fous Ptolémée Phi-
ladelphe, mit au jour une hiftoire chronologique de
l’Egypte depuis fa première origine , jufqu’à la fuite
de Neûanebo en Ethiopie, environ la 117 olympiade.
Mais quelle hiftoire ! & qui pouvoit s’y laif-
fer tromper ? Elle fait regner en Egypte fix dieux,
dix h é r o s ou demi dieux, durant trente-un ou trente-
deux mille ans ; enfuite elle fait paroître le roi Mé-
nès , & compofe la lifte de fes fuccefleurs de trois
cents quarante monarques, dont la durée totale eft
d’environ trois mille ans. De grands hommes ont
effayé dans tous les tems de mettre quelqu’ordre
dans la confufion de ce cahos, 6c de débrouiller ce
monftrueux entaffement de dynafties de. dieux , de
h é r o s , 6c de princes ; mais ce que l’étude la plus opiniâtre
a fait d’efforts, n’a fervi qu’à en montrer l’impiuflance,
6c le jour n’a pû percer encore de fi épaif-
fes tenebres. Ces dynafties font-elles fucceflives,
font-elles^collatérales ? On ne fait. Les années Egyptiennes
n étoient - elles que d’un mois' ou de deux,
comme quelques-uns l’ont prétendu ? Etoient- elles
de quatre, 8c fe régloient-elles par les faifons, comme
d autres le foutiennent ? Queftion impoffible à
terminer par les témoignages anciens ; ils fe contrarient
trop fur cet article. Nos modernes eux-mêmes
font encore moins unanimes ; ôc malgré les travaux
de Scaliger, du pere Petau, du chevalier Marsham,
du pere Pezron , Ôc des autres, cette chronologie
de Manethon eft demeurée un labyrinthe, dont il
faut pour jamais défefpérer de fortir.
Il y a un peuple encore fubfiftant, ce font les
Chinois , qui femble donner au monde une plus
grande ancienneté que nos Ecritures ne lui en donnent,
Depuis que ces régions nous font plus Connues,
on en a publié les annales hiftoriques, 6c elles
font remonter l’origine de cet empire à-peu-près
3 mille ans au-delà delà naiflance de J. C. Nouvelle
difficulté fouvent faifie par les incrédules contre la
chronologie de Moyfe. Afin de détruire ce prétexte
, M. Jacquelot fait diverfes remarques toutes importantes
& folides, fur i’incertitude de l’hiftoire
Chinoiîe. Mais pour trancher , il foutient que même
en lui accordant fes calculs, ils ne nùirôierit
point à la vérité des nôtres. Rien n’oblige en effet à
préférer la fupputation de l’Hébreu à celle des fep-
tante. O r , dans celle-ci, l ’ancienneté dè l’univers
eft plus grande que dans l’autre. Donc, puifqu’il ne
faudroit pour concilier lès dates des Chinois avec
les nôtres , que cinq fieçles.de plus qué n ’em porte
lé texte hébreu, 6c que ces cinqrfiéclès font- rem-'’
placés,' & au-delà , fdans la traduàipn des feptante, ’
là difficulté eft levée ; 6c ii eft clair que l’empire de
la Chine eftpoftérieur au déluge. Voye^ C h r o n o l
o g i e .
Objection. Suivant les abrégés latins des annales
maintenant fuiyies à la Chine, les tems mêmes hiftoriques
de cet empire commencent avec le régné
de Hoamù 2697 ans avant J. C. ôc cette époque, qui
dans la chronologie du texte hébreu , eft antérieure
au déluge de plus d’un fiecle, ne fe trouve dans le
calcul des feptante, poftérieure que de 200 ans à
la difperfion des peuples & à la naiflance de Pha-
leg. Or ces 200 ans , qui d’abord-femblent un affez
grand fond & une reffohree capablé de tout concilier
fe trouvent à peine fiiflifans pour conduire les fondateurs
de la colonie Chinoife Ôc'leiirs troupeaux depuis
les plaines de Sennaar, jufqu’aux extrémités
orientales de l’Afie ; & encore par quels chemins ?
à travers des folitudes affreulès ôc des climats devenus
prefqu’inacceflibles, après les ravages de l’inondation
générale.
M. Freret, un des plus favans hommes de nos
jours, 8t des plus verfés dans la connoiffançe des
tems, a fenti toute la force de cette objeâion, ôc
fe l’eft faite. Il a bien vû , que pour la réfoudre, il
étoit néceffaire de percer plus qu’on ne l’avoit fait
encore dans les ténèbres de la chronologie Chinoife.
Il a eu le courage d’y entrer , 6c nous lui avons
l’obligation d’y avoir jetté du jour par fes doftes
recherches. II eft prouvé maintenant, du moins autant
qu’il eft poflible, que cette immenfe durée que les
Chinois modernes aflignent aux tems fabuleux de
leur hiftoire, n’eftuque le réfulrat des périodes af-
tronomiques inveiJëes pour donner la conjon&ion
des planètes dans certaines conftellations. A l’égard
des tems hiftoriques, il eft prouvé de même que les
régnés d'Iao ôc de Chum, les deux fondateurs de la
monarchie Chinoife , ont fini feulement 1991 ans
avant l’ere chrétienne ; que ces deux régnés ne font
au plus que 156 ans , qu’ils ne peuvent par confé?