
n’ait été exécuté fur de très-grands travaux avec le
plus grand fuccès & à la fatisfaûion des fupérieurs ;
cependant comme il peut arriver que la lituation 8c
l’oeconomie des provinces foient différentes, 8c que
le génie 8c le caraftere des unes ne répondent pas
toujours au génie 8c au cara&ere des: autres, l’on
fou met d’avance tout ce que l’on expofera aux lumières
8c aux connoiffances des fupérieurs.
L’aâ e de la corvée n’étant pas un aôe libre , •c’eft
•clans notre gouvernement une des chofes dont il pa-
roît par conféquènt que la conduite 8c les réglemens
doivent être fimples & la police breve 8c militaire.
Un aûe de cette nature ne fupporte point non plus
une juftice minutieufe, comme tous les autres a êtes
qui ont direélement pour objet la liberté civile & la
Pureté des citoyens. La conduite en doit être d’autant
plus fimple, que l’on ne peut prépofer poiir y
veiller qu’un très-petit nombre de personnes, & la
police en doit être d’autant plus concife , qu’il faut
que ces ouvrages foient exécutés dans le moins de
tems -po’ffible, pour n’en point tenir le fardeau fur
les peuples pendant un grand nombre d’années.
La véritable occupation d’un infpeéteur chargé
d’un travail public, eft de réfider fur fon ouvrage,
d’y être plus fouvent le piquet d’une main pour trac
e r , & l’autre main libre pour porter les travailleurs
&c les conduire fans qu’ils fe nuifent les uns aux
autres, que d’avoir une plume entre les doigts pour
tenir bureau au milieu d’un ouvrage qui ne demande
que des yeux & de l’aétion.
: Suivant ces principes, il;ne me.paroît pas convenable
d ’entreprendre en entier & à la fois la conf-
truélion de toute une route ; les. travailleurs y fe-
Jroient trôp'difperfés, chaque partie ne pourroit être
qu’imparfaitement faite : l’infpeèleur , obligé de les
saller chercher les uns après les autres, pafferoit tout
ion tems en tranfport de fa perfonne & en courfes,
c e qui multiplieroit extrêmement les inftans perdus
$>our lui & pour les travailleurs qui ne font rien en
/on abfence,.ou qui ne font rien cle.bien. Il devient
donc indifpenfable de n’entrëprendre toute une rou-
te que parties à parties, en commençant toujours par
pelles qui font les plus.difficiles & les plus urgentes,
,8c en réuniffant ;à cette fin les forces de toutes les
communautés chargées de la-conftruètion. On ne
doit former qu’un ou deux atteliers au plus., fur cha-
.cn.n defquels un infpeôeur doit faire fe réfidence.
Les communautés y feront appellées par détachement
de chacune d’elles , qui fe relèveront toutes
•de femaines en femaines ; ces détachemens travail-
Jeront en corps, mais à chacun d’eux il fera afligné
•ime tâche particulière, qui fera déterminée fuivant
rta quantité des joitrs qu’on leur demandera , fur la
-force du détachement, dont les hommes robuftes
•eomp.enferont les foibles, 8c enfin fur la nature du
jt-errem.
On évitera avec grand foin tout ce qui peut mul-
"îiplier les détails 8c attirer les longueurs ; les ordonnances
adreffées aux communautés, une feule fois
jehaque failbn, indiqueront tout Amplement le jour,
-ielieu.,/la force du détachement, de la nature des
.«outils & des voitures.
üur .ces ordres , les détachemens s’étant rendus
«au commencement d’une femaine fur l’attelier indi-
-qiiéi, >6n distribuera d’abord à chaque-détachement
rauie -longueur de fortes proportionnée à fes forces1,
iôe<©n lès portera de fuite les -uns au bout des autres.
-On fiiiyra .cette manoeuvre jufqu’à ce que les fortes
foientfaits fur toute la partie que l’on aura crû pouv
o ir ^entreprendre dans une failbn ou dans une campagne.
On fouillera enfuite l’encaiffement de même,
'■ & lorfqti’il fera'oiiyert & dreffé fur ladite longueur,
o n en nfera auffi de la même forte pour l’empierre-
cieutr ea donnant .chaque, femaine pour tâçhe à chaque
détachement une longueur fuffifante d’encaiffe-
ment à.remplir ,• qui fera proportionnée à la facilité
ou à la difficulté du tirage 8c de la voiture de la pierre.
Cet empierrement fe fera à Ifordinaire, couche par
couche. Les tâches hebdomadaires feront marquées
les unes auboutdes autres. Le cailloutis ou jard fera
amene & répandu enfuite, 8c les bermes feront ajustées
8c reglees auffi fuivant la même méthode.
Si l’ouvrage public confifte en déblais & en remblais
dans une grande 8c profonde vallée, on place
les detachemens fur les cotes qu’il faut trancher ; on
les difpofe fur uné ou plufieurs lignes ; on fait marcher
les tombereaux par colonnes -, ou de telle autre
façon que la difpofition du lieu le permet ; & comme
dans ce genre de travail il ne fe voiture de terre qu’-
autant que l’on en fouille par jour, & qu’il feroit difficile
d’appretier ce que les pionniers peuvent fouiller
pour une quantité quelconque de voitures , eu
égard à la diftance du tranfport; c’eft par la quantité
de voyages que chaque voiturier peut faire chaque
jour, que l’on réglé le travail du journalier. Un
piqueur placé fur le lieu de la décharge, donne à
cette fin une contre-marque à chaque voiturier pour
chaque voyage ; 8c comme chacun d’eux cherche
à finir promptement la quantité qui lui eft preferite
pour le jour 8c pour la lemaine , chaque voiturier
devient un piqueur qui preffe le manouvrier , 8z
chaque manouvrier en eft un auffi vis-à-vis de tous
les voituriers.
C ’ert à l’intelligence de l’infpefteur à proportionner
au jufte, chaque jour ( parce que l’emplacement
varie chaque jour ou au moins chaque femaine), la
quantité de pionniers au nombre des voitures, & le-
nombre des voitures à la quantité de pionniers, de
façon qu’il n’y ait point'trop de voitures pour les
uns , 8c trop peu de manouvriers pour lès autres ,
fans quoi il arriveroit qu’il y auroit ou une certaine
quantité de voitures, ou une certaine quantité de
manouvriers qui perdroient leur tems, ce qu’il eft
de confequence de prévoir & d’éviter dans les cor-
yées. C ’eft dans de tels ouvrages que les taiens d’un
infpeûeur fe font connoître s’il en a , ou qu’il eft à
portée d’en acquérir & de fe perfectionner, dans l’art
de conduire de grands atteliers. Enfin de femblables
travaux, par le nombre des travailleurs, parla belle,
difeipline que l’on y peut mettre, par le progrès fur-
prenant qu’ils font chaque femaine & chaque faifon,:
méritent le nom d’ouvrages publics.
J’ai toujours évité, dit l’auteur de cet article,}
dans les travaux oii je me fuis trouvé, compofés de
quatre & cinq cents travailleurs , 8c d’un nombre
proportionné de voitures, de faire mention dans les’
ordonnances dont la difpenfation m’étoit confiée
de toutes les différentes parties dont l’ouvrage d’une
grande route eft compolé , ainli qu’on le . pratique:
depuis long tems fur la route de Tours au Château-
du-Loir : on y donne fucceffiyement des ordonnances,
pour les fortes , pour les déblais, pour les remblais
, pour le tirage de la pierre, pour fa voiture ,
8c enfin pour le tirage 8c l’emploi du jard. Ou je me
trompe, ou quand on multiplie ainfi aux yeux.des
peuples que l’on fait travailler fans falaire tous' les.
differens .objets de la corvée, on doit encore pkr-là
la leur rendre plus à charge & plus infuppoftable.
Et cbmment ne leur feroit elle pas à charge-, puifque
pour céux mêmes qui les conduifent, ces détails né
peuvent être que pénibles.& laborieux? ces ordonnances
menènt néceffairement à un détail infini ; el-
Les deviennent une pépinière immenfe d’états , de
rôles, 8c de bien d’autres ordonnances qui en réful-
tent. Autant d’ordonnances, autant enluite de di-
verfes branches de réfraûaires qui pullulent de jour
en jour. Une ordonnance pour cent toifes de pierre
n’en produit que quatrevingt? ; un,ç .ordonnance
p©uf deux cefits foifes de fortes , n’çnj produit que
<?ent foixante; autant il, en arrive pouf les déblais &
pour les remblais : en, e-ft enfuite obligé de recourir
à des,fopplémefis & à de nouvel les. imposions qu’il
faut encore faire 8ç repartir for, le général : & tout
çeci çfl: inévitable.i non-feulement parce qu’il y a
autant de petites fraudes qu’il y a de particuliers St de
différens objets .dans leurs tâches., mais encore parce
que cette méthoefo n© pouvant manquer d’entraîner
des «longueurs, & demandant un fiombre d’années
confidérable pour itne entière exécution, il y a fans
certefoes abfens dans les communautés, il y arrive
un grand nombre de morts, & il fe fait de nouveaux
privilégiés:& des infolvables.
De L’expérience de tant d’inconvéniens, il en ré-,
fuite ce me femble que les ordonnances pour les çor-
vées doivent fe borner à demander des jours, & que
l’emplpi de ces jours doit être laiffé à la dire&ion des
infpeôeurs qui conduifent les ouvrages, pour qu’ils
les appliquent fuivant le tems & le. lieu qui varient
fuivant le progrès des travaux. Si les détachemens
font au nombre do cinquante , il ne faut le premier
jour de la femaine qu’une demi-matinée au plus,
pour leur donner à chacun unç tâche convenable.
Les. appels fe font par brigade le foir & le matin ;
on commence à cinq heure? le matin , on finit à fept
le foir ; l’heure des repas & du repos eft réglée comme
fur les ouvrages à prix d’argent. Dans tout ce qui
peut intervenir .chaque .joiq & chaque inftant, l’inf-
peôeur ne doit vifer qu’au grand dans le détail, 8ç
éviter toutes les languiflantes minuties. Sa principale
attention eft, comme j’ai dit, de mettre & de
maintenir l’harmonie dans tous Jes mouvemens de
ces bras réunis.
Les différens condufteurs dont il fe fert peuvent
çux-mêmes y devenir très-intelligens ; ces ouvrages
feuls font capables d’en foriper d’excçllens pour
la conduite de travaux de moindre importance. Il
n’en eft pas de même des corvées tarifées, les con-
dufteurs qu’on y trouve n’ont pas même l’idée d’un
ouvrage public ; ils ne font que marcher du matin
au foir, ils courent quatre lieues pour enregiftrer
une demi-toife de pierre, qui fera petit-.être volée
le lendemain çomme il arrive fouvent, & ils font
enfuite deux ou trois autres lieues pour trois pu quatre
toifes de foffés ou quelques quarts de remblais ; ils
font devenus excellens piétons & grands marcheurs,
mais ils feroient incapables , quoiqu’ils foient employés
depuis bien du tems, de conduire un attelier
de vingt hommes réunis , & de leur tracer de l’ouvrage.
,
La fimplicité de l’autre méthode n’a pas befoin
d’être plus développée, quant à préfent, pour être
conçue ; paffons à la maniéré d’adminiftrer la police
fur les corvoyeurs de ces grands atteliers, pour les
contraindre quand Us refufent de venir fur les travaux
, pour lès maintenir dans' le bon ordre quând
ils y font, & pour punir les querelleurs, les defér-
teurs, &c.
Ç ’eft itne queftion qui a fouvent été difeutée ; fi
cette police devoit être exercée par les infpe&eurs,
ou fi l’autorité publique devoit toujours s’en refer-
ver le foin. Pour définir & limiter l’étendue de leur
reffort, il paroît que c ’eft la nature même de la choie
fur laquelle rëftde la portion d’autorité qui leur
eft confiée, qui en doit déterminer .& régler l’étendue
; ainfi on n’a qu’à appliquer ce principe à la police
particuliere que les corvées demandent, pour lavoir
jufqu’à quel point l’autorité publique doit en
prendre elle-même le détail, & oîi elle peut enfuite
s’en rapporter aux infpefteurs qu’elle a crû capables
de les conduire , 8c qu’elle ri’a choifi qu’à cette fin.
Les travailleur« dont on fe fert dans les travaux
publics, font ou volontaires ou forcés ; s’ils font voîontaires
j copime dans fos. travaux à prix d’argent,
le foin de leur conduite femble, devoir appartenir à
ceux qui préfixent direéte-ment fur l’ouvrage ; QQS
travailleurs font venus dè.gré fe ranger fous leur police
& fous leurs ordçes, Sç ceux qui les comman-
.dent connoirtent feuls parfaitement la nature & la
confequence des defordres qui peuvent y arriver.
S’ils font forcés, comme dans les corvées, alors il
eft très-fenfibie que l'autorité publique , qui veille
• fur les peuples où les, travailleurs, forcés font pris,
doit entrer néceflairement pour cette partie qui inj-
téreffe tout l’état, dans lç détail du fervice des corr
<vées%, C’eft parce que ces travailleurs font peuples,
qu’il ne doit y avoir que les intendances & les fuhr-
délégations qui puiffent décider du choix des paroif-
fes, en regler la quantité, étendre, ou modérer la durée
de l’ouvrage, & en donner le premier lignai; il
n’y a que dans ces bureaux où l’on foit parfaitement
inftruit de la bonté ou de la mifere du tems,. des far
cultés des communautés, & des vues générales de
l’état. Mais lorfque ces peuples font enfuite devenu?
travailleurs par le choix de la puiffance publique,
ils deviennent en même-tems & par cette même ra.i-
fon fournis à l’autorité particulière qui préfide for le
travail ; il conviendra donc que pendant tout le tem$
qui aura été défigné, ils foiçnt dire élément alors fous
la police des ingénieurs & des infpefteurs, fur qui
roule particulièrement le détail de l’ouyrage , qui
doivent faire l’emploi convenable fuivant le tems &
fuivant le lieu, de tous, les bras qu’on ne leur donne
que parce que leur talent 8c leur état eft d’en régler
l’ufage 8c tous les mouvemens.
Par la nature de la cherté même, il paroîtroit ainfi
décidé que les corvoyeurs , comme peuples jiferoient
appellés & rappellés des travaux par le eanalidfeeft
de l’autorité.fupérieure, 8c qu’ea qualité de travailleurs
ils feront enfuite fous la police des ingénieurs
& infpeûeurs ; que ce doivent être ces derniers qui
donneront.à chacun fa part, là tâche, & fe portion
de la façon que la difpofition & la nature de l’ouvra*-
ge indiqueront être néceflàire pour le bien commun
de l’ouvrage 8c de l’ouvrier ; que ce feront eux qui
feront venir les abfens, qui puniront les réfraélaires,
les pareffeux, les querelleurs, &c. & qui exerceront
une police réglée & journalière fur tous ceux qui
leur auront été confiés comme travailleurs. Eux feul?
en effet peuvent connoître la.nature 8c la conlëquen-
çe des délits, eux feuls réfident fur l’ouvrage où les
travailleurs font raffemblés ; eux feuls peuvent donc
rendre à tous la juftice convenable & néceflàire.
£ien entendu néanmoins que ces infpeâeurs feronf
indifpenfeblement tenus vis-à-vis de l’autorité pu^
blique ( qui ne peut perdre de vûe les travailleurs
parce qu’ils font peuples ) à lui rendre un compte
fidele 8c fréquent de tout ce qui fe parte parmi les
travailleurs, ainfi que du progrès de l’ouvrage.
Ce qui m’a prefque toûjours porté , dit l ’auteur,'
à regarder ces maximes comme les meilleures, ce
fi’eft pas uniquement parce qu’elles font tirées de la
nature des chofes, c’eft auffi parce que j’en ai toû-*
jours vû l’application heùreufe, & que je n’ai re-^
connu qué des inconvéniens fort à charge aux peuples,
8c très-contraires aux ouvrages quand on s’eft
écarté de ce genre de police.
Comment en effet les bureaux d’une intendance
ou un fubdélégué dans fon cabinet, peuvent-ils
pourvoir au bon ordre des travaux dont ils font toû*
jours éloignés ? les délits qui s’y commettent font
des délits de chaque jour, qu’il faut punir chaque
jour; ce' font des délits de chaque inftanr, qu’il fauç
réprimer à chaque inftant; l’impunité d’une feule
journée fait en peu de tems d’un ouvrage public une
folitude, ainii qu’il eft arrivé fur la route de Tours
au Château-iu-Loir, à caufe de.la police compofée