On rencontre fouvent dans les anciens auteurs
orccs ces deux déluges, défignés par les noms de
*cataclyfmtis prior , 8c cataclyfmus pojlerior.
« Les hiftoriens parient encore des déluges de Pro-
» methée, de Xifuth'rus, d’un autre très-fameux qui
» fe fit dans l’île de Samothrace, & qui fut caufé
» par le dégorgement fubit du Pont-Euxin qui rom-
» pit le Bofphore ; déluges dont les époques font peu
» connues, 8c qui pourroient n’être que le même,
>s dont la mémoire s’eft différemment altérée chez
» les différens peuples qui y ont été expofés ».
Dans nos fiecles modernes nous avons eu les
inondations des Pays-Bas, qui enfevelirent toute
cette partie appellée aujourd’hui le golfe Doffart
dans la Hollande, entre Groningue 8c Embden, 8c
en 142 1 , toute cette étendue qui fe trouve entre le
Brabant 8c la Hollande. « Ainfi on peut juger que
» ces contrées ont été encore plus malheureufes que
» ne furent autrefois la Theffalie, l’Attique, & la
» Béotie dans leurs déluges, qui ne furent que paf-
» fagers fur ces contrées ; au lieu que dans ces trif-
» tes provinces de la Hollande le déluge dure en-
» core ».
Mais le déluge le plus mémorable dont l’hiftoire
ait parlé , & dont la mémoire refiera tant que le
monde fubfiftera, eft celui qu’on nomme par excelM
lence le déluge, ou le déluge univerfel, ou le déluge de
Noé : ce fut une inondation générale que Dieu permit
pour punir la corruption des hommes, en dé-
truifant tout çe qui avoit vie fur la face de la terre,
excepté N o é , fa famille, les poiffons, 8c tout ce
qui fut renfermé dans l’arche avec Noé.
Cet événement mémorable dans l’hiftoire du monde
, eft une des plus grandes époques de la chronologie.
Moyfe nous en donne l’hiftoire dans la Gene-
f e , ck. vj. & vij. Les meilleurs chronologies le fixent
à l’an de la création 1656,2293 ans av. J. C.
Depuis ce déluge, on diftingue le tems d’avant 8c
d’après le déluge.
- Ce déluge, qu’on eût dû fe contenter de croire ,
a fait & fait encore le plus grand fujet des recherches
& des réflexions des Naturalises, des Critiques
, &c. Les points principalement conteflés peuvent
être réduits à trois : i° fon étendue, c’eft-à-dire
s’il a été général ou partiel : 20 fa caufe : & 30 fes
effets.
i°. L’immenfe quantité d’eau qu’il a fallu pour-
former un déluge univerfel, a fait foupçonner à plu-
lieurs auteurs qu’il n’étoit que partiel. Selon eux un
déluge univerfel étoit inutile , eu égard à fa fin, qui
■ étoit d’extirper la race des méchans ; le monde alors
étoit nouveau, & les hommes en très-petit nombre ;
l ’Ecriture - fainte ne comptant que huit générations
depuis Adam, il n’y avoit qu”une partie de la terre
habitée ; le pays qui arrofe l’Euphrate, & qu’on fup-
pofe avoir été l’habitation des hommes avant le déluge
, étoit fuffifant pour les contenir : o r , difent-ils,
la providence qui agit toûjours avec fageffe 8c de la
maniéré la plus fimple, n’a jamais difproportionné
les moyens à la fin, au point que pour fubmerger
une petite partie de la terre, elle l’ait inondée toute
entière. Ils ajoûtent que dans le langage de l’Ecriture,
la terre entière ne fignifie autre cnofe que tous
fes habitans ; & fur ces principes, ils avancent que le
débordement du Tigre 8c de l’Euphrate, avec une
pluie confidérable, peut avoir donné lieu à tous les
phénomènes & les détails de l’hiftoire du déluge.
Mais le déluge a été univerfel. Dieu déclara à Noé,
Gen. vj. ty. qu’il avoit refolu de détruire par un déluge
d’eau tout ce qui refpiroit fous le ciel & avoit
vie fur la terre. Telle fut fa menace. Voyons fon
exécution. Les eaux, ainfi que l’attefte M oyfe, couvrirent
toute la terre, enfevelirent les montagnes,
8c furpafferent les plu? hautes d’entr’elles (fe quinze
coudées : tout périt, oifeaux, animatix, hommes 2
8c généralement tout ce qui avoit v ie , excepté Noé,
les poiffons, 8c les perfonnes qui étoient avec lui
dans l’arche. Gen. vij. ig. Un déluge univerfel peut-
il être plus clairement exprimé ? Si le déluge n’eût
été que partiel, il eût été inutile de mettre 100 ans
à bâtir l’arche , 8c d’y renfermer des animaux de
toute efpece pour en repeupler la terre : il leur eût
été facile de fe fauver des endroits de la terre qui
étoient inondés , dans ceux qui ne l’étoient point ;
tous les oifeaux au moins n’auroient pû être détruits,
comme Moyfe dit qu’ils le furent, tant qu’ils auroient
eu des ailes pour gagner les lieux ou le déluge ne fe-
roit point parvenu. Si les eaux n’euffent inondé que
les pays arrofés par le Tigre 8c par l’Euphrate, jamais
elles n’auroient pû furpaffer de quinze coudées
les plus hautes montagnes ; elles ne fe feroient point
élevées à cette hauteur : mais fuivant les lois de la
pefanteur, elles auroient été obligées de fe, répandre
fur toutes les autres parties de la terre, à moins
que par un miracle elles n’euffent été arrêtées ; 8c
dans ce cas, Moyfe n’auroit pas manqué de rapporter
ce miracle comme il a rapporté celui des eaux,
de la mer Rouge, 8c du Jourdain, qui furent fufpen-
dues comme une muraille pour laiffer paffer les If-
raélites. Ex. xjv. 22. Jof. iij. 16.
« A ces autorités tirées des exprefllons pofitives
» de la Genefe, toutes extrêmement dignes de no-
» tre foi, nous en ajoûterons encore quelques-unes ,
» quoique nous penfions bien qu’elles ne font pas
» néceffaires au véritable fidele : mais tout le mon-
» de n’a pas le bonheur de l’être. Nous tirerons ces
» autorités de nos connoiffances hiftoriques & phy-
» fiques ; 8c fi elles ne convainquent pas avec la
» même évidence que celles puifées dans l’Ecriture-
» fainte, on doit être affez éclairé pour féntir l’ex-
» trème fupériorité de celles-ci, fur tout ce que no-,
» tre propre fond peut nous fournir ».
» On peut alléguer, en faveur de. l’univerfalito
» du déluge mofaïque, les traditions prefque univer-
» felles qui en ont été confervées chez tous les peu-
» pies des quatre parties du monde, quoique les na-
» tions ayent donné à leurs déluges des dates 8c des
» époques aufli différentes entr’elles qu’elles le font
» toutes avec la date du déluge de Noe. Ces différen-
» ces n’ont point empêché un grand nombre d’hifto-
» riens chrétiens de faire peu de cas de la chrono»
» logie des tems fabuleux 8c héroïques de la Grece
» & de l’Egypte, & de ramener tous ces faits parti-
» culiers à l’époque & à l’évenement unique que
» nous a tranfmis l’hiftorien des Hébreux.
» Si ce fyflème dérange beaucoup les idées des
» chronologiftes de bonne fo i, néanmoins on doit
» reconnoître combien il eft fondé en raifon, puif-
» qu’il n’y a pas un de ces d é lu g e s , quoique donnés
» comme particuliers par les anciens, oii l’on ne re-
» connoiffe ail premier coup d’oeil les anecdotes &
» les détails qui font propres à la Genefe. On y voit
» la même caufe de ce terrible châtiment, une fa-
» mille unique fauvée, une arche, des animaux, 8c
» 8c cette colombe que Noé envoya à la décou-
» verte, meffager qui n’eft autre chofe que la cha-
» loupe ou le radeau dont parlent quelques autres
» traditions profanes. Enfin on y reconnoît jufqu’au
» facrifice qui fut offert par Noe au Dieu qui l’avoit
» fauvé. Sous ce point de v û e , tous ces d é lu g e s par-
» ticuliers rentrent donc dans le récit 8c dans l’épo-
» que de celui de la Genefe. Deucalion dans la fa-
» mille duquel on trouve un Japet, Promethée,
» Xifuthrus , tous ces perfonnages fe réduifent au
» feul Noé ; & ce font-là les témoignages qui ont
« paru les plus convaincans de l’univerfalité de no-
» tre d é lu g e . Aufli cette preuve a-t-elle été déjà très-
» fouvent employée par les défenfeurs de traditions
»judaïques ; mais d’un autre côté j un fyflème qui
» renverfe toutes les antiquités 8c les chronologies
» des peuples eft-il refté fans répliqué ? Non, fans
» doute ; il a trouvé un grand nombre d’oppofans.
« Quoique ce foit un des lieux communs des preu-
» ves du déluge, il n’a été adopté d’aucun chrono-
» logifte, & chacun d’eux n’en a pas moins affigné
» des époques diverfes 8c diftin&es à chacun de ces
» déluges , & il ne faut pas fe hâter de les condam-
» ner. Ge fyflème, fi favorable à l’univerfalité du
» déluge par l’analogie frappante 8c finguliere des
» détails des auteurs profanes avec ceux de l’au-
» teur facré, eft extrêmement défavorable d’ailleurs;
» 8c loin d’en conclure que le déluge mofaïque a
» été univerfel, 8c n’a laiflé qu’une feule famille de
» tout le genre humain, on pourroit au contraire
»juger par les anecdotes particulières & proprés
» aux contrées oû ces traditions difperfées fe font
» confervées, qu’il eft évident qu’en toutes il eft
» refté quelques-uns des anciens témoins 8c des an-
» ciens habitans, qui après en être échapés, ont
» tranfmis à leur poftérité ce qui étoit arrivé en leur
» pays à telle 8c telle riviere, à telle & telle mon-
» tagne, 8c à telle ou telle mer ; car Nqé réclu 8c
» enfermé dans une arche, errant au gré des vents
» fur les fommets de l’Arménie , pouvoit-il être
» inftruit de ce qui fe paffoit alors aux quatre coins
» du monde. Les Theffaliens, par exemple, difoient
» qu’au tems du déluge, le fleuve Penée enflé confi-
» dérablement par les pluies, avoit franchi les bor-
» nés de fon lit 8c de fa vallée, avoit féparé le mont
» Offa du mont Olympe qui lui étoit auparavant uni
» 8c continu, & que c’étoit par cette fra&ure que les
» eaux s’étoient écoulées dans la mer. Hérodote qui,
» bien des fiecles après, alla vérifier la tradition fur
» les lieux, jugea par l’afpeft des coteaux & par la
» pofition des efcarpemens, que rien n’étoit plus
» vraiffemblable 8c mieux fondé.
» On avoit de même confervé en Boeotie la mé-
» moire des effets du déluge fur cette contrée. Le
» fleuve Colpias s’étoit prodigieufement accru ; fon
» lit 8c fa vallée étant comblés, il avoit rompu les
» fommets qui le contenoient à l’endroit du mont
» Ptoiis, 8c fes eaux s’étoient écoulées par cette
» nouvelle ifllie. Le curieux Wheler qui, dans fon
» voyage de la Grece eut occafion d’examiner le
» terrein, vérifia la tradition hiftorique fur les mo-
» numens naturels qui en font reftés, 8c il convient
» que le fait eft certainement arrivé de la forte.
»Le dégorgement du Pont-Euxin dans l’Archipel
» 8c dans la Méditerranée avoit aufli laiffé chez les
» Grecs & chez les peuples de l ’Afie mineure une
» infinité de circonftances propres aux feuls lieux
» où il avoit caufé des ravages ; & le fameux M. de
» Tournefort a de même reconnu tous les lieux &
» les endroits où l’effort des eaux du Pont-Euxin dé-
» bordé s’étoit alternativement porté d’une rive à
» l’autre, dans toute la longueur du détroit de Conf-
» tantinople. Le détail qu’il en donne & la defcrip-
» tion qu’il fait des prodigieux efcarpemens que cette
» fubite & violente irruption y a produits autrefois,
» en tranchant la maffe 8c le lolide de ce continent,
» eft un des morceaux des plus intéreflans de fon
» voyage, 8c des plus inftruâifs pour les phyficiens
» 8c autres hiftoriens de la nature. On ne rapportera
»pas d’autres exemples que ceux-là ( quoiqu’il y
» en ait un plus grand nombre, foit en Europe, foit
» en Afie, foit en Amérique même ) , de ces détails-
» propres & particuliers aux contrées où les tradi-
» tions a’un déluge font reftées, 8c qui, prouvant ce
» femble d’une maniéré évidente qu’en chacune de
» ces contrées il y a eu des témoins qui y ont ftir-
» vécu, feroient par conféquent très-contraires au
» texte formel de la Genefe fur l’univerfalité du dé-
» luge. Mais tous ces déluges nationaux font, dit-on
» toûjours, de la même date que celui des Hébreux.
» Quelque favorables que foient les obfervations
» qui précèdent, aux chronologiftes qui n’ont point
» voulu confondre tous les déluges nationaux avec
» le nôtre, la preuve qui naît de l’analogie qu’ils ont
» d’ailleurs avec lui eft fi forte, qu’elle doit nous en-
» gager à les réunir ; 8c elle eft fi convenable & fi
» conforme au texte qui parle de l’univerfalité, que
» tout bon chrétien doit tenter de réfoudre les ob-
» je&ions qui s’y oppofent ; ce qui n’eft pas aufli
» difficile que l’on penfe peut-être, du moins relati-
» veinent aux obfervations particulières aux peuples
» 8c aux contrées. Les traditions qui nous parlent
» des effets du déluge fur la Theffalie, la Boeotie, 8c
» fur les contrées de la Thrace 8c de l’Afie mineure,
» font appuyées de monumens naturels fi authenti-
» ques, que l’on ne peut douter, après les obferva-
» tions des voyageurs qui les ont examinés en hifto-
» riens 8c en phyficiens, que les effets de ces déluges
» n’ayent été tels que les traditions du pays le por-
» tent. Or ces effets, c’eft-à-dire ces fiirieufes & épou-
» vantables dégradations qui fe remarquent dans ces
» contrées fur les montagnes 8c les continens qui
»ont autrefois été tranchés par les débordejnens
» extraordinaires duPénée, du Colpias, 8c du Pont-
» Euxin, font-ils uniques fur la terre 8c propres feu-
» lemënt à ces contrées? N’eft-ce, par exemple, que
» dans le détroit de Conftantinople que fe remar-
» quent ces côtes roides , efcarpées 8c déchirées,
» toûjours & conftamment oppofées à la chute des
»eaux des contrées fupérieures & placées dans les
» angles alternatifs 8c correfpondans que forme ce
» détroit ? Et n’eft-ce enfin que dans ce feul détroit
» que l’on trouve ces angles alternatifs, 8c qui fe
» correfpondent avec une fi parfaite régularité ? La
» phyfique eft inftruite aujourd’hui du contraire.
» Cette admirable difpofition des détroits , des val-
» lées 8c des montagnes, eft propre à tous les lieux
» de la terre fans aucune exception. C ’eft même un
» problème des plus intéreflans &des plus nouveaux
» que les obfervateurs de ce fiecle fe foient propo-
» lés, 8c dont ils cherchent encore la folution. Or
» ne fè préfente-t-elle pas ici d’elle-même ? Ces po-
» lirions & ces efcarpemens régulièrement diftri-
» bués, les uns à l ’égard des autres, dans le cours
» de toutes les vallées de la terre, font femblables
» en tout aux difpofitions qui fe voyent dans le dé*
» troit de Conftantinople & dans les vallées du Pé-
» née 8c du Colpias. Elles ont donc la même origine j
» elles font donc les monumens du même fait, mais
» ces monumens font univerfels ; il eft donc conf-
» tant que le fait a été univerfel ; c’eft-à-dire, il eft
» donc vrai, ainfi que dit la Genefe, que l’éruption
» des fources 8c la chute des pluies ayant été géné*
» raies, les torrens 8c les inondations qui en ont été
» les fuites, ont parcouru la furface entière de la
» terre , ce qu’il nous falloit prouver. A cette folu-
» tion fe prélentent deux obje&ions : 1°. les phyfi-
» ciens ne conviennent point encore que ces angles
» alternatifs & tous ces efcarpemens qui fe voyent
» dans nos vallées foient les effets du déluge ; il les
*» regardent au contraire comme les monumens du
» féjour des mers , 8c non comme ceux d’une inon-
» dation paffagere. 20. Toute favorable que cette
» folution paroiffe , on fent encore néanmoins qu’il
» faut toûjours qu’il foit refté des témoins en diffé-
» rentes contrées de la terre, puifque les anecdotes
» phyfiques qui font la bafe de notre folution ont
» été confervées en plufieurs contrées particulières.
» Le déluge, à la vérité, aura été univerfel, mais on
» ne pourra point dire de même que la deftruttion
» de l’efpece humaine ait été uftiverfelle. Nous ré-
» pondrons à la première objection au troifieme ar