
CULTURE DES TERRES, (Comm. polît.') La
terre eft le dépôt de toutes les matières propres à
Satisfaire les befoins phyfiques auxquels les hommes
font affujettis, & ceux que la commodité a inventés.
L’agriculture eft l’art de fe procurer ces matières par
Je travail de la terre. Voye{ Agriculture.
Cette-définition même indique l’objet de l’agriculture.
Son effei eft de procurer de l’occupation à
une partie des hommes ; fa perfeftion confifte à fournir
la plus grande quantité poflible des matières propres
à Satisfaire nos befoins ,, foit réels, Soit d?opi-
nion.
Le Commerce en général'eft la communication
réciproque que les hommes fe font des chofes dont
ils ont befoin. Ainfi il eft évident que l’agriculture
eft la bafe néceflaire du commerce.
Cette maxime eft d’une telle importance, que
Ton ne doit jamais craindre de la répéter, quoi-
qifelle fe trouve dans la bouche de tout le monde.
La.perfuafion où l ’on eft d’un principe ne forme
qu’une connoiffance imparfaite , tant que l’on n’en
conçoit.pas toute la force ; & cette force confifte
principalement dans la liaifo'n intime du principe reconnu
avec un autre. C ’eft ce défaut de combinaifon
qui fait fouvent regarder avec indifférence à un négociant
Taifance ou la pauvreté du cultivateur, les
encouragemens qu’il peut recevoir, ou les gênes qui
peuvent lui être.impofées. Par la même raifon la
plûpart des propriétaires des terres font portés à envier
au commerce fes facilités, fes profits, les hommes
qu’il occupe. L’excès feroit bien plus grand, fi
ces mêmes propriétaires venoient à féparer l’intérêt
de leur domaine de l’intérêt du laboureur ; s’ils fe
diffimuloient un inftant que cet homme deftiné par
Je hazard à tracer péniblement les filions d’un champ,
ne le foignera jamais qu’en raifon de fes facultés ,
des efpérances ou de l’opinion qui peuvent animer
fon travail. Une nation où de pareils préjugés fe
trouverôient fort répandus, feroit encore dans l’enfance
de l’agriculture 6c du commerce, c’eft-à-dire
de la fciénce des deux principales branches de Tad-
miniftration intérieure : car on ne doit pas toujours
juger des progrès de cette partie, par les fuccès d’un
•état au-dehors ; comme on ne peut pas décider de la
bonne conduite d’un particulier dans la geftion de fes
biens, par la grande dépenfe qu’il paroit faire.
L’agriculture ne fera envifagée ici que fous ce
point de vue politique. .
•L’idée de confervation eft dans chaque individu
immédiatement attachée à celle de fon exiftence ;
ainfi l’occupation qui remplit fon befoin le plus pref-
fant, lui devient la plus chere. Cet ordre fixé par la
nature, ne peut être changé par la formation d’une
fociété, qui eft la réunion des volontés particulières.
Il fe trouve au contraire confirmé par de nouveaux
motifs, fi cette fociété n’eft pas fuppofée exifter
feule fur la terre. Si elle eft voifine d’autres fociétés;
.elle a des rivales ; ôc fa confervation exige qu’elle
foit revêtue de toutes les forces dont elle eft fufcep-
tible. L’agriculture eft le premier moyen 6c le plus
naturel de fe les procurer.
Cette fociété aura autant de citoyens que la culture.
de fon territoire en pourra nourrir 6c occuper :
citoyens rendus plus robuftes par l’habitude des fatigues
, 6c plus honnêtes gens par celle d’une vie occupée.
Si fes terres font plus fertiles, ou fes cultivateurs
plus induftrieux, elle aura une furabondance de denrées
qui fe répandront dans les pays moins fertiles
ou moins cultivés.
Cette vente aura datas la fociété qui la fait, des
effets réels & relatifs.
Le premier fera d’attirer des étrangers ce qui aura
été établi entre les hommes , comme mefure commune
des denrées, ou les richeffes de convention?
Le fécond effet fera de décourager par le bas prix
les cultivateurs des nations rivales , & de s’affûref
toujours de plus en plus vé bénéfice fur elles.
A mefure que les richeffes de convention fortent
d’un pays , 6c que^ le profit du genre de travail le
plus effentiei y diminue au point de ne plus procurer
une fubfiftance commode à celui qui s’en occupe, il
eft néceflaire que ce pays fe dépeuple , 6c qu’une
partie des habitans mendie ; ce qui eft encore plus
fiinefte. Troifieme effet de la vente fuppofée.
Enfin par une raifon contraire il eft clair que les
richeffes de convention s’accumulant fans celte dans
un pays, le nombre des befoins d’opinion s’accroîtra
dans la même proportion. Ces nouveaux befoins
multiplieront les genres d’occupation ; le peuple
■ fera plus heureux ; les mariages plus fréquens, plus
féconds ; & le s hommes qui manqueront d’une fub-;
fiftance facile dans les autres pays, viendront en
-foule habiter celui qui fera en état de la leur fournirj
Tels font les effets indifpenfables de la fupériorité
de l’agriculture dans une nation, fur celle des autres
nations ; & fes effets font reffentis en raifon de
la fertilité des terres réciproques , ou de la variété
de leurs productions : car le principe n’en feroit pas
moins Certain , quand même un pays moins bien
cultivé qu’un autre, ne feroit pas dépeuplé à raifon
de l’infériorité de fa culture : fi d’ailleurs ce pays
moins cultivé fournit naturellement une plus grande
variété de productions. Il eft évident qu’il aura toujours
perdu fon avantage d’une maniéré réelle &
relative. ^
Ce que nous venons de dire conduit à trois con-
féqùences très-importantes.
i° . Si l’agriculture mérite dans un corps politique
le premier rang «entre les occupations des hommes ,
celles des productions naturelles, dont le befoin eft
le plus preffant 6c le plus commun, exigent des encouragemens
de préférence chacune dans leur rangr
comme les grains, les fruits, les bois, le charbon de
terre, le fer, les fourrages, les cuirs, les laines, c’eft-
à-dire le gros & le menu b é ta ille s huiles, le chanvre
, les lins, les vins, les eaux-de-vie, les foies.
2°. On peut décider furement de la force réelle
d’un état, par l’accroiffement ou le déclin de la pô-,
pulation de fes campagnes.
3°. L’agriculture fans le fecours du commerce
feroit très-bornée dans fon effet effentiei, & dès-lors
n’atteindroit jamais à fa perfeCtion.
Quoique'cette derniere déduftion de nos principes
foit évidente, il ne paroît point inutile de s’y arrêter
, parce que cet examen fera l’occafion de plu-
fieurs détails intéreffans.
Les peuples qui n’ont envifagéla culture des terres
que du côté de la fubfiftance, ont toûjours vécu
dans la crainte des difettes, & les ont fouvent éprouvées.
(Voy. le livre intitulé ; Conjîdèrations fur les finances
d'Efpagne.) Ceux qui l’ont envifagée comme
un objet de commerce , ont joiii d’une abondance
affez foûtenue pour fe trouver toûjours en état de
fuppléer aux befoins des étrangers.
L’Angleterre nous fournit tout-à-la-fois l’un &
l’autre exemple. Elle avoit fu iv i, comme prefque
tous les autres peuples, l’efprit des lois romaines fur
la police des grains ; lois gênantes & contraires à
leur objet dans la divifion attuelle de l’Europe en
divers états dont les intérêts font oppofés : au lieu que
Rome maîtreffe du monde, n’avoit point de balance
à calculer avec fes propres provinces. Elle les épui-
foit d’ailleurs par la pefanteur des tributs, aufli-bien
que par l’avarice de fes préfets ; & fi Rome ne leur
eût rien rendu par l’extraétion de fes befoins, elle
eût englouti les tréfors de l’univers, comme elle en
avoit envahi l’empire.
En
En 1689 l’Angleterre ouvrit lés yeux fur fes véritables
intérêts/ Jufqu’alors elle avoit peu exporté de
grains, 6c elle avoit fouvent eu recours aux étrangers
, à la France même, pour fa fubfiftance. .Elle
avoit éprouvé ces inégalités fâcheufes ôc ces révolutions
inopiné.es fur les prix , qui tour-à-tour découragent
le laboureur ou defefperent le peuple.
La Pologne , le Dannemark, l’Afrique & la Sicile
étoient alors les greniers publics de l’Europe.
La conduite de ces états , qui n’impofent aucune
gêne fur le commerce des grains, & leur abondance
confiante, quoique quelques-uns d’entr’eux né joiiif-
fent ni d’une grande tranquillité ni d’une bonne conf-
îitution, fuffifoient fans doute pour éclairer une’
"nation aufli réfléchie , fur la caufe des maux dont
elle fe plaignoit ; mais la longue poffeïfion des pays
que je viens de nommer, fembloit trop bien établie
par le bas prix de leürs grains, pour que les cultivateurs
anglois puffent foûtenir leur concurrence
dans l’étranger. Le commerce des grains fuppofoit
une entière liberté de les magafiner, ôc pour autant
de tems que l’on voudroit : liberté dont l’ignorance
& le préjugé rendoient l’ufage odieux dans la nation.
L’état pourvut à ce double inconvénient, par un
de ces coups habiles dont la profonde combinaifon
appartient aüx Anglois feuls, ôc dont le fuccès n’eft
encore connu que d’etix, 'parce qu’ils n’ont été imités
nulle part. Je parle de la gratification qu’on accorde
à la fortie des grains fur les Vaiffeaux anglois
feulement, lorfqu’ils n’excedent pas les prix fixés
par la lo i, & de la défenfe d’introduire des grains
étrangers, tant que leur prix courant fe foûtient au-
deffoüs de celui que les ftatuts ont fixé. Cette gratification
facilita aux Anglois la concurrence des
pays les plus fertiles, en même tems que cette protection
déclarée changea les idées populaires fur le
commerce & la garde des grains. La circonftance y
étoit très-propre à la vérité ; la nation avoit dans
ïe nouveau gouvernement, cette confiance fans laquelle
les meilleurs réglemerts n’ont point d’effet.
Le froment reçoit 5 fols fterling,ou 5 liv. 1 7 fols’
<5 den. tournois par quarter, mefure de 460 1. poids
de marc, lorfqu’il n’excede pas le prix de 2 liv. 8 f.
fterl. ou 56 liv. 8 f. tourn.
Le feigle reçoit 3 fols 6 dén. fterl. ou 3 liv. 10 f.
6 d. tourn. au prix de 11. 12 f. fterl. ou 3 7 1 .12 f.
tourn.
L’orge reçoit 2 f. 6 d. fterl. ou 2 liv. 18 fols 9 d.
tourn. au prix de 1 liv. 4 fols fterl. pu 28 liv. 4 fols
tourn.
L’évenement a juftifié cette belle méthode : depuis
fon époque l’Angleterre n’a point éprouvé de
famine, quoiqu’elle ait exporté prefqu’annuellement
des quantités immenfes de grains ; les inégalités fur
les prix ont été moins rapides & moins inopinées,
les prix communs ont même diminué : car lorfqu’on
fe fut déterminé en 1689 ^ accorder la gratification,
ônrechercha quel avoit été le prix moyen des grains
pendant les quarante-trois années précédentes. Celui
de froment fut trouvé de 2 liv. 10 fols 2 d. fterl.
le quarter , ou 58 1. 18 f. 11 d. toürn. ôc les autres
efpecesde grains à proportion. Par un recueil exaéfc
du prix des fromens depuis 1689 jufqu’en 1752, le
prix commun pendant ces cinquante-fept années né
s’eft trouvé que de 2 liv. 2 f. 3 d. fterl. ou 49 livres
12. f. 10 d. tourn. Ce changement, pour être aufli
frappant, n’en eft pas moins dans Tordre naturel des
choies. Le cultivateur, dont le gouvernement avoit
en meme tems mis l’induftrie en fureté en fixant l’impôt
fur la terre même , n’avoit plus qu’une inquiétude
; c’étoit là vente de fa denrée, lorfqu’elle feroit
abondante. La concurrence des acheteurs au-dedans
& au-dehors, lui affûroit cette vente : dès-lors il
Tome
^ appliqua à fön àft avec une émulation que donnent
feules l’efpérance du fuccès & l ’âffûrance d’en joui*.
f>e quarante millions d’acres que contient l’Angle,
terre, il y en avoit au moins un tiers en communes j
tans compter quelques fèftès de bois. Aujourd’hui la
... moitié de ces communes 8c des terres occupées pat
enfemencée eil g'fains & enclôfé de
aies. Le comte de Norfolk, qui paffoit pour n’être
propre qu au pacage, eft aujourd’hui une des pro.
H | des plus fertiles en blés. Je Conviens cependant
que cette police n’a pas feule opéré ces effets
admirables, ôc que la diminution des intérêts de l’argent
a mis les particuliers en état de dèfeichef avec
profit ; mais il n’en eft pas moins certain que nul
propriétaire n’eût fait ces dépenfes, s’il n’eût été
affûré de la vente de fes denrées, Ôc à un prix rai-
fonnable.
L’état des exportations de grains àchèveroit de
démontrer comment un pays peut s’enrichir par la
feule culture envifagée comme objet de commerce.
On trouve dans les'ouvrages anglois, qu’il eft nombre
d’annees où la gratification a monté de iço à
500 mille liv. fterl. Ôc même plus. On prétend que
dans les cinq années écoulées depuis 1746 jufqu’en
J75° , il y a eu près de 906 ,000 quarters de blés
de toutes les qualités exportes.'Le prix commun à r
hv. 8 fols fterl. ou 3 2. liv. 18 f. tourn. ce feroit line
fomme de 8, i i ô , 000 1. fterl. ou 188,830 ooô 1.
tburn. environ.
Si nous faifons attention que prefque toute, cette
quantité de grains a été exportée par des vaiffeaux
anglois, pour profiter de la gratification , il faudra
ajoûter au bénéfice de 188, 830, 000 liv. tourn. la
valeur du fret des $ , 900, 000 quarters. Suppofons-
la feulement à 50 f. tourn. par quarter, l’un dans
l’autre, Ce fera un objet de 14^750, ooô 1. tourn.
& au total, dans les cinq années, un gain de 203
580, 000 liv. de notre monnoie ; c’eft-à-dire que
par année commune fur les cinq le gain aura été de
40,000 , 000 liv. tourn-, environ»
Pendant chacune de ces cinq années, ceiit cinquante
mille hommes au moins auront été occupés '
& dès-lors nourris par cette récolte & cette navigation
; & fi l’on fuppofe que cette valeur ait encore
circulé fix fois dans Tannée feulement, elle aura
nourri Se occupé neuf cents mille hommes aux dépens
des -autres peuples.
Il eft encore évident que fi chaque année f Angle*'
terre faifoit une pareille venté aux étrangers, neuf
Cents mille hommes parmi les.acheteurs trouVeroient
d’abord une fubfiftance plus difficile ; & enfin qu’ils
en manqüeroient au point qu’ils feroient forcés d’aller
habiter un pays capable de lés nourrir.
Un principe dont l’harmonie avec les faits eft, fî
frappante, ne peut certainement paffer pour , une
fpéculation vague : il y auroit donc de J’inconfé-'
quençe à la perdre de vue.
C’eft le principe fur lequel la police des grains eft
établie en Angleterre, que je trouve irréprochable ;
mais je ne puis convenir que fon exécution aftuelle
foit fans défauts , 8c qu’elle foit applicable indiffé-)
remment à tous les pays; •
L’objet de l’état a été d’encb.urager la culture3 do;
fe procurer l’abondance , & -d-’attirer f argent des
étrangers. Il a été rempli fans doute ; mais il femble
qu’on pouvoit y réuflir fans charger l’état d’une dépenfe
iuperflue, fans tenir quelquefois le pain à tuf
prix plus fort pour les fujets que pour lés etrangers.
L’état eft chargé en deux çirconftances d’une dépenfe
inutile qui porte fur tous les fujets îndîftmélément
, c’eft-à^dire fur ceux qui en profitent' comme
fur ceux qui n’en profitént pàs..'
Lorfqué les grains font à plus lias prix éii Arigle-
terre que flans les pays qui -vendent e a concurrence
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