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fifént pour exprimer les différentes vûes de l'éfprit
de celui qui fait énoncer en latin; mais je dis que celui
qui fait allez bien le grec pour parler ou pour
écrire en grec, n’a befoin que des cinq terminaifons
des noms grecs, difpofées lelon la fyntaxe de la langue
greque ; car ce n’eft que la difpofîtion ou com-
binaifon des mots entre eux ; félon l’ufage d’une langue
, qui fait que celui qui parle excite dans l’efprit
de celui qiii l’ecoute la penfee qu’il a deffein d’y taire
naître.
Dans telle langue les mots ont plus OU moins de
terminaifons que dans telle autre ; l’ufage de cha*
que langue ajufte tout cela, & y réglé le fervice &
l’emploi de chaque terminaifon , & de chaque figne
de rapport entre un mot & un mot.
Celui qui veut parler ou écrire en arménien a be1
foin des dix terminaifons des noms arméniens, &
trouve que les expreffions' des différentes vûes de
l ’efprit peuvent être réduites à dix.
Un Chinois doit connoître la valeur des inflexions
des mots de fa langue, & favoir autant qu’il lui eft
poffible le nombre & l’ufage de ces inflexions, aufli
bien que des autres lignes de fa langue.
Enfin ceux qui parlent une langue telle que la nôtre
où les noms ne changent point leur derniere fyl-
labe, n’ont befoin que d’étudier les combinaifons en
vertu defquelles les mots forment des fons particuliers
dans ces langues, fans fe mettre en peine des fix
différences d’office à quoi la méthode de P. R. dit
vainement qu’on peut réduire les expreffions des
différentes vûes de l’efprit dans toutes les langues.
Dans les verbes hébreux il y a à obferver, comme
dans les noms, les trois genres, le mafcuün, le féminin
, & le genre commun : enforte que l’on connoît
par la terminaifon du verbe, fi c’eft d’un nom maf-
culin ou d’un féminin que l’on parle,
Verborum hebraicorum tria funt généra, ut in nomi-
nibus , mafculinum , femininum , & commune ; varié
enim pro ratione ac genere perfonarum verba terminant
tur. Unie per verba facilé ejl cognofcere nominum , à
quibus reguntur, genus. Francifci Mafclef, gram. heb.
cap. iij. art. z. pag. 74.
Ne feroit-il pas déraifonnable d’imaginer une forte
d’analogie pour trouver quelque choie de pareil dans
les verbes des autres langues ?
Il me paroît que l’on tombe dans la même faute,
lorfque pour trouver je ne fai quelle analogie entre
la langue greque & la langue latine, on croit voir
un ablatif en grec.
Qu’il me foit permis d’ajoûter encore ici quelques
réflexions, qui éclairciront notre queftion.
En latin l’accufatif peut être conftruit de trois maniérés
différentes, qui font trois différences fpéciales
dans le nom, fuivant trois fortes de rapports que les
chofes ont les unes avec les autres. Meth. greq. ibid.
pag. 474.
i° . L’accufatif peut être conftruit avec un verbe
-aftif : vidi Regem , j’ai vû le Roi.
i° . Il peut être conftruit avec un infinitif, avec
lequel il forme un fens total équivalent à un nom.
Hominem ejfe folum non ejl bonum : Il n’eft pas bon
que l’homme foit feul. Regem vicloriam retuliffe, mi-
hi diclum fuit : le Roi avoir remporté la viâoire , a
été dit à moi : on m’a dit que le Roi avoit remporté
la vi&oire.
30. Enfin un nom fe met à l’accufatif, quand il
eft le complément d’une des trente prépofitions qui
ne fe conftruifent qu’avec l’accufatif.
Or que l’accufatif marque le terme de l’aûion
que le verbe fignifie, ou qu’il faffe un fens total avec
un infinitif, ou enfin qu’il'foit le complément d’une
prépofition, en eft—il moins appellé accufatif?
Il en eft de même en grec du génitif, le nom au
génitif détermine un autre nom ; mais s’il eft après
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une prépofition, ce qiii eft fort ordinaire èn grec, il
devient le complément de cette prépofition. La prépofition
greque füivie d’un nom grec au génitif, forme
un fens total , un énfemble qui eft équivalent au
fens d’une prépofition latine fiuvie de lôn complément
à l’ablatif : dirons - nous pour cela qu’alors le
génitif grec foit Un ablatif? La méthode greque de
P. R. ne le dit pas, & reeonhott toûjours le génitif
après les prépofitions qui font fuivies de ces cas. Il
y a en grec quatre prépofitions qui n’én Ont jamais
d’autres : , a.v'ii, npa, atao, n’ont que le génitif ;
G’eft le premier vers de la réglé VI. cj ij. 1. VIL de
la méthode de P. R.
N’eft-il pas tout fimple de tenir le même langage
à l’égard du datif grec ? Ce datif a d’abord, comme
en latin, un premier ufage : il marque la perfonne à qui l’on donne, à qui l’on parle , ou par rapport à
qui l’aôion fe fait ; Ou bien il marqtie la ehofe qui eft
le but, la fin, le pourquoi d’une aîtion. p'âS'ia. W vt«
©sw (Jitpple uct yfunt) toutes chofes font faciles à Dieu ,
©s« eft au datif félon la méthode de P. R. mais fi je
dis 'orapet tu ©sw , apud Deum, ©ew fera à l’ablatif, félon
la méthode de P. R. & ce qui fait cette différence
de dénomination félon P, R. c’eft uniquement la
prépofition devant le datif: car fi la même' prépofition
étoit fuivie d’un génitif ou d’un accufatif, tout
Port-Royal reconnoîtroit alors ce génitif pour géni-’
tif. vrdLpa. ®tm y.at dvd'peàtriav, devant les dieux & devant-
les hommes y ®tav & àv^pàtsav ce font-là des génitifs
félon P. R. malgré la prépofition 'sra.pà.. Il en eft de
même de l’accuiatif na-pi. tou'ç 1to$clç tm à-noo-roXar, aux
piés des apôtres, touç jroS'ac eft à l’accufatif, quoique
ce foit le complément de la prépofition rrrapèi. Ainfi je
perfifte à croire, avec Prifcien, que ce mot ablatif *
dont l’étymologie eft toute latine , eft le nom d’un
cas particulier aux Latins, proprius ejl Romanorum ,
& qu’il eft aufli étranger à la grammaire greque, que
le mot d'aorifte le ferait à la grammaire latine.
Que penieroit-on en effet d’un grammairien latin
qui, pour trouver de l’analogie entre la langue greque
& la langue latine, nous diroit que lorfqu’un
prétérit latin répond à un prétérit parfait grec , ce
prétérit latin eft au prétérit : fi honoravi répond à ts-
tma, honoravi eft au prétérit ; mais fi honoravi répond
à truret qui eft un aorifte premier, alors honoravi fera
en latin à l’aorifte premier.
Enfin fi honoravi répond à trm, qui eft l’aorifte fécond
, honoravi fera à l’aorifte fécond en latin.
Le datif grec ne devient pas plus ablatif grec par
l’autorité de P. R. que le prétérit latin ne deviendroit
aorifte par l’idée de ce grammairien.
Car enfin un nom à la fuite d’une prépofition, n’a
d’autre office que de déterminer la prépofition félon
la valeur qu’il a , c’eft-à-dire félon ce qu’il fignifie ;
enforte que la prépofition ne doit point changer la
dénomination de la terminaifon du nom qui fuit cette
prépofition ; génitif, datif, ou accufatif, félon la
deftination arbitraire que l’ufage fait alors de la terminaifon
du nom, dans les langues qui ont des cas ,
car dans celles qui n’en ont point, on ne? fait qu’ajouter
le nom à la prépofition, dans la ville , à l'armée ;
& l’on ne doit point dire alors que le nom eft à un tel
cas, parce que cés langues n’ont point de cas ; elles
ont chacune leur maniéré particulière de marquer les
vûes de l’efprit : mais ces maniérés ne confiftant point
dans la définance ou terminaifon des noms, ne doivent
point être, regardées comme on regarde les cas
des Grées & ceux des Latins ; c’eft aux Grammairiens
qiii traitent de ces langues à expliquer les différentes
maniérés en vertu defquelles les mots combinés
font des fens particuliers dans ces langues.
Il eft vrai, commè la méthode greque l’a remarqué
, que dans les langues vulgaires meme les Grammairiens
difent qu’un nom eft au nominatif ou au gé-
nitifa
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nitif, ou à quelqu’autre cas : mais ils ne parlent ainfi,
que parce qu’ils ont l’imagination accoûtumée dès
l’enfance à la pratique de la langue latine ; ainfi comme
lorfqu’on dit en latin pietas Reginoe, on a appris
que Regince étoit au génitif ; on croit, par imitation &
par habitude, que lorfqu’en françois on dit la piété de
la Reine , de la Reine eft aufli un génitif.
Mais c’eft abufer de l’analogie & n’en pas connoître
le véritable ufage , que de tirer de pareilles
induûions : c’eft ce qui a feduit nos Grammairiens
& leur a fait donner fix cas & cinq déclinaifons à
notre langue, qui n’a ni cas ni déclinaifons. De ce
que Pierre a une maifon, s’enfuit-il que Paul en ait
une aufli ? Je dois confidérer à part le bien de Pierre,
& à part celui de Paul.
Ainfi le grammairien philofophe doit raifonner de
la langue particulière dont il traite, relativement à
ce que cette langue eft en elle-même, & non par rapport
à une autre langue. Il n’y a que certaines analogies
générales qui conviennent à toutes les langues,
comme il n’y a que certaines propriétés de l’humanité
qui conviennent également à Pierre, à Paul, &
à tous les autres hommes.
Encore un coup., en chaque langue particulière
les différentes vûes de l’efprit font défignées de la
maniéré qu’il plaît à l’ufage de chaque langue de les
défigner.
En .françois fi nous voulons faire connoître qu’un
nom eft le terme ou l’objet de l’a&ion ou du l'enti-
ment que le verbe aftif fignifie, nous plaçons Amplement
ce nom après le verbe , aimer Dieu , craindre
les hommes , j'a i vît le roi & la reine.
Les Efpagnols, comme on l’a déjà obfervé, mettent
en ces occafions la prépofition à entre le verbe
& le nom, atnar à Dios, temer à Los hombres; hé vifto
al rey. y à la reyna.
Dans les langues qui ont des cas, on donne alors
au nom une terminaifon particulière qu’on appelle
accufatif, pour la diftinguer des autres terminaifons.
Amare patrem, pourquoi dit-on que patrem eft à l’ac-
eufatif ? c’eft parce qu’il a la terminaifon qu’on appelle
accufatif dans les rudimens latins.
Mais fi félon l’ufage de la langue latine nous mettons
ce mot patrem après certaines prépofitions,
propter patrem , adversus patrem , &c. ce mot patrem
fe ra-t-il également à l’accufatif? oui fans doute,
puisqu’il conferve la même terminaifon. Q u o i, i l
ne deviendra pas alors un ablatif ? nullement. Il eft
cependant le cas d’une prépofition? j’en conviens :
mais ce n’eft pas de la pofition du nom après la prépofition
ou après le verbe que fe tirent les dénominations
des cas.
Quand on demande en quel cas faut-il mettre un
nom après un tel verbe ou une telle prépofition, on
veut dire feulement: de toutes les terminaifons d’un tel
nom, quelle eft celle qu’il faut lui donner après ce
verbe ou après cette prépofition, fuivant l’ufage de
la langue dans laquelle on parle?
Si nous difons pro pâtre, alors pâtre fera à l’ablat
if, c’eft-à-dire que ce mot aura la terminaifon particulière
que les rudimens latins nomment ablatif
Pourquoi ne pas raifonner de la même maniéré à
l’égard du grec ? pourquoi imaginer dans cette langue
un plus grand nombre de cas qu’elle n’a de terminaifons
différentes dans fes noms félon les paradigmes
de fes rudimens ?
L’ablatif, comme nous l’avons déjà remarqué
eft un cas particulier à la langue latine, pourquoi
en tranfporter le nom au datif de la langue greque
quand ce datif eft précédé d’une prépofition , ou
pourquoi ne pas donner également le nom d’ablatif
au génitif ou à l’accufatif g rec, quand ils font également
à la fuite d’une prépofition, qu’ils détermi-
Tomc i y %
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nent de la même maniéré que le détermine celle
qui le précédé ?
Tranfportons-noüs en efprit au milieu d’Athenes
dans le rems que la langue greque, qui n’eft plus au-
jourd hui que dans les livres, étoit encore une langue
vivante. Un Athénien qui ignore la langue & la
grammaire latine, converfant avec nous, commence
un difeours par ces mots : wapd tok y^vxioiç vote-
/lotç, c’eft-à-dire, dans les guerres civiles.
Nous interrompons l’Athénien, & nous lui demandons
en quel cas font ces trois mots, roTc t/Mpu-
^io/ç 7roXtfA.oiç. Ils font au datif, nous répond-il : Au
datif J vous vous trompez , répliquons-nous , vous
n’avez donc pas lû la belle diflertation de la méthode
de P. R. ils font à l’ablatif à caufe de la prépofition
Trapet, ce qui rend votre langue plus analogue
à la langue latine.
L’Athénien nous réplique qu’il fait fa langue ; que
la prépofition ^apd. fe joint à trois cas, au génitif,
au datif, ou enfin à l’accufatif ; qu’il n’bn veut pas
favoir davantage ; qu’il ne connoît pas notre ablatif,
& qu’il fe met fort peu en peine que fa langue ait de
l’analogie avec la langue latine : c’eft plutôt aux Latins
, ajoûte-t-il, à chercher à faire honneur à leur
langue, en découvrant dans le latin quelques façons
de parler imitées du grec.
^ En un mot, dans les langues qui ont des cas, ce
n’eft que par rapport à la terminaifon que l’ont dit
d un nom qu’il eft à un tel cas plutôt qu’à un autre.
Il eft indifférent que ce cas foit précédé d’un verbe ,
d’une prépofition, ou de quelqu’autre mot. Le cas
conferve toûjours la même dénomination, tant qu’il
garde la même terminaifon.
Nous ayons obfervé plus haut qu’il y a un grand
nombre d’exemples en latin, où le datif eft mis pour
l’ablatif, fans que pour cela ce datif foit moins un
datif, ni qu’on dife qu’alors il devienne ablatif ’,fra-
ter amate mihi, pour à me.
' Nous avons en françois dans les verbes deux prétérits’
qui répondent à un même prétérit latin : j 'a i
lû ou j e lus , legi; j'a i écrit ou j'écrivis,fcripjî.
Suppofons pour un moment que la langue fran-
çoife fût la langue ancienne, & que la langue latine
fût la moderne, l’auteur de la méthode de P. R. nous
diroit-il que quoique legi quand il fignifie je lus, ait
la même terminaifon qu’il a lorfqu’il fignifie j'ai lû ,
ce n’eft pourtant pas le même tems, ce font deux
tems qu’il faut bien diftinguer ; & qu’en admettant
une diftinâion entre ce même mot, on fait voir un
rapport merveilleux entre la langue françoife & la
langue latine.
Mais de pareilles analogies, d’une langue à une
autre, ne font pas juftes : chaque langue a fa maniéré
particulière, qu’il ne faut point tranfporter de
l’une à l’autre.
La méthode de P. R. oppofe qu’en latin l’ablatif
de la fécondé déclinaifon eft toûjours femblable au
datif, que cependant on donne le nom d’ablatif à
cette terminaifon , lorfqu’elle eft précédée d’une
prépofition. Elle ajoute qu’en parlant d’un nom indéclinable
qui fe trouve dans quelque phrafe, on
dit qu’il eft ou au génitif ou au datif, &c. Je répons
que voilà l’occafion de raifonner par analogie, parce
qu’il s’agit de la même langue; qu’ainfi puifqu’on
dit en latin à l’ablatif à pâtre, pro pâtre, &c. & qu’alors
pâtre, fruchi, die, &c. font'à l’ablatif, domino
étant confidéré fous le même point de vûe , dans la
même langue, doit être regardé par analogie comme
étant un ablatif.
A l’égard des noms indéclinables , il eft évident
que ce n’eft encore que par analogie que l’on dit
qu’ils font à un tel cas, ce qui ne veut dire autre
chofe, fi ce n’eft que fi ce nom n’étoit pas indéclinable
, on lui donneroit telle qu telle terminaifon,
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