il.feroit beaucoup mieux de s’en débarraffer en fe donnant
la mort, lui furtout qui paroiffoit tant méprifer
la vie : « Ceux qui favent ce qu'il faut faire & ce qu'il
» faut dire dans le monde , doivent y demeurer ; & c'efi
» à toi d'en for tir qui me parois ignorer l'un & l'autre ».
Il difoit de ceux qui l’avoient fait prifonnier : « Les
» lions font moins les efclaves de -ceux qui les nourrij—
•y> f tn t , que ceux-ci ne font les valets des lions ». Con-
fulté fur ce qu’on feroit de fon corps après fa mort :
» Vous le laifferei, dit-il ,fur la terre ». Et fur ce qu’on
lui reprël'enta qu’il demeureroit expofe aux betes
féroces & aux oifeatix de proie : « Non, repliqua-t-
» il vous n'aure? qu'à mettre auprès de moi mon bâ-
» ton ». J’omets fes autres bons mots qui font affez
connus.
Ceux-ci fuffifent pour montrer que Diogene avoit
le carafrere tourné à l’enjoiiement, & qu’il y avoit
plus de tempérament encore que de philofophie dans
cette infenfibilité tranquille St gaie, qu’il a pouffée
aufli loin qu’il eft poflible à la nature humaine de la
porter, « C ’était, dit Montagne dans fon ftyle éner-
» rique original qui plaît aux perfonnes du meil-
» leur goût, lors même qu’il paroît bas & trivial,
» une efpece de ladrerie fpirituelle, qui a un air de fanté
» que la Philofophie ne méprifepas ». Il ajoute dans un
autre endroit : « Ce cynique qui baguenaudoit à part
» foi & hochoit du ne%_ le grand Alexandre , nous efti-
» mant des mouches ou des vefjies pleines de vent, etoit
» bien juge plus aigre & plus poignant que Timon , qui
» fut furnommé le haïfleur des hommes ; car ce qu'on
» hait, on le prend à coeur : celui-ci nous fouhaitoit du
» mal, étoitpafjionné du defir de notre ruine , fuyoit no-
» tre conversation comme dangereufe ; l'autre nous efli-
» moit Jipeu , que nous ne pouvions ni le troubler, ni
» L'altérer par notre contagion ; s 'il nous-laiffoit de corn-
» pagnic , détoit pour le dédain de notre commerce , &
» non pour la crainte qu'il en avoit ; il ne nous tenoit
» capables ni de lui bien ni de lui mal faire ».
Il y eut encore des Cyniques de réputation après
la mort de Diogene. On peut compter de ce nombre
: . . . .
Xéniade, dont il avoit été l’efclave. Celui-ci jetta
les premiers fondemens du Scepticifme , en foûte-
nant que tout étoit faux , que ce qui paroiffoit de nouveau
naijfoit de rien , & que ce qui difparoiffoit retour-
noit à rien. .
Onéficrite, homme puiffant & confidéré d’Alexandre.
Diogene Laërce raconte qu’Onéficrite ayant
envoyé le plus jeune de fes fils a Athènes où Diogene
profeffoit alors la Philofophie, cet enfant eut
à peine entendu quelques-unes de fes leçons, qu’il
devint fon difciple ; que l’éloquence du philofophe
produifit le même effet fur fon frere aîné, & qu’O-
néficrite lui-même ne put s’ën défendre. '
Ce Phocion, que Démofthene appelloit la coignée
de fes périodes, qui fut furnommé l’homme de bien ,
que tout l’or de Philippe ne put corrompre, qui de-
mandoit à fon voifin, un jour qu’il avoit harangiié^
avec les plus grands applaudiffemens du peuple,
s’il n’avoit point dit de fottifes.
Stilpon de Megare, & d’autres hommes d’état.
Monime de Syracufe , qui prétendoit que nous
étions trompés fans ceffe par des Jîmulacres ; fyftème
dont Malbranche n’efl pas éloigné, & que Berkley
a fuivi. Voye^ C o r p s .
Cratès de Thebes , celui qui ne fe vengea d’un
foufflet qu’il avoit reçu d’un -certain Nicodromus ,
.qu’en faifant écrire au bas de fa joue enflée du foufflet;
« C'ejl de la main de Nicodrome , N lC O D R O -
» mus fecit » ; allufion plaifante à l’ufage des
Peintres. Cratès facrifia les avantages de la naiffan-
ce & de la fortune à la pratique de la Philofophie cynique.
Sa vertu lui mérita la plus haute confédération
dans Athènes. Il connut toute la force de cette efpece
d’autorité publique, & il en ufa pour rendre
fes compatriotes meilleurs. Quoiqu’il fût laid de vi-
fage & boffu, il infpira la paflion la plus violente à
Hipparchia , foeur du philofophe Metrocle. Il faut
avoiier à l ’honneur de Cratès qu’il fit jufqu’à l’indécence
inclufivement tout ce qu’il falloit pour détacher
une femme d’un goût un peu délicat, & à l’honneur
d’Hipparchia que la tentative du philofophe fut
fans fuccès. 11 fe prefenta nud devant elle, & lui dit ,
en lui montrant fa figure contrefaite & fes vêtemens
déchirés : voilà l'époux que vous demandeç , & voilà,
tout fon bien. Hipparchia époufa fon cynique boffu ,
prit la robe de philofophe, & devint aufli indécente
que fon mari, s’il eft vrai' que Cratès lui ait propofé
de confommer le mariage fous le portique, & qu’elle
y ait confenti. Mais ce fait, n’en déplaife à Sex-
tus Empiricus, à Apulée, à Théodoret, à Laftance ,
à S. Clément d’Alexandrie, & à Diogene Laërce >
n’a pas l’ombre de la vraiffemblance ; ne s’accorde
ni avec le carafrere d’Hipparchia, ni avec les principes
de Cratès, & reffemble tout-à-fait à ces mauvais
contes dont la méchanceté fe plaît à flétrir les
grands noms, & que la crédulité fotte adopte avec
avidité, & accrédite avec joie.
Mètrocle, frere d’Hipparchia & difciple de Cratès.
On fait à celui-ci un mérite d’avoir en mourant
condamné fes ouvrages au feu ; mais fi l’on juge de
fes produirions par la foibleffe de fon efprit & la pu-
fillanimité de fon c ara frere , on ne les eftimera pas
dignes d’un meilleur fort.
Théombrote & Cléomene , difciples de Mètrocle.
Démétrius d’Alexandrie , difciple de Théombrote.
Timarque de la même v ille, & Echecle d’Ephefe, difciples
de Cléomene. Menedeme, difciple d’Echecle.
Le Cynifme dégénéra dans celui-ci en frénéfie ; il fe
déguifoit enTyfiphone,prenoit une torche à la main,
& eouroit les rues, en criant que les dieux des enfers
P av oient envoyé fur la terre pour difcerner les bons des,
méckans.
Mènédeme le frénétique eut pouf difciple Ctéfibius
de Chalcis, homme d’un carafrere badin & d’un e fprit
gai, q ui, plus philofophe peut-être qu’aucun de
les prédéceffeurs, fut plaire aux grands fans fe pro-
ftituer, & profiter de leur familiarité pour leur faire
entendre la vérité & goûter la vertu.
Ménippe, le compatriote de Diogene. Ce fut.un
des derniers Cyniques de l’école ancienne ; il fe rendit
plus recommandable par le genre d’écrire , auquel
il a laiffé fon nom , que par fes moeurs & fa
philofophie. Il étoit naturel que Lucien qui l’avoit
pris pour fon modèle en Littérature, en fît fon héros
en Morale. Ménippe faifoit le commerce , compo-
foit des fatyres, & prétoit fur gage. Dévoré de la
foif d’augmenter fes richeffes, il confia tout ce qu’il
en avoit amaffé à des marchands qui le volèrent;
Diogene brifa fa taffe, lorfqu’il eut reconnu qu’on
pouvoit boire dans le creux de fa main. Cratès vendit
fon patrimoine, & en jetta l’argent dans la mer ,
en criant : Je fuis libre. Un des premiers difciples
d’Antifthene auroit plaifanté de la perte de fa fortun
e , & fe feroit repofé fur cet argent qui faifoit commettre
de fi vilaines afrions, du foin de le vanger de
la mauvaife foi de fes affociés ; le cynique ufurier
en perdit la fête, & fe pendit.
Ainfi finit le Cynifme ancien. Cette philofophie
reparut quelques années avant la naiffance de J. C.
mais dégradée. Il manquoit aux Cyniques de l’école
moderne les âmes fortes, & les qualités fingulieres
d’Antifthene, de Cratès, & de Diogene. Les maximes
hardies que ces philofophes avoient avancées ,
& qui avoient été pour eux la lource de tant d’actions
vertueufes; outrées, mal entendues par leurs
derniers fucceffeurs, les précipitèrent dans la débauche
& le mépris. Les noms de Carnéade, de Mufonlus
, de Demonax, de Démedius, à'Qénomaus, de
Crefcence, de Pérégrin, & de Salluße, font toutefois
parvenus jufqu’à nous ; mais ils n’y font pas tous
parvenus fans reproche & fans tache.
Nous ne favons rien de Carnéade le Cynique. Nous
ne favons que peu de chofe de Mufonius. Julien a
loué la patience de ce dernier. Il fut l’ami d’Appollo-'
nius de Thyane, & de Démétrius ; il ofa affronter
le monflre à figure d'homme & à tête couronnée, & lui
reprocher fes crimes» Néron le fit jetter dans les fers
& conduire auxjravaux publics de l’ifthme, où il
acheva fa vie à creufer la terre & à faire des ironies.
La vie & les afrions de Démétrius ne nous font guère
mieux connues que celles des deux philofophes
précédèns ; on voit feulement que le fort de Mufonius
ne rendit pas Démétrius plus réfervé. Il vécut
•fous quatre empereurs, devant lefquels il corçferva
toute l’aigreur cynique, & qu’il fit quelquefois pâlir
fur le throne. Il aflifta aux derniers momens du vertueux
Thrafea. Il mourut fur la paille, craint des mé-
chans, refpeûé des bons, & admiré de Séneque.
OEnomaüs fut l’ennemi déclaré des prêtres & des
faux cyniques. Il fe chargea de la fonfrion de dévoiler
la fauffeté des oracles, & de démafquer l’hypocri-
fie des prétendus philofophes de fon tems ; fonfrion
dangereufe : mais Démétrius penfoit apparemment
qu’il peut y avoir du mérite, mais qu’il n’y a aucu-,
ne générofité, à faire le bien fans danger. Demonax
vécut fous Hadrien, & put fervir de modele à tous
les philofophes ; il pratiqua la vertu fans oftentation,
& reprit le vice fans aigreur ; il fut écouté, refpec-
t é , & chéri pendant fa v ie, & préconifé par Lucien
même, après fa mort. On peut regarder Crefcence
comme le contrafte de Demonax, & le pendant de
Pérégrin. Je ne fais comment on a placé au rang des
philofophes un homme fouillé de crimes & couvert
d’opprobres , rampant devant les grands, infolent
avec fes égaux, craignant la douleur jufqu’à la pu-
fillanimité, courant après la richeffe, & n’ayant du
véritable Cynique que le manteau qu’il deshonoroit.
Tel fut Crefcence. Pérégrin commença par être adultere
, pédérafte, & parricide, & finit par devenir cynique
, chrétien, apoftat, & fou. La plus louable action
de fa v ie, c’eft de s’être brûlé tout v if : qu’on juge
par-là des autres. Sallufte, le dernier des Cyniques,
étudia l’éloquence dans Athènes, & profeffa la philofophie
dans Alexandrie. Il s’occupa particulièrement
à tourner le vice en ridicule, à décrier les faux
cyniques, & à combattre les hypothefes de la philofophie
Platonicienne.
Concluons de cet abrégé hiftorique, qu’aucune
fefre de philofophes n’eut, s’il m’eft permis de m’exprimer
ainfi, une phyfionomie plus décidée que le
Cynifme. On fe faifoit académicien, éclefrique,
Cyrénaïque , pyrrhonien, fceptique ; mais, il falloit
naître cynique. Les faux cyniques furent une populace
de brigands traveftis en philofophes ; & les cyniques
anciens, de très-honnêtes gens qui ne méritèrent
qu’un reproche qu’on n’encourt pas communément
: c’eft d’avoir été des Entkoufiafles de vertu.Mettez
un bâton à la main de certains cénobites du mont
Athos, qui ont déjà l’ignorance, l’indécence, la pauvreté
, la barbe, l’habit groflier, la beface, & la fan-
dale d’Antifthene ; fuppofez-leur enfuite de l’élévation
dans l’ame, une paflion violente pour la vertu,
& une haine vigoureufe pour le v ice , & vous en ferez
une fefre de Cyniques. Voye^Bruck. Stanl. & l'hifi.
de la Philof.
C y n i q u e , (fpafmè) en Médecine, eft une forte de
convulfion daas laquelle le malade imite les geftes,
le grondement & les hurlemens d’un chien.
Freind, dans les tranf. philof. décrit un fpafme extraordinaire
de cette forte dont furent attaqués deux
fgmilles à Blafrothprn 3 dans la province d’Oxford.
La nouveauté de cet événement attira quantité
de curieux à ce village * & entr’autres "Willis, qui
de bien loin entendit un bruit terrible d’aboye-
mens & de hurlemens. Dès qu’il fut entré dans la
maifon, il fut aufli-tôt falué par cinq filles qui
crioient à qui mieux mieux, failant en même tems
de violens mouvemens de tête. II ne paroiffoit à leur
vifage d’autres marques de convulfion que des dif-
torfions & des ofcillations cyniques de la bouche ;
leur pouls étoit parfaitement bien réglé ; les cris quelles
faifoient reffembloient plutôt à des hurlemens
cju’à des abboyemens de chiens > fi ce n’eft qu’ils
etoierit fréquens & entrecoupés de profonds foupirs.
Ce fpafme les avoit toutes prifes demême ; la plus
jeune des cinq n’avoit que fix ans * & la plus âgée
n’en avoit que quinze. Dans les intervalles du fpafme
elles avoient leur raifon & leur connoiffance
toute entière ; mais l’intervalle ne duroit pas long-
tems fans que quelqu’une d’elles fe remît à heurler ,
jufqu’à ce.que toutes à la fin tomboient en défaillance
, fe jettoient comme des épileptiques fur un lit
qu’on avoit placé exprès au milieu de la chambre.
Elles s’y tenoient d’abord tranquilles & dans une
pofture décente ; mais un nouvel accès furvenànt,
elles fe mettoient à fe battre & à fe heurter l’une
l’autre. Les deux plus jeunes revinrent à elles tandis
que ‘Willis y étoit encore, & elles lâiffëreht
leurs trois autres foeurs fur le lit : mais elles ne furent
pas long-tems fans que le fpafme les reprît.
Au mois de Juillet de l’année 1700, Freind lui-
même vit une autre famille dans le même village où
un garçon & trois filles avoient été attaqués de ce
même fpafme, fans qu’il y eût eu auparavant aucune
caufe précédente. Une des filles l’avoit été d’abord
feule, à ce que rapporta la mere ; & le frere St
les deux foeurs furent fi frappés, qu’ils en furent
eux-mêmes attaqués.
Lorfque Freind arriva ils étoient tous quatre
devant leur porte à s’amufer, de fort bonne humeur,
& ne fongeant à rien moins qu’à leur état :
mais à la longue la plus âgée des trois filles, qui
avoit environ quatorze ans, tomba dans l’accès*
Le feul fymptome qui en marqua l’approche fut le
gonflement de fon eftomac, qui montant par degrés
jufqu’à la gorge, communiqua la convulfion aux
mufcles du larynx & à la tête. Ce fymptome eft dans
ces fortes de gens une marque certaine de l’approche
du paroxyfme ; & s’ils le vouloient arrêter, l’enflure
n’en auroit que plus d’intenfité, & l’accès plus de
durée.
Le bruit qu’ils faifoient étoit perpétuel & defa-
gréable : ce n’étoit pourtant pas précifément des
abboyemens ni des heurlemens de chien, comme
on dit que font les perfonnes attaquées de ce fpafme ;
mais plûtôt une efpece de chant confiftant en trois
notes ou tons qu’ils répétoient chacun deux fois, &
qui étoit terminé par de profonds foupirs accompagnés
de geftes & de branlemens de tête extraordinaires.
Freind ne trouve rien que de naturel à cette
maladie, laquelle, félon lui, naît de la caufe commune
de toutes les convulfions, favoir de ce que
les efprits animaux fluent d’une maniéré irrégulière
dans les nerfs, & caufent aux mufcles différentes
contrafrions, félon les circonftances de l’in-
difpofition. Voye^ S p a s m e . Chambers.
CYNOCÉPHALE , f. m. (ffifi. nat. Zoolog.) cy-
nocephalus; c’eft le nom que l’on a donné aux finges
qui ont une queue & le mufeau allongé comme les
chiens. Rai, fynop. animal, quadrup. Voyeç S in g e .
( 1 ) m m Z - , * C y n o c é p h a l e , (Mythol.) an ima l fa b u le u x à
tête de chien, révéré par les Egyptiens. On prétend