fenüment feul peut infpirer; ces notes ne donne-
toient ni la fineffe , ni la délicateffe, ni la grâce , m
la chaleur, qui font le mérite tics adtcurs &. le plai-
fir des fpeâateurs. .
De ce que je viens d’expofer, il réfulte deux cho-
fes. Dune eft l’impoflibilité de noter les tons déda*
matoires, comme ceux du chant mufical, foit parce
qu’ils ne font pas fixes & déterminés, foit parce
qu’ils ne fuivent pas les proportions harmoniques,
iôit enfin parce que le nombre en feroit infini. La
fécondé eft l’inutilité dont feraient ces notes, qui
ferviroient tout au plus à conduire des a&eurs médiocres
, en les rendant plus froids qu ils ne le feroient
en fuivant la nature.
Il refte une queftion de fait à examiner : favoir
fi les anciens ont eu des notes pour leur déclamation.
Ariftoxene dit qu’il y a un chant du difeours qui naît
de la différence des accens ; ôc Denis d’Halicarnaffe
nous apprend que chez les Grecs l’elevation de la
voix dans l’accent aigu , ôc fon abbaiffement dans
le grave , étoient d’une quinte entière ; ôc que dans
l’accent circonflexe, compofe des deux autres , la
voix parcouroit deux fois la même quinte en montant
ôc en defeendant fur la même fyllabe.
Comme il n’y avoit dans la langue greque aucun
mot qui n’eût fôn accent , ces élévations Ôc
abbâiffemens continuels d’une quinte dévoient rendre
la prononciation greque affezehantante. Les Latins
(Cic. orat. 5y. Quint. I. IX .) a voient, ainfi que
les G recs, les accens aigu, grave, ôc circonflexe ; &
ils y joignoient encore d’autres lignes , propres à
marquer les longues, les brèves, les repos, les fuf-
penfions , l’acc&ération, &c. Ce font ces notes de
la prononciation dont parlent les grammairiens des
fiecles. poftérieurs, qu’on a prifes pour celles de la
déclamation.
Cicéron en parlant des accens employé le terme
général defonus, qu’il prend encore dans d’autres
acceptions.- 1............
On ignore quelle étoit la valeur des accens chez
les Latins: mais on fait qu’ils étoient, comme les
grecs, fort fenfibles à l’harmonie du difeours ; ils
avoient des longues ôc dès brèves, les premières en
général doubles des fécondés dans leur durée, & ils
én avoient aufîi d’indéterminées, irrationales. Mais
nous ignorons la valeur de ces durées, & nous ne
favons pas davantage fi dans les accens on partoit
d’un ton fixe ôc déterminé.
Comme l’imagination ne peut jamais fuppléer au
défaut des impreflions reçûes par les fens, on n’eft
pas plus en état de fe repréfenter des fons qui n’ont
pas frappé l’oreille, que des couleurs qu’on n’a pas
vues, ou des odeurs & des faveurs qu’on n’a pas
éprouvées. Ainfi je doute fort que les critiques qui
fe font le plus enflammés fur le mérite de l’harmonie
des langues greque & latine, avent jamais eu
une idée bien reffemblante des choies dont ils parvient'a
vec tant de chaleur. Nous favons qu’elles
•avoient une harmonie ; mais nous devons avouer
qu’elles n’ont plus rien de femblable, puifque nous
les prononçons avec les intonations ôc les inflexions
de notre langue naturelle qui font très-différentes.
Je fuis perûiadé que nous ferions fort choqués
de la véritable profodie des anciens ; mais comme
en fait de fenfations l’agrément ôc le defagrément
dépendent de l’habitude des organes, les Grecs &
les Romains pouvoient trouver de grandes beautés
dans ce qui nous déplairait beaucoup.
Cicérbn 'dlt que la déclamation met encore une
nouvelle.modification dans la vo ix, dont-les inflexions
fuivoient les mouvemens de l’ame (Orator.
n°. 16.) Focis mutationts totidem funt quot animorum
<gui maxirnè voce moventurj ÔC il ajoute qu’il y a une
• cfpece de chant dans la récitation animée du fimple'
difeours : Eft etiam in dicendo cantus obfcurior.
Mais cette profodie qui avoit quelques earafteres
du chant, n’en étoit pas un véritable, quoiqu’il y
eût des accompagnemens de flûtes ; fans quoi il faudrait
dire que Caïus Gracchus haranguoit en chantant
, puifqu’il avoit derrière lui un efclave qui re-
gloit fes tons avec une flûte. Il eft vrai que la decla*
mation du. théâtre, modulatio fccnica, avoit pénétré
dans la tribune, & c’étoit un vice que Cicéron ôc
Quintilien après lui recommandoient d’éviter. Cependant
on ne doit pas s’imaginer que Gracchus eût
dans fes harangues un accompagnement fuivi. La
flûte ou le tonorion de l’efclave ne fervoit qu’à ramener
l’orateur à un ton modéré , lorfque ta voix
montoit trop haut,’ou defeendoit trop bas. Ce flû-
teur qui étoit caché derrière Gracchus, qui flaretocculté
poft ipfum , n’étoit vraiffemblablement entendit
que de lui, lorsqu’il falloit donner ou rétablir le ton.
Cicéron, Quintilien, ôc Plutarque, ne nous donnent
pas une autre idée de l’ufage du tonorion. Quo ilium
aut remiftum excitaret, a ut à contentione revo caret. Cic. 1. III. de orat. Cui concionanti conjiftenspoft eum mu-
jicesfiftulâ y quam tonorion vocant, modos quibus de-
beret intendi miniftrabat. Quintil. lib. I. c. x. Il parait
que ç’eft le diapafon d’aujourd’hui.
« Caius Gracchus l’orateur, qui étoit de nature
» homme âpre, véhément ôc violent en fa façon de
» dire, avoit une petite flûte bien accommodée avec
» laquelle les muficiens ont accoûtumé de conduire
» tout doucement la voix du haut en-bas & du bas en-
» haut par toutes les notes pour enfeigner à entonner ;
» ôc ainfi comme il haranguoit, il y avoit l’un de fes
» ferviteurs qui étant debout derrière lu i, comme il
» fortoit un petit de ton en parlant,lui entonnoit un
»ton plus doux & plus gracieux en le retirant de fon
» exclamation, & lui ôtant l’âpreté & l’accent coléri-
» que de fa voix ». Plutarque, dans fon traité comment
il faut retenir la colere , traduâion d’Amyot. >
Les flûtes du théâtre pouvoient faire une forte
d’accompagnement fuivi, fans que la récitation fût
un véritable chant ; il fuflifoit qu’elle en eût quelques
cara&eres. Je crois qu’on pourrait prendre un
parti moyen entre ceux qui regardent la déclamation
des anciens comme un chant femblable à nos opér
a , & ceux qui croyent qu’elle étoit du même genre
que celle de notre théâtre.
Après tout ce que viens d’expofer , je ne ferais
pas éloigné de penfer que les Romains avoient un
art de noter la prononciation plus exaftement que
nous ne la marquons aujourd’hui. Peut-être même y
a voit-il des notes pour indiquer aux aôeurs com-
mençans les tons qu’ils dévoient employer dans certaines
impreflions, parce que leur déclamation étoit
accompagnée d’une baffe de flûtes, ôc qu’elle étoit
d’un genre abfolument différent de la nôtre. L’acteur
pouvoit ne mettre guere plus.de fa part dans la
récitation, que nos aâeurs n’en mettent dans le récitatif
de nos opéra.
Ce qui me donne cette idée, car ce n’eft pas un
fait prouvé, c’eft l’état même des afteurs à Rome ;
ils n’étoient pas, comme chez les Grecs, des hommes
libres qui fe deftinoient à une profeflion, qui
chez eux n’avoit rien de bas dans l’opinion publique,
& qui n’empêehoit pas celui qui l’exerçôit de
remplir des emplois honorables. A Rome ces afteurs
étoient ordinairement des efelaves étrangers ou nés
dans l’efclavage : ce ne fut que l’état v il de la per-
fonne qui avilit cette profeflion. Le latin n’étoit pas
leur langue maternelle, Ôc ceux mêmes qui étoient
nés à Rome ne dévoient parler qu’un latin altéré par
la langue de leurs peres & de leurs camarades. Il
falloit donc que les maîtres qui les dreffoient pour
le théâtre commençaffent par leur donner la vraie
prononciation, foit par rapport à la durée des mefu-
res, foit par rapport à l’intonnution des accens ; Ôc
il eft probable que dans les leçons qu’ils leur don-
noient à étudier, ils fe fervoient des notes dont les
Grammairiens poftérieurs ont parlé. Nous ferions
obligés d’ufer des mêmes moyens, fi nous avions
à former pour notre théâtre un aâeur normand ou
provençal, quelqu’intelligence qu’il eût d’ailleurs.
Si de pareils foins feroient néceffaires pour une profodie
aufli fimple que la nôtre, combien en devoit-
on prendre avec des étrangers pour une profodie
qui avoit quelques-uns des caraôeres du chant ? Il eft
affez vraiffemblable qu’outre les marques de la prononciation
régulière, on devoit employer pour une
déclamation théâtrale qui avoit befoin d’un accompagnement
des notes pour les élévations & les abaif-
femens de voix d’une quantité déterminée, pour la
valeur précife des mefures, pour preffer ou rallentir
la prononciation, l’interrompre, l’entrecouper,augmenter
ou diminuer la force de la voix, &c.
Voilà quelle devoit être la fonftion de ceux que
Quintilien nomme artifices pronuntiandi. Mais tous
ce s fecours n’ont encore rien de Commun avec la
déclamation confidérée comme étant l’expreflion des
fentimens ôc de l’agitation de l’ame. Cette expreflion
eft fi peu du reffort de la note, que dans plufieurs
morceaux de mufique les çompofiteurs font obligés
d’écrire en marge dans quel carattere ces morceaux
doivent être exécutés. La parole s’écrit, le chant fe
note ; mais la déclamation expreflive de l’a me ne fe
preferit point; nous n’y fommes conduits que par
l’émotion qu’excitent en nous les pallions qui nous
agitent. Les aéleurs ne mettent de vérité dans leur
jeu , qu’autant qu’ils excitent en nous une partie de
ces émotions. Si vis me flere, dolendum eft, &c.
À l’égard de la fimple récitation, celle des Romains
étant fi différente de la nôtre, ce qui pouvoit
être d’ufage alors ne pourrait s’employer aujourd’hui.
Ce n’eft pas que nous n’ayons une profodie à
laquelle nous ne pourrions manquer fans choquer
fenfiblement l’oreille: un auteur ou un orateur qui
emploiroit un é fermé bref au lieu d’un ê ouvert
long, révolterait un auditoire, ôc paraîtrait étranger
au plus ignorant des auditeurs inftruit-par le fimple
ufage ; car l’ufage eft le grand-maître de la prononciation
, fans quoi les réglés furchargeroient inutilement
la mémoire.
Je crois avoir montré à quoi pouvoient fe réduire
les prétendues notes déclamatoires des anciens, ôc
la vanité du fyftème propofé à notre égard. En re-
connoiffant les anciens pour nos maîtres & nos modèles,
ne leur donnons pas une fupériorité imaginaire
: le plus grand obftacle pour les égaler eft de
les regarder comme inimitables. Tâchons de nous
préfer ver également de l ’ingratitude ôc de la fuperf-
tition littéraire.
Nos qui fequimur probabilia, nec ultra id quod verifi-
mih occurrit progredi pojfurnus , & refellere fine pertina-
ciâ y & refelli fine iracundiâ, parati fumus. Cicér. Tuf-
cul. 2,
D éc lam at io n, (Mufiq.) c’eft lenomqu’on^lon-
ne au chant de feene que les Muficiens ont appellé
improprement récitatif. Foyeç Ré c it a t if . Cette
efpece de déclamation n’eft & ne doit être autre cho-
fe que l’expreflion en chant du fentiment qu’expriment
les paroles. Foyeç Expression.
Les vieillards attachés aux beaux vers de Qui-
nault, qu’ils ont appris dans leur jeuneffe avec le
chant de Lulli, reprochent aux opéra modernes qu’il
y a trop peu de vers de déclamation. Les jeunes gens
qui ont favouré le brillant, la variété, le feu de la
nouvelle Mufique, font ennuyés de la trop grande
quantité de déclamation des opéra anciens.. Les gens
de goût qui favent évaluer les chofes, qu’aucun pré-
Tome I F .
jugé n’entraîne, ôc qui défirent le progrès de l’art,
veulent que l’on conlèrve avec foin la belle déclamar
tion dans nos opéra, & qu’elle y fqit unie à des di-
vertiffemens ingénieux, à des tableaux de mufique,
à des chants légers ; &c. ôc enfin ils penfent que la
déclamation doit être la bafe ÔC comme les gros
murs de l’édifice, & que toutes les autres parties
doivent concourir pour en former les embelliffe-
mens.
Le fucces des feenes de déclamation dépend pref-
que toujours du poète : on ne connoît point de feene
bien faite dans ce genre qui ait été manquée par un
muficien, quelque médiocre qu’il ait été d’ailleurs. Le
chant de celles de Médée ôd Jafon a été fait par l’abbé
Pelegrin, qui n’étoit rien moins que muficien fu-
blime.
L’effort du génie a été d’abord de trouver le chant
propre à la langue ôc au genre : il en eft de cette invention
comme de prelque toutes les autres ; les
premiers raiyonsde lumière que l’inventeur a répandus
ont fufli pour éclairer ceux qui font venus après
lui : Lulli a fait la découverte ; ce qui fera prouvé à
Varticle RÉCITATIF. (B)
D é c l am a t io n , {Belles-lettres.) difeours ou harangue
fur un fujet de pure invention que les anciens
rhéteurs faifoient prononcer en public à leurs
écoliers afin de les exercer.
Chez les G recs la déclamation prife en ce fens étoit
l’art de parler indifféremment fur toutes fortes de fu-
jets, ôc de foûtenir également le pour Ôc le contre,
de faire paraître jufte ce qui étoit injufte, & de détruire
au moins de combattre les plus folides raifons.
C ’étoit l’art des fophiftes que Socrate avoit décrédité
; mais que Démétrius de Phalere remit depuis
en vogue. Ces fortes d’exercices, comme le remarque
M. de S. Evremont, n’étoient propres qu’à mettre
de la fauffeté dans l’efprit ôc à gâter le goût, en
accoûtumant les jeunes gens à cultiver leur imagination
plûtôt qu’à former leur jugement, ôc à chercher
des vraisemblances pour en impofer aux auditeurs
, plûtôt que de, bonnes raifons pour les convaincre.
Foyei Soph iste.
Déclamation eft un mot connu dans Horace, ôc
plus encore dans Juvénal ; mais il ne Le fut point à
Rome avant Cicéron ôc Calvus. Ce fut par ces fortes
de compofitions que dans fa jeuneffe ce grand
orateur fe forma à l’éloquence. Comme elles étoient
un image de ce qui fe paffoit dans les confeils ôc au
barreau, tous ceux qui afpiroient à l’éloquence, ou
qui vouloient s’y perfectionner, c’eft-à-dire les premières
perfonnes de l’état, s’appliquoient à ces exercices,
;qui étoient tantôt dans le genre délibératif, ôc
tantôt dans le judiciaire, rarement dans le démonf-
tratif. On croit qu’un rhéteur nommé Plotius Gallus
en introduifit le premier l’ufage à Rome.
Tant que ces déclamations fe tinrent dans de j uf-
.tes bornes, ôc qu’elles imitèrent parfaitement la
forme ôc le ftyle des véritables plaidoyers, ellesfu-
rent d’une grande utilité ; car les premiers rhéteurs
latins les avoient conçues d’une toute autre maniéré
que n’avoient fait les fophiftes grecs : mais eiles
dégénérèrent bien-tôt par l’ignorance & le mauvais
goût des maîtres. On choififfoit des fujets fabuleux
tout extraordinaires, ôc qui n’avoient aucun rapport
aux matières du barreau. Le ftyle répondoit au
choix des fujets : ce n’étoient qu’expreflîbns recherchées
, penfées brillantes, pointes, antithefes, jeux
de mots , figures outrées, vaine enflure, en un mot
ornemens puériles entaffés fans jugement, comme
on peut s’en convaincre par la leClure d’une ou de
deux de ces pièces recueillies par Seneque : ce qui
faifoit dire à Pétrohe que les jeunes gens fortoient
. des écples publiques avec un goût gâté, n’y ayant rien
vû ni entendu de ce qui eft d’ufage, mais des imagina-
S S s s ij