ces des fils qui les compofent. Il eft queftion de fa voir
en premier lieu, fi la force des cordes furpaffe la
force des fils qui compofent ces mêmes cordes. Le
fentiment vulgaire (& plufieurs auteurs de réputation
fe font efforcés de le foûtenir) eft que deux fils
tortillés l’un fur l’autre font plus forts qu’étant pris
féparément. Ce fentiment a été réfuté par l’expérience
, Sc le raifonnement par M M. de Muffchen-
broeck & Duhamel. Voici les démonftrations de M.
Duhamel. Voyeç dans fon ouvrage fies expériences.
i° . Les torons font roulés en fpirale; donc leur
fur fa ce extérieure occupe une plus grande place que
l’intérieure ; donc la partie extérieure de ces torons
éft plus tendue que l'intérieure ; donc elle porte un
plus grand poids, car ces fibres déjà tendues ne pourront
s’allonger pendant que les autres feront en état
de céder : donc elles rompront plus promptement.
• 2°. On ne peut tordre des fils, qu’on ne les charge
d’une force pareille à un poids qu’on leur applique-
foit ; fi on les tord trop, cette feule force eft capable
de les faire rompre : ainfi il n’eft pas poffible qu’ils
n’en foient affoiblis. *
3°. Quand on charge une corde tortillée, elle s’allonge,
& toutes les fibres qui font plus tendues fe
rompent, les autres fe frottent & s’altèrent, ce qui
fend toujours au détriment de la corde.
4°. La direction oblique des fils tortillés contribue
âuifi à l ’affoibliffement des cordes ; pour cela examinons
quelle eft la difpofition des cordons qui compofent
une corde : ce qu’on pourra voir dans la fig. ij .
PI. V. qui repréfente une corde compofée de deux
cordons, dont les deux bouts ne font pas achevés de
tortiller. Le cordon A P , qui n’eft pas ombré dans la
figure, eft roulé ou tortille fur le cordon C P qui eft
ombré, de même que le cordon C P eft roulé oiftor-
tillé fur le cordon A P ; enforte qu’ils s’appuient l’un
fur l’autre , & fe croifent fans ceffe dans tous les
points , comme ils le font au point P. La. dire&ion
de chacun de ces cordons eft en forme d’hélice ; car .
nous fuppofons ici une corde parfaite dont les deux
cordons foient égaux en tout fens, Sc par conféquent
que les deux hélices formées par leurs deux directions
foient égales, enforte que le cordon C P foit
autant courbé ou incliné fur le cordon A P , que le
cordon A P eft incliné vers le cordon CP. Cette égalité
d’inclinaifon doit fubfifter, Sc fubfifte en effet
dans tous les points imaginables de la longueur de la
corde : ainfi ce qu’on pourra dire d’un point pris arbitrairement
, pourra s’entendre de tous en particulier.
Nous avons dit en premier lieu que par le tortillement
ces deux cordons fe croifent, d’où il fuit qu’ils
forment continuellement de nouveaux angles. Nous i
avons dit en fécond lieu que les deux cordons étoient
également inclinés l’un vers l’autre ; d’où il fuit que
les angles qu’ils forment en fe croifant, font égaux
dans toute la longueur de la corde : mais comment
découvrir la quantité de 'ces angles formés par la
rencontre des deux hélices ? II fera aifé de le connoî-
tre fi l’on confidere que les hélices, ainfi que toutes
les autres courbes, peuvent être regardées comme
étant compofées d’ime infinité de petites lignes droites
; & que les angles que forment fans ceffe les deux
hélices en fe croifant, font formés par la rencontre
des petites lignes droites dont chacune d’elles eft compofée
; c’eft-à-dire que l’angle P , par exemple, formé
par les deux direôions d’hélices des cordons,
peut être regardé comme un angle reûiligne formé
parla rencontre des deux petites lignes droites, dont
P A Si PC ne font que le prolongé. Or qu’eft-ce que
c’eft que le prolongé des petites , o u , fi l’on veut,
d’une des infiniment petites lignes droites dont une
courbe eft compofée ? C’eft fans contredit une tangente
a cette courbe : donc l’angle P formé par la
rencontre des deux petites lignes droites'dont les
deux hélices font compofées, peut être mefuré par
l’angle que forment les deux tangentes A P Sc C P
en fe rencontrant au point P , puifque les deux tangentes
A P & C P ne font que le prolongé des deux
petites lignes dont les hélices font compofées.
Ce qui a été dit à l’égard du point P , peut fie dire
de tous les points imaginables pris dans la longueur
de la corde ; ainfi il eft confiant qu’il n’y a pas un
fieul point de la corde dans lequel les cordons ne fe
croifent Sc ne forment un angle tel que l’angle P , duquel
on pourra connoitre la quantité en tirant, par
ce point pris où l’on voudra , deux tangentes à la
dire&ion des deux hélices, lesquelles feront refpec-
tivement parallèles aux deux lignes A P Sc C P . I!
eft queftion a prefent d’examiner quel eft l’effet que
produit ce croifement des cordons, Sc s’il peut cau-
fer une augmentation ou une diminution de force à
la corde qu’ils compofent. Chacun des deux cordons
porte fa part du fardeau appliqué au point H , Sc lui
refifte avec un certain degré de force félon fa direction
particulière ; la direâion des deux cordons eft
en forme d’hélice, enforte qu’ils fe croifent fans ceffe
& forment dans tous les points des angles tels que 1 angle P : d’où il fuit que dans tous les points imaginables^
de la corde, le cordon A P , qui n’eft pas ombré,
réfiftera au fardeau appliqué au point H avec un
certain degré de force dans une direction telle que
A P , c’eft-à-dire parallèle à A P ; Sc de même le cordon
C P qui eft ombré, réfiftera au fardeau appliqué
au point H avec un certain degré de force, tel que
C P ou parallèle à C P . .
Si donc i° . un fardeau appliqué au point H de la »
corde, agit pour la tendre dans la direâion P H , il
efbcertain que le point P fera tiré félon cette direction.
2°. Puifqu’il a été dit que le cordon qui n’eft
pas ombré réfiftera à l’effort du poids dans la direc-
tion A P , il eft encore certain que le point P fera tiré
ou retenu avec un certain degré de force félon la
dire&ion A P . 30. De même puifqu’il a été dit que le
cordon qui eft ombré réfifte à l’effort du poids dans
la dire&ion C P , il eft encore certain que le point P,
fera tiré ou retenu dans la direftion C P avec un certain
degré de force1» voilà donc le point P tiré par.
trois puiffancès qui agiflent les unes contre les autres
, pour le tenir en équilibre félon les direttiôns
P H , P A , P C. Or il eft démontré que trois puiffan-
ces qui tiennent un point mobile en équilibre , font
en même raifon que les trois côtés d’un triangle qui
font menes perpendiculairement à leur direâion : fi
donc, fig. 14. les lignes P H , P A , P C , repréfen-
tent la direâion de ces trois puiffancès, les lignes B
E , B D , D E , qui forment le triangle B D E dont
les côtés font menés perpendiculairement aux directions
des trois puiffancès, exprimeront la jufte valeur
de chacune de ces puiffancès. Enforte que 1?. le
côté B E exprimera le degré de force de la puiffan-
ce H , c’eft-à-dire du poids ; & fi ce poids eft tel que
la moindre petite augmentation foit capable de faire
rompre la corde, cette ligne B E exprimera le
degre cîe force avec lequel les deux cordons réunis
& tortilles enfemble pour former une corde,.font
capables de réfifter à l’effort de ce poids. 20. Le côté 2? D exprimera le degré de force de la puiffance A ,
c’eft-.à-dire le degré de force avec lequel le cordon
qui n’eft pas ombré eft capable de rélifter à Keffort
d’un poids, fi ce cordon étoit tiré félon cette direction.
3.0. Le côté D exprimera le degré de force avec
lequel le cordon ombré eft capable de réfifter à l’effort
d’un pôids, fi ce cdfdon étoit tiré félon cette
dire&ion feulement. Il fuffit d’avoir les élémens les;
jIus fimples de la Géométrie, pour connoître que
es deux côtés d’un triangle valent enfemble plus que
le troifieme tout feul ; ainfi on conviendra que dans
le triangle B D E , le côté B E eft moindre que là
fomme des deux autres B D 4- D E : or le côté B E
exprime le degré de force des deux cordons réunis
Sc tortillés pour former^me corde, les côtés B D
Si D E expriment le degre de force avec lequel chacun
des deux cordons eft capable de réfifter à l’effort
d’un poids.
Autre démonjlration. La dire&ion des torons dans
une'corde compofée de deux, peut être confidéréè
comme deux torons féparés l ’un de l’autre, & auxquels
on donneroit la même direôion que les torons
Ont dans la corde commife ; ainfi les deux torons P
A , P C , 15 , feront un angle d’autant plus ouvert,
que la corde fera plus commife; A P C , par exemple
, fi elle l’eft au tiers ; I P L , fi elle l’eft au quart ;
M P N , fi elle l’eft au cinquième. ’Suppofons maintenant
, 16, que deux différentes pèrfonnes foûtien-
nent le poids H à l’aide des deux torons P C , P A ,
lequel foit capable de rompre chaque toron : l’effort
compofé qui réfultera des deux forces particulières
P C, P A , fera repréfenté par P E , 1 7 , qui eft la
diagonale du lofange P A ,E C; cet effort compofé
marque tout le poids que peut foûtenir la corde , &
cependant les deux efforts particuliers repréfentés
par P C, P A , font enfemble plus grands que l’effort
compofé repréfenté par P E ; c’eft néanmoins cet effort
particulier que les cordons ont à fupporter. Il y
a donc une partie de l’effort des cordons qui eft en
pure perte pour foûlever le poids ; c’eft ce qui devient
fenfible par l’infpeâion de la fig. 18. car on ap-
perçoit aifément que fi la corde étoit plus tortillée,
ou, ce qui eft la même chofe, fi les torons P C , P
A , 18 , approchoient plus de la perpendiculaire à H
E , leur direction étant changée, ils produiroient encore
moins d’effet pour foûlever le poids H: chaque
toron à la vérité aura la même force particulière,
puifque les lignes P C , P A , n’auront point changé
de longueur ; mais comme les forces particulières
feront encore plus contraires dans leur direction, &
comme elles s’accorderont moins à agir fuivant la
verticale pour foûlever le poids H , ou fuivant la di-
reftion de la corde H P , leur effort commun fera
éneore plus petit, parce qu’il y aura plus de force
employée fuivant une direction latérale, & par conféquent
de perdue pour foûlever le poids H. Enfin
fi la direction des cordons P C , P A , 19, étoit perpendiculaire
à H E , l ’effort compofé feroit anéanti,
& les forces P C , P A , ne tendroient nullement à
foûlever le poids H. Il eft évident que le contraire
àrriveroit fi la corde étoit très-peu commife ; car*
alors les cordons P C , P A , 20, approchant de la
direction P H , l’effort compofé P E de viendroit plus
confiderable, Sc les forces agiroient plus de concert
pour foêlever le fardeau H. Ces cordons P C , P H,
pourroient même être tellement rapprochés l’un de
l’autre, que la diagonale P E qui exprime l’effort compofé
feroit préfqu’auffilongue que les lignes P C , P
qui expriment les forces particulières. Donc deux
cordes reunies Sc tortillées pour n’en faire qu’une,
font moins d’effort pour réfifter à un poids, que ne
feroient ces deux cordes fi elles agiffoient ieparé-
ment félon leur direftion : c’eft-à-dire que par le tortillement
qui a affemblé ces deux cordes, chacune
d’elles a perdu une partie du degré de force qu’elle
avoit auparavant pour réfifter à l’effort d’un poids ;
& par conféquent qu’elles font moins en état de réfifter
à cet effort, que fi elles étoient tirées par un
poids égal félon leur longueur; ce qu’il falloit démontrer.
C eft d’après les même principes que l’auteur, que
nous analyfons conclut, qu’il y auroit pareillement
de 1 avantage à ne raccourcir qu’au quart ou qu’au
cinquième, au lieu de fuivre l’ufage, qui eft de raccourcir
au tiers. C ’eft la certitude que le tortillement
affoiblit les cordes, qui détermina M. de Muff-
chembroéck à chercher le moyen d’en faire fans
cette condition. Voyc{ dans M. Duhamel l’examen
de fes tentatives. Lorfqu’il arrive au toupin d’être
rendu auprès de l’attelier avant que le quarré foit
au tiers accordé par le cordier pour le raccourcif-
lerrient des fils, fes cordages font dits par le cordier
Commis au fiers mou; & ceux en qui cela n’arrive
pas, font dits commis au tiers ferme. L’expérience a
tait voir que les premiers étoient les plus forts. Le
tortillement diminue donc toûjours la force des cordes
; mais on ne peut s’en paffer : il faut n.éceffairement
tordre les torons, & avant que de les commettre
, Sc pendant qu’on les commet. Suppofons qu?on
veuille faire une piece de cordage commife, fuivant
l’ufage ordinaire, au tiers, on ourdira les fils à 180
braffes, pour avoir un cordage de 120 de longueur;
ainfi les fils auront à fe raccourcir de 60 braffes par
le raccourciffement des torons qu’on tord, foit avant
de les commettre, foit pendant qu’on les commet.
Nous avons dit que quelques cordiers divifoient en
deux le raccourciffement total, Sc en employoient
la moitié pour le raccourciffement des torons avant
que d’être commis, Sc l’autre lorfqu’onles commet :
ainfifu ivant cette pratique, on raccourciroit les"
torons de 30 braffes avant que de mettre le toupin ,'
Sc des 30 autres braffes pendant qüe le tOiîpih par-
courroit la longueur de la cordcrie. Nous avons aufii
remarqué que tous les Cordiers ne fuivôient pas
exa&ement cette pratique, Sc qu’il y en àvoit qui
ràccourciffoient leurs torons, avant que de les commettre,
de 40 braffes, Sc feulement de 20 brades
pendant l’opération du commettage : c’eft affez Pillage
de la corderie de Rochefort. On pourroit penfer
que cette derniere pratique auroit des avantages ;
car en tordant beaucoup les torons avant que de les
commettre, on augmente l’élafticité des fils , ce qui
fait que quand la corde fera commife elle doit moins
perdre fa forme, Sc reftermièux tortillée : quand on
la commettra, le toupin en courra mieux, les hélices
que forment les torons ferontplus allongées, Sc
le tortillement fe diftribuera plus également fur toute
là piece. Ceux qui donnent moins de tortillement
aux torons, pourroient aufii appuyer leur pratique
fur des raifons affez fortes : ils pourroient dire qu’ils
fatiguent moins les fils, Sc qu’ils évitent de donner
trop d’élafticité aux torons : mais l’expérience eft
contre eux ; elle démontre qu’on augmente la force
des cordes en diminuant le tortillement des torons
avant l’application du toupin. Ainfi un cordier qui
obftinément voudroit commettre fes manoeuvres au
tiers, feroit donc de meilleures cordes s’il ne don-
noit que trois neuvièmes de tortillement à fes torond
avant de mettre le toupin, Sc que fix neuvièmes
apres^ qu’il l’a mis, ou quand il commet fa-.corde ,'
que s’il donnoit pour le raccourciffement de la pre-
miere opération fix neuvièmes, & en commettant '
feulement trois neuvièmes ; parce que, fans s’en ap-:
percevoir, il commettroit fa corde beaucoup plus
lâche que le tiers. Cela feroit à merveille pour les
cordages commis au tiers , mais nous croyons qu’il
en feroit autrement pour un cordage commis au
quart ou au cinquième ; c’eft ce qu’il faut expliquer.
Si l’on ourdit une piece de cordage qui doit avoir
120 braffes de longueur, & que l’intention foit de la
commettre au tiers, on donne aux fils 180 braffes
de longueur; & pour faire ce cordage comme Pauf-
fiere E de la première expérience, on raccourcit
les torons, avant de mettre le toupin, des deux tiers
du raccourciffement total, c’eft-à-dire de 20 braffes,
& ils acquièrent affez de force élaftique par ce tortillement
pour fe bien commettre ; il refte 40 braffes
pour commettre la cordé, Sc c’eft beaucoup plus
qu’il ne faut pour confommer la force élaftique des