chartes, les diplômes & les archives particulières où
ils font dépofés. Sans parler des tems antérieurs,
.Conringius célébré littérateur allemand, l’avoit fait
•en 1671, lorfqu’il attaqua les diplômes de l’abbaye
de Lindau, monaftere confidérable vers l’extrémité
orientale du lac de Confiance. Le P. Papebroeck,
le plus illuftre des continuateurs du recueil de Bol-
landus, fe déclara en 1675 contre la plupart des titres
: il propofa des réglés qui depuis Ont été con-
teftées. M. l’abbé Petit qui publia en 1677 péni-
îentiel de Théodore archevêque de Cantorbery, fe
déclara contre la plupart des chartes & des diplômes.
Le P. Mabillon, touché de tant de plaintes qui pou-
Voient retomber fur fes confrères, fe préfenta pour
les juftifier ; c’efi ce qui produifit en 1681 le grand
& célébré ouvrage rt diplomaticâ, qui ne pouvoit
etre que le travail d’une cinquantaine d’années, tant
on y trouve de favoir 8c de recherches précieufes 8c
importantes. On doit regarder cet écrivain comme
un pere de famille qui cherche à défendre les biens
qui lui font acquis par une longue poffeffion. Son
-ouvrage fut reçu différemment, 8c a fait depuis le
fujet de plufieurs difputes auffi obfcures qu’elles font
intéreffantes. On a prétendu que fon travail n’a voit
pas une étendue affez générale, parce qu’on n’y.
trouve pas les différens carafteres ufités en Efpagne,
en Italie, en Angleterre 8c en Allemagne : mais que
chaque favant en état de travailler cette matière
dans les différens royaumes , faffe fur fa nation ce
que le P. Mabillon a fait fur la France, & l’on pourra
dire que par ce moyen on arrivera à une diplomatique
univerfelle.
Pour en venir à quelque détail, deux ans après
que le livre de la diplomatique eut paru, le P. Jourdan
, de la compagnie de Jefus, fe déclara contre les
titres 8c les diplômes en général, dans fa critique de
l'origine de la maifon de France, publiée ou travaillée
fur de faux titres par M. d’Efpernon. « Toutes ces
» chartes particulières (dit le P. Jourdan pag. 232.)
» font des fources cachées, fecretes, ténébreufes &
» écartées, 8c l’on ne fait que trop qu’elles font fu-
» jettes à une infinité d’accidens, d’altérations , de
» furprifes & d’illufions : elles reffemblent à des tor-
» rens échappés à-travers les terres, qui grofliffent
*> à la vérité l’eau des rivières, mais qui la troublent
» ordinairement par la boue qu’ils y portent. Ces
» chartes peuvent donner quelquefois de l’accroiffe-
» ment à l’hiftoire ; mais fouvent cet accroiffement
» eft fort trouble, & il en ôte la clarté 8c la pureté,
» à moins qu’elles ne foient bien certaines & bien
» éprouvées. Nous ne devons pas juger de la vérité
» de l’hiffoire par ces chartes particulières, mais
» nous devons juger de la vérité de ces chartes par
*> l’hiftoire. » Le P. Jourdan continue fur le même
ton, page %5y de fa critique. Enfin , page 26$ , il
conclut par ces paroles : que « le monde fe raffine
» tous les jours en matière de chartes, 8c qu’il n’eft
» pas fur d’expofer de mauvaifes pièces, avec cette
» préemption qu’elles pourront paffer pour vraies,
» qu’on ne les reconnoîtra pas. J’apprends aulïi (dit-
» il*.) que je ne fuis pas le feul qui fe foit apperçû de
» l’infidélité de ces chartes, & que bien des perfon-
» nés reviennent de ces premiers applaudiffemens
» qu’elles a voient d’abord cauies ».
M. Gibert, homme favant 8c avocat au parlement
, en avoit parlé à-peu-près dans le même
fens , dans ce qu’il a écrit de l’origine des François
& des Gaulois ; mais il a fu fe radoucir par une remarque
particulière qu’il a mife à la fin de fon livre,
& il veut bien qu’on en appelle à l’hiftoire & aux
hiftoriens pour examiner la vérité des chartes & des
diplômes. C ’eft encore beaucoup que de favoir employer
ce fage tempérament en une matière dou-
leuic.
M. Baudeïot de Dairvaî porta Iês chôfes pîüs ïôïft
en 1686, dans fon livre de l ’utilité des voyages, tome
IL page 43 G. où il dit que « quoique le P. Mabillon
» ait touché quelque chofe du caraâere gothique 8c
» du lombard , il n a point parlé de ceux des autres
» pays & des autres langues ; ce qui néanmoins au*
» roit ete neceffaire , puifqu’ils ne renferment pas
» moins ce qu’il y a de précieux dans la Religion,
» l’Hiftoire, la Politique & les autres Sciences. De-
» là vient que bien des gens avec moi, & quelques-
» uns même de fes amis, ont trouvé que cet ouvrage
» ne donne qu’une connoiffance fort legere 8c très*
» bornée fur cette matière, pour l'intelligence des
» titres & des autres manuferits. »
Cet ouvrage du P. Mabillon eft devenu célébré
par les difputes qu’il a caufées depuis plus de cinquante
ans > par rapport à la matière en elle-même ,
& je me perfuade qu’on ne fera pas fâché de favoir
quelle en a été l’origine : je tire cette remarque du
favant auteur que je viens de citer. « Au refte, com-
» me vous aimez l’hiftoire littéraire (continue-t-il
» p a g e 43 y de fon utilité des voyages) vous ne ferez
» pas fâche de favoir quel motif a fait entreprendre
» cet ouvrage au P. Mabillon 8c à fon collègue ( lé
» P. Germain. ) Cette connoiffance donne fbuvent
» beaucoup d’ouverture pour l’intelligence des li-
» vres ; & la plupart des auteurs en font fi perfuadés,
» qu’ils ne manquent jamais d’en prétexter quelques*
» unes , ou d’en donner des indices dans leurs 011-
» vrages : c’eft. auffi ce que je ferai remarquer dans
» celui-ci. Le P. Papebroeck , Jéfuite., dans la pré*
» face de fon fécond volume des -actes des Saints du
» mois d. Avril (publié qn 1675)» parlant des ma-
» nuferits , dit en paffant que les titres publiés par
» nos religieux font fort fufpe&s ; il n’oublie pas
» même le titre de S. Denys donné par Dagobert
» comme un des principaux : il ajoute enfuite beau-
» coup de raifons pour fortifier fes conje&ures. Le
» P. Mabillon ne s’en plaignit point d’abord, 8c il
» meprifa cette attaque, comme ces vieilles calom-
» nies que le tems obfcurcit ou rend moins dange-
» reufes. Mais en 1677 I parut un livre (c’eft le pè-
» nitentiel de Théodore de Cantorbery), dans le-
» quel il y a des notes qui combattent le titre de S.
» Denys dont je viens de parler, qu’un bénédiftin â
» publié , & par lequel ces religieux fe prétendent
h exempts de la jurifdi&ion même du Roi. On a
» joint à ces notes une copie du véritable titre, tirée
» d’un manuferit dé M. deThou , qui eft préfente-
» ment dans la bibliothèque de M. Colbert (& de-
» puis quelques années dans Celle de Sa Majefté) ;
» & cette copie eft entièrement contraire à celle
» qu’a voit imprimée le P. Doublet dans fes antiquités
» (de S. Denis.) Ces notes prouvent encore que lé
» titre, tel qu’il étoit chez M. Colbert, eft non-feu-
» lement l’original, mais qu’il eft conforme à la dif-
» pline de fon tems 8c à l’ufage qui l’a précédé, &
» que celui du P. Doublet par conféquent eft falfifié'
» & qn’d eft contraire aux lois de l’Eglife 8c à celles
» de l’état ; ce qui eft démontré par une infinité de
» monumens de l’une & de l’autre police. Ceux qui
» y avoient intérêt, 8c pour qui on avoit publié ce
» titre, ne purent fouffrir qu’on l’attaquât ainfi; ce-
» pendant ils n’oferent y répondre ouvertement. Il
» courut, o u , pour mieux dire , il parut un petit
» libelle de quelque moine impatient, mais qui s’é-
» vanoiiit auffi-tôt, & que Je P. Mabillon & les plus
» raifonnables d’entr’eux defavoiierent, parce qu’il
» n’y avoit que des injures & de l’ignorance : il n’ef-
» fleuroit pas même la difficulté, bien loin de la ré-
» foudre. On prit donc une autre voie, 8c ce fut ce
» traité de re diplomaticâ, qui fut le palladium qu’on
» voulut oppoler aux remarques curieufes que l’abbé
» Petit a jointes à fon pénitenticl de Théodore. Le P,
# Mabillon n’a pu cacher fon deffein , 8c il paroît
» évidemment qu’il a voulu défendre & foûtenir les
» titres de fon ordre, que le P. Papebroeck avoit un
» peu noircis par fes foupçons ; & il eft indubitable
» que l’endroit de fon livre où il s’efforce de com-
» battre ce qu’a donné M. Petit, eft le centre de fon
» ouvrage, d’autant plus que dans les differtations ■
» jointes au pénitenticl, il y a des preuves affez for-
» tes de ce que le favant Jéfuite flamand ne faifoit
i» que conjefturer. Voilà les bleffures auxquelles il
» s’eft crû obligé de remédier avec promptitude,
opus ejje exijlimavi diligentiâ. Ne m’en croyez pas,
•» Monfieur ( c e font fes termes), hanc necejjîtatem
» probat operis occajio , l’occafion de cet ouvrage en
>> prouve la néceffité ; & parce que les principaux
» efforts de fes adverfaires, comme il les appelle,
» font tombés fur le chartrier de S. Denis, & quo-
i» niam proecipuus advèrfariorum conatus in Dionyjia-
9> num archivium exfertus fucrat, la néceffité de fe dé-
»> fendre lui a fait enfanter ce deffein nouveau, pour
» procurer de l’utilité au public, nempï utilitas argu-
» menti cunj. novitate conjuncta , atque defenjîonis ne-
*> cejjitas. Cependant quiconque lira l’un & l’autre ,
» remarquera facilement lequel des deux a plus de
» force & de folidité dans l’attaque ou dans la dé-
» fenfe ; & pour vous le faire voir en deux mots,
» l’abbé Petit, dans fes notes fur Théodore, qui vi-
» voit vers la fin du fixieme fiecle, prétend que les
» exemptions de l’ordinaire & des fouverains font
» contraires à la difeipline tle l’Eglife ; il le juftifie
» par une tradition exa&c des peres & des conciles
» jufqu’à fon . tems : il foûtient par conféquent que
£> ces fortes de privilèges ne font pas légitimes. Ce-
*> lui de S. Denis, que le P. Doublet a publié, lui
» fert d’exemple ; il donne une copie de ce même
» titre, tirée d’un ancien manuferit, qui contredit
*> l’autre, & qui eft conforme aux réglés de l’Eglife.
9> A cela le P. Mabillon répond que c’eft une calom-
*> nie digne de réprimande, d’accufer fes confrères
» d’errer contre l’Eglife & la police des états, lorf-
» qu’ils défendent des privilèges, quoiqu’on leur ait
w- montré qu’ils font contraires aux canons de l’une
» & aux lois de l’autre. Il avoue le titre que produit
» M. Petit, mais il prétend que celui du P. Doublet
» en eft un autre ; fur quoi il donne de mauvaifes
» raifons : & pour montrer que celui qu’il défend,
» & pour lequel il a fait un fi gros liv re, n’eft point
»> contraire à l’Eglife , il ne rapporte ni paffages des
» peres ni des conciles , mais une formule de Mar-
» culphe. Vous croyez peut-être, quoique ce ne foit
» pas une grande preuve, qu’elle parle en termes
j> exprès, cependant c’eft le contraire ; il n’eft parlé
» que de juges médiats ou fubalternes, avec une
» claufe que ni le prince ni le magiftrat ne pourroit
»> détruire cette grâce, nec regalis fublimitas, nec eu-
»> jujlibet judicum feeva cupiditas refragare tentet ; &
9> une preuve de cela eft que dans un endroit de
» cette formule on y voit les mêmes expreffions que
» dans le titre publié par M. Petit : Jlatuentes ergo ne-
»> que juniores, neque fuccejfores vejlri , nec ulla publica
» judicidria potejlas, & c . Enfin pour derniere raifon
» il rapporte uniquement un femblable privilège
w donne à Weftminfter par un Edoiiard roi d’Angle-
» terre, contre lequel aflurément les raifons du P.
» Papebroeck & de M. Petit ne perdent rien de leur
» force, auffi-bien que contre les autres titres. »
Il fuffit que l’ouvrage du P. Mabillon ait eu beaucoup
de réputation , pour qu’il fe foit vû expofé à la
critique & à de grandes contradiâions, foit en France
, foit dans les pays étrangers ; s’il avoit été moins
favant, on l’auroit laiffé pourrir dans l’oubli & dans
l’obfcurité. C’eft ce qui a produit en 1703 & aux
années fuivantes, les differtations fi favantes & fi
îudicieufes du P« Germon de 1a compagnie de Jefus.
Ces nouvelles difputes ont procuré un avantage, &
ont engagé le P. Mabillon à publier en 1704 un fup-
plément confidérable à fa diplomatique ; & le P. dom
Thierri Ruynart illuftre affocié du P. Mabillon, fit
paroître alors contre leurs célébrés adverfaires, fon
livre ecclefia Parijienfs vindicata. L ’année fuivante
M. HickeJ'e, l ’un des plus favans hommes de l’Angleterre,
s’eft auffi élevé contre le pere Mabillon,
dans un ouvrage auffi nouveau & auffi fingulier eh
fon genre, que la diplomatique du P. Mabillon ; c’efi:
dans ce qu’il a donné fous le titre de litteratura fep-
tentrionalis, publié en 1705 en trois volumes in-fol.
où il prétend détruire les réglés diplomatiques établies
par le favant bénédiâin. Les Italiens s’en font
auffi mêlés, mais plus foiblement que ceux dont nous
venons de parler : ainfi un bon, un excellent ouvrage
en produit de bons & de médiocres, comme
il eft auffi la fource de bonnes 8c de mauvaifes critiques
; c’eft au public curieux à profiter de ce qu’il
peut trouver d’utile jufque dans les moindres écrits
qu’engendre une difpute.
On ne fauroit difeonvenir que la diplomatique du
P. Mabillon ne contienne d’excellentes 8c d’admirables
recherches fur divers points de notre hiftoire;
l’homme judicieux fera toûjours plus d’attention à
ce qu’il y trouvera d’excellent 8c d’utile , qu’aux
fautes qui peuvent fe rencontrer en un travail qui
jufqu’en 1681 n’avôit pas été tenté : les Anglois 8c
les favans de France n’ont pas laiffé, au milieu dés
critiques qu’ils en ont faites, d’admirer, de refpec-
ter même la grandeur , la nouveauté 8c l’utilité
du deflein. En effet, rien n’auroit contribué davantage
à approfondir les endroits les plus fecrets 8c les
plus oblcurs des premiers tems de notre hiftoire 8c
de celle des autres nations, fi l’on avoit pu compter
avec certitude fur les réglés qu’il a propofées pour
difeerner les véritables diplômes, & les diftinguer
fûrement de ceux qui ont des marques de fauffeté.
Cette matière eft devenue à la mode chez prefqué
toutes les nations, 8c chacune l ’a traitée fuivant l’on
•goût, 8c relativement à fon hiftoire ou à des vûes
particulières. Wiltheim a donné en 165:9 à Liege, le
dyptycon Leodienfe & Bituricenfe : Luing, cet allemand
fi laborieux, en a fait un ample recueil, tant
d’Allemagne que d’Italie ; Rymer fit par Ordre de la
reine Anne, cette belle colleûion qui eft connue
fous le nom de l’éditeur : 8c pour revenir à notre
France, combien André Duchêne en a - t - i l publié
dans les généalogies dé plufieurs grandes maifons ?
L’hiftoire des congrégations religieufes des provin*
ces, des villes, a pour fondement ces fortes de
diplômes ; c’eft par-là que lesDupuy, les Ducange,
les Godefroi, le font diftingués -dans le monde lavant,
auffi-bien que Blondel, Baluze, Labbe 8c
Martene ; 8c Aubert Lemire a éclairci bien des faits
particuliers de l’hiftoire des Pays -bas, par les recueils
qu’il a donnés de ces fortes de titres , quoiqu’on
puiffe lui en difputer quelques-uns.
Le laborieux pere Papebroeck eft un de ceux qui
en ont le plus favamment écrit. Avant luiConringius
8c Heiderus, s’y étoient exercés en Allemagne, auffi*
bien que Marsham , dans la préface du monaflicait
anglicanum; 8c V arthon, dans YAngliafacra, corn*
me M. de Launoi l’avoit fait en France, en attaquant
avec autant de courage que de hardiefié la
plûpart des privilèges des abbayes , 8c de plufieurs
communautés. Quelle perte pour ce dernier de n’avoir
pû connoître un fait célébré, qui ne s’eft développé
que plus de quinze ans après la mort de ce célébré
perfonnage ! On fait que fous le pape Innocent
II. qui fiégea depuis l’an 1130 jufques vers la
fin de l’an 1143 , il fe tint un concile à Reims, oh
affifta l’évêque de Châlons , qui avoit été aupara*
vant abbé de S. Médard de Soiffons, Ce prélat toif