même ce mot yferoit joint, il ne senfuivrort pas
que ce fut véritablement l’ouvrage d’Ifidore de Sé-
ville : car fl l’auteur a eu la, hardieffe d?attribuer
fauffement tant de décrétales aux premiers papes,
pourquoi, n’auroit-il pas eu celle d’ufurper le nom
d’Ifidore de Séville , pour accréditer fon ouvrage ?
Par la même raifon, de ce qu’on trouve dans la préface
die ce recueil divers paflages qui fe rencontrent
au cinquième livre des étymologies d’Ifidore, fui-
vaut la remarque des côrrefteurs romains, ce n’eft
pas une preuve que cette préface foit de lui , comme
le prétend le cardinal. Eu effet, l’auteur a pii coudre
ces paflages à fa préface, de même quil a coufu
-différens paflages des faints perès aux décrétales qu’il
rapporte. Un nouveau motif de nous faire rejetter
le fentiment du cardinal, c’eft la barbarie de ftyle
qui régné dans cette compilation, en cela différent
de celui d’Ifidore de Séville verfé dans les bonnes
lettres, & qui a écrit d’une maniéré beaucoup plus
pure. Quel fera donc l’auteur de cette colleftion ?
Suivant l’opinion la plus généralement reçue , on la
donne à un Ifidore furnommé Mcrcator, &c cela à
caufe de ces paroles de la préface, IJîdorus Mercator
J'ervus ChriJU, leclori confervo fuo : c’eft ainfi qu’elle
eft rapportée dans Yves de Chartres & au commencement
du premier tome des conciles du P. Labbe ;
elle eft un peu différente dans Gratien fur' le canon
IV . de la diftin&ion xvj. où le nom de Mercator eft
lupprimé ; & même les correôeurs romains, dans
leur fécondé note fur cet endroit de Gratien, obfer-
ventque dans plufieurs exemplaires, au lieu du fur-
nom de Mercator, on lit celui de Peccator : quelques-
uns même avancent, & de ce nombre eft M. de
Marca, lil. III. de concordiâ facerd. & imp. cap. v.
que cette leçon eft la véritable, & que celle de Mercator
ne tire fon origine que d’une faute des copiftes.
Ils ajoutent que le furnom de Peccator vient de ce
que plufieurs évêques fouferivant aux conciles , pre-
noientle titre de pécheurs, ainfi qu’on le voit dans
le premier concile de Tours , dans le troifieme de
Paris, dans le fécond de Tours, & dans le premier
de Mâcon ; & dans l’églife greque les évêques af-
feâoient de s’appeller à/j^ruxai. Un troifieme fyf-
tème fur l’auteur de la colleâion des faujfes décrétales,
eft celui que nous préfente la .chronique de Julien
de Tolede, imprimée à Paris dans le fiecle dernier
, par les foins de Laurent Ramirez Efpagnol.
Cette chronique dit expreffément que le recueil dont
il s’agit ic i, a été compofé par Ifidore Mercator évêque
de Xativa (c’eft une ville de l’île Majorque, qui
releve de l’archevêché de Valence en Efpagne ) ;
qu’il s’eft fait aider dans ce travail par un moine, &
qu’il eft mort l’an 805 : mais la foi de cette chronique
eft fufpeâe parmi les favans, & avec raifon.
En effet, l’éditeur nous apprend que Julien archevêque
de Tolede, eft monte fur ce fiége en l’an 680,
& eft mort en 690 ; qu’il a préfidé à plufieurs conciles
pendant cet intervalle, entr’autres au douzième
concile de Tolede, tenu en 681. Cela pofé, il
n’a pu voir ni raconter la mort de cet évêque de
Xativa, arrivée en 805,non-feulement fuivant l’hy-
pothefe où lui Julien feroit décédé en 690, mais encore.
fuivant la date de l’année 680 , où il eft parvenu
à l ’archevêché de Tolède ; car alors il devoit
être âgé de plus de trente ans, félon les réglés de la
difeipline, & il auroit fallu qu’il eût vécu au-delà de
cent cinquante-cinq ans pour arriver à l’année 805,
qui eft celle où l’on place la mort de cet Ifidore Mercator
: & on ne peut éluder l’obje&ion en fe retranchant
à dire qu’il y a faute d’impreflion fur cette
derniere époque , & qu’au lieu de l’année 805 on
■ doit lire 705 ; car ce changement fait naître une autre
difficulté. Dans la collection il eft fait mention
du pape Zacharie, qui néanmoins n’eft parvenu, au
fôuveram pontificat qu’en 741. Comment accorder
la date de l’année 705 , qu’on fuppofe maintenant
êtré celle de la mort d’Ifidore, avec le tems où le
pape Zacharie a commencé d’occuper le faint fiége ?
Enfin David Blondel écrivain proteftant, mais habile
critique , foûtient dans l'on ouvrage intitulé
pfùudo-ljidoms, chap.jv. & v. de Jes prolégomènes, que
cette colleCtion ne nous eft point venue d’Efpagne.
Il infifte fur ce que depuis l’an 8 50 jufqu’à d’an 900,
qui éft l’efpace de tems Où elle doit être placée, ce
royaume gémiffoit fous la cruelle domination des
Sarrafins; fur-tout après le concile de Cordoiie tenu
en 852, dans lequel on défendit aux chrétiens de
rechercher le martyre par un zele indiferet, & d’attirer
par-là fur l’églifè une violente perfécution. Ce
decret, tout fage qu’il étoit, & conforme à la prudence
humaine que là religion n’exclud point, étant
mal obfervé, on irrita fi fort les Arabes, qu’ils brûlèrent
prefque toutes lès églifes, difperferent ou firent
mourir les' évêques , & ne fouffrirent point
qu’ils fuffent remplaces. Telle fut la déplorable fi-
tuation des Efpagnols jufqu’à l’année î 221, & il eft
hors de toute vraiffemblance , félon Blondel, que
dans le tems même où ils avoient à peine celui de
refpirer, il fe foit trouvé un de leurs compatriotes
a fiez infenfible aux malheurs de la patrie, pour s’occuper
alors à fabriquer des pièces fous les noms des
papes du fécond & du troifieme fiecles. Il foupçonne
donc qu’un Allemand eft l’auteur de cette collection
, d’autant plus que ce fut Riculphe archevêque
de Mayence, qui la répandit en France, comme nous
l’apprenons d’Hincmar de Reims dans fon opufcule
des 5 5 chapitres contre Hincmar de Laon, ch.jv. Sans
adopter préeifémentle fyftème de Blondel, qui veut
que Mayence ait été le berceau du recueil des faujfes
décrétales, nous nous contenterons de remarquer que
le même Riculphe avoit beaucoup de ces pièces fup-
pofées. On voit au livre V II. des capitulaires, cap.
ccv. qu’il avoit apporté àWormes une épître du pape
Grégoire, dont jufqu’alors on n’avoit point entendu
parler, & dont par la fuite il n’eft refté aucun vel-
tige. Au refte, quoiqu’il foit aflez conftant que la
compilation des faujfes décrétales n’appartient à aucun
Ifidore, comme cependant elle eft connue fous
le nom a IJidore Mercator, nous continuerons de l’ap-
peller ainfi.
Cette colle&ion renferme les cinquante canons
des apôtres, que Denis le Petit avoit rapportés dans
la fienne ; mais ce n’eft point ici la même verfion.
Enfuite viennent les canons du fécond concile générai
& ceux du concile d’Ephefe , qui avoient été
omis par Denis. Elle contient aufîi les conciles d’Afrique
, mais dans un autre ordre, & beaucoup moins
exaét que celui de Denis, qui les a copiés d’après le
codé des canons de PEglife d’Afrique. On y trouve
encore dix-fept conciles de France, un grand nombre
de conciles d’Efpagne , & entr’a utres ceux de
Tolede jufqu’au dix-feptieme, qui s’eft tenu en 694.
En toiit ceci Ifidore n’eft point repréhenfible , fi ce
n’eft pour avoir mal obfervé l’ordre des tems, fans
avoir eu plus d’égard à celui des matières , comme
avoient fait avant lui plufieurs compilateurs. Voici
où il commence à devenir coupable de fuppofition.
Il rapporte fous le nom des papes des premiers fiecles,
depuis Clément I. jufqu’à Sirice, un nombre
infini de décrétales inconnues jufqu’alors, & avec la
même confiance que fi elles contenoient la vraie
difeipline de l’Eglife des premiers tems. Il ne s’arrête
point là , il y joint plirfieurs autres monumens
apocryphes : tels font la faufle donation de Conftan-
tin ; le prétendu concile de Rome fous Sylveftre ; la
lettre d’Athanafe à Marc , dont une partie eft citée
dans Gratien, diftincl. xvj. can. 12. celle d’Anaftafe
fuçcefleur de Sirice, adrefîée aux évêques de Germanie
& de Bourgogne ; celle de Sixte III. aux Orientaux.
Le grand laint Léon lui-même n’a point été à
l’abri de -les téméraires entreprifes ; l’impofteur lui
attribue fauffement une lettre touchant les privilèges
des chorévêques. Le P. Labbe avoit conjecture
la fauffeté de cette piece , mais elle eft démontrée
dans la onzième differtation dû P. Quefnel. Il fuppofe
pareillement une lettre de Jean I. à l’archevêque
Zacharie, une de Bonifacell. à Eulalie d’Alexandrie
, une de Jean III. adreffee aux évêques de France
& de Bourgogne, une de Grégoire le Grand, contenant
un privilège du monaftere de faint Médard ;
une du même, adreflèe à Félix évêque de Meflîne, &
plufieurs autres qu’il attribue fauffement à divers
auteurs. Voye^ le recueil qu’en a fait David Blondel
dans fon faux Ifidore. En un mot l’impofteur n’a
épargné perfonne.
L’artifice d’Ifidore ; tout groflier qu’il étoit, en
impofa à toute l’églife latine. Les noms qui fe trou-
voient à la tête des pièces qui compofoient ce recueil
, étoient ceux des premiers fouverains pôntifes,
dont plufieurs avoient fouffert le martyre pour la caufe
de la religion. Ces noms ne pûrent que le rendre recommandable
, & le faire recevoir avec la plus grande
vénération. D ’ailleurs l’objet principal de l’impof- •
teur avoit été d’étendre l’autorité du S. fiége & des
évêques. Dans cette vue il établit que les évêques
ne peuvent être jugés définitivement que par le papè
feul, & il répété fouvent cette maxime. Toutefois
on trouve dans l’hiftoireeccléfiaftique bien des exemples
du contraire; & pour nous arrêter à un des plus
remarquables, Paul de Samofate évêque d’Antioche
fut jugé & dépofé par les évêques d’Orient & des
provinces voifines, fans la participation du pape. Us
fe contentèrent de lui en donner avis après la choie
faite, comme il fe voit par leur lettre fynodale, .&
le pape ne s’en plaignit point : Eufeb. liv. VII. chapitre
xxx. De plus , le fauffaire repréfente comme
ordinaires les appellations à Rome. Il paroît qu’il
avoit fort à coeur cet article, par le foin qu’il prend
de répandre dans tout fon ouvrage, que non-feulement
tout évêque, mais tout prêtre, & en général
toute perfonne opprimée, peut en tout état de caufe
appeller dire&ement au pape. Il fait parler fur ce
fujet jufqu’à neuf fouverains pontifes, Anaclet, Sixte
I , SixteII, Fabien, Corneille, V iftor, Zephirin,
Marcel, & Jules. Mais S. Cyprien qui vivoit du tems
de S. Fabien 8c de S. Corneille, non-feulement s’eft
oppofé aux appellations, mais encore a donné des
raifons folides de n’y pas déférer, epijl. Ijx. Du tems
de S. Auguftin, elles n’étoient point encore en ufage
dans l’eglife d’Afrique, comme il paroît par la lettre
du concile tenu en 426, adreflèe au pape Céleftin ;
& fi en vertu du concile de Safdique on en voit quelques
exemples, ce n’e ft, jufqu’au neuvième fiecie,:
que de la part des évêques des grands fiégès qui n’a-
voient point d’autre fupérieur que le pape. Il pofe
encore comme un principe inconteftable, qu’on ne
peut tenir aucun concile, mime provincial, fans la
permiflion du pape. Nous avons démontré ailleurs
qu’on étoit bien éloigné d’obferver cette réglé pendant
lés neuf premiers fiecles, tant par rapport aux
; voye^Particle CONCILE.
conciles oecuméniques, que nationaux & provinciaux
hes faujfes décrétales favorifant l’impunité des évêques
, & plus, encore les prétentions’ambitieufes des
fouverains pontifes, il n’eft pas étonnant que les uns
& les autres les ayent adoptées avec empreffement,
& s’en foient fervi dans les occafions qui fe préfen-
terent. C ’eft ainfi que Rotade évêque de Soiflons,
qui dans un concile provincial tenu à S. Crèfpin de
Soiflons en 861 , avoit été privé de la communion
epifcopale pour caufe de defobéiffance, appella au
.Jiege. Hincmar de Reims fon métropolitain, non-
Tome IV .
ob fiant cet appel, le fit dépofer dans urt concile af-
femblé à S. Médard de Soiflons, fous le prétexte que
depuis il y avoit renoncé & s’etoit foûmis au jugement
des évêques. Lé pape Nicolas I. inftruit de 1 af-
faire, écrivit à Hincmar, & blâma fa conduite. Vous
deviez, dit-il, honorer la mémoire de S. Pierre, &
attendre notre jugement quand même Rotade n’eût
point appellé. Et dans une autre lettfe au même
Hincmar fur la même affaire , il le menace de l’ex-
commnhier s’il ne rétablit pas Rotade. Ce pape fit
plus encore ; car Rotade étant venu à Rome il le
déclara abfous dans un concile tenu la veille de Noeî
en 864, & le renvoya à fon fiége avec des lettres*
Celle qu’il adreffe à tous les évêques des Gaulés eft
digne de remarque ; c’eft la lettre 47 de ce pontife :
voici Comme le pape y parle : « Ce que vous dites
» eft abfurde (nous nous fervons ici deM. Fleuri),
» que Rotade, après avoir appellé au faint fiége, ait
» changé de langage pour fe foumettre de nouveau à
» votre jugement. Quand il l’auroit fait, vous deviez
» le redreffer & lui apprendre qu’on n’appelle point
| d é ju g e fupérieur à un inférieur. Mais encore qu’il
» n’eût jias appellé au faint fiége, vous n’avez dû èn
» aucune maniéré dépofer un évêque fans notre par-
» ticipation , au préjudice de tant de décrétales de noS
» predecejfeurs; car fi c’eft par leur jugement que les
» écrits des autres dofteurs font approuvés ou re—
» jettes combien plus doit-on refpe&er ce qu’ils
» ont écrit eux-mêmes pour décider fiir la do&rine
» ou la difeipline ? Quelques-uns de vous difent que
» ces décrétales ne font point dans le code des canons;
» cependant quand ils les trouvent favorables à leurs
» intentions, ils s’en fervent fans diftinûion , & ne
» les rejettent que pour diminuer la puiffance du faint’
» fiege. Que s’il faut rejetter les décrétales des anciens
» papes, parce qu’elles né font pas dans le code dès
» canons, il faut donc rejetter les écrits de S. Gré-
» goire & des autres peres, & même les l’aintes Ecri-
» tures ». Là-defliisM. Fleuri fait cette obferva-
tion, que quoiqu’il foit vrai que de n’être pas dans
le corps des canons ne fût pas une raifon fuffifante
pour les rejetter, il falloit du moins examiner fi elles
étoient véritablement des papes dont elles portoient
les noms ; mais c’eft ce que l’ignorance de la critique
ne permettoit pas alors. Le pape enfuite continue 8c
prouve par l’autorité de S. Léon 8r de S. Gélafè, que
l’on doit recevoir généralement toutes les décrétales
des papes. Il ajoute : « Vous dites que les jugemens
» des évêqfies ne font pas des caufes majeures ; nous
» foûtenons qu’elles font d’autant plus grandes, que
» les évêques tiennent un plus grand rang dans l’E-
» glife. Direz-vous qu’il n’y a que les affaires des mé-
» tropolitains qui foient des caufes majeures ? Mais
» ils ne font pas d’un autre ordre que les évêques,
» & nous n’exigeons pas des témoins ou des juges
» d’autre qualité pour les uns & pour les autres ; c’eft
» pourquoi nous voulons que les Caufes des uns &
» dés autres nous foient relervées/». Et enfuite : « Se
» trouvera-1-il quelqu’un affez déraifonnàble pour
» dirè que l’on, doive conferver à toutes les églifes
» leurs privilèges, &c que la feule églife romaine doit
» perdre les fiens »? Il conclud en leur ordonnant de
recevoir Rotade & de le rétablir. Nous voyons dans
cette lettre de Nicolas I. l’ufage qu’il fait des faujfes
décrétales; il en prend tout l’efprit & en adopte toutes
les maximes. Son fucceffeur Adrien IL ne paroît
pas moins zélé dans l’affaire d’Hincmar de Laon. Ce
prélat s’etoit rendu odieux au clergé & au peuple de
fon diocèfe par fes injuftices & fes violences. Ayant
été accufé au concile de Verberie, en 869, où préfi-
doit Hincmar de Reims fon oncle & fon métropolitain
, il appella au pape, & demanda la permiflion
d’aller à Rome, qui lui fut refùfée. On fufpendit feulement
la procédure, & on ne paffa pas outre. Mais
Y Y y y ï,