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tortillement, il ne faut que faire avec un morceau
de craie une marque fur un des torons, vis-à-vis un
des chevalets qui font compris entre le toupin & le
chantier. Si cette marque refte toujours fur le chevalet,
c’eft ligne que les manivelles du chantier tournent
affez vite ; fi la marque de craie fort de deflus
le chevalet & s’approche du chantier à commettre,
c ’eft figne que les manivelles tournent trop vite ; fi
au contraire la marque s’éloigne de ce chantier,
c’eft figne que les manivelles tournent trop lentement
, & que les torons perdent de leur tortillement.
La raifon de cette épreuve eft fenfible : fi les manivelles
tournent trop vite, elles augmentent le tortillement
des torons, les torons qui font plus tortillés
fe raccourciffent, & la marque de craie s’approche
du chantier : fi les manivelles tournent trop lentement
, les torons qui perdent de leur tortillement
s’allongent, & la marque de craie s’éloigne du chantier;
mais elle refte à fa même place fi Ton entretient
les torons dans un même degré de tortillement,
qui eft le point où l’on tend. C ’eft un moyen bien
fimple & bien commode de reconnoître fi les torons
confervent leur degré de tortillement ; circonftance
qui influe beaucoup fur la perfeftion d’une piece de
cordage ; puifque fi l’on augmentoit le tortillement
des torons, la corde feroit plus tortillée du côté du
chantier à commettre, que de l’autre bout : le contraire
arriveroit fi on négligeoit d’entretenir le tortillement
des torons ; & comme il convient de faire
en forte que les cordes ayent le plus précifément
qu’on le peut un certain degré de tortillement, on
conçoit qu’il eft effentiel que ce degré foit le même
dans toute la longueur de la corde. On peut encore
reconnoître fi la corde fe commet bien, en examinant
fi le toupin avance uniformément ; car fi les manivelles
du chantier tournent trop vite relativement
à la manivelle du quârré, les torons font.plus tortillés
qu’ils ne devroient être : ils deviennent donc
plus roides & plus difficiles à commettre; ce qui retarde
la marche du toupin. Si au contraire on laifle
perdre le tortillement des torons, ils deviennent
plus flexibles, ils cedent plus volontiers à l’effort
que fait la manivelle du quarré avec les manuelles
pour commettre le cordage, & pour lors le toupin
en avance plus vite. Les Cordiers fayent bien
profiter de ces moyens pour donner à leur corde précifément
la longueur qu’ils fe font propoféei, comme
nous allons l’expliquer : mais comme ils tirent
vanité de cette jufteffe, il ne leur arrive que trop
fouvent de lui facrifier la bonté de leuffouvrage de
la maniéré qui fuit.
Mauvaife indujîrie des Cordiers. Nous avons dit
qu’on ourdiffoit une piece qu’on vouloit qui eût 120
h rafles, à 180, pour que les torons puffent fe raccourcir
de 60 braffes, tant en les tordant qu’en les
commettant: nous avons dit outre cela que le rac-
courciffement des torons , quand on les tord, fe
montait à 40 braffes; il refte donc 20 braffes de rac-
courciffement pour l’opération du commettage. Les
Cordiers fe font un point d’honneur de donner précifément
ceraccourciffement,'afin que leur piece de
cordage ait jufte la longueur qu’ils fe font proposée
; ils le font ordinairement : mais la difficulté eft
de répartir bien également ce tortillement dans toute
la longueur de la piece ; c’eft ce qu’il n’eft pas ài-
fé de faire, & à quoi ils réuffiffent très-rarement. Il
faudtoit pour cela , lorfqu’on commet une aufïiere
au tiers, que la vîteffe du toupin fût à celle du quarr
é , précifément comme 140 eft à 20, ou comme 7
eft à 1 , fi l’on employé quarante braffes pour le rac-
courciffement des torons; ou comme 150 eft à 30,
ou 5 à i , fi l’on employé trente braffes pour le.rac-
courciffement des torons ; ou comme 160 eft à 40,
©u 4 à 1 , fi l’on n’employe que vingt braffes pour
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le raccourciffement des torons. Si l’on choifit la première
hypothefe, il faudroit donc que la vîteffe du
toupin fût fept fois plus grande que celle du quarré
ou que le toupin fît fept braffes pendant que le quarré
en feroit une. On conçoit ‘bien que cette proportion
eft bien difficile à attraper ; c’eft pourquoi lorf-
que les Cordiers s’apperçoivent qii’il leur refte beaucoup
de corde à commettre, & que le quarré approche
des 120 braffes qu’ils doivent donner à leur
piece,ils font tourner très-vîte la manivelle du quarré,
& fort lentement celle du chantier ; avec cette
précaution le quarré n’avance prefque plus, & le
toupin va fort vîte : au contraire, s’ils voyent que
leur corde eft prefque toute commife, & que le
quarré eft^ encore éloigné de 120 braffes , ils font
tourner très-vîte les manivelles du chantier, & lentement
celles du quarré ; alors les torons prennent
beaucoup de tord, le quarré avance peu pendant
que la corde fe commet & que le chariot avance
plus vîte; par ce moyen le quarré arrive aux 120
braffes allez precifement dans le même tems que.le
toupin touche à l’attelier ; & le cordier s’applaudit,
quoiqu’il ait fait une corde très-défe&ueufe, puif-
qu’elle eft beaucoup plus tortillée d’un bout que de 1 autre. Il vaudroit mieux laiffer.la piece. de corda?
f°it peu plus longue & un peu moins torfe,
plûtôt que de fatiguer ainfi les torons par un tortillement
force. Enfin le toupin arrive peu-à-peu tout
près de l’attelier, il touche aux palombes; alors la
corde eft commife, & les ouvriers qui font aux ma?
nivelles du chantier ceffent de virer. Il y auroit un
moyen bien fimple de régler affez précifément les
marches proportionnelles du quarré & du toupin ; ce
feroit. d’attacher au chariot un fil de carret noir qui
s eteridroit jufque fous le chantier où un petit gar*
çon le-tiendroit; ce fil ferviroit à exprimer la vîteffe
de la marche du toupin. On attacheroit au quarré
une moufle à trois roiiets, & au chantier auffi une
moufle à pareil nombre de roiiets; on pafferoit un
fil blanc dans ces fix roiiets ; un bout de ce fil feroit
attaché à lâ moufle du quarré, & le petit garçon
tiendroit l’autre qu’il joindroit avec le fil noir :
ce fil blanc exprimeroit la vîteffe du quarré. Il eft évident
que fi la marche du chariot étoit fept fois plus
rapide que celle du quarré , les deux fils que le petit
garçon tireroit à lui feroient également tendus ; s’il
s’appercevoit que le fil blanc devînt plus lâche que
le noir, ce feroit figne que le quarré iroit trop vite,
& on y remédieroit fur le champ en faifant tourner
moins vîte les manivelles du chantier , ou plus vîte
celle du quarré, ou en lâchant un peu la livarde du
chariot : fi au contraire le fil noir molliffoit, on
pourrait en cqnclurre que le chariot iroit trop vîte;
& il feroit aifé d’y remédier en faifant tourner plus
vîte les manivelles du chantier,ou plus lentement celle
du quarré, ou en ferrant un peu la livarde ou retraite
du chariot. Cette petite manoeuvre ne feroit pas
fort embarraffante, & néanmoins elle produiroit de
grands avantages ; .car prefque toutes les cordes font
commifes dans une partie de leur, longueur beaucoup
plus ferrée que le tiers ; à d’autres endroits elles
ne le font pas au quart ; & il y a bien des cordages
oii on auroit peine à trouver deux braffes qui
fuffent commifes précifément au même point. Dans
l’hypothefe préfente nous avons fuppofé qu’on fe
propofoit de commettre une corde au tiers, & qu’-
ainfi la marché du chariot devoit être à celle du
quarré comme 7 eft à 1 : il eft clair qu’il faudroit varier
le nombre des rouets des moufles, fi on fe pro-.
pofoit que la marche du chariot fût à celle du quarré,
comme 5 eft à 1, ou comme 4 eft à 1 ; o u , ce qui eft
la même chofe, fi au lieu de commettre une corde
au tiers , on fe propofoit de la commettre au quart
9u au cinquième : mais dans tous çes cas le problè-
*me
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me eft aifé à refoudre, puifqu’il confifte à faire èn-
forte que le fil noir du chariot foit au nombre des fils
blancs qui paffent fur les roiiets, comme la vîteffe
du chariot doit être à celle du quarré. On s’apper-
çoit bien que nous avons recommandé de mettre un
fil noir au chariot, & un fil blanc au quarré, pour
qu’on pût reconnoître plus aifément à qui appar?
tient le fil qui molliroit.
Autre mauvaife pratique des Cordiers. Quand le
quarré n’eft pas rendu aux .120 braffes, qui eft la
longueur que je fiippofe que l’on veut donner à la
piece de cordage, quoique le toupin touche aux palombes
, il y a des Cordiers qui continuent de faire
virer la manivelle du quarré, pendant que les manuelles
du chantier reftent .immobiles ; ils tordent,
ainfi la piece de cordage qui fe raccourcit, & ne
comptent leurs pièces bien commifes que quand le
quarré eft rendu aux 120 braffes qu’ils veulent donner
à leur piece ; ils prétendent donner par-là plus
de grâce à leur cordage, & faire qu’il fe roue plus
aifément : mais ils font mal fondés à le penfer.
Détacher la piece & la faire raffeoir. Quand le maître
cordier voit que fa piece eft précifément de la longueur
qu’il s’eft propofé de -la faire;quand il penfe qu’elle
eft fuffifamment tortillée, qu’elle a toute fa perfection
, & qu’elle eft en état d’être livrée au magafin
des cordages, il fait arrêter la manivelle du quarré,
il fait lier avec un fil de carret goudronné, & le plus
ferré qu’il le peut, les trois torons les uns avec les
autres, tant auprès du toupin qu’auprès de la manivelle
du quarré, afin que les torons ne fe féparent
pas les uns des autres : on détacheenfuite la piece,
tant de la grande manivelle du quarré que des palombes
, & on la porte fur des chevalets qui font rangés
à deffein le long du mur de la corderie, ou fur des
piquets qui y ont été fcellés pour cet ufage. On travaille
une autre piece de cordage, & pendant ce
tems-là celle qui vient d’être commife fe raffeoit,
comme difent les ouvriers, c’eft-à-dire que les fils
prennent le pli qu’on leur a donné en îes commettant
; & à la fin de la journée on roiie toutes les pièces
qui ont été commifes.
Rouer. Il faut de néceflité plier les cordages pour
les conferver dans les magafins ; ceux qui font fort
gros, comme les cables, fe portent tout entiers par
le moyen de chevalets à rouleau, ou fur l’épaule :
on les place en rond dans le magafin fur des chantiers
» A l’égard des cordages de moindre groffeur,
on les roiie dans la corderie, c’eft-à-dire qu’on en fait
un paquet qui reffemble à une roiie, ou plûtôt à une
meule. Il faut expliquer comment on s’y prend pour
cela.
Le maître cordier èommente par lier enfemble
deux bouts de corde d’étoupe, d’une longueur &
d’une groffeur proportionnées à la groffeur du cordage
qu’on veut roiier ; mais cette corde doit être
très-peu tortillée, pour qu’elle foit fort fouple : ces
deux cordes ainfi réunies s’appellent une liaffe. On
pofe cette liaffe à terre, de façon que lés quatre bouts
raflent une croix ; enfuite mettant le pié fur l’extré-
mité de la corde qu’on veut roiier, on en forme un
cercle plus ou moins grand, fuivant la flexibilité &
la groffeur de la corde, & on a foin que lè noeud de
la liaffe fe trouve au centre de ce cercle de cordé.
Quand la première révolution eft achevée, on lie
avec un fil de carret le bout de la corde avec la portion
de la corde qui lui répond ; & cette première
révolution étant bien affujettie, on l’enveloppe par
d’autres qu’on ferre bien les unes contre les autres,
en halant feulement deflus, fi la corde eft menue &
« ’eft point trop roide ; ou à coups de maillet, fi elle
«e veut pas obéir aux fimples efforts des bras. On
continue à ajouter des révolutions jufqu’à ce qu’on
ait formé une efpece de bourlet en fpirale, qui ait
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un pie, uh pié & demi, deux piés ou plus de largeur,
fuivant que la corde eft plus ou moins groffe ou longue.
Ce premier rang de fpirale fait, on le recouvre
d’un autre tout femblable, excepté qu’on commence
par la plus grande révolution, & qu’on finit par la
plus petite ; au troifieme rang on commence par la
plus petite * & on finit par la plus grande ; au quatrième
on commence par la grande, & on finit par
la petite : ce que l ’on continue alternativement juf-
qu’à ce que le cordage foit tout roué. Alors: on prend
les bouts de la liaffe qui font à la circonférence de la
meule de cordages’, on les paffe dans la croix que
Forme la liaffe au milieu de la meule ; & halant fur
les quatre bouts à la fois, on ferre bien toutes les
révolutions les unes contre les autres. Quand On a
arrêté les bouts de la liaffe, & que la meule eft bien
affujettie, on la peut porter fur l’épaule, ou paffer
dans le milieu un levier pour la porter à deux on
peut aufli la rouler, fi la groffeur & le poids de la
piece le demandent : car on n’a point à craindre que
la meule fe défaffe. Le bitord, le lufin & le merlin
font trop flexibles pour être raiiés ; on a coûtume
de les dévider fur une efpece de moulinet en forme
d’écheveau, qu’on arrête avec une commande, ou ,
comme difent les tifferands, avec une centaine. Tous
les foirs on porte les pièces qui ont été fabriquées,
dans le magafin des cordages , où l’écrivain du R o i,
qui en a le détail, les paffe en recette après les avoir
fait pefer ; & cette recette doit quadrer avec la con-
fommation qui a été faite au magafin des tourets ,
parce que dans cette opération il n’y a point de. déchet.
Le tord qu’on fait prendre aux pièces de cordage
, lorfque le toupin eft rendu auprès de l ’attelier,
après qu’elles font commifes, fait qu’elles fe roiient
plus aifément. Ce tortillement qui ne réfulte point
de la force élaftique des torons., & qui eft uniquement
produit parla grande manivelle du quarré,donne
à toute la piece un degré de force élaftique qui
fait que, fi on la plioit en deux , elle fe rouleroit,
o u , ce qui eft la même chofe, les deux portions de
cette corde pliée fe commettroient un peu ; or cette
force élaftique qui donne aux cordes cette difpofi-
tion à fe rouler, fait aufli qu’elles fe roiient plus aifément.
Ceux qui prendront la peine de roiier une.
piece de cordage qui a reçû le tortillement dont nous
venons de parler, en concevront aifément la raifon ;
c’eft pourquoi nous ne nous y arrêterons pas davantage
: il nous fufiira de faire remarquer que ce petit
avantage doit être négligé, à caufe des inconvé-
niens dont nous allons parler.
Il convient de faire remarquer que fur les vaif-
feaux on r,oiie différemment les cordages ; car on
commence toûjours par la plus petite révolution ,
foit au premier, foit au fécond , foit au troifieme
rang, jufqu’au bout de la corde. Cette pratique eft
préférée à bord des vaiffeaux, parce que les cordages
prennent moins de coques, & on l’appelle rouer_
à la hollandoife.
Nous avons obfervé en parlant du bitord, que le
tortillement qui étoit produit par l’élafticité des torons
, ne pouvoit pas fe perdre ; mais que celui qui ne
réfiiltoit pas de cette élafticité, étoit femblable au
tortillement d’un fil de carret,qui fe détruit prefqu’en-
tierement fi-tôt qu’on abandonne ce fil à lui-même.
Aflùrément le tortillement que les cordiers donnent à
leurs pièces de cordage, quand elles font commifes^
eft dans ce cas. Il eft donc certain que ce tortillement
fe perdra tôt ou tard par le fervice, d’où on peut déjà
conclure qu’il eft inutile. Ce tortillement ne laifle
pas de fubfifter quelque tems dans les pièces à qui
on l’a donné, ce qui produit une grande difpofition
à prendre des coques ; c’eft un défaut confidérable
pour les manoeuvres qui doivent courir dans, les poulies,
Si le tortillement dont nous parlons fubûftoit