
plè qui leur eft confiée.. J’ajoute encore, que les re-
cherches que j’ai l'uppofées eflentiellement neceilai-
res & qui le font, exigent un tems quelquefois précieux
; que le fruit en eft incertain, à moins qu’il n’y
air un .centre commun où toutes les notions particulières
le réunifient & où l’on puifle les conlulter ;
que le prix des grains n’eft pas actuellement une réglé
lure, foit parce que nos cultivateurs pour la plupart
ne font pas en état de les garder , foit parce qu’il
eft aflez ordinaire dans les mauvaifes récoltes que :
les grains ayent befoin d’être promptement consommés.
Enfin j’avouerai qu’en voyant le mieux, il eft
impoflible de le faire : c’eft une juftice que l’on doit
au zele & à la vigilance des magiftrats qui préfident
à nos provinces.
Il s’agit donc d’appliquer un remede convenable
à ces inconvéniens forces ; & comme tous les membres
d’un état font en fociété, le remede doit être
général : il eft trouvé. Un citoyen généreux dont la
fagacité s’exerce avec autant de fucces que de courage
& de dépenfes fur les arts utiles à fa patrie,
nous a propofé l’unique expédient capable de perfectionner
notre police fur les grains, en même tems
qu’il en a facilité l’exécution par fes découvertes. On
lent que je parle de M. Duhamel du Monceau, & de
fon excellent traité de la confervation des grains.
La multiplicité des magafms de blé particuliers eft
la première opération néceflaire pour entretenir l’abondance
dans le royaume, maintenir les prix dans
un cercle à-peu-près é g a l, & procurer en tout tems
un bénéfice honnête au laboureur.
Un axiome de commerce pratique connu de tout
le monde, c’eft que la denrée eft à bas prix s’il y a
plus d’offreurs que de demandeurs. Si le grain eft
à bas prix, le recouvrement des revenus publics &
particuliers languit ; lë travail eft fufpendu : quelle
reffource a-t-il refté dans ces circonftances à l’état,
que d’ouvrir fes ports aux étrangers qui vouloient
acheter fes grains, afin d’augmenter le nombre des
demandeurs ?
Les étrangers confomment le grain ou le magafi-
nent. Si c’eft pour leur confommation qu’ils l’exportent
,1a quantité eft bornée, parce que plufieurs pays
abondans les fourniffent en concurrence.Si c’eft pour
magafiner, les achats font en raifon du bas prix & fi
rapides, qu’on n’eft averti fouvent de l’excès que par
fes effets. Chaque cultivateur affamé d’argent s’eft
empreffé de vendre pour fatisfaire fon befoin pref-
fant, & fans en prévoir de plus grand. Une mau-
vaife récolte fur vient ; les étrangers nous revendent
cher cette même denrée, dont nous leur avons abandonné
le monopole. t-
Si les fujets euffent formé la même fpéculation,
non-feulement l’inconvénient public d’une balance
.ruineufe pendant la çlifette lui eût été épargnée, mais
les inconvéniens particuliers qui font une fuite, foit
du trop bas prix des grains, foit de leur prix excef-
fif , & fouvent pour plufieurs années, n’euffent point
exifté.
Car fi nous fuppofons que dans chaque province
plufieurs particuliers faffent dans les années abondantes
des amas de blé, la concurrencé fera bien
mieux établie que lorfque 80 ou ioo négocians de
Hollande feront acheter la même quantité par un
petit nombre de commiflionnaires. Il y aura donc
plus de demandeurs, conféquemment le prix hauf-
fera. Il eft d’autant plus certain que cela s’opérera
ainfi, que ces mêmes quatre-vingt ou cent négocia
ns de Hollande ne laifferont pas de tenter comme
auparavant de profiter du bas prix dans les premiers
mois qui fuivront la récolte.
Le paflage de la révolution caufée par la furabon-
dance fera évidemment fi prompt, qu’il n’aura pu
porter aucun préjudice au cultivateur. Il jouira au
contraire de toute fa richefle, & il en jouira eft su#
reté. Car fi la récolte fuivante vient à manquer,
chacun faura que tels & tels greniers font pleins : la
faim d’imagination plus effrenée que l’autre peut-
être , n’apportera aucun trouble dans l’ordre public.
Tandis que d’un côté les demandeurs feront tranquilles
, parce qu’ils fauront qu’il y a de quoi répondre
à leur demande ; les poffeffeurs du grain in-
ftruits comme les autres de l’état des provifions, appréhenderont
toûjours de ne pas profiter aflez - tôt
de la faveur qu’aura pris la denrée. Ils vendront de
tems en tems quelques parties pour mettre au moins
leur capital à couvert : la concurrence des parties
expofées en vente arrêtera continuellement le fur-
hauffement des prix, & accroîtra la timidité des ven-,
deurs.
Le feul principe de la concurrence donne la marche
fûre de ces diverfes opérations, tant fes refforts
font aétifs & puiffans.
L’exécution d’une idée fi Ample ne peut rencontrer
que trois difficultés ; la contradiction des lois ,
le préjugé populaire contre la garde des b lés, & le
défaut de confiance.
Si la néceflïté d’envifager l’agriculture comme un
objet de commerce a été démontrée aufîi clairement
que je l’efpere, il faut conclure que les lois qui gênent
le commerce intérieur des grains, font incompatibles
avec la confervation de l’agriculture. Or
lés principes étant des vérités, ne peuvent être autrement
qu’elles font èfl'entiellement.
L’objet du commerce eft certainement d’établir
l’abondance des denrées ; mais l’objet du commerçant
eft de gagner. Le premier ne peut être rempli
que par le fécond,’ ou par l’efpérance qu’on en con-
- çoit. Quel profit préfentera une fpéculation fur des
denrées qu’il eft défendu de garder jufqu’à ce qu’elles
renchérilient? Trois & quatre moifîons abondantes
de fuite ne font point un fpeCtacle nouveau pour la
France ; on remarque même que ce n’eft qu’après
ces furabondances réitérées que nous avons éprou-.
vé nos grandes difettes.
La loi qui défend de garder des grains plus de trois
ans, a donc dû opérer le contraire de ce qu’elle s’é-
toit propofé. Je n’ai garde cependant de foupçonneç
qu’elle manquât d’un motif très-fage : le voici.
L’humidité de nos hyvers & de la plûpart de nos
terreins à blé, eft très - contraire à la confervation
des grains. L’ignorance-ou la pauvreté de nos cultivateurs
hâtoient encore les effets pernicieux de la
mauvaife difpofi.tion des faifons, par le peu de foins
qu’ils employoient à leurs greniers. L’efpérance cependant
qui préfide' prefque toûjours aux confeils
des hommes, prolongeoit la garde jufqu’à des tems
où la vente feroit plus avantageufe, & la perte fe
multiplioit chaque jour. Enfin ces tems fi attendus
arrivoient, les greniers s’ouvroient ; une partie du
dépôt fe trouvoit corrompue. Quelques précautions
qu’on prît pour en dérober la connoiflance au peuple
lorlqu’on la jettoit dans les rivières, il étoit impoflible
qu’une marchandife d’aufli gros volume fe
cachât dans le tranfport. Ce fpeôacle fans doute
perçoit le coeur des pauvres, & avec raifon ; ils fe
• perfuadoient le plus fouvent que ces pertes étoient
une rufe pour renchérir leur fubfiftance ; l’incertitude
même des faits, le myftere qui les accompagnoit,
tout effarouchoit des imaginations déjà échauffées
par le fentiment du befoin.
Çette réflexion développe toute la richefle. du
préfent que M. Duhamel a fait à fa patrie. Il a prévenu
d’une maniéré fimple, commode, & très-peu
coûteufe, ces mêmes inconvéniens qui avoient excité
le cri général, .& même armé les lois contre la
garde des blés. Ajoûtons encore qu’il eft difficile que les régie;
mens ne portent l’empreinte dés préjugés du fiecle
qui les a di&és. C’eft au progrès de l’efprit de calcul
qu’eft attachée la deftruûion de ces monftr.es.
Les raifonnemens que nous avons employés jufqu’à
préfent, démontrent aflez le faux de la prévention
populaire fur les profits qui fe font dans le commerce
des grains. Sans ce’s profits, le commerce feroit
nul, fans commerce point d’abondance. Nous
n’infifterons pas non plus fur la frayeur ridicule qu’-
infpirent les ufuriers dont les amas font ou médiocres
ou confidérables : s’ils font médiocres, ils ne
font pas grand tort : s’ils font d’un gros volume ,
ils font toujours fous la main de la police.
Mais il ne fuffit pas d’oppofer des raifons à ces
fortes d’erreurs : c’eft un ouvrage réfervé au législateur
de réformer l’efprit national* Il y parviendra
jurement en honorant & en favorifant ceux qui entreront
dans fes vûes.
Nous a vons même déjà fait quelques pas vers les
bons principes fur le magafinage des grains. Il y a
quelques années que la fageffe du miniftere ordonna
aux communautés religieufes du royaume de
conferver toujours des provifions de grains pour
trois ans. Rien n’étoit mieux penfé, ni d’une exécution
plus facile. Dans: les années abondantes,
cette dépenfe n’ira pas au double de l’approvifion-
nement d’une année au prix commun. Dès-lors
toute communauté eft en état de remplir cette obligation
, à moins qu’elle ne foit obérée : dans ce cas
l’ordre public exige qu’elle foit fupprimée pour en
réunir les biens à un autre établiflement religieux.
A cet expédient M. le garde des fceaux en a ajouté
un encore plus étendu , & digne de la fupériorité
de fes vûes autant que de fon zele. Il a aftreint les
fermiers des étapes à entretenir pendant leur bail de
trois ans, le dépôt d’une certaine quantité de grains
dans chaque province. La première récolte abondante
fuffira pour donner à cet établiflement toute
fa folidité ; il peut même être étendu aux fermiers
des domaines.
Voilà donc des magafins de blé avoiiés, ordonnés
par l’état. Les motifs de ces réglemens & les
lois de la concurrence toûjours réciproquement utiles
aux propriétaires & aux confommateurs des denrées
, nous conduifent naturellement à une réforme
entière.
Un édit par lequel le prince encourageroit, foit
par des diftin&ions , foit dans les commencemens
par quelque legere récompenfe, les magâfins d’une
Certaine quantité de grains , conftruits fuivant la
nouvelle méthode, fous la claufe cependant de les
faire, enregiftrer chez les fubdélégués des intendans,
fuffiroit pour détruire le préjugé national. Pour peu
que le préambule préfentât quelque inftru&ion aux
gens fimples & ignorans parmi le peuple, ce jour
feroit à jamais béni dans la mémoire des hommes.
On ne peut pas dire que nos provinces manquent
de citoyens aflez riches pour cés fpéculations. Avec
une legere connoiflance de leur pofition , on fait
que tout l’argent qui s’y trouve ne circule pas. C ’eft
un malheur bien grand fans doute, & le profit du
commerce des grains eft dans une telle réputation,
que c’eft peut-être le plus sûr moyen de reftituer à
l’aifance publique ces thréfors inutiles. D ’ailleurs
fuivons le principe de la concurrence , il ne peut
nous égarer : ce ne feront pas, des greniers immen-
fes qui feront utiles mais un. grand nombre de greniers
médiocres ; c’eft même où l’on doit tendre ,
c’eft fur ceux-là que devroit porter la gratification
fi l’on jugeoit à-propos d’en accorder une.
Le défaut de confiance eft la troifieme difficulté
qui pourroit fe préfenter dans l’exécution ; il auroit
fa fource dans quelques exemples qu’on a eus de
greniers ouverts par autorité. IL faut fans doute que
le danger.foit preflant pour juftifîer de pareilles opérations
: car un grenier ne peut difparoître d’un moment
à l’autre, fur-tout s’il eft de nature à attirer
l’attention du magiftrat. Qn conviendra du moins
neceffairement qu’on eût été difpenfé de prendre
ces fortes de réfolutions, fi de pareils greniers euf-
fent ete multipliés dans le pays. Ainfi la nature même
du projet.met lés fupérieurs à l'abri de cette
néceflité toûjours fâcheufe, & les particuliers en
sûreté. La confiance ne fera jamais mieux établie
cependant, que par une promeffe folennelle de ne
jamais forcer les particuliers à l’ouverture des greniers
enregiftrés. Cette diftin&ion feule les porte-
roit à remplir une formalité aufli intéreflante, d’après
laquelle on pourroit , fuivant les circonftances
, publier à propos des états.
Gomme il faut commencer & donnér l’exemple,’
peut-être feroit il utile d’obliger les diverfes communautés
de marchands & d’artifans dans les villes
, à entretenir chacune un grenier > ou d’en réunir
deux ou trois pour le même objet. Prefque toutes
ces communautés font riches ’en droits de marque
, de réception, & autres : il en eft même qui le
font à l’excès aux dépens du commerce & des ouvriers
, pour enrichir quelques jurés. Enfin toutes
ont du crédit; & la fpéculation étant'lucrative par
elle-même, ne peut être onéreufe aux membres. II
feroit à-propos que ces communautés adminiftraf-
fent par elles-mêmes leurs greniers, & que le compi
te de cette partie fe rendît en public devant les officiers
de la ville.
Lorfqu’une fois l’établiffement feroit connu par
fon utilité publique & particulière, il eft à croire
que l’efprit de charité tourneroitde ce côté une partie
de fes libéralités : car la plus fainte de toutes les
aumônes eft de procurer dit pain à bon marché à
ceux qui travaillent, puifque l’arrêt du Créateur ordonne
que nous le mangions ce pain à la fueur de
notre corps.
Les approvifionnemens propofés, & ceux de nos
îles à fucre, avec ce qu’emporte la cOnfOmmatioii
courante , aflurent déjà aueultivateur un débouché
confidérable de fa denrée dans les années abondantes.
Mais pour que cette police intérieure atteigne à
fon but, il faut encore qu’elle foit fuivie & foûtenue
par la police extérieure.
L’objet du légiflateur eft d’établir, comme nous
l’avons dit plus haut, l’équilibre entre la claffe des
laboureurs & celle des artifans.
Pour encourager les laboureurs, il faut que leur
denrée foit achetée dans la plus grande concurrencé
poflible dans les années abondantes.
Il eft effentiel que la plus grande partie de ces;
achats foit faite par leurs concitoyens : mais ceux-
ci ne feront invités à faire des amas que par l’efpé-t
rance du bénéfice.
Ce bénéfice dépend des récoltes inégales , & dé
la diminution de la maffe des grains dans une certaine
proportion avec le befoin.
D ’un côté,, il n’eft pas ordinaire que-fept années
fe paffent fans éprouver des récoltes inégales.: d’un
autre côté, on voit lotivent plufieurs bonnes moif-
fons fe fuccéder. Si les grains ne fortent jamais , la
diminution de la mafié des grains fera infenfible ; il
n’y aura point de profit à les garder* point de greniers
établis, plus d’abondance ; ou bien il en fuivra
un autre mauvais effet : fi les grains font à vil prix,
les plus précieux feront indifféremment deftinés à la
nourriture des animaux., qui pouvoient également
être engraifles avec d’autres efpeces. Cés moindres
elpeees étant ainfi avilies,, les terres mauvaifes ou
médiocres qui les produifent feront abandonnées ;
voilà une partie confidérable de la culture anéantie.
La diminution de la maffe des grains après un«