d’éluder l’argument qu’on peut en tirer contre fon
opinion favorite, en difant que les livres des épidémies
étoient informes, & deftinés feulement à l’u-
iage particulier d’Hippocrate. Dulaurens va plus
lofn, & il veut faire croire qu’Hippocrate n’avoit
pas encore acquis, lorftju’il compofoit fes livres des
épidémies, une connoiffance complette des jours
critiques. Mais à quoi fervent ces fubterfuges ?
Tout ce qu’on peut fuppofer de plus raifonnable en
faveur d’Hippocrate, s’il eft l’auteur de ces ouvrages
dans lefquels on trouve des contradittions, c’eft
que ces contradiétions font dans la nature, & qu il a
dans toutes les occalions peint la nature telle qu elle
s’eft préfentée à lui ; mais il a toujours eu tort de fe
preffer d’établir des réglés générales : fes épidémies
doivent juftifier fes aphorilmes, fans quoi ceux-ci
manquant de preuves , ils peuvent être regardes
comme des aflertions fur lesquelles il ne faut pas
compter.
D'ailleurs, Dioclès & Archigene dont nous avons
déjà parlé, ne comptoient point les jours comme Hippocrate
& Galien; ils prétendoient que le 21 devoit
être mis à la place du 20, d’où il s’enfuivoit que le
18 devenoit jour indicatif, & que le 25 , le 28, le
32, & les autres dans cet ordre, étoient critiques.
Dioclès & Archigene avoient leurs partifans ; Celfe,
s’il faut compter l'on fuffrage fur cette matière, donne
même la préférence au 21 fur le 20. On en appel-
loit de part & d’autre à l’expérience & à l’obferva-
tion ; pourquoi nous déterminerions-nous pour un
des partis plutôt que pour l’autre , n’ayant d’autre
motif que le témoignage ou l’autorité des parties in-
téreffées elles-mêmes ?
Nous l’avons déjà dit, les anciens fentoient la
force de ces difficultés, ils fe les faifoient à eux-mêmes
, & malgré cela la doétrine des jours critiques
leur paroiffoit fi effentielle, qu’ils n’ofoient fe réfoudre
à l’abandonner : ceux qui fe donnoient cette forte
de liberté , tels qu’un des Afclépiades , étoient
regardés par tous leurs confrères comme tres-peu
médecins, ou comme téméraires. Cependant Celle
loue Afclépiade de cette entreprife, & donne une
très-bonne raifon du zele des anciens pour les jours
critiques : c’eft, dit-il en parlant des premiers médecins
qu’il nomme antiquiffimi, qu'ils ont été trompés
par les dogmes des Pythagoriciens.
Il y a apparence que les dogmes devinrent à la
mode,qu’i ls pénétrèrent j ufqu’au fah&uaire des feûes
des médecins. Ceux-ci furent aufli furpris de découvrir
quelques rapports entre les opinions des philo-
fophes & leurs expériences, que charmés de fe donner
l’air favant : en un mot, ils payèrent le tribut
aux fyftèmes dominans de leur fiecle ; ce qui eft arrivé
tant de fois depuis, & ce que nous conclurons
fur-tout d’un paffage d’Hippocrate que voici.
Il recommande à fon fils Theffalus de s’attacher
exactement à l’étude de la fcience des nombres ;
-parce que la connoijfance des nombres fuffit pour lui en-
feigner , 6 ‘ le circuit ou la marche des fievres , & leur
tranfmutation , & les crifes des maladies , 6* leur danger
ou leur sûreté. C ’eft évidemment le Pythagoricien
qui donne un pareil confeil, & non le médecin. Il
n’en faut pas davantage pour prouver qu’avec de
pareilles difpofitions Hippocrate étoit très-porté à
tâcher de plier l’obfervation à la théorie des nombres.
L’efprit de fyftème perce ici manifeftement ;
on ne peut le méconnoître dans ce paffage, qui découvre
admirablement les motifs d’Hippocrate dans
toutes les peines qu’il s’eft donné pour arranger méthodiquement
les jours critiques. C ’eft ainfi que par
des traits qui ont échappé à un fameux moderne, on
découvre facilement fa maniéré de philofopher en
Medecine. Voici un de ces traits, qui paroîtra bien
Singulier fans doute à quiconque n’aura pas donné
dans les iiluîions de la medecine rationnelle. Àprèà
avoir donné pour la caufe des fievres intermittentes
la vifcofité des humeurs, l’auteur dont nous parlons
avance, qu’i/ efi plus difficile de diflinguer la vraie
caufe des fievres, que d'en imaginer une au moyen de
laquelle on puiffie tout expliquer ; & tout de fuite il
procédé à la création de cette caufe, il raifonne, &
il propofe des vues curatives d’après fa chimere,
&c.Q
uant à Galien, qui auroit dû être moins attaché1
qu’Hippocrate à ladoârine des nombres qui avoit déjà
vieilli de fon tems, on peut le regarder comme un
commentateur & comme un copifte d’Hippocrate :
d’ailleurs, fon opinion fiir l’aûion de la lune, dont
nous parlerons plus bas, & plus que tout ce la, fon
imagination v iv e , fon génie incapable de fupporter
le doute, dubii impatiens, ont dû le faire échoiier
contre le même écueil.
Cependant il faut convenir que Galien montre de
la fageffe & de la retenue dans l’examen de la quef-
tion des jours critiques ; car outre ce que nous avons
déjà rapporté de la bonne-foi avec laquelle il avoiioit
que cette doftrine pouvoit fouvent induire en erreur
, il paroît avoir des égards finguliers pour les
lumières & les connoiffances cl’Archigene & des autres
médecins qui n’étoient pas de fon avis. Galien
fait d’ailleurs un aveu fort remarquable au fujet de
ce qu’il a écrit fur la vertu ou l’efficacité des jours :
Ce que j'ai dit fur cette matière, je Vai dit comme mal-
gré moi, & pour me prêter aux vives injlances de quelques
uns de mes amis : ô dieux ! vous fave%_ ce qui en
e f ; j e vous fais les témoins de ma fincérité. Vos, ô dit
immortales , novifiis ! vos in teflimonium voco. On ne
fauroit ce femble foupçonner que Galien ait voulu
tromper fes leéteurs & fes dieux fur une pareille
matière ; & cette efpece de ferment indique qu’il n’é-
toit pas tout-à-fait content de fes idées : eut-il penfé
qu’elles dévoient paffer pour des lois facrées pendant
plufieurs fiecles, & qu’en fe prêtant aux inftan-
ces de fes amis intéreffés à le voir briller, il deviendrait
le tyran de la Medecine ?
Ofèft donc fur la prétendue efficacité intrinfeque
des jours & des nombres, qu’étoient fondés les dogmes
des jours critiques : c’eft de leur force naturelle
que les Pythagoriciens tiraient leurs arcanes, & ces
arcanes etoient facrés pour tout ce qui s’appelloit
pkilofophe. On ne peut voir fans étonnement toutes
leurs prétentions à cet égard, & fur-tout l’amas fin-
gulier de conformités ou d’analogies qu’ils avoient
recueillies pour prouver cette prétendue force ; par
exemple, celle du feptieme jour ou du nombre fep-
tenaire, au fujet duquel, dit Dulaurens, les Egyptiens
, les Chaldéens, les Grecs, & les Arabes , ont laijjc
beaucoup de chofespar écrit. Le nombre feptenaire,dit Re-
naudot, médecin de la faculté de Paris, efl tantefiimé
desP latoniciens ,pour être compofé du premier nombre impair,
& du premier tout pair ou quarrè, quifont le 3 & le 4
qu ils appellent mâle & femelle, & dont ils font un tel cas
qu'ils en fabriquent l'ame du monde ; & défi par leur
moyen que tout fubjfie : la conception de l'enfant fe fait
au feptieme jour ; la naiffiance au feptieme mois. Tant
d'autres accidens arrivent aux feptenaires : les dents
pouffent àfept mois ; l'enfantfefoûtient à deux foisfept;
il délie fa langue à trois fois fept; i l marche fermement
à quatre fois fept; à fept ans les dents de lait font chafi
fées ; à deux fois fept il efi pubere ; à trois fois fept il
cejje de croître, mais il devient plus vigoureux jufqu'à
fept f o i s .............. le nombre fept efi donc un nombre
plein , appellé des Grecs d?un nom qui veut dire véné--
rable. Hoffman n’a pas manqué de répéter toutes ces
belles remarques, dans fa differtation de fato phyfico
& medico.
Voilà la première caufe de tous les calculs des
médecins, voilà l’idole à laquelle ils facrifioient
leurs propres obfervations, qu’ils retournoient toû-
jours jufqu’à ce qu’elles fuffent conformes à leur opinion
maitreffe ou fondamentale; trop femblables
dans cette forte de fanatifme à la plupart des modernes
, dont les uns ont tout rappellé à la matière fub-
t ile , les autres à l’attraûion, à l’aftion des efprits
animaux, à l’inflammation,- aux acrimonies, & à
tant d’autres dogmes, qui n’ont peut-être d’autre
avantage fur la do&rine des nombres, que celui d’ê tre
nés plûtard, & d’être par-là plus conformes à
notre maniéré de penfer.
Cette doÛrine des nombres vieilliffoit du tems de
Galien, nous l’avons déjà dit; elle s’ufoit d’elle-même
peu-à-peu ; l’opinion des jours critiques s’affoi-
bliffoit à proportion : la théorie hardie & fublime
d’Afclépiade, fort oppofée au génie calculateur ou
numérique des anciens, fi on peut ainfi parler, auroit
infailliblement pris le deffus, fi Galien lui-même
n’avoit ménagé une reffource aux feêtateurs des crifes.
C ’eft à l’influence de la lune, dontles anciens avoient
aufli parlé avant lui, qù’il eut recours pour les expliquer:
il porta les chofes jufquà imaginer un mois
medical Qi\x médicinal, au moyen duquel les révolutions
de, la lune s’accordant avec celles des crifes,
celles-ci lui paroiffoient dépendre des phafes de la
lune.
Les Arabes ne changèrent prefque rien à la doftri-
ne des crifes & des jours critiques ; ils la fuppo-
foient irrévocable ôc connue, & ils eurent occafion
de l’appliquer à la petite-vérole, à laquelle elle ne va
pas mal : ils étoient trop décidés en faveur de Galien,
d’Ætiùs & a’Oribafe, pour former quelque doute fur
leur fyftème. Hali-Abbas regardoit le 20 & le 21 comme
des jours critiques ; il femble qu’il voulût concilier
Galien & Arcnigene.
L’Aftrologie étant devenue fort à la mode dans
le tems du renouvellement des Sciences, elle fe glif-
fa bien-tôt dans la théorie medicinàle : il y eut quelques
médecins qui oferent traiter le mois medical de
Galien de monfiruêux & d'imaginaire. Mais le commun
des praticiens ne renonça pas pour cela à l’influence
de la lune fur les crifes & les jours critiques ;
on ne manquoit jamais de confulter les aftres avant
d’aller voir un malade. J’ai connu un médecin mathématicien
qui ayant été mandé pouf un malade qui
avoit la falivation à la fuite des fri étions mercurielles,
ne voulut partir qu’après avoir calculé fi la chofe étoit
poffible, vû la dofe de minéral employée. Ce mathématicien
eût été fûrement aftrologue il y a deux
fiecles.
La lune, difoient les Aftrologues, a autant d’influence
fur les maladies, que fur la plupart des chan-
gemens qui arrivent dans notre globe ; c’eft d’elle
que dépendent les variations des maladies, & la vertu
ou l’aétion des jours critiques. Un calcul bien Ample
le prouve : fi quelqu’un tombe malade le jour
de la nouvelle lune, il fe trouvera qu’au 7 la lune
fera au premier quartier, qu’on aura pleine lune au
14, & qu’au troifieme feptenaire elle fera dans fon
dernier quartier. D ’où il paroît qu’il y a un rapport
évident entre les jours critiques , le 7 , le 14 , & le
2.1, & les phafes de la lune, fans compter fes rapports
avec les jours indices. Audi toutes les maladies
qui fe trouveront fuivre exactement les changemens
de la lune, & commencer avec la nouvelle lune,
auront-elles des crifes complétés & parfaites.
Mais comme il y a beaucoup de maladies qui ne
commencent pas à la nouvelle lune, les révolutions
de chaque quartier ne fauroient avoir lieu dans ces
cas ; cependant il y aura toûjours dans les mou-
vemens de la lune des révolutions notables, qui répondront
au 7 , au 14 & au 2 1 , & au 4 , au 11 & au
1 7 , ainfi que peut le découvrir tout leéteur a fiez patientât
affez curieux de calculs.
Tome 1 V% ,
Parmi les médecins qui ont déduit la marche des
.crifes de cette caufe, il y en avoit qui ne trouvant
pas bien leur compte avec la lune feule, avoient recours
à tous les aftres, aux Agnes du zodiaque & aux
planètes, qui préfidoient chacune à des maladies
particulières/
Le dirai-je? CetteaéHon de la lune à laquelle Van-
helmont meme n’a ofé fetlifpenfer de foûmettre fon
grand archée, & en général les influences des aftres
lur les corps fublunaires, pourroient peut-être être
“expliquées affez phyfiquement, ainfi que M. Richard
Mead a commence de le faire parmi les modernes ,
ou au moins être reçues comme phénomènes exif-
tans dans la-nature, quoique non compris. Ce n’eft
pas qu’il faille ajouter foi aux ridicule^ & puériles
calculs des anciens: mais on ne peut, lorfqu’on examine
les chofes de bien près, s’empêcher de fe rendre
à certains faits généraux, qui méritent au moins
qu’on les examine & qu’on doute. On trouve tous
les jours tant de gens de bon fens qui affûrent avoir
des preuves de l’aéHon de la lune fur les plantes,
^ / ur °les matadies mêmes, telles que la goûte & les
rhûmatifmes, qu’on ne fauroit fe déterminer, ce me
femble, fans témérité à regarder ces fortes d’affer-
tions comme deftituées de tout fondement, quelques
folles applications que le peuple en faffe. Car
de quelle vérité n’abufe-t-on point en Phyfique ? II
en eft comme des effets ou de l’influence de l’imagination
des femmes groffes fur leurs enfans ; le peuple
les admet ; les Philofophes, ceux fur-tout qui
ont une antipathie marquée pour toutes les idées
populaires , qui ne font que les reftes des opinions
de l’antiquité , ces philofophes rejettent l’influence
de l’imagination des femmes groffes fur leurs en-
fans ; mais il paroît malheureufement que c’eft parce
qu’ils n’en faventpoint la caufe. N’eft-ce pas pour
la même raifon à-peu-près qu’on rejette l’a&ion ou
l ’influence de la lune & des autres aftres fur nos
corps ? Après tout, pourquoi prendre fans héfiter
un ton fi décifif contre des chofes que les anciens
les plus refpeftables ont admis, jufqu’à ce qu’on ait
démontré par des faits confiâtes, qu’ils fe font trompés
autant dans leurs obfervations, que dans les applications
qu’ils en ont faites ? On a laiffé préfider la
lune au flux & reflux de la mer ; comment pdut-on
affûrer après cela que la luné occafionnant des ré- .
volutions fi fingulieres fur la mer, & plus que probablement
fur l’air, ne produite pas quelque effet
fur nos humeurs ? Pourquoi notre frêle machine fe- '
ra-t-elle à l’abri de l’aftion de cette planete ? n’eft-
elle ni compreffible ni aîtirable en tout ou en partie
? la fenfibilité animale n’eft-elle pas même une
propriété qui expofe plus qu’aucune autre, cette
machine dont nous parlons, à un agent qui caufe
tant de révolutions dans, l’atmofphere ?
Quoi qu’il en foit, Fracaftor qui vivoit au xv. fiecle
, fut un des plus redoutables ennemis du fyftème
dominant au fujet de l’aftion de la lune fur les jours
critiques & les crifes ; il étoit d’autant plus intérefl'é
à la deftru&ion de ce fyftème, qu’il en fubftituoit un
autre fort ingénieux ; le defir de faire recevoir tes
propres idées, a fait faire à plus d’un philofophe des
efforts efficaces contre les opinions reçues avant lui.
On aura peut-être befoin de l’hypothefe de Fracafi.
tor, lorfqu’on viendra à difeuter la queftion des crifes
des jours critiques, comme elle mérite de l’être
; c’eft ce qui nous engage à en donner ici un court
extrait.
Fracaftor part des principes reçûs chez tous les
Galéniftes au fujet des humeurs , la pituite, la bile
& la mélancholie , qui*ont, difoient-ils , diftêrens
mauvemens, qui occafionnent chacune leurs maladies
particulières, leurs fievres, leurs tumeurs, &c.
c’étoit débuter d’une maniéré bien féduifante pour
O ô o ij