& c’eft ce qui eft pareillement arrivé aux compilations
d’Yves de Chartres & de Gratien, quoique
dans l’origine ces auteurs leureuffent donné d’autres
titres.
A la tête de la colledion de Bouchard, on trouve
une énumération des principales foürces où il a pui-
fé. Ces fources font le recueil des canons, vulgairement
appellé le corps des canons, les canons des apôtres
, les conciles d’outremer, par lefquels il entend
ceux qui ont été tenus en Grece, en Afrique , & en Ita-
lie, les conciles d’Allemagne, des Gaules, & d’Ef-
pagne, les conftitutions des fouverains pontifes, les
évangiles, & les écrits des apôtres, l’ancien tefta-
ment, les écrits de S.-Grégoire, de S. Jérome,' de
S. Auguftin, de S. Ambroife, de S. Benoît, de S. Ba-
file, de S.Ifidore, le pénitentiel romain, ceux de
Théodore archevêque de Cantorbery , & de Bede
prêtre, dit le vénérable. Bouchard divife fon ouvrage
en 20 livres. Il traite d’abord de l’autorité du pape,
de l’ordination des évêques, de leurs devoirs, & de
delà maniéré de les juger. Il paffe enfuite aux autres
ordres du clergé, aux églifes , à leurs biens temporels,
& aux facremens. Dans le lixieme livre & les
fuivans, il traite des crimes ■ & des pénitences qu’on
doit impofer pour leur expiation. Il entre à pet égard
dans le plus grand détail : il explique la manière d’-im-
pofer &c d’obferver la pénitence, & les moyens de la
racheter, lorfqu’on fe trouve dans Timpombilité de
l’accomplir. Tout ceci compofé la plus grande partie
du decret de Bouchard , & conduit jufqu’au dix-
feptieme livrer-Dans le dix-huitieme, il eft parlé de
la vifite, de la pénitence, & de la réconciliation des
malades. Le dix-neuvieme, furnommé te correcteur,
traite des mortifications corporelles, & des remedes
pour l’ame que le prêtre doit prèfcrire à chacun, foit
clerc, foit laïc , pauvre ou riche, fain ou malade ;
en un-mot aux perfônnes de tout âge, & de l’ün ou
de l’autre fexe. Enfin dans le vingtième , qu’on appelle^
livre des fpécidations, il eft queftion de la providence
, de la prédeftination, de l’ayenement de.
l ’antechrift, de Tes oeuvres , de la réfurredion , du
jour du jugement, des peines de i’enfer, & de la
béatitude eternelle. • i -
û Cette collection de Bouchard eft extrêmement dé-
fedueufe.’ .Premièrement, l’auteur n’a pas confulté
les originaux des pièces dont il l’a compofée-,; mais
ils ’eftfié aux compilations antérieures ; de-là vient
qu’ayant fait ufage , fur - tout de celle de Reginon,
connue Tous le titre de difciplinïs ecclejiajlicis & reli-
giont ■ chrïfiidnâ., d’où il a tiré, fuivant la remarque
de M. Baluze,, 670 articles, il en a copié toutes les
fautes. Il lui eft même arrivé d’en ajoûter qui lui font
propres , parce qu’il n’a, pas entendu Ton Original,
& c’eft ce que nous allons rendre fenfible. Le recueil
de Reginon- eft partagé en deux livres ; chacun d’eux
commence par divers chefs d’irtformation, auxquels
l’évêque doit.avoir égard dans l’examen qu’il- fait-de
la conduite:des clercs-& des laïcs de fon diocèfe.
Ces différens chefs font .appuyés fur l’autorité des
canons que Reginon a foin de rapporter. S’il fe fonde
fur plufieurs canons, après en avoir cité un , il
ajoûtefonveiit dans l’article qui fuit ces paroles unde
fuprà, pour marquer qu’il s’agit en cet endroit du
même chef d’information dont il étoit queftion à l’arr
ticle •précédent. Mais Bouchard s’eft imaginé que
par ceS paroles, unde fuprà, Reginon vOülOit indiquer
la fource d’où l’article étoit tiré -,-& -qu’ainfi
elle étoit la mêmepour lors que celle du précédent.
Cela eft Gaulé que les inferiptions de ces articles font
fouvettt fauffe's : par exemple, Reginon, lib. IL cap.
icclxiij: cite un canon du concile d’Ancyre, dedans
l’article fuivaïit il cite un autre canon avec Tînfcrip-
tioh unde Jùprà: Bouchard rapportant ce detaiér ca-
fiOR, lib. X , cap.j, l’attribue, dans l’idée dont nous
Venons de parler, au concile d’Ancyre. C’eft par
une femblable erreur qu’au liv. II. chap. ij. & iij. où
il rapporte les articles 407 & 408 du liv. II. de Reginon
, il les attribue au concile de Rouen , parce
qu’ils fuivent immédiatement l’article 406 tiré de ce
concile , & qu’ils font accompagnés de la note unde
fuprà. En fécond lieu, on peut reprocher à Bouchard
fon affectation à ne point citer les lois civiles, fur-
tout les capitulaires de nos rois, & en cela il n’a pas
pris Reginon pour modèle. Ainfi ce qu’il emprunte
réèllement des capitulaires, il l’attribue aux conciles
mêmes dont les capitulaires ont tranferit les canons,
ou aux faufi.es décrétales qu’ils ont adoptées
en plufieurs endroits. Bouchard va même jufqu’à citer
à faux, plutôt que de paroître donner quelque
autorité aux lois des princes. Nous nous contenterons
d’indiquer ici au ledeur le chapitre xxxvij. du
liv. VII. où il rapporte un paffage tiré de l ’article
105 du premier livre des capitulaires, comme étant
d’un concile de Tolede, fans dire néanmoins de quel
concile de Tolede, quoique fuivant la remarque des
correfteurs romains au decret de Gratien fur le canon
34 de la caufe 27,queftion 2, le paffage ne fe trouve
dans aucun de ces conciles. Si on conlulte M. Baluze
dans fes notes fur Reginon , §. a.z, & dans celles
fur les capitulaires , on trouvera beaucoup d’autres
exemples de cette efpece. Il n’y a qu’une feule oc-
cafion où Bouchard cite les capitulaires de Charlemagne,
favoir au liv. II. chap. cclxxxj. & même il
ne le fait que comme ayant été confirmés par les
évêques affemblés à Aix-la-Chapelle* On ne peut
rendre d’autre raifon de cette conduite, finon que
dans la décadence de la race de Charlemagne, l’empire
des François étant divifé en partie orientale &
occidentale, & l’Allemagne s’étant foùftraite à la
domination de nos rois Carlovingiens, un Allemand
rougiffoit de paroître refpeder les decrets des rois &
des prélats de France. Enfin cette collection eft par-
femée dè fauffes^decrétalês ; mais en ceci Bouchard
n’a fait que fuivre le torrent de fon fiecle, pendant
lequel l’autorité dé ces décrétales s’établifloit de plus
en plus.;
L’importance & la multiplicité de ces imperfections
n-ôrtt point empêché Sigebert, ch. cxlj. de ferip-
tor. ecclef. de prodiguer à cet ouvrage les éloges les
plus outrés, comme fi en effet Bouchard n’eût jamais
employé que des monumens authentiques, Sc qu’il
eût apporté à cet égard la- plus fcrupuleufe exactitude.
Mais telle étoit l’ignorance de ces tems-là, qu’on
re ce voit fans aucun examen tout ce qui étoit recueilli
par des auteurs de quelque réputation. Il n’eft donc
pas étonnant fi ceux qui ont fait après lui de nou-
veaù-x recueils de canons, ont négligé de remonter
aux véritables fources, & ont par cette raifon conformé
les mêmes erreurs dans; leurs compilations.
Pafiqns maintenant au decret d’Yves de Chartres.
- Yves de Chartres ,'né au diocèfe de Beauvais d’une
famille illuftre, entra dans fa jeuneffe dans l’ab-
hàye du Bec, & y fit de tels progrès dansd’étude de
la Théologie fous le célébréLanfranc, qu’il fut bientôt
en état de l’enfeigner. Guy évêque de Beauvais,
ayant raffemblé dés chanoines dans un mônaftere
qu’il avoit fait bâtir en l’honneur dé S. Quentin,
il-mit Yves à leur tête : cet abbé renouvella avec
zélé les pratiques àufteres de la vie-canoniale , qui
étoit tombée dans le relâchement. Dans la fuite Urbain
IR- après avoir dépofé Geoffroi évêque cle Chartres
, nomma Yves à fa place, & le facra évêque :
plufieurs prélats, fuctotit l’archevêque de Sens, s’op-
poferent d’abord à-éétté entreprife du pape ; & chaf-
férent Yves de fon fiége ; mais il y fut rétabli. Dans
le tems qu’il gouvernott Péglife dé faint Quentin à
•Beauvais ,-& qu-’il.yenfeignoit la théologie, il com-
pofa, vers l ’an 1 1 10, fon grand recueil des canons
connu fous le nom de decret, quoiqu’il l ’eût intitulé,
Excerptïones eçclejiafticarum regularum. Ce titre étoit
d’autant plus convenable, qu’on ne trouve dans, ce
recueil aucun decret d’Yves de Chartres ,.mais feulement
des extraits tirés , foit des aûes de divers
conciles, foit des lettres des fouverains pontifes,
des écrits des SS. peres, ou bien enfin des ordonnances
des princes chrétiens. La préface qu’il y a jointe,
annonce dans quelle vûe il a ramaflé ces monumens :
ç’eft, dit - i l , afin que ceux qui font hors d’état de fe
procurer fous ces écrits, puifent dans cetfe collection
ce qui peut leur être utile ; nous commençons,
â jo û te - t - il, par ce qui concerne la f o i , comme
étant la bafe de la religion chrétienne; nous mettons
enfuite fous différens titres ce qui regarde lés
facremens , la morale, la difeipline : & de cette façon
chacun trouvera facilement ce qu’il lui importe
de connoître. Cette préface mérite d’être lûe ; elle
montre un grand fonds d’érudition dans fon auteur,
& fait fentir avec force combien il eft néceffaire aux
prélats d’être verfés dans la difeipline eccléfiaftique.
L’ouvrage eft divifé en dix - fept parties, dont chacune
renferme un nombre confidérable d’ articles :
elles répondent aux 20 livres de Bouchard, & font
rangées à-peu-près dans le même ordre. La première
partie traite du baptême & de la confirmation. La
leconde,. de l’euchariftie, du facrifice de la meffe ,
& des autres facremens. Là troifieme, de l’Eglife
& des chofes qui lui appartiennent, & du relpecf
qu’on doit avoir pour elles. La quatrième, des fêtes,
des jeûnes, des écritures canoniques, des coû-
tumes ,. & de la célébration du concile. La cinquième,
de la primatie de l’évêque de Rome, du droit
des primats, des métropolitains, & des évêques. La
fixieme, de la v ie , de l’ordination , & de la correction
des clercs * & des cas où elle a lieu. La feptie-'
me, de la tranquillité & de la retraite preferites aux
religieux & religieufes , & des peines que méritent
ceux qui n’ont point gardé le voeu de continence.
Dans îa huitième, il eft parlé des mariages légitimes
, des vierges , & des veuves non voilées , de
ceux qui les raviffent, des concubines. Dans la neuvième,
des différentes efpeces de fornication; du
degré dans lequel les fideles peuvent fe marier, ou
doivent être féparés. Dans la dixième, des homicides
volontaires ou involontaires. Dans la onzie--
me, de la magie, des forciers'. Dans la douxieme ,
du menlonge ,..du parjure , des accufateurs., des juges
, des faux témoins. Dans chacune de ces parties
, on voit aiifli quelle eft la pénitence qu’on im-
pofe à ceux qui font dans l’un de ces différens cas.
Les voleurs , les médifans, PivrÔgnerie, les furieux,
& les Juifs, font la matière de la treizième. La fui-
vante traite de l’excommunication, des caufés pour
lefquelles on l’encourt, & de la procédure fuivant
laquelle elle doit être lancée. La quinzième, delà
pénitence de ceux qui font en fanté ou malades , &
comment ellé.peut être.adoucit. La feizieme,: des
devoirs & des caufes des laïcs. Enfin la derniere con-'
tient les fentences des SS. PP. fur laf o i , l’efpérance,
& la charités
Yves ta .emprunté; dans fa colleétion beaucoup de
chofes de Bouehardi.de Wormes ; fouvent même il
fe contente de .le copier mot .à .mot, & il né l’abandonne;
totalement qu’en deux.circonftances : i° fur
ce qui regarde l’héréfie d,e.Ber.engér. qui s’étoit élevée
de fon tems, & qu’il réfute;cri rapportantdans
fa fécondé partie beaucoup de pâffages des conciles
& des SS. PP. pour confirmer le-dogme catholique
fur la préfence;réelle de J. G. dans le facremènt'de 1 euchariftie ; au lieu que Bouchard a gardé fur cette
matière un profond filence : z'Ven ce que dahs fa feizieme
partie à l’occafion des caiifes des laïcs dont il
parle ■, il cite fouvent le code Théodofien, lés‘pande£
les, le code, les novelles , les inftituts de Juf-
tinien, & les capitulaires de nos rois ; ce que Bouchard
n’a point fait. Yves eft même regardé comme
le premier qui dans l’Occident ait joint Je droit
civil au droit canonique ; il a été imité en cela par
les,compilateurs qui l’ont fuivi.
Nous avons un autre recueil de canons d’Yves de
Chartres, divifé en huit livres, qui porte le nom de
pannormie. Ce nom eft compofé des mots grecs km
&L vôp.oç , ou à la place de ce dernier du mot latin nor-
ma > & il indique que cette compilation renferme
toutes les réglés de la difeipline eccléfiaftique : quel-
ques-uns doutent que cette colleftion foit d’Yves de
Chartres,, & ils fe fondent, i° . fur ce que la préface
eft la même que celle du decret, d’où ils concluent
que l’un des deux ouvrages n’eft point de cet auteur :
20. fur.ee qu’on y trouve des decrets des papes Calix-
te II. & Innocent II. qui n’ont cependant occupé le
faint-fiége que depuis la mort d’Yves de Chartres:
30. fur ce que les livres de Juftinien y font cités. Or
ces livres n’ont été recouvrés, fuivant Jacques Go-
defrôi in manuali juris, qu’en l’année 1136 dans les
ruines de Melphi ville de la Pouille , lorlque l ’empereur
Lothaire II. chaffa les Normands d’Italie, &
Yves de Chartres eft: mort en 1115 : ainfi ils croyent
qu’il faut l’attribuer à un certain Hugues de Châlons-
fur-xMarne, ou à quelqu’autre écrivain qui aura fait-
un extrait du decret d’Y ves. Ils allèguent le témoignage
de Vincent de Beauvais, qui dit lib. X X V .
fpeculi kijlorialis , cap. Ixxxjv. que d’après le decret
d’Yves de Chartres, Hugues a compofé un petit livre
portatif intitulé la-fournie des decrets d'Yves de
Chartres. Mais M. Baluze, dans fa préface fur les
dialogues d’Antoine Auguftin ; de emendatione Gra-
tiani, rapporte qu’il a confulté un manuferit très-
ancien de l’abbaye de S. Vi&or de Paris, & deux
autres manufcrits du mônaftere de S. Aubin d’An-
gers ; .que cette collection .y eft appellée par-tout
pannormie, & jamais, fomme des decrets d’Yves'; d’où
il pàroît, dit i l , que le livre dont Vincent de Beauvais
fait mention, eft différent de celui-ci. Il.p'réfu-
me même que le manuferit de S. Vidor eft antérieur
au tems d’Hugues de Châfons, & il juge ainfi fans
doute par le caradete de l’écriture : ajoûtez à cela
que, félon la remarque d’Antoine Auguftin évêque
de Lérida, puis archevêque de Tarragoné en Efpa-
gne, là pannormie ne peut être un extrait du decret
d’Y v e s , puifque ces deux colledions fe reffemblent
en très-peu de chofes.
Quant aux objedions précédentes, on répond à
la première qui naît de la répétition de la'préface,
qu’elle n’eft point dans plufieurs exemplaires-de la
pannormie ; voye^ Antoiné Auguftin, lib. I. de e'rnen-
dat.Gratiani, cap. j. D’ailleurs l’auteur à:pû fefe'rvir
de la même .préface pour deux ouvrages qui ont lé
même objet, quoique diftribués & traités différemment.
La féconde objedion eft détruite par le P. Ma-
billoh : ce favant Bénédidin , dont oh .népeütfans
injuftice foupçonner la bonne foi, affûre avoir vû
deux manufcrits très-anciens de Ce recueil, où le
nom d’Yves de Chartres eft éc r it, & où Içsdeçretî
des papes Calixte II. & Innocent II. ne fontpoint 1
En troifieme lieu, fi les.livres de Juftinién fe‘trouvent
cités dans ce recueil1, cela prouve Amplement
qu’ilsont été connus en Francéavantia prife de Meb
phi ; quoique cefoit-là l ’époque où on ait-commen-1
: cé à lès ertfëigner publiquement dans les écoles;
Nous ne balançons donc point à reconnoître la pan*
normie pour être d’Yves de Chartres, mais on; ignore
fi-ëlle: a:précédé le decret ou non ; ôn eft obligé dè
s’en tenir fur ce Tujet à des conjedures bieh.legeres;
Les uns difent qu’il eft àffez vraiffemblable que la
pannormie étant d’un moindre volume, & fon auteur
la voyant reçûe favorablement, & éntre les