Si les plaideurs font ainfi punis , quelle ne doit
point être la rigueur des peines pour ceux qui ont
commis quelque faute ? Aufli quand nous lifons dans
les hiftoires les exemples de la juftice atroce des ful-
tans, nous Tentons avec une efpece de douleur le9
maux delà nature humaine. Au Japon c’eft pis encore
, on y punit de mort prefque tous les crimes :
là il n’eft pas queftion de corriger le coupable, mais
de venger l’empereur ; un homme qui hafarde ^de
l ’argent au jeu, eft puni de mort, parce qui! neft
ni propriétaire ni ufufruitier de fon bien, c eft le
kubo.
Le peuple qui ne poffede rien en propre dans les
pays defpotiques que nous venons de depeindie , n a
aucun attachement pour fa patrie, & n eft lie par
aucune obligation à fon maître ; de forte que, fui-
vant la remarque de M. la Loubere (dans fa relation
hiftorique de Siam) , comme les fujets doivent fubir
le même joug fous quelque prince que ce fo it , &
qu’on ne fauroit leur en faire porter un plus pefant,
ils ne prennent jamais aucune part à la fortune de
celui qui les gouverne ; au moindre trouble, au
moindre attentat, ils laiffent aller tranquillement la
couronne à celui qui a le plus de force, d’adreffe ou
de politique, quel qu’il foit. Un Siamois s expofe
gaiement à la mort pour fe venger d’une injure particulière,
pour fe délivrer d’une vie qui lui eft à charge
, ou pour fe dérober à un füpplice cruel ; mais
mourir pour le prince ou pour la patrie, c’eft une
vertu inconnue dans ce pays-là. Ils manquent des
motifs qui animent les autres hommes, ils n’ont ni
liberté ni biens. Ceux qui font faits prifonniers par
le roi de Pégu, relient tranquillement dans la nouvelle
habitation qu’on leur alfigne, parce qu’elle ne
peut être pire que la première. Les habitans du Pegu
en agiffent de même quand ils font pris.par les Siamois
: c es malheureux également accablés dans leur
pays par la feirvitude, egalement indifférens fur le
changement de demeure, ont le bon fens de dire
avec l’âne de la fable :
Battez-vous, & nous laijfez paître ,
Notre ennemi, cejl notre maître.
La -rébellion de Sacrovir donna de la joie au peuple
romain ; la haine univerfelle que Tibere s’étoit
attirée .-par fon defpotifme , fit fouhaiter un heureux
fuccès à l’ennemi public : mulù odio prafentium , fuis
quif que periculis icetabantur, dit Tacite.
Je fai que les rois d’Orient font regardés comme
les enfans adoptifs du ciel ; on croit que leurs âmes
font céleftes, .& furpaffent les autres en vertu autant
que leur condition furpafië en bonheur,celles
de leurs fujets : cependant lorfqu’une fois les fujets
fe révoltent., :1e peuple vient à mettre en doute
quelle eft l’ame la plus eftimable, ou celle du prince
légitimé, ou celle du fujet rébelle , & fi l’adoption
célefte n’a pas .pafle de la perfbnne du roi à celle du
fujet. D ’ailleurs dans ces pays-là il ne fe forme point
de petite révolté ; il n’y a point d’intervalle entre le
murmure & la fédition, la fédition & la cataftrophe :
le mécontent va droit au prince, le frappe, le ren-
verfe ; il en effacé jufqu’à l’idéedans un inftantl’ef-
clave eft le maître, dans un inftant il eft uftirpateur
& légitime. Les grands évenemens n’y font .point
préparés par de grandes caufes; au contraire , le
moindre accident produit une grande révolution,
fouvent aufli imprévûe de ceux qui la font que de
ceux qui la fouffrent. Lorfqu’Ofman empereur des
Turcs fut dépofé, on ne lui demandoit que de
faire juftice ftir quelques griefs.; une voix fortit de
la foule par hafard, qui prononça le nom de Mufta-
pha, & lointain Muûapha fut empereur.
Le P. Martini prétend que les Chinois fe pérfua-
dent qu’en changeant de fouverain ils fe conforment
à la volonté du c ie l, & ils ont quelquefois préféré;
un brigand au prince qui étoit déjà fur le throne.:
Mais outre, dit- il, que cette autorité defpotique eft
dépourvue de défenfe, fon exercice fe terminant
entièrement au prince, elle eft affoiblie faiite d’être
partagée & communiquée à d’autres perfonnes. Celui
qui veut déthroner le prince, n’a guere autre
chofe à faire qu’à joiier le rôle de fouverain, & en
prendre l’efprit : l’autorité étant renfermée dans un
l’eul homme, pafle fans peine d’un homme à un autre,
faute d’avoir des gens dans les emplois qui s’in-
téreffent à conferver l’autorité royale. Il n’y a donc
que le prince qui foit intérefle à défendre le prince,
tandis que cent mille bras s’intéreffent à défendre
nos rois.
Loin donc que les defpotes foient affûrés de fe
maintenir fur le throne, ils ne font que plus ^>rès
d’en tomber; loin même qu’ils foient en fûrete de
leur v ie , ils ne font que plus expofés d’en voir trancher
le cours d’une maniéré violente & tragique ,
comme leur régné. La perfonne d’un fultan eft fou-
vent mife en pièces avec moins de formalite que
celle d’un malfaiteur de la lie du peuple. Si leur autorité
étoit moindre, leur fureté leroit plus grande :
nunquam fatis fidapotentia, ubi nimiq. Caligula , Do-
mitien & Commode, qui regnerent defpotiquement,
furent égorgés par ceux dont ils avoient ordonné la
mort.
Concluons que le defpotifme eft également nui-
fible aux princes & aux peuples dans tous les tems
& dans tous les lieux, parce qu’il eft par-tout le
même dans fon principe & dans fes effets : ce font-
des circonftances particulières, une opinion de reli-,
gion, des préjugés, des exemples reçus, des coutumes
établies, des maniérés, des moeurs, qui y mettent
les différences qu’on y rencontre dans le monade.
Mais quelles que foient ces différences , la nature
humaine fe.foûleve toujours contre un. gouvernement
de cette efpec.e, qui fait le malheur du prince
& des fujets ; & fi nous voyons encore tant de
nations idolâtres & barbares foumifes_,à ce gouvernement
, c’eft qu’elles font enchaînées par la fuperf-
tition, par l’éducation, l’habitude & le climat.
Dans le Chriftianifme au contraire il ne peut y
avoir de fouveraineté qui foit illimitée, parce que
quelqu’abfolue qu’on fuppofât cette fouveraineté ,
elle ne fauroit renfermer un pouvoir arbitraire &
defpotique, fans d’autre réglé ni raifon quç là volonté
du monarque chrétien. Eh comment la créature
pourroit-élle s’attribuer un tel pouvoir, puifque le
fouverain être ne l’a pas lui-meme ? Son domaine
abfolu n’eft pas fonde fur une volonté aveugle ; fa
volonté fouveraine eft toujours déterminée,parles
réglés immuables de la fageffe, de la juftice & de la
bonté.
Ainfi, pour m’exprimer ayecla Bruyere , «.dire
» qu’un prince chrétien eft arbitre de la vie des hom-
» mes, c’eft dire feulement que les hommes par leurs
» crimes deviennent naturellement fournis aux lois
» & à la juftice dont le prince eft dépolitaire. Ajoû-
» ter qu’il eft maître abfolu de tous les biens de fes
» fujets, faus égards,,fans compte ni difcuflion, c’eft
» le langage de la flaterie, c’eft l’opinion d’un favori
» qui fe dédira à l’heufe de la mort. » Chap. x. du
Souverain, y]'
Mais on peut avancer qu’un roi eft maître de la
vie & des biens de fes fujets, parce que les aimant
d’un amour paternel, il les conferve, & a foin de
leurs fortunes, comme de ce qui lui eft le plus propre.
De cette façon il,fe conduit de même que fi
tout étoit à lui, prenant un pouvoir abfolu fur toutes
leurs poffelfions, pour les protéger 6c les, défendre.
C’eft.par ce moyen que gagnant le coeur de fes
peuples, ôc par-là tout ce qu’ils ont , il s’en peut.déclarer
fcïàrer le maître , quoiqu’il ne leur en faffè jamais
perdre la propriété , excepté dans le cas oh la loi
Tordonhe. t
« Ce n’eft pas , dit lin eonfeiller d’état (M. la
Mothede-Vayer, dans'le livre intitulé Y Economique
■ du Prirlte, qu’il a dédie à Louis X IV . ch. jx . ) » cé
-» n’eft pas, SIRE, pofer des bornes préjudiciables
» à votre volonté fouveraine, .de les lui donner con-
>> formes à celles dont Dieu a voulu limiter la fienne.
9> Si nousdifons que V o t r e M a j e s t é doit la pro-
» teérion & la juftice à fes fujets, nous ajoutons en
» même tems qu’elle n’eft tenue de rendre compte
» de cette obligation ni de toutes fes aérions , qu’à
» celui de qui tous les rois de la terre relevent. Enfin
» nous n’attribuons aucune propriété de biens à vos
» peuples, que pour relever par-là davantage la di-
V gnité de votre monarchie ».
Aufli Louis XIV. a toujours reconnu qu’il ne poù-
voit rien de contraire aux droits de la nature, aux
droits des gens, & aux lois fondamentales de l’ état.
Dans le traité des droits de la Reine de Frafzce, imprimé
en itSôy par ordre de cet augufte Monarque,
pour juftifier fes prétentions fur une partie des Pays-
bas catholiques, t»n y trouve ces belles paroles :
« Q u e l e s , R o i s o n t c e t t e b i e n h e u r e u s e
» IMPUISSANCE , DE NE POUVOIR RIEN FAIRE
» CONTRE LES LOIS DE LEUR PAY S. . . . . Ce
» n’eft (ajoûte l’auteur) ni imperfeérion ni foiblefle
» dans une autorité fuprème, que de fe foûmettre à
:,> la loi de fes promeffes, ou à la juftice de fes lois;
» La néceflité de bien faire & l’impuiffance de fail-
» lir , font les plus hauts degrés de toute la perfec-
» tion. Dieu même, félon la penfée de Philon, Juif,
’$> ne peut aller plus avant ; & c’eft dans cette divine
» impuiflance que les fouverains , qui font fes ima-
» ses fur la terre, le doivent particulièrement imiter
»dans leurs état s ». Page xy$. édition faite fuivant
la copie de VImprimerie royale.
« Qu’on ne dife donc point ( continue le même
auteur, qui parle au nom & avec l’aveu de Louis
X I V . ) » qu’on ne dife point que le fouverain ne
» foit pas fujet aux lois de fon état, puifque la pro-
» pofition contraire eft une vérité du droit des gens,
» que la flaterie a quelquefois attaquée , mais que
» les bons princes ont toujours défendue, comme
» divinité tutelaire defteurs états. Combien eft-il
» plus légitime de dire avec le face Platon, que la
» parfaite félicité d’un royaume eft qu’un prince foit
» obéi de fes fujets, que le prince obéiffe à la lo i,
» & que la loi foit droite, & toujours dirigée au bien
» public » ? Le monarque qui penfe & qui agit ainfi,
eft bien digne du nom de G r a n d ; & celui qui ne
peut augmenter fa gloire qu’en continuant une domination
pleine de clémence, mérite fans doute le
titre de B IE N -A IM É . Article de M. le Chevalier DE
Ja u c o u r t .
DESPUMATION, ( Pkarm. ) Voyez E c ü m e r .
DESSAIGNER LES CU IRS, ferme de Hongrieur^[m
fignifie les mettre tremper dans de l'eatt pour les nettoyer
de tout le fang qui pourroit s’y être attaché.
Ce n’eft qu’après avoir raie les cuirs fur le chevalet
que les Hongrieurs les mettent dejfaigner. Vyyez
C u ir s d e H o n g r i e . 1 -
DESSAISINE, f. f. ( Jurifpr. ) eft oppofé à faifine
qui fignifiepojfefion, ainfi dejfaifme veut dire dipof-
fejjion : on appelle coutumes de faijîne&c dejfaijînc celles
oh l’on pratique une efpece de mife en pofleflion
de la part du créancier fur les héritages hypothéqués
, pour donner la preference aux rentes confti-
tuées qui font enfaifinées fur celles qui ne le font
pas. Telles font les coutumes de Clermont en Beau-
voifis, de Senlis & de Valois. Dans la coutume d’Artois
on appelle entrée & iffue ce que dans les autres
coutumes on appellefaijine ÔC dejfifine. Voye^ ci-de-
Tome IV»
vànt C oütüméS d é Saisine , ci-àprh Ënsaisi-
nement, Rente & Saisine. (A ')
DESSAISIR ( se ) ( jurifpr. ) c’eft relâcher quelque
chofe que l’on a en fa pofleflion. Quand on fait
une faifie &c arrêt, on fait défenfe au riers-faifi de fe
deffaifir. des deniers qu’il a en fes mains, jufqu’à ce
que par juftice il en ait été ordonné. On fait les mêmes
défenfes à un gardien où autre dépolitaire dé
juftice : dans les contrats tranllatifs de propriété ,
on énonce ordinairement que celui qui aliéné s’eft
deffaiji & dévêtu de l’héritage , & qu’il en a faifi ôt
vêtu celui qui acquiert. Voyez Saisine 5* Possess
io n. ( . 4 )
DESSAISISSEMENT, f. m. ( Jurifpr.) c’eft lorf-
que l’on met hors de fes mains la propriété ou la
pofleflion de quelque chofe pour la tranlmettre à une
autre perfonne. Voyez à-^evaht D ès's aisine & D essaisir:
( A )
DESSAISONNER, V. aft. ( Jardin. ) c’eft avancer
ou retarder la fleuraifoii d’une fleur en la plantant
plutôt ou plûtard, en la forçant dé parôître par
de’s arrofemens compofés & des terres préparées»
DESSALER, v. aô. c’eft priver de fei.
D essaler , Voyèz Eau de mer.
D essaler le Salpêtre. Voyez SalpetrE.
DESSANGLER un cheval, ( Maréchal. ) c’eft lui
ôter les fangles oh lés lâcher. Voyez S a n g l é s » HDESSAUTEUR ; ( ÆJl. ant. ) c’eft lé noift
que les Grecs donnoient à Ceux qui reVéloient les
myfteres des Orgies de Baccbus , qui ne dévoient
point être connus du peuple. Voyez O r g i e s . w . 11 ■ ■ ■ I H
DESS A w , ( Geog. màd.) ville d’Allemagne , au
cercle de haute - Saxe ; elle èftfituée fur l’Élbe, dans
la province d’Anhalt. Long. 20. 2.5. lat. 5 t. 58.
DESSECHEMENT , f. m. fe dit en Medecine dé
l’état dans lequel eft le corps humain lorfqu’il eft
parvenu à une extrême vieillefle.
On employé aufli ce terme pour exprimer le dernier
degré de maigreur que l’on appelle maràfme.
Voyez D éc r é p itu d e , Marasme. (</)
DESSEIN, f. m. terme de Part de Peinture. Le mot
dejfein regardé comme terme de l’art de Peinture ,
fait entendre deux chofes : il fignifie en premier lieu
la production qu’un artifte met au jour avec le fe-
coursdu crayon ou de la plume. Dans une lignification
plus générale dont cette première dérive fans
doute , il veut dire Y art d'imiter par les traits les
formes que les objets préfentent à nos yeux.
C’eft dans ce dernier fens qu’on employé le mot
dejfein , lorfqu’on dit que le dejfein eft une des parties
effentielîes de la Peinture. Il s’eft élevé desdif-
putes affez vives , dans lefquelles il s’agiflbit d’établir
des rangs & une fubordination entre le deffein &
la couleur. On jugera facilement que ceux qui
étoient plus fenfibles. aux beautés du coloris qu’à
celles du dejfein, ou qui étoient amis d’un peintre
colorifte,donnoient la préférence à cette partie brillante
de l’art de peindre ; tandis que ceux qui étoient
affeôés différemment, ou qui croyoient les habiles
deflinateurs compromis, foûtenoient le parti contraire.
Que pouvoir-il arriver de-là ? ce qui réfulte
ordinairement des difcuflîons que la partialité produit
; elles n’ont aucune lolidité ; elles ne contribuent
point à la perfeélion des Arts , ni à ce bien
général que tout homme , qui fait ufage de fon ef-
prit, devroit avoir en vue ; elles ne méritent d’être
citées que comme des abus de l’efprit. L ’imitation
j générale de la nature , qui eft le but de la Peinture,
confifte dans l’imitation de 1a forme des corps, &
dans celle de leurs couleurs. Vouloir décider lequel
du dejj'ein ou de la couleur eft le plus effentiel à l’art
de peindre, c’eft vouloir déterminer lequel de l’ame