nue par teunanufcrits ; 1« copiftes dont on ètoït I
obligé de fe fervir pour les tranfcrire, etoient ordi-
nairement des gens peu exafts & ignorans : les tau-
tes qu’ils avoiént faites fe perpétuoient, lorlque lur
un même ouvrage on n’avoit pas plufieurs manul-
crits, afin de les comparer enfemble, ou lorlqu on
négligeoit de prendre cette peine. D ’ailleurs, du
tems de Gratien on recevoit avec vénération des
pièces fuppofées, entr’autres les fauffes décrétâtes ;
la difcipline qu’elles renferment étoit généralement
reconnue pour celle de l’Eglife, fur-tout dans 1 u-
niverfité de Bologne. Avoiions de plus, pour n e-
tre pas injuftes, qu’au milieu des fauffes autorités
qu’il allégué, ou de celles qu’il interprète mal, U
rapporte des canons & despaffages des faints peres ,
qui font un miroir fidele de l’ancienne difcipline ;
ainfi en féparant le vrai d’avec le faux, fon ouvrage
eft d’une grande utilité pour bien connoitre^ cette
difcipline que l’Eglife a preferite autrefois; quelle a
toûjours fouhaité & qu’elle fouhaite encore dere-
tenir, autant que les circonftances des tems & 'des
lieux le permettent, ou de rétablir dans les points
qui font négligés. Elle a dans tous les tems exhorte
les prélats de travailler à cette reforme, & a fait
des efforts continuels pour remettre en vigueur la
pratique des anciens ufages.
Après le tableau que nous venons de tracer, et
où nous avons raffemblé fous un point de vue facile
à faifir, les imperfections du recueil de Gratien, qui
ne s’étonnera de la prodigieufe rapidité avec laquelle
il parvint au plus haut degré de réputation ? cependant
à peine vit-il le jour, que les jurifconfultes &
les théologiens fe réunirent à lui donner la prereren-
be fur toutes les collerions précédentes : on 1 en-
feigna dans les écoles, on le cita dans les tribunaux,
on en fit ufage dans les nouveaux traités de junfpru-
dence & de théologie fcholaftique ; les compilations
des décrétales qui lui fuccéderent, en empruntèrent
pareillement beaucoup de chofes, ou y renvoyèrent,
comme au code univerfel des canons. On s embar-
raffa peu fi Gratien étoit conforme aux originaux
qu’il citoit, fi ces originaux étoient eux-mêmes authentiques
& non fuppoféÿ, ou du moins interpolés ;
il parut fuffifant de l’avoir pour garant de ce Tqoe 1 on
avançoit. Nous voyons que dans le cap. i . de capellis
monachorum in prima collectione, on attribue au concile
de Clermont fous Urbain II. un décret qui ne fe
trouve dans aucun des conciles tenus fous ce pape,
fuivant la remarque des correcteurs romains, au
canon II. catife xvj. quejl. 2. mais dans cet endroit^
Gratien avoit rapporté ce canon comme appartenant
à ce concile ; & dans le cap. x j . extra de renun-
tiat. le pape Innocent III. objefte l’autorité du faux
concile de Conftantinople tenu fous Photius contre
Ignace ancien patriarche de ce fiége, parce que Gratien
avoit cité le deuxieme canon de ce conciliabule
fous le nom du vrai concile de Conftantinople. C ’eft
ainfi que l’autorité de Gratien en impofoit ; & pour
en concevoir la raifon, il faut recourir aux circonftances.
Premièrement, la méthode dont il fe fert lui
fut avantageufe ; avant lui les compilateurs s’étôient
.contentés de rapporter fimplement les canons des
conciles, les decrets des papes , & les paffages tirés
foit des faints peres, foit des autres auteurs : mais
-Gratien voyant qu’il regnoit peu de conformité entre
ces canons & ces paffages, inventa pour les concilier
de nouvelles interprétations, & c’eft dans
cette vûe qu’il agite différentes queftions pour &
contre, & les réfout enfuite. Or la fcholaftique qui
traite les matières dans ce goût, avoit pris naiffance
•environ vers ce tems-là ; c’eft pourquoi la méthode
^ie Gratien dut plaire aux do&eurs de fonfiecle. En
•fécond lieu , Gratien ayant emprunté beaucoup de
•chofes des livres de Juftinien retrouvés en. i 137» &
qu’on commençoit de ion tems d’enfeigner publi*
quement dans les écoles de l’univerfité de Boulogne,
les dofteurs de cette univerfité ne purent qu’accueillir
favorablement un pareil ouvrage : or cette univerfité
étant la feule alors où floriffoit le droit romain
, le concours des étudians qui y venoient de
toutes parts étoit prodigieux. Ils virent que fur le
droit canonique les profeffeurs fe bornoient à expliquer
& commenter le decret, & de-là ils eurent in-
lenfiblement pour ce recueil une grande eftime.
Lorfqu’après avoir , fini leur cours d’études ils retournèrent
dans leur patrie, ils y répandirent l’idée
favorable qu’ils avoient prife du decret, & de cette
maniéré il devint célébré chez toutes les nations
policées. Mais ce qui contribua le plus à fon fuc:cès,
ce fut l’ufage que fit Gratien des fauffes décrétales
fabriquées par Ifidore, àdeffein d’augmenter la puif-
fance du pape, & des autres pièces fuppofées, tendantes
au même but, que celui-ci n’avoit ofé hafar-
der de fon tems ; ainfi l’ouvrage de Gratien fut extrêmement
agréable aux fouverains pontifes & à
leurs créatures : il n’eft donc pas étonnant qu’ils fe
foient portés à le faire recevoir par-tout avec autant
d’ardeur qu’ils en avoient eu auparavant pour la col-
leftion d’Ifidore. • • j
La célébrité même du decret fut ce qui excita dans
la fuite plufieurs favans à le revoir avec foin, pour
en corriger les fautes. Il parut honteux que ce qui
faifoit le corps du droit canonique, demeurât ainfi
défiguré. Vers le milieu du feizieme fiecle, MM. de
Monchy & Leconte, l’un théologien, & l’autre pro-
feffeur en droit, furent les premiers qui fe livrèrent
à ce pénible travail. Ils enrichirent cette colleftion
de notes pleines d’érudition, dans lefquelles ils restituèrent
les inferip/tions des canons , & diftingue-
rent les vrais canons des apocryphes. M. Leconte
avoit joint une préface où il montroit évidemment
que les lettres attribuées aux fouverains pontifes
qui ont précédé le pape Sirice, étoient fuppofées. Il
confia-fon manuferit à une perfonne , qui le fit imprimer
à Anvers l’an 1570, mais entièrement mutilé
& imparfait. Cette édition eft dé fe& u eu feen ce
qu’on y a confondu les notes.de MM. de Monchy &
Leconte, quoiqu’elles foient très-différentes, & fe
combattent quelquefois. De plus, le cenfeur des
livres s’imaginant que la préface portoit atteinte à
l’autorité légitime du pape, en retrancha beaucoup
de morceaux ; il s’y prit néanmoins fi mal-adroite-
ment, qu’il nous refte des preuves certaines de . fa
fupercherie. Cette préface de M. Leconte eft rap-
pellée dans quelques-unes de fes notes. Par exemple,
furie canonI. caufe xxx. quejl. 5. qui eft tiré
de la fauffe decrétale du pape Evarifte, M. Leconte
fait cette remarque : tous les decrets qui portent le nom
de ce pape, doivent être regardés comme fuppofés, ainji
que je ! ai fait voir dans ma préface. Nous avons d’ail- .
leurs un long fragment de cette même préface à la
tête du tome IV . des oeuvres de Charles Dumoulin,
édit, de Paris de iGSi . On y Retrouve le jugement
que-porte M. Leconte fur les fauffes décrétales &
les autres monumens apocryphes employés par Gratien.
Un pareil jugement lui fait d’autant plus d’honr
neur, que le flambeau de la critique n’avoit pas encore
diflipé les ténèbres profondes de l’ignorance où
l’on étoit plongé à cet égard. -
On vit bientôt fuccéder d’autres correfhons, tant
à Rome qu’en Efpagne, à celle qu’avoient faite
MM. de Monchy & Leconte. Les papes Pie IV . &
Pie V. avoient d’abord conçu ce deffein , & choifi
pour l’exécuter quelques perfonnes habiles ; mai*
les recherches qu’entraînoit après elle une revifion
exatte étoient fi confidérables, que du tems de ces
fouverains pontifes on ne put rien achever. A la
mort de Pie V . on éJeYa fur le faint fiége Hugues
Buoncomp-
Bnoncompagno, qui prit à fon avènement le nom
de Grégoire XIII. Il étoit de Boulogne, & y avoit
•profeffe le droit canonique. Étant enfuite parvenu
au cardinalat, il fut un de ceux qu’on chargea de
corriger le decret. Ce fut foùsffon pontificat qu’on mit
la dernieremain à cette grande entreprife. Dans le
tems qu’on s’y appliquoit à Rome, Antoine Auguftin
travailloit de fon côté en Efpagne , & écrivoit fur
ce fujet deux livres de dialogues. Il étoit à la fin de
Eoti ouvrage quand on lui apporta l’édition de Rome,
ce qui lui fit compofer des additions qu’il plaça à la
fuite de- chaque dialogue, & on y retrouve les corrections
romaines. Ces deux livres de dialogues ont
été réimprimés par les foins de M. Baluze , qui y a
joint des notes, tant fur Antoine Auguftin que fur
Gratien. Elles fervent fur-tout à indiquer les .différentes
leçons des plus anciens exemplaires de Gratien
, foit imprimés, foit manuferits.
Pour parvenir au but qu’on fe propofoit à Rome,
de purger le recueil de Gratien de toutes les fautes
dont il étoit rempli, on fouilla dans la bibliothèque du
-Vatican,dans celle du monafterç de S. Dominique, &c
dans plufieurs autres.On invita les fçavans de tous les
•pays à faire la même chofe , & à envoyer à Rome
leurs découvertes. Ces précautions ne furent point
inutiles ; on réulïit en grande partie à remettre
chaque chofe dans le vrai rang qu’elle devbit occuper
dans cette colleâion ;r c’eft-à-dire qu’on
diftingua avec affez d’exaCtitude cé qui appartenoit
aux conciles généraux, aux papes, aux conciles
provinciaux &c aux faints peres. L’avertiffement au
leCteur qui eft à la tête du decret, annonce le plan
qu’on a lùivi dans la revifion qu’on en a faite , foit
pour reftituer les véritables inlcriptions des canons;
foit pour corriger le texte même. A l’égard de la ref-
titution des inlcriptions, fi l’erreur étoit évidente ,
& fi quelques exemplaires de Gratien s’accordoient
avec la véritable infeription & la citation faite par
-les autres compilateurs, on ne balançoit pas dans
ce cas d’ôtèr la fauffe infeription, & de fubftituer la
•vraie à fa place. Si le canon , quoique de l’auteur
•cité par Gratien , fe trouvoit pareillement dans un
^utre auteur (car fouvent les mêmes fentences fe
rencontrent dans plufieurs auteurs) , alors on rete-
lioit la citation de Gratien , & on le contentoit d’indiquer
l’endroit où l’on trouvoit le même canon
dans un autre auteur ; & comme quelquefois il arrive
qu’une partie du canon foit de l’auteur cité, &
l’autre n’en foit pas , ou du moins que les paroles en
•foient fort changées, on a eu foin de prévenir le
leCteur fur toutes ces chofes ; & de plus on a noté en
•marge les endroits où fe trouvoit ce même canon
• dans les autres compilateurs, fur-tout dans ceux qui
ont beaucoup fervi à réformer Gratien.
Quant à la correction du texte, voici la méthode
qu’on a obfervée. i° . On n’a point changé les com-
mencemens des canons ; mais lorfqu’ils différoient
de l’original, on a mis à la marge ou dans une note
,1a vraie leçon. La précaution de retenir les com-
mencemens des canons étoit néceffaire , parce que
jufqu’au tems de M. Leconte, qui le premier a distingué
les canons par chiffres, on les citoit par les
premiers mots ; enlorte que fans cette précaution on
auroit eu peine à trouver dans les compilateurs plus
anciens, les endroits de Gratien rapportés par M.
Leconte. z°. On a eu cet égard pour la glofe, qu’on
n’a point changé le texte , toutes les fois que le
changement pouvoit empêcher de fentir ce que la
glofe avoit voulu dire; mais on a indiqué feulement
la faute à la marge ou en note. Si le changement du
•texte ne produifoit pas cet inconvénient, on fe dé-
terminoit pour lors fuivant l’intention que Gratien
paroiffoit avoir eue. S’il ièmbloit avoir voulu rapporter
les propres termes des auteurs qu’il citoit, on
Tome l y %
les corrigèoit d’après l’original.; quelquefois même,’
fi cela étoit très-utile, on ajoütoit quelques mots :
mais fi la leçon vulgaire paroiffoit la meilleure, on
la confervoit, & on mettoit en marge le texte original.
Si l’intention de Gratien n’étoit pas de rapporter
les mêmes paroles, mais feulement un fom-
maire qu’il eût fait lui-même, ou Y ves de Chartres,
ou queîqu’autre compilateur,, alors on corrigèoit ,
ou ori n’ajoütoit prefque rien, à moins qu’il ne parût
très-utile de reftituerla leçon de l’endroit d’où Gratien
avoit tire ce qu’il;rapportoit. Enfin on a répété
très-fou yen t x e tte note, qu’o/z a rapporté les termes
de l'original ', afin que cela n’échappe point au lecteur,
& qu’il puiffe s’épargner la peine d’aller con-
fulter les. originaux. Tel eft le plan auquel les cor-
refteurs romains fe font conformés exa&ement, 6c
dont :on a la-preuve dans le texte des notes, & dans
les différences qui fe rencontrent entre le decret corrigé
& celui qui ne l’eft pas.
Ori préfume aifément que la corre&ion du decret
de Gratien fut agréable-aux fçavans; mais ils trour
verent qu’on avoit péché dans la forme en plufieurs
points. Ils auroient fur-tout defiré qu’on n’eût pas
altéré Jés anciennes & vulgaires leçons de Gratien j
& qu’on fe fût contenté d’indiquèr fes variantes, en
laiffant au leâeur.la faculté de juger par lui-même
laquelle de ces leçons étoit la plus vraie. Cette variété
de leçons auroit quelquefois fervi, foit,à éclaircir
l’obfcurité d’un canon, fo ità lever les doutes
.qu’il préfente, foit à découvrir l’origine de la leçon
employée par des auteurs plus anciens. On crut encore
qu’il ri’étoit pas cqnvenable que les corrë&eurs
romains: enflent pris fur eux de changer l’infcription
de Gratien, quoiqu’elle fe trouvât quelquefois constamment
la même dans tous les exemplaires , foit
imprimés foit manuferits. En effet, il eft arrivé de-là
qu’on a fouvent fait dire à Gratien autre chofe
que ce qu’il avoit en vûe ; le canon iij. de la diftinc-
tion 54e. ep fournit une preuve. Dans toutes les
anciennes éditions il y a cette infeription, ex concilia
Moguntienji, fi ce n’eft: que MM. de Monchy &
Leconte au lieu de Moguntienji mettent. Guntinen(î>
& ils remarquent à la marge que ce canon eft tiré du
canon 8^. du premier concile de Carthage. Les cor-
re&eurs romains voyant que cette obfervation étoit
jufte, ont effacé l’infcription qui fe trouve dans toutes
les éditions, & ont fubftitué celle-ci, ex concilio
Carthaginenji primo, ce qui ne devoit être mis qu’en
marge, comme avoient fait MM. de Monchy & Leconte.
A la vérité dans la note qui eft au-deffous,
ils font mention de l’ancienne infeription, & indiquent
la fource d’où la correûion eft tirée ; mais ils
n’ont pas toûjours eu pareille attention dans toutes
les occafions : prenons pour exemple le canon 34.
de la diftinâionço. qui a cette infeription dans toutes
les anciennes éditions, Rabanus archiepifcopus feribit
ad Heribaldum. Les corre&eurs romains ont ajoûté ,
lib. pcenitentidli, cap. i°. fans faire aucune mention
que c’étoit une addition de leur part. Or cette infeription
non-feulement n’eft point celle de Gratien ,
mais elle eft fauffe en elle-même , tandis que l’inf-
cription de Gratien étoit la vraie. Il n’y a aucun livre
pénitenciel de Raban qui foit adreffe à Héribalde ;
mais nous avons une lettre de lui à ce même Héribalde
, où l’on trouve ce canon au chap. x. & nbn
au premier. Voye^ là-deffus M. Baluze, tant dans fes
notes fur ce canon, que dans fa préface fur cette
lettre de Raban. D e même l’infcription du canon j v .
de la diftinûion 68. fuivant la correâion romaine ,
eft : de his ita feribit Léo primus ad epifeopos Germanice
& Gallioe. Cette infeription eft non-feulement contraire
à celle de toutes les éditions de Gratien, elle
eft encore manifeftement fauffe. Il eft certain par la
teneur de la lettre, qu’on ne peut l’attribuer à S. Léon
X X x x