formation de chaque lettre particulière, de peur de
m’expofer aux railleries de madame Jourdain & à
celles 4e Nicole. Voye^ le Bourgeois gentilhomme de
Moliete. Mais comme la méchanique de la voix eft
Ain fujet intéreffant * que c’eft principalement par la
parole que nous vivons en lociété, que d’ailleurs un
di&ionnaire eft fait pour toutes fortes de perfonnes,
& qu’il y en a un allez grand nombre qui feront bien-
aifes de trouver ici fur cepoint des connoiffances qu’ils
n’ont point acquifes dans leur jeuneffe ; j’ai cru
devoir les dédommager de cette négligence, en leur
donnant une idée générale de la méchanique de la
v o ix , ce qui d’ ailleurs fera entendre plus aifémênt
la différence qu’il y a entre la confonne & la voyelle.
D ’abord il faut obferver que l ’air qtii fort des pouvions
eft la matière de la vo ix, c’eft-à-dire du chant
& de la parole. Lorfque la poitrine s’élève par l’action
de certains mufcles, l’air extérieur entre dans
les véficules des poumons, comme il entre dans une
pompe dont on éleve le pifton.
Ce mouvement par lequel les poumons reçoivent
l’air, eft ce qu’on appelle inspiration*
Quand la poitrine s’affaiffe, l’air fort des poumons
; c’eft ce qu’on nomme efpiration.
Le mot de rejpiration comprend l’un & l’autre
de ce s mouvemens ; ils en font les deux efpeces.
Le peuple croit que le gofier fert de paffage à l’air
& aux alimens ; mais l’Anatomie nous apprend qu’au
fond de la bouche commencent deux tuyaux ou conduits
différens , entourés d’une tunique commune.
L’un eft appelle éfophage , ourotpàyoç , c’eft-à-dire
porte-manger, c’eft par où les alimens paffent de la
bouche dans l’eftomac ; c’eft le gofier. •
L’autre conduit, le feul dont la cortnoiffance appartienne
à notre fujet, eft fitûé à la partie antérieure
du cou ; c’eft le canal par où l’air extérieur
entre dans les poumons & en fort : on l’appelle tra-
chée-artere ; trachée, c’eft-à-dire rude, à caufe de fes
cartilages ; t , féminin de tpaxvç, afper ; artere,
d’un mot grec qui lignifie réceptacle, parce qu’en effet
ce conduit reçoit & fournit l’air qui fait la voix :
eîornp'iei TTctpa to ctipet typsiv , garder l'air.
On confond communément l’un & l’autre de ces
conduits fous le nom de gofier, guttur, quoique ce
mot ne doive fe dire que de l’éfophage ; les Grammairiens
même donnent le nom de gutturales aux
lettres que certains peuples prononcent avec une
afpiration forte, & par im mouvement particulier
de la trachée-artere^
Les cartilages & les mufcles de la partie fupérieure
de la trachée-artere forment une efpece de tête, ou
une forte de couronne oblongue qui donne paffage
à l’air que nous refpirons ; c’en: ce que le peuple appelle
la pomme ou le morceau,d’Adam. Les Anato-
miftes la nomment larynx , yâpvy^ , d’oii vient x<t-
pv(a , clamo, je crie. L’ouverture du larynx eft ap-
pellée glotte, yxSfla ; & fuivant qu’elle eft refferrée
ou dilatée par le moyen de certains mufcles, elle
forme la voix ou plus grêle, ou plus pleine.
Il faut obferver qu’au-deffus de la glotte il y a
une efpece de foûpape , qui dans le tems du paffa-
ge des alimens couvre la glotte ; ce qui les empêche
d’entrer dans la trachée-artere, on l’appelle épiglotte
; «VJ , fuper, fu t , & yXiïfht OU yXunlk-
M. Ferrein, célébré anatomifte, a obfervé à chaque
levre de la glotte une efpece de ruban large d’une
ligne, tendu horifontalement ; l’aétion de l’air
qui paffe par la fente ou g lotte, excite dans ces rubans
des vibrations qui Tes font fonner comme les
cordes d’un infiniment de mufique : M. Ferrein appelle
ces rubans cordes vocales. Les mufcles du larynx
tendent ou relâchent plus ou moins ces cordes
vocales ; ce qui fait la différence des tons dans le
chant, dans les plaintes, & dans les cris. Voye^ le
Mémoire de M. Ferrein, Hifloke dé l'academie des
Sciences , année 1741. pag. 4o.ÿv...
Les poumons., la trachéér-artere ,.le larynx, la
glotte, & fes cordes vocales,;font les premiersorganes
de la voix ; auxquels il faut ajouter le palais ,
e’eft-à-dire la partie fupérieure & intérieure de la
bouche, les dents,.les levres , la langue, &c même
ces deux ouvertures qui font au fond du palais, &C
qui répondent aux narines ; elles donnent paffage
à l’air quand la bouche eft fermée.
Tout air qui fort de la trachée - artere n’excite
pas pour cela du fon ; il faut pour produire cet effet
que l’air foit pouffé par une: impulfion particulière
, & que dans le tems de fon paffage il foit
rendu fonore par les organes'de la parole : ce qui
lui arrive par deux caufes différentes;
Premièrement, Pair étant pouffé avec plus ou
moins de violence par les poumons, il eft rendu
fonore par la feule fituation oit fe trouvent les organes
de la bouche. Tout air pouffé qui fe trouve
rêfferré dans un paffage dont les parties font difpo-
fées d’une certaine maniéré, rend un fon ; c’eft ce
qui fe paffe dans lesinftrumens à v en t, tels que l’orgue
, la flûte t &c.
En fécond lieu, l’air qui fort de la trachée - artere
eft rendu fonore dans fon paffage par l’aâion ou
mouvement de quelqu’un des organes de la parole ;
cette action donne à Pair fonore une agitation & un
trémouffement momentanée, propre à faire entendre
telle ou telle confonne : voilà deux caufes qu’il faut
bien diftinguer ; i°. fimple fituation d’organes ; 20.
aétion ou mouvement de quelque organe particulier
fur Pair qui fort de la trachee-artere.
Je compare la première maniéré à ces fentes qui
rendent fonore le vent qui y paffe, & je trouve qu’il
en eft à-peu-près de la fécondé, comme de l’effet
que produit l’aâion d’un corps folide qui en frappe
un autre. C ’eft ainfi que la confonne n’eft entendue
que par i’aûion de quelqu’un des organes de la parole
fur quelque autre organe, comme de la langue
fur le palais ou fur les dents, d’où réfulte une modification
particulière de Pair fonore.
Ainfi Pair pouffé par les poumons, & qui fort par
la trachée-artere, reçoit dans fon paffage différentes
modifications & divers trémouffemens, foit par la
fituation, foit par l’aétion des autres organes de la
parole de celui qui parle ; & ces trémouffemens pan-
venus jufqu’à l’organe de l’oüie de ceux qui écoutent
, leur font entendre les différentes modulations
de la voix & les divers fons des mots , qui font les
lignes de la penfée qu’on veut exciter dans leur ef-
prit.
Les différentes fortes de parties qui forment l’en-
femble de l’organe de la voix, donnent lieu de comparer
cet organe félon les différens effets de ces parties
, tantôt à un inftrument à vent, tel que Porgue
ou la flûte ; tantôt à un inftrument à corde, tantôt
enfin à quelqu’autre corps capable de faire entendre
un fon , comme une cloche frappée par fon battant,
ou une enclume fur laquelle on donne des coups de
marteau.
Par exemple s’agit-il d’expliquer la voyelle , on
aura recours à une comparaifon tirée de quelque
inftrument à vent. Suppofons un tuyau d’orgue
ouvert, il eft certain que tant que ce tuyau demeurera
ouvert, & tant que le foufflet fournira de vent
Ou d’air, le tuyau rendra le fon, qui eft l’effet propre
dé l’état & de la fituation où fe trouvent les
parties par lefquelles Pair paffe. Il en eft de même
de la flûte ; tant que celui qui en joiie y fouffle de
l’air on entend le fon propre au trou que les doigts
laiffent ouvert : le tuyau d’orgue ni la flûte n’agif-
fent point, ils ne font que fe prêter à Pair pouffé, &
demeurent dans l’état où cet air les trouve.
•. Voilà précifément la voyelle. Chaque voyelle
exige que les organes de la bouche.foient dans la fituation
requife pour faire prendre à Pair qui fort de
la trachée-artere la modification propre à exciter Je
fon de telle ou telle voyelle. La fituation qui doit
faire entendre l’a , n’eft pas la même que celle qui
doit exciter le fon de Pi ; ainfi des autres.
Tant que la fituation des organes fubfifte dans le
même état, on entend la même voyelle aufli long-
tems que la refpiration peut fournir d’air. Les poumons
font à cet égard ce que les foufflets font à l’orgue.
•
Selon ce que nous venons d’obferverI il fuit que
Je nombre des voyelles eft bien plus grand qu’on ne
le dit communément.
Tout fon qui ne réfulte que d’une fituation d’organes
fans exiger aucun battement ni mouvement
qui furvienne aux parties de la bouche, & qui peut
être continué aufli long - tems que l’efpiration peut
fournir d’air ; un tel fon eft une voyelle. Ainfi a , â -,
é , à, ê, i , o , o , u ou eu , &c fa foible e muet, &
les nasales an, en, &c. Tous ces fons-là font autant
de voyelles particulières, tant celles qui ne font
écrites que par un feul caraétere, telles que a , e , i ,
o , k ,-que celles qui, faute d’un caraûere propre,
font écrites par plufieurs lettres, telles que ou, eu,
oient, &c. C e n’eft pas la maniéré d’écrire qui fait la
voyelle , c’eft la fimplicité du fon qui ne dépend que
d’une fituation d’organes, & qui peut être continué :
ainfi au, eau, ou, eu, ayent, &c. quoiqu’écrits par
plus d’une lettre, n’en font pas moins de fimples
voyelles. Nous avons donc la voyelle « & la voyelle
ou; les Italiens n’ont que You, qu’ils écrivent par le
fimple u. Nous avons de plus la voyelle eu ,feit, lieu;
l’e muet en eft la foible, & eft aufli une voyelle particulière.
Il n’en eft pas de même de la confonne; elle ne dépend
pas comme la voyelle d’une fituation d’organes
, qui puiffe être permanente , elle eft l’effet
d’une aétion paffagere , d’un trémouffement,
Ou d’un mouvement momentanée [ écrivez momentanée
par deux ee, telle eft l’analogie des mots fran-
çois , qui viennent de mots latins eu, eus, c’eft ainfi
que l’on dit lés champs élifées , les monts pyrenées, le
col fé e , & non le colije, le fleuve alphée, & non le
fleuve alphé, fluvius alpheus. Voyt{ le diclionn. de
l ’Académie, celui de Trévoux, & celui de Joubert aux
mots momentanée & fpontanée ] de quelque organe
de la parole, comme de la langue, des levres, &c.
enforte que fi j’ai comparé la voyelle au fon qui réfulte
d’un tuyau d’orgue ou du trou d’une flûte, je
croi pouvoir comparer la confonne à l’effet que pro-^
duit le battant d’une cloche, ou le maçteau fur l’enclume
; fourniffez de l’air à un tuyau d’un orgue ou
au trou d’une flûte, vous entendrez toûjôurs le même
fon , au lieu qu’il faut répéter les coups du battant
de la cloche & ceux du marteau de l’enclume :
pour avoir encore le fon qu’on a entendu la première
fois ; de même fi.vous ceffez de répéter le
mouvement des levres qui a fait entendre le be ou
le pe ; fi vous ne redoublez point le trémouffement
de la langue qui a produit le re, on n’entendra plus
ces confonnes. On n’entend de fon que par les trémouffemens
que les parties fonores de l’air reçoivent
des divers corps qui les agitent : or l’aélion
des levres ou les agitations de la langue , donnent
à l’air qui fort de la bouche la modification propre
à faire entendre telle ou telle confonne. Or fi après
une telle modification , l’émiflion de l’air qui l’a reçue
dure encore, la boucl^ demeurant neceflaire-
ment ouverte pour donner paffage à l’air, & les
organes fe. trouvant dans la fituation qui a fait entendre
la voyelle , le fon de cette voyelle pourra
être continue aufli long-tems que l’émiflion de l’air
durera ; au lieu que le fon de la confonne n’eft plus
entendu après l’a&ion de l’organe qui l’a produite.
L’union ou combinaifon d’une confonne avec une
voyelle, nerpeut fe faire que par une même émiflion
de voix ; cette union eft appellée articulation. Il y a
des articulations fimples , & d’autres qui font plus
ou moins compofees : ce que M. Harduin fecrétaire
de la fociete littéraire d’Arras, a extrèmement’bien
développé-dans un mémoire particulier. Cette combinaifon
fe fait d’üne maniéré fucceffive & elle ne
peut être que momentanée. L’oreille diftingue l’effet
du battement & celui de la fituation : elle entend
feparement l’un après l’autre : par exemple, dans la
fyllabe ba, l’oreille entend d’abord le b , enfuite l’a;
& l’on garde ce même ordre quand on écrit les let-
tres qui font les fyllabes, &c les/yllabes qui font les
mots.
„ Enfin cette union eft de peu de durée, parce qu’il
ne feroit pas poffible que les organes de la parole
fuffent en même tems en deux états, qui ont chacun
leur effet propre & différent. Ce que nous venons
d’obferver à l’égard de la confonne qui entre dans la
compofition d’une fyllabe, arrive aufli par la même
raifon dans les deux voyelles qui font une diphtongue,
comme'«!, dans lui, nuit, bruit, &c. L'u eft
entendu le premier, & il n’y a que le fon de l’i qui
puiffe être continué, parce que la fituation des organes
qui forme l’i , a fuccéde fubitement à celle qui
avoit fait entendre l’u.
L’articulation ou combinaifon d’une confonne avec
une voyelle fait une fyllabe ; cependant une feule
voyelle fait aufli fort louvent une fÿllabe. La fyllabe
eft un fon ou fimple ou compofe, prononcé par
une feule impulfion de vo ix , a-jou-té, ré-u-ni, cré-é9
cri-a, il-y-a.
Les fyllabes qui font terminées par des confonnes
font toûjours fuivies d’un fon foible, qui eft regardé
comme un e mâet ; c’eft le nom que l’on donne à
l’effet de la derniere ondulation ou du dernier tre-
mouffement de l’air fonore, c ’eft le dernier ébranlement
que le nërf a,uditif reçoit de cet air : je veux
dire que cet e muet foible n’éft pas de même nature
qife l’e muet excité à deffeiii, tel que l’e de la fin des
mots vu-e, vi-e, àc tels que font tous les e de nos rimes
féminines,. Ainfi il y a bien de la différence entre
le fon foible que l’on entend à la fin du mot Michel
& le dernier du mot Michèle, entre bel & belle,
entre coq & coque , entre Job &C robe; bal & balle ,
cap & cape , Siam & ame , &c.
S’il y a dans un mot plufieurs confonnes de fuite ,
il faut toûjours fuppofer entre chaque confonne cet e
foible & fort bref", il;eft comme le fon que l’on diftingue
entre chaque coup de marteau quand il y en
a plufieurs quf fe fuivent d’aufli près qu’il eft poffible.
Ces réflexions font voir que l’e muet foible
eft dans toutes les langues.
Recueillons de ce que nous avons d i t , que la
voyelle eft le fon qui réfulte de la fituation où les
organes de la parole fe trouvent dans le tëriïs que
l’air de la voix fort de la trachée-artere, & que là
confonne eft l’effet de la modification paffagere que
cet air reçoit de l’aâion momentanée de quelque
organe particulier de la parole.
C ’eft relativement à chacun de ces organes, que
dans toutes les langues on divife les lettres en certaines
claffeS où elles font nommées du nom de l’organe
particulier, qui paroît contribuer le plus à leur
formation. Ainfi les unes font appellées labiales ,
d’autres linguales , ou bien palatiales, ou dentales,
ou natales, ou gutturales. Quelques-Unes peuvent
être dans l’une & dans l’autre de ces claffes, lorfque
divers organes concourent à leur formation,
i°. Labiales, b, p , f , v , m.
z°, Linguales, d , t , n , / , r.