moyen la langue latine pourroit devenir en quelque
forte la commune'melure de toutes les autres. Cette
confidération mérite fans doute beaucoup d’égard ;
néanmoins il faut obfer.ver que le latin étant une
langue morte, nous ne fommes pas toujours auffi à
portée de connoître le fens précis & rigoureux de
chaque terme , que nous le fommes dans une langue
étrangère vivante ; que d’ailleurs il y a une infinité
de termes, de fciences, d’arts, d’oeconomie do-
meftique , de converfation, qui n’ont pas d’equiva-
lent en latin ; 6c qu’enfin nous fuppofons que le dictionnaire
foit l’ouvrage d’un homme très-verfe dans
les deux langues, ce qui n’eft ni impoffible, ni meme
fort rare. Enfin, il ne faut pas s’imaginer que quand
on traduit des mots d’une langue dans l’autre , il
foit toujours pofïible, quelque verlé qu’on foit dans
les deux langues , d’employer des équivalens exafts
6c rigoureux; on n’a fouvent que des à-peu-près.
Plufieurs mots d’une langue n’ont point de correspondant
dans une autre , plufieurs n’en ont qu’en
apparence , 6c different par des nuances plus ou
moins fenfibles des équivalens qu’on croit leur donner.
Ce que nous difons ici des mots, eft encore plus
vrai 6c plus ordinaire par »apport aux tours ; il ne
faut que l'avoir, même imparfaitement, deux langues
, pour en être convaincu : cette différence d’ex-
preffion ■ & de conftruttion conftitue principalement
ce qu’on appelle Le génie des langues, qui n’eft
autre chofe que la propriété d’exprimer certaines
idées plus ou moins heureufement. Voye[ fur cela
une excellente note que M. deVoltaire a placée dans
fon difcours à I académie Françoife , tome II. de fes
ceuyres, Paris rySt » Page 12.1. Voye^ auffi L angue ,
T r a d u c t io n , ^ .
La difpofition des mots par racines, eft plus difficile
6c moins néceffaire dans un dictionnaire de langue
vivante, que dans un dictionnaire de langue
mo;te ; cependant comme il n’y a point de langue
qui n’ait des mots primitifs & des mots dérivés , je
crois que cette dilpofition , à tout prendre , pourroit
être utile, 6c abregeroit beaucoup l’étude de la
langue , par exemple celle de la langue angloife,
qui a tant de mots compofés, 6c celle de l’italienne
, qui a tant de diminutifs, & d’analogie avec
le latin. A l’égard de la prononciation de chaque
mot, il faut auffi la marquer exattement, conformément
à l ’orthographe de la langue dans laquelle on
traduit, & non de la langue étrangère. Par exemple,
on fait que Ve en anglois fe prononce fouvent comme
notre i.j ainfi au mot fphere on dira que ce mot
fe prononce fphire. Cette derniere orthographe eft
relative à la prononciation françoife, 6c non à i’an-
gloife ; car Vi en. anglois fe prononce quelquefois
comme aï : ainfi fphire, fi on le prononçoit a l’an-
gloife , pourroit faire Jpkaïre.
Voilà tout ce que nous avions à dire fur les dictionnaires
de langue. Nous n’avons qu’un mot à ajouter
fur les dictionnaires de la langue françoife traduits
en langue étrangère, foit morte, foit vivante.
Nous parlerons de l’ulage des premiers àl 'article Lat
i n i t é ; 6c à l’égard des autres, ils ne ferviroient
(fi on s’y bornoit) qu’à apprendre très - imparfaité-
menf la langue ; l’étude des bons auteurs dans cette
langue , 6c le.çoijirnerce de ceux qui la parlent bien,
font le feu! moyen d’y faire de véritables 6c folides
progrès.
Mais en général le meilleur moyen d’apprendre
promptement une langue quelconque, c’eft de fe
mettre d’abord dans la mémoire le plus de mots qu’il
eft poffibîe : avec cette provifion 6c beaucoup de
leéture, on apprendra la l'yntaxe par le i'cul ufage,
fur-tout celle de plufieurs langues modernes, qui
eft fort courte ; 6c on n’aura guere befoin de lire des
livres de Grammaire, fur - tout li on ne veut pas
écrire ou parler la langue , & qu’on fe contente de
lire les auteurs; car quand il ne s’agit que d’entendre
, 6c qu’on connoît les mots , il eft prefque toujours
facile de trouver le fens. Voulez-vous donc
apprendre promptement une langue , 6c avez-vous
de la mémoire? apprenez un dictionnaire, fi vous
pouvez, 6c lifez beaucoup ; c’eft ainfi qu’en ont ufé
plufieurs gens de lettres.
D i c t i o n n a i r e s h i s t o r i q u e s . Les dictionnaires
de cette .efpece font ou généraux ou particuliers j
& dans l’un & l’autre cas ils ne font proprement
qu’une hiftoire générale ou particulière, dont les
matières font diftribuées par ordre alphabétique.
Ces fortes d’ouvrages font extrêmement commodes,
parce qu’on y trouve, quand ils font bien faits, plus
aifément même que dans une hiftoire fuivie , le$
choies dont on veut s’inftruire. Nous ne parlerons
ici que des dictionnaires généraux , c’eft-à-dire qui
ont pour objet l’hiftoire univerfelle ; ce que nous
en dirons , s’appliquera facilement aux dictionnaires
particuliers qui fe bornent à un objet limité.
Ces dictionnaires renferment en général trois
grands objets; l ’Hiftoire proprement dite, c’eft-à-
dire le récit des évenemens ; la Chronologie, qui
marque, le tems où ils font arrivés ; & la Géographie
, qui en indique le lieu. Commençons par l’Hif-
toire proprement dite.
L’hiftoire eft ou des peuples en général, ou des
hommes. L’hiftoire des peuples renferme celle de
leur première origine , des pays qu’ils ont habités
avant celui qu’ils poffedent a&uellement, de leur
gouvernement paffé 6c prêtent , de leurs moeurs,
de leurs progrès dans les Sciences & dans les Arts »
de leur commerce, de leur induftrie, de leurs guerres
: tout cela doit être expofé fuccintement dans
un dictionnaire, mais pourtant d’une maniéré fuffi-
fante, fans s’appefantir fur les détails , 6c fans né;*
gliger ou paffer trop rapidement les cjrconftances
eflentielles : le tout doit être- entremêlé des réflexions
philofophiques que le fujet fournit, car la Phi-
lofophie eft l’ame de l’Hiftoire. On ne doit pas oublier
d’indiquer les auteurs qui ont le mieux écrit
du peuple dont on parle, le degré de foi qu’ils méritent
, 6c l’ordre dans lequel l’on doit les lire pour
s’inftruire plus, à fond.
L’hiftoire des hommes comprend les princes , îes
grands, les hommes célébrés parleurs taleris & par
leurs aftions. L’hiftoire des princes doit être plu$
ou moins détaillée, à proportion de ce qu’ils ont fait
de mémorable ; il en eft plufieurs dont il faut fe
contenter de marquer la naiffance & la mort, 6ç
renvoyer pour ce qui s’eft fait fous- leur régné, aux
articles de leurs généraux & de leurs miniftres. C ’eft
fur-tout dans un tel ouvrage qu’ il faut préparer les
princes vivans à ce qu’on dira d’eux , par la maniéré
dont on parle des morts. Car comme un dictionnairç
hiftorique eft un livre que prefque tout le mondé
fe procure pour fa commodité , 6c qu’on confulte à
chaque inftant, il peut être pour les princes une leçon
forcée , 6c par conféquérit pluss.ûre que l’hif-
toire. La vérité, fi on peut parler ainfi, peut entrer
dans ce livre par toutes les portes; 6c elle le doit,
puifqu’elle le peut.
On en ufera encore plus librement pour les grands.
On fera fur-tout très - attentif fur la vérité des généalogies
: rien fans doiite n’eft plus' indifférent eri
foi-même ; mais dans l’etat où font aujourd’hui Ie§
chofes , rien n’eft quelquefois plus néceffaire. On
aura donc foin de la donner exaâre, 6c fur-tout de
ne la pas faire remonter au-delà de ce que prouvent
les titres Certains. On acculé Morery de n’avoir pas
etc affez fcrupuleux liir cet article. La connoiffancç
des généalogies emporte celle du bla on , dont nos
ayeux ignorans ont jugé à-.propos de faire une lcience
, & qui malheureufement en eft devenue une
parce qu’on a mieux aimé, comme l’obferve M.
Fleury, dire gueule &cJïnople , que rouge 6c verd. Les
anciens ne cônnoiffoient pas cette nouvelle livrée de
la vanité ; mais les hommes iront toujours en fe
perfectionnant de ce côté-là. Voilà donc encore un
article qu’un dictionnaire hiftorique ne doit pas négliger.
Enfin un dictionnaire hiftorique doit faire mention
des hommes illuftres dans les Sciences, dans les Arts
libéraux, & , autant qu’il eft polfible, dans les Arts
méchaniques même. Pourquoi en effet un célébré
horloger ne mériteroit-il pas dans un dictionnaire,
une place que tant de mauvais écrivains y ufurpent ?
Ce n’eft pas néanmoins que l’on doive exclure entièrement
d’un dictionnaire les mauvais écrivains ; il
eft quelquefois néceffaire de connoître au moins le
nom de leurs ouvrages : mais leurs articles ne fau-
roient être trop courts. S’il y a quelques écrivains
qu’on d oive, pour l’honneur des lettres, bannir entièrement
d’un dictionnaire, ce font les écrivains fa-
tyriques, qui pour la plûpart fans talent, n’ont pas
même fouvent le mince avantage de réuflïr dans ce
genre bas 6c facile : le mépris doit être leur récom-
penfe pendant leur vie , 6c l’oubli l’eft après leur
inort. La poftérité eut ignoré jufqu’aux noms de Ba-
vius 6c de Mévius, fi Virgile n’avoit eu la foibleffe
de lancer un trait contr’eux dans un de fes vers.
On a reproché au dictionnaire de Bayle de faire
•mention d’un affez grand nombre d’auteurs peu connus,
& d’en avoir omis de fort célébrés. Cette critique
n’eft pas tout-à-fait fans fondement ; néanmoins
on peut répondre que le dictionnaire de Bayle
(en tant qu’hiftorique) n’étant que le fupplément de
Morery, Bayle n’eft cenfé avoir omis que les articles
qui n’avoient pas befoin de correction ni d’addition.
On peut ajoûter que le dictionnaire de Bayle n’eft
qu’impropre ment un dictionnaire hiftorique ; c’eft un
dictionnaire philofophique 6c critique , où le texte
n’eft que le prétexte des notes : ouvrage que l’auteur
auroit rendu infiniment eftimable , en y fup-
primant ce qui peut bleffer la religion & les moeurs.
Je ferai ici deux obfervations qui me paroiffent
iiéceffaires à la perfection des dictionnaires hiftori-
ques. La première eft que dans l’hiftoire des artiftes
on a , ce me femble, été plus occupé des Peintres
que des Sculpteurs 6c des Architectes, 6c des uns &
des autres, que des Muficiens ; j’ignore par quelle
raifon. Il feroit à fouhaiter que cette partie de l’hiftoire
des Arts ne fût pas auffi négligée. N’eft-ce pas,
par exemple, ime chofe honteufe à notre fiecle, de
n’avoir recueilli prefqu’aucune circonftance de la vie
des célébrés muficiens qui ont tant honoré l’Italie ,
Corelli, Vinci, Léo,Pergolefe, Terradellas 6c beaucoup
d’autres ? on ne trouve pas même leurs noms
dans nos dictionnaires hiftoriques. C ’eft un avis que
nous donnons aux gens de lettres, 6c nous fouhai-
tons qu’il produife fon effet.
Notre fécondé obfervation a pour objet l’ufage
où l’on eft dans les dictionnaires hiftoriques , de ne
point parler des auteurs vivans ; il me femble que
l ’on devroit en faire mention , ne fut-ce que pour
donner le catalogue de leurs ouvrages, qui font une
partie effentielle de l’hiftoire littéraire aChiclle : je
ne vois pas même pourquoi on s’interdiroit les éloges
, lorlqu’ils les méritent. Il ,eft trop pénible 6c
trop injufte, comme l’ a très-bien remarqué M. Mar-
montel dans l'art. C r i t i q u e , d’attendre la mort des
hommes célébrés pour leur rendre l’hommage qui
leur eft dû. Quand l’Écriture défend de louer perfon-
ne avant fa mort, elle veut dire feulement qu’on
ne doit point donner aux hommes avant leur mort
d’éloge général & fans reftriCtion fur leur conduite,
parce que cette conduite peut changer ; mais jamais
u n’a été défendu de loiier perfonne de fon vivant
fur ce qu’il a fait d’eftimable : nous trouverions facilement
dans l’Écriture même , des exemples du
contraire. Pour les fatyres , il faut fe les interdire
feverement. Je ne parle point ici feulement de celles
qui outragent directement la probité ou les
majeurs des citoyens, & qui font punies ou doivent
1 etre par les lois ; je parle de celles même qui attaquent
un écrivain par des injures groffieres, ou par
le ridicule qu’on cherche à lui donner : fi elles tombent
fur un écrivain eftimable qui n’y ait point donne
lieu, ou dont les talens doivent faire excufer les
fautes, elles font odieufes 6c injuftes : fi elles tombent
fur un mauvais écrivain, elles font en pure
perte, fans honneur & fans mérite pour celui qui
les fait, 6c fans utilité ni pour le public, ni pour celui
fur qui elles tombent.
En profcrivant la fatyre , on ne fauroit au contraire
trop recommander la critique dans un dictionnaire
littéraire ; c’eft le moyen de le rendre inftruc-
tif & intéreffant : mais il faut que cette critique
foit raifonnée, férieufe 6c impartiale ; qu’elle approuve
6c cenfure à propos, 6c jamais d’une maniéré
vague ; qu’elle ne s’exerce enfin que fur des
ouvrages qui en vaillent la peine, & que par confé-
quent elle foit pleine de politeffe 6c d’égards. Cette
maniéré de critiquer eft la plus difficile, & par coii-
féquent la plus rare ; mais elle eft la feule qui furvive
à fes auteurs. Une difcuffion fine 6c. délicate eft plus
utile, 6c plus agréable même aux bons efprits, qu’une
ironie fouvent déplacée. Voyeç C r i t i q u e & Sat
y r e .
Je reviens aux éloges , & j’ajoûte qu’il faut être
circonfpeCt dans le choix des hommes à qui on les
donne, dans la maniéré de les donner, 6c dans l’objet
fur lequel on les fait tomber. Un dictionnaire, tel
que celui dont nous parlons, eft fait par fâ nature même
pour paffer à la poftérité. La juftice ou l’injuftice
des éloges, eft un des moyens fur lefquels le refte
de 1: ’ouvrage fera jugé par cette poftérité fi redoutable
, par ce fléau des critiques & des loiianges, des
protecteurs 6c des protégés, des noms 6c des titres ,
qui faura fans fiel 6c fans flatterie apprécier les écrivains,
non fur ce qu’ils auront été ni fur ce qu’on aura
dit d’eux, mais fur ce qu’ils auront fait.L’auteurd’un
dictionnaire hiftorique doit preffentir dans tout ce
qu’il écrit, le jugement que les fiecles ajfemblés en porteront
, 6c fe dire continuellement à lui-même ces
mots de Cicéron à Fannius , dans fa harangue pro
Rofcio Amerino : Quanta multitudo hominum ad hoc
judicium vides ; quoe fit omnium mortalium expectatio ,
utfevera judiciafiant, intelligis. D ép lu s , dans les
éloges qu’on donne aux écrivains & aux artiftes,
foit morts , foit vivans , il faut avoir égard non-
feulement à ce qu’ils ont fait, mais à ce qui avoit été
fait avant eux ; au progrès qu’ils ont fait faire à la
fcience ou à l’art. Corneille n’eût-il fait que Mélite,
il eût mérité des éloges, parce que cette p iece, toute
imparfaite qu’elle eft, eft très-fupérieure à tout ce
qui avoit précédé. De même, quelque parti qu’on
prenne fur la mufique françoife, on ne peut nier au
moins que quelques-uns de nos muficiens n’ayent
fait faire à cet art de grands progrès parmi nous, eû
égard au point d’où ils font partis. On ne peut donc
leur refufer des éloges, comme on n’en peut refufer
à Defcartes, quelque lyftème de philofophie qu’on
fuive.
Nous ne dirons qu’un mot delà chronologie qu’on
doit obferver dans un dictionnaire hiftorique : les dates
y doivent être jointes, autant qu’on le peut, à
chaque fait tant foit peu confidérable. Il eft inutile
d’ajoûter qu’elles doivent être fort exaftes, principalement
îorfque ces dates font modernes. Sur lés
dates anciennes (fur-tout quand elles font difputées')