
dépens de la république, & que l’on rendroit en
coüféquence aux propriétaires des matières d’or
& d’argent, une quantité de ces mêmes matières
converties en efpèces, égale en titre & en poids
à celle qu’ils auroient livrée.
Les Anglois ont adopté cet ufage depuis l’année
1667 ; & ce fut peut-être à leur exemple,
que M. Colbçrt fit ordonner, par une déclaration
du 28 mars 1679, que ceux qui verferoient des
matières ou des efpèces d’or & d’argent aux hôtels
des monnoies , y recevroient, en efpèces
nouvelles, la même quantité de fin qu’ils auroient
apportée, fans éprouver aucune retenue, même
pour les frais de fabrication.
Il paroît, par un capitulaire de l’année 755».
que la fabrication des monnoies étoit pareillement
gratuite fous les règnes des premiers rois de
France.
Pépin, auteur de ce capitulaire, fut le premier
de ces monarques qui autorifa les maîtres des
monnoies à retenir à leur profit une portion des
matières qu’ils convertiroient en efpèces ; cette
retenue, dont l’objet fut de les indemnifer des
frais de fabrication, & que l’on qualifia de droit
de brajf rge j fit vraifemblablement naître la tentation
de s’en permettre une autre au profit du-
fouverain , à laquelle on donna, par cette raifon,
le nom de droit de feigneuriage.
Cette dernière a été la fource des altérations
fréquentes du titre & du poids des efpèces, &
des changemens plus fréquens encore de leur
valeur numéraire. Les fouverains fe font accou*
tumés à regarder la fabrication des monnoies
comme un droit utile dont ils pouvoient tirer
parti dans leurs befoins, & ils en ont ufé avec
plus Ou moins de circonfpeétion , en raifon des
circonflances plus ou moins embarraffantes dans
lefquelles ils le font trouvés.
Les règnes de Philippe de Valois, de Jean II &
de Charles V I , font ceux qui offrent les exemples
les plus frappans de l’abus que l’on a fait de ce'
droit ; mais, au milieu même de ces défordres,
on rendoit hommage aux vrais principes : l’hiftoire
nous apprend que les fouverains qui s’en font le
plus écartés ne s’y portoient qu’à regret ; que fé~
duits par l’illufion des reffources que leur préfen-
toient'le furhauffement de la valeur des efpèces,
ou l’altération de leur titre & de leur poids, ils
ne cédoient à l’impulfion de la néceflité & du be-
foin , qu’en promettant aux peuples de rétablir
l’ordre, & de faire fabriquer de bonne monnoie
‘ aufiitôt que les circonflances le leur permettroient.
Les difpofitions des loix que ces fouverains
étoient obligés de rendre pour déterminer de
quelle manière fe feroient , au milieu de ces
variations continuelles, les paiemens des rentes
& des engagemens à termes , prouvent qu’ils
étoient convaincus que la valeur des efpèces corn-
fille uniquement dans leur titre & leur poids.
L’altération de cette valeur a excité dans tous
les temps les plus vives réclamations de la part
de la nation, eu égard aux inconvéniens qui en
réfultent : elle a fouvent fait des facrifices pour
s’en garantir.
On levoit en Normandie, dans le treizième
fiècle, Un impôt auquel on avoit donné le nom
de droit de montage , parce que cette province
n’avoit contracté l’obligation de le payer , que
pour fe rédimer de la perte qu’elle fouffroit par /e
changement des monnoies. Louis X renouvela
conféquence * par fes lettres du 0.1 juillet *315,
connues fous le nom de fécondé charte aux
mands, l’engagement que lui & fes prêdécefleurs
avoient pris de ne donner cours dans Cette province,
qu’aux efpèces qui feroient fabriquées aux
titre & poids de celles que l’on avoit frappées
fous le règne de St. Louis fon bifaïeul.
Rien n’eft d’ailleurs plus illufoire que le bénéfice
provenant de l’abus du droit de feigneuriage.
Si le Roi exigeoit, par exemple, que fes fu-
jets rapportaient aux hôtels des monnoies tous
les écus de 6 liv ., & y reçuffent en échange
d’autres écus de mêmes forme & poids, auxquels
il auroit afligné la même valeur numéraire, mais
qui ne contiendroient réellement que la moitié
du fin employé à la fabrication des anciens écus,
cet échange lui produiroit fans doute un bénéfice
de cent pour cent ; mais , attendu que le
prix de toutes les denrées & marchandifes s’élève
ordinairement en raifon du furhauffement des
monnoies, ou de l’altération de leur titre & de
leur poids , & que, foit par elle-même, foit par
les officiers de fa maifon, & par fes troupes,
Sa Majefté confomme une très-grande quantité
de ces objets , il réfulteroit de l’élévation de leur
prix une augmentation de dépenfe, qui, jointe
à la néceffité d’augmenter le traitement & la
folde des officiers & des troupes, abforberoit
une grande partie de ce bénéfice ; & comme Sa
Majefté ne pourrroit fe difpenfer d’admettre ces
nouvelles efpèces en paiement des impôts, pour
la même valeur pour laquelle elle les auroit délivrées
, elle recevroit pour 6 liv. ce qui ne vau-
droit réellement, que 3 liv ., au moyen de quai
elle fe trouveroit, en dernière analyfe, intrinfé-
quemment moins riche qu’elle ne l’étoit avant
d’avoir fait ufage de cette reffource.
Cet effet de rafFoiblifTement des monnoies &
du furhauffement de leur valeur numéraire, étoit
connu dès le quatorzième fiècle : il en eft fait
mention dans les ordonnances des 25 novembre
1356, 27 mars 1359, & 5 décembre 1360.
C’eft le defir d’augmenter les produits du droit
de feigneuriage, qui, en portant l’adminiftration
à faire des efforts continuels pour fe rapprocher
du prix auquel les matières fe vendoient dans
le commerce, afin d’en faire verfer une plus
grande quantité aux hôtels des monnoies, a provoqué
l’augmentation très-confidérable que le prix
de ces matières a éprouvée depuis 60 ans. —
C ’eft à ce même motif qu’il faut attribuer
toutes les loix prohibitives concernant l’exportation
, le commerce & la fonte des efpeces &
matières d’or & d’argent.
C’eft pour s’approprier une portion ou là
totalité de ce droit , que les banquiers ont
fait accroire à l’adminiftration qu’il feroit utile
qu’elle les autorifât à accaparer une grande quantité
de ces matières pour les faire verfer dans les
hôtels des monnoies, parce que cela augmente- •
roit le numéraire.
Tout accaparement de cette nature., fait au
nom ou par les agens du gouvernement, eft un
monopole, de même que toute extenfion du droit
de feigneuriage eft un impôt déguifé.
Les hôtels des monnoies ne devrpient être
ouverts que pour y recevoir les matières que le
public y apporteroit volontairement, les fondre,
les allier au titre convenu , & leur donner la
forme & l’empreinte néceffaires pour les rendre
propres à l’ufage auquel elles font confacrées.
Lorfque la fabrication des. efpèces fera régie
d’après ces principes, on ne refondra les monnoies
que quand les -empreintes qu’elles portent
feront effacées ; cette refohte nè privera plus le
public d’une portion de fa propriété, puifqu’on
lui rendra poids pour poids , titre pour titre ; cet
échange réciproquement gratuit de poids & de
titre, ne laiffera plus de prétexte à ces furachats,
ni à ces accaparemens fi funeftes au commerce
& au manufactures.
Le gouvernement ne s’inquiétera plus de la différence
que l’augmentation du prix des matières
fera naître entre la valeur intrinféque des efpèces,
& leur valeur numéraire; cette augmentation ne
fixera fon attention que relativement à l’influence
qu’elle pourroit avoir fur l’importation de ces
matières; & comme elle diminue néceffairement
en raifon de l’augmentation de leur valeur, cette
confidération le portera à employer tous les
moyèns qui feront en fon pouvoir pour en arrêter
les progrès , loin de les favorifer , ainfi
qu’on n’a celle de le faire depuis la refonte générale
de 1726.
La fabrication des efpèces n’influera plus fur
le cours du change, tant parce que les bafes de
cette fabrication feront certaines & immuables ,
que parce qu’elle n’ajoutera rien à la maffe des
créances dé l’étranger fur la France, au moyen
de ne qü’Ôn ne portera aux hôtels des monnoies ,
que les matières provenant de la balance du commercé.
Le négociant q u i, dans l’état aéluel, garde
fouvent pendant quelques mois, les matières qu’il
a reçues en échange de fes exportations, au lieu
' de les porter à là monnoie , foit parce que le prix
du tarif lui paroît trop bas, foit parce qu’il prévoit
une occafion de les placer avec plus d’avan-
Artt & Métiers. Tome V. Partie I.
tage, n’héfitera plus de les faire convertir en efpèces
, parce que cette converfion, qui n’exigera
de fa part aucun facrifice , le mettra en état de
profiter de toutes les circonflances qui s’offriront
pour les employer utilement, foit comme matières,
foit comme efpèces.
Ces mefures contribueront plus efficacement à
l’augmentation du numéraire , que toutes, celles
dont on a fait ufage jufqu’à préfent, & elles
n’auront pas les mêmes inconvéniens.
L’exemple des Romains, la profpérité du commerce
dés -Anglois,, & les heureux effets que
produifirent les difpofitions de la déclaration du
28 mars 1679 , en exécution de laquelle les mon-
noies furent adminiftrées d’après ces principes,
pendant fix années, font autant de garans de
cette affertion.
On ne peut, au furplus, fe diffimuler que
l’appât du gain n’ait été & ne foit . encore la
fource des défordres qui fe font introduits dans
la fabrication des monnoies : la fuppreffion de
cet appât eft donc, de tous les moyens que la
raifon & l’expérience peuvent fuggérer, celui
qui paroît le. plus propre à rétablir fordre dans
cette partie fi importante de l’adminiftration.
Ce moyen exigera fans doute quelques facrifices
; mais attendu que les furachats abfor-
bent, depuis quelques années, la totalité des
produits du feigneuriage , ces facrifices fe réduiront
aux frais de fabrication , dont la dépenfe
annuelle n’excédera pas 400,000 liv., y compris
d’entretien des machines & uftenfiles appartenans
au R oi, &Ies réparations des hôtelsdes monnoies.
- Cette dépenfe. paraîtra bien peu conféquente,
■ fi on la compare aux avantages qui en ré c ite ront
, & fur-tout à la perte de plufieurs millions
que font éprouver annuellement au commerce,
les moyens auffi défaftreux qu’impolitiques que
l’on emploie aujourd’hui pour augmenter le numéraire.
. ' *
Les principes qui portèrent autrefois la nation
' à mettre les frais de la fabrication des monnoies
au nombre des dépenfes auxquelles le trèfor public
feroit chargé de pourvoir, loin dêtre affoi-
blis par une dérogation dont l’origine remonte ait
huitième fiècle , tirent une nouvelle force des
abus que cette dérogation a produits.
Le retour à ces-anciens principes fera tout-à-
la-fois un monument de la fageffe & de la bienfaitrice
de Sa Majefté, & l’une des époques lès
plus intéreffantes de fon règne.
Réfumons les notions générales concernant
les monnoies. ‘ •
On nomme monnoie réelle ou ejfeaive toutes
les efpèces d’or, d’argent, de billon, de cuivre
, & d’autres matières, qui ont cours dans le commerce
, & qui exiftent réellement, tels que font
j ‘ les louis, les guinées, les é c u s le s richsdales,