
à-peu-pres femblable à celle qu’ils ont reffentie à
leurs pieds lorfque j’ai frappé fur le parquet.
Ji*/*6 d’entendre leur paroît donc être
une difpofition intérieure de nos oreilles ; qui nous
rend capables d y recevoir des mouvemens qui
ne peuvent pénétrer dans les leurs, parce que la
porte en eft fermée, ou parce qu’ils n’ont pas ,
loit le petit marteau , foit le tambour fur lequel U
doit frapper ; & comme ils s’aperçoivent que le
frappement du pied fur le parquet, excite plus ou
moins de mouvement dans leurs pieds, félon qu’on
a frappé plus ou moins fort, ils conçoivent auffi
que le mouvement excité dans nos oreilles eft plus
ou moins fort, félon qu’on y a fait. entrer l’air
avec plus ou moins de violence : ils en ont l’idée
à-peu-près comme de celle d’un vent qui fouffle
plus ou moins fortement.
Mais comme on ne peut donner à un aveugle
de naiflance une idée diftinâe de la différence des
couleurs , on ne peut non plus donner à un fourd
o£ muet une idee diftînâe de la différence des fons
que la prononciation des différentes lettres produit
dans nos oreilles*
Réflexions fur une méthode & un dïEtionnaire à
l uf age des fourds 6» muets.
La lingue françoife nojus eft naturelle, c ’eft-à-
dire, que nous 1 avons apprife dès notre première
enfance, fans réflexion & fans étude , & dès l’âge
de cinq ou fix ans nous en favions affez pour entendre
ce qu on nous difoit, & pour répondre à ceux
qui nous interrogeoient. Avec l’age & le développement
de là raifort, nous avons entendu plus
de mots, & nous nous femmes accoutumés à.nous
en fervir nous-mêmes. Mais tant que nous ne les
avons appris que par une fini pie habitude, ce
n etoi't point-là proprement ce qu’on- appelle favoir !
une langue : aufîi faifions-nous à tout moment
foit en parlant, foit en écrivant, une multitudede j
fautes qui annonçoient notre ignorance d’une
manière très-fenfible..
Nous n’ayons pu en fecouer le joug qu’avec
le fecours d’une méthode qui nous apprît à difeer-
ner les perfonnes, les nombres., les temps & les
modes de nos verbes, & à connoître leurs, régi-,
mesy comme auffi tes cas, les nombres & les
genres de nos noms , foit fubftantifs, foit adjectifs
,. & des pronoms | eufin , les différences entre
les adverbes ,, les prépofitions 8fîes confondions.
Ce n’eft pas tout : il a fallu encore que nous
çufiions de bons ^didionnaires François qui fixaffent
la Jpïte valeur de chaque mot, pour nous apprendre
à n en faire ufage que félon la lignification, qui
convenoit au fujet dont nous parlions ,, ou, fur
lequel nous écrivions*
„ Lorfqu’rl s-’ fi; agi d’apprendre quelque langue
étrangère, nous avons eu befoin d’une méthode
qur nous apprît^dans cette langue ce que la méthode
françoife nous avoit appris dans la nôtre : il
.aeus a. fallu au fil de bons didionnaires qui nous
guldaffent dans le choix des mots, foit pour traduire
de cette nouvelle langue dans la nôtre, oit
de la nôtre dans la fienne. Sans ce double fecours
nous n’aurions jamais fu, que d’une manière très-
imparfaite, la nouvelle langue à l’étude de laquelle
notis voulions nous appliquer. >
La langue naturelle des fourds & muets eft la
langue des fignes : ils n’en ont point d’autre ,
tant qu’ils ne font point inftruits ; & c’eft la nature
même, & leurs différens befoins, qui les guident
dans-ce langage.
Il importa peu en quelle langue-on veuille tes
inftruire, elles leur font toutes également étrang
è re s ;^ celle même du pays dans lequel ils font
nés, n’offre pas plus de facilité que toute autre ,
pour réuflir dans cette entreprife.Mais quelle que*
foit la langue qu’on délire leur apprendre , ils ont
bçfoin d’une méthode pour en connoître les
règles, & d’un bon didionnaire pour en apprendre
la jufte valeur des mots.
C ’eft la çonnoiffance de cette double' nêceffité
qui engage laplupart des ■ perfonnes qui viennent
à nos leçons, mais fur-tout les étrangers , à demander
une méthode à l’ufage des. fourds & muets ;
( telle qu’elle eft expofée ici ) mais bientôt ils
demandent un didionnaire.
Je pourroisleur répondre toujours, ditM. l’Abbé
de 1 Epée, que mes fourds & muets n’ont pas befoin
d un dictionnaire qui foit ni écrit ni imprimé ,
parce que dans toutes mes leçons je fuis moi-même
le dictionnaire vivant, qui explique tout ce qui
eft néceffaire pour l’intelligence des mots qui
entrent dans le fujet que ncais traitons , & que ce
fecours eft pleinement fuffifant, comme le feroit
celui d’un précepteur , fans la préfence duquel
fon élève ne traduiroit jamais, & qui épargnèrent
a celui-ci la peine de feuilleter les dictionnaires,
lui laiffant feulement à mettre l’ordre néceffaire*
dans les phrafes.
La preuve que cette e f p è é e de dictionnaire a
toujours été fuffifant pour mes fourds & muets
refiilte évidemment de leurs opérations , puifque
fur mes fignes, qui n’expriment ni aucune lettre,
ni aucun mot, mais feulement des idées., ils écri-
: vent tout ce qu’il me plaît de leur dider : certain
nement ils ne pourroient le faire , s’ils n’avoient
pas dans leur efprit les mots qu’ils doivent choisi1"
& les idées qu’ils fignifient.
Mais depuis un certain temps ( ajoute cet habile
& généreux inftituteur ) ayant eu à former des.
maîtres qui dévoient s’en retourner très-promptement
dans leur pays, il a été impofiible qu’ils
muent auffi rompus, fur l’ufàge des fignes , que
mes, ^ c^ es » » en ma place ,. leur fervoient
de dictionnaires vivans^ ( j’ofe les en prendre à .
témoins );. Il a donc, fallu , pour leur fervice ,
travailler à. un dictionnaire à i’ufage des fourds &
muets.
/avoue qu’au premier inftant ou l’idée s’en eft
préfentee à mon efprit., l’exécution m’en a paru.
en quelque forte impofiible. Je voyois avec quelle
promptitude nous faifions les fignes qui convenaient
à chaque mot dont il falloit exprimer la
fignification ; mais il me paroiffoit que la deferip-. j
tion de ces fignes exigeroit un détail qui en formerait
un ouvrage immenfe.
Cependant, en examinant la chofe à tête repo-
fée, j’ai cm apercevoir que trois ou quatre volu-
lumes in-40. fuffiroient pour remplir ce deffein , &
dès-lors je n’étois plus effrayé ; mais de nouvelles
réflexions m’ont découvert très-clairement
oue cet ouvrage ne feroit pas, à beaucoup près ,
auffi volumineux, ni auffi difficile- que je me l’é-
tois figuré, d’une première v u e , parce qu’il fau-
droit en retrancher tout ce qui n’eft pas néceffaire
pour l’inftruCfion des fourds & muets.
i°. Plufieurs favans n’ont point fait difficulté
de convenir avec moi, qu’il y avoit plus de trois
mille mots de notre langue dont ils ignoroient
la fignification ; j’en ignore moir-même un plus
grand nombre : on n’exigera pas fans doute que
je les apprerine, pour les expliquer dans le dictionnaire
à l’ufage des fourds & muets.
a°. Je n’y ferai pointé entrer non plus les noms
de toutes les parties qui nous compofent, ni ceux
de tous les objets que nous avons continuellement
fous les yeux : il fuffit de les montrer.
o°. On n’y trouvera point les noms des quadrupèdes
, des volatiles , des poiffons & des infectes,
ni ceux des arbres, des fruits, des fleurs ,
des légumes, des herbes, des racines, ni ceux
des inftrumens des ouvrages- de différens arts
ou métiers , &c. &c.
Les fourds & muets ne peuvent apprendre les
lignifications dé tous ces noms, que Comme nous
les avons apprifes nous-mêmes.
En vain nous auroit-on répété cent & cent fois,
les noms de ces différens" objets, fi on ne nous
les eût pas .montrés, ou en nature, ou peints, nous
n’y aurions attaché aucune idée plus diftinde ,
que fi on les eût prononcés en une langue étrangère
: le mot de cheval ne nous aüroit pas plus
donnée l’idée diftinâe de cet animal, que fi on
eût dit equus ( en latin ) ou horfe ( en anglois ) ou
pferd { en allemand,)
Ce ne : font donc point feulement des noms
qu’il faut dire ou écrire aux fourds & muets : ce
font les objets mêmes, ou leurs représentations
qu’il faut leur montrer*
--Ceft pourquoi, dans toute falle deftinée pour
l’inftrudion des fourds & muets, on doit avoir des
tableaux ou des efiampes bien faites, qui repré-
fententeeux de cès objets qu’il eft plus intéreffant
de connoître : c’eft ainfi que nous les apprenons
a nos élèves. 4°- Notre didionnaire dgfoiverbes eft déjà fait,
& il eft entre les mains dè^uus fourds & muets
nous fouîmes à la moitié de celui des. noms
mais, d’après ce que nous avons expliqué ci-defifus
celui des verbes nous donne lieu de fuppri-
mer tous les noms fubflantifs St adjcâifs qui
dérivent des infinitifs.
Les maîtres des fourds & muets auront la bonté
d’y faire attention, lorfqu’il faudra leur expliquer
par fignes ces noms fubflantifs ou adjeâifs. : •
5°. On ne trouvera point dans ce diâionnaire
de nouveaux fignes pour les mots compp.fés, comme
fatisfaire, introduire, &c. &c. ni pour ceux qui
expriment des idées complexes , comme fréquenter
, copier, Sec. Sic. ou des idées métaphyfiques ,
comme croire , ambitionner, &c. &c. ; mais on y
trouvera par i’analyfe les idées Amples dont chacun
de ces mots exprime la réunion , & qu’il faut
décompofer dans le langage des fignes, comme
elles font décompofées par l’analyf#.
Ce font des fignes connus qu’il faut réunir T
& non de nouveaux fignes qu’il s’agiffe de cher-
cher.
Ainfi , par exemple , fatisfaire fignifie faire
affez ; introduire fignifie conduire dedans ; fréquen-
\ ter fignifie aller fouvent dans le même endroit ,
copier fignifie écrire ce qu’on voit dans un livre ,,
eu fur du papier croire fignifie dire oui de l’ef-
prit, du coeur Si de la bouche, Si non des yeux
ambitionner fignifie dêfirer avec ardeur quelque
chofe de grand.
Après ces explications, il eft vifible qu’il n’y x
point à chercher de nouveaux fignes , mais feulement
à fe fervir de ceux qu’on connoît, en les réunifiant
les uns avec les autres., ou ( pôiir parler
plus correâement ) les uns à la fuite des autres*
Il en eft de même d’une très-grande quantité
de mots-, dans quelque langue que ce foit. Pour les;
faire entendre aux lourds & muets , il n’eft pas-
néceffaire d’inventer de nouveaux fignes ; il fuffit
j.de donner des explications analytiques, courtes;
& précifes , qui ramènent leur efprit à des mots*
dont ils, ont cent & cent fois compris la fignification
par fignes.
Le diâionnaire à leur ufage contiendra donc
beaucoup plus d’explications que de fignes*
6°. Cet ouvrage n’étant fait que pouer ux , &
pour faciliter les opérations de ceux qui voudront'
bien fe charger de les inftruire, on ne devra point
être furpris de n’y pas rencontrer tous les mots
de l’explication defquels ils n’ont pas befoin, foit
parce que ce font des mots qui expriment les noms
de différens objets qu’il fuffit de leur montrer y
foit parce qu’il s’agit de mots dont la connoiffance:
leur feroit auffi inutile qu’elle l’eft à la très-
grande partie des hommes ( je dis des hommes
même fuffifamment inftruits ) qui vivent & qui
meurent fans en avoir fit la fignification*
Le diâionnaire à l’ufag,e des fourds Si muets
ne formera donc qu’un leul volume portatif de
moyenne groffeur. Il n?eft pas encore fini ; mais
en, attendant y on pourra fe fervir du diâ-ionnaiie
portatif de Riclielet » de l’édition de Wailly*