
eftiinoit point encore la farine autant qu’on l’eftime
à préfent ; au contraire, on regardoit la farine de
gruau comme une marchandise de contrebande ;
on la défignoit alors fous le nom de farine de
Champagne, qui eft une expreffion de mépris dans
le commerce.
Autrefois les fariniers a voient peine à engager
les boulangers à prendre de la farine de gruau,
8c ils la vendoient meilleur marché que l’autre.
Aujourd’hui ils n’en ont pas pour les demandeurs,
8c ils la vendent plus cher. La convention la plus
ordinaire des bons boulangers de Paris avec les
marchands de farine, c’eft de leur livrer le tiers
en farine de gruau, avec les deux tiers en farine de
blé ; 8c les boulangers qui ne font prefque que
du pain mollet , ont leur marché fait pour
avoir la moitié en blanc-bourgeois , qui eft la farine
de premier gruau , 8c l’autre moitié en blanc,
qui'eft la première farine de blé.
On tire du gruau plus de farine à proportion,
& une plus belle farine, que du grain ; parce que
le gruau a m,oins de fon ou d’écorce que le grain ;
le grau blanc n’en a même pas.
La farine de gruau eft plus légère que la première
farine de b léq u o iqu e le gruau foit plus
pefant. Le gruau pèfe environ feize livres le boif-
feau, & la farine de b lé , douze livres & demi à
treize livres ; pour la farine de gruau, elle ne
pèfe qu’onze à douze livres le boiffeau.
Il faut prendre garde dans le choix qu’on fait
de la farine , qu’elle ne foit point mêlée de fable ,
ce qui feroit un pain graveleux & mauvais , quand
bien même la farine feroit bonne d’ailleurs.
Ceux des boulangers qui , malgré la défenfe
de 1658 , mettoient de la farine de Champagne,
c ’eft- à-dire , du gruau dans leur farine , s’en ca-
choient, même de leurs compagnons. Cependant
ayant obfervé que le pain n’en étoit pas plus
mauvais, que même il en étoit meilleur, l’emploi
du gruau devint plus commun.
Enfuite on ne s’en cacha plus., l’ufage en devint
général à Paris : l’inftinâ des ouvriers, foutenu de
l’expérience , établit fouvent dans les arts des
règles générales qui dérogent quelquefois aux ré-
glemens particuliers. On ne peut mieux faire alors
que d’adopter ces règles générales diétées par
l’expérience.
Elle avoit appris que le gruau n’eft point d’une
mauvaife qualité , comme on l’avoit cru longtemps.
Le miniftère public ordonna même -en
1740 , que le gruau feroit pris avec la farine ordinaire
, & il prefcrivit l’ufage d’un bluteau qui
laiffoit paffer le gruau avec la farine, 8c qui ne
rejetoit que le fon le plus gros ; c’eft ce qu’on
nomma le bluteau à’ordonnance.
On fut obligé, dans cette année de difette ,
de vifer à l’abondance , <k cela fit un bon pain
qui tencifde celui qu’on nomme pain de ménage,
parce que pour les ménages on fé fert au moulin
d’un bluteau plus gros que Celui qu’on met pour
le riche ; ce qui fait pour le bourgeois un pain
moins blanc, par un peu de fon qu’il contient ;
mais ce pain eft fort bon, par le gruau, qui en fait
une partie confidérable.
Pour le choix qu’on fait des farines, il eft bon
de fa voir que les meilleures font celles qui font
d’un blanc-jaune-citron clair ; la farine purement
blanche n’eft pas fi bonne. Il faut qué la farine
tire fur le jaune-citron ; c’eft fouvent la couleur
que lui donne le germe , qui fait bien dans la
farine.
Naturellement chaque meunier fait valoir fa
farine, & chaque boulanger vante celle qu’il a.
coutume d’employer. Les meilleures farines des
environs de Paris font aujourd’hui celles de Ver-
failles , de Senlis, de Goneffe, de Pontoife & de
Melun. Selon quelques-uns,'les meilleures farines
de Paris font celles qui viennent de Beauce, du
Hurepoix & de Provins.
En général, les excellentes farines font ordinairement
celles qui prennent plus d’eau ; cependant,
quoique ce foit une bonne qualité dans les farines
que de confumer plus d’eau , on fait que les farines
blanches qui en général font préférées aux
bifes, boivent moins d’eau que les bifes..
Mais on peut dire que les farines blanches
comparées entre elles, & les farines bifes comparées
aux bifes, celles qui prennent plus d’eau
font dans-leur efpèeeles meilleures, comme la
farine de gruau qui eft le blanc-bourgeois, comparée
à la première farine de blé , qui eft le
blanc, eft la meilleure & boit plus d’eau.
Si l’on pèfe un quarteron de chacune des
quatre farines ; favoir, de farine de blé, de pre-
; mière de gruau , de fécondé de gruau , & de bis-
! blanc , & fi l’on en fait féparément de la pâte ,
on verra que la première boira moins d’eau que
la fécondé , la fécondé moins que la troifième ,
la troifième moins que la quatrième , & qu’elles
fourniront une moindre quantité de pain , fuivant
la même proportion.
La première farine de blé reçoit ordinairement
dix onces'ôc demie d’eau par livre de farine, fi on
les travaille bien enfemble ; celle du premier
gruau en confomme environ onze onces ; les farines
des autres gruaux en boivent encore plus ;
ce qui varie félon qu’on pétrit plus ou moins ,
& qu’on veut faire de • la pâte plus ou moins
ferme, & d-u pain-plus ou moins mollet.
Les mauvaifes farines, comme font celles des
blés qui ont été mouillés , font une pâte qui
mollit & qui colle aux doigts avec lefquels on
la touche, au lieu que la bonne farine fait une
pâte qui ‘s’affermit.
Les farines des années & des climats chauds
boivent beaucoup plus d’eau que les autres.
En général , on doit plus eftimer une farine
qui prend plus d’eau & qui fermente plus, que
celle qui en prend moins & fermente moins. Les
farines bifes lèvent plus d’elles - mêmes que les
farines blanches,, 8c elles font plus de pain ; treize
livres de farine bis-blanc font vingt-deux livres
de pain bis-blanc.
Les farines bifes par le fon, ne boivent pas plus
que les farines blanches ; au contraire, il faut en
faire la pâte plus ferme : elle ne demande pas à
être bafiinée, & il faut moins tarder à la faire
cuire ; mais les farines bifes par le gruau gris
8c par le germe, boivent plus que les blanches,
parce que le gruau boit plus que la farine.
Il y a des farines qui donnent le pain plus ou
moins bon , à raifon de ce que le levain leur
convient plus ou moins. Il n’y a que l’expérience
qui puiffe faire connoître celles à qui les acides
conviennent davantage , ou conviennent moins.
Vépreuve de la farine.
Pour affurer le choix d’une farine , il faut en
faire des effais, 6c favoir l’éprouver, parce que
telle farine donne plus 6c de meilleur pain qu’une
autre ; ce qu’il fuffit de connoître pour choifir la
farine dont on a befoin , quoique la connoiffance
de la nature même des farines y fût utile auffi.
La manière ordinaire des boulangers pour connoître
fi une farine eft bonne, c’en d’en prendre
une poignée qu’ils ferrent dans la main : fi la
farine refte en une efpèee de pelotte , ils l’efii-
ment meilleure que celle qui fort de la main plus
aifément entre les doigts. La fariné de gruau,
par exemple, y refte plus que la farine de blé.
La farine eft naturellement fi peu mobile lorf-
qu’elle eft preffée, que la manière ordinaire dans
le commerce , pour examiner de la farine, c’eft
de crever le fac qui la contient : la farine ne
s’échappe pas par le trou qu’on a fait au fac
pour en tirer.
Les marchands examinent encore la couleur de
là farine, 6c au taâ la -douceur, en traînant le
pouce fur la farine foutenue du doigt index : ils
veulent la trouver douce, cependant matérielle,
ce qu’ils nomment gruauleufe. Celle qui eft douce
6c molle, ils l’appellent creufe, 6c elle eft d’une
qualité inférieure. Il faut que le grain de la farine
foit fin aux y e u x , 6c fec au toucher.
C ’eft aufii par le goût qu’il faut juger les farines
: celles qui ont le plus de faveur, font en
général les meilleures. Tl m’a femblé que la farine
de gruau a plus de goût, qu’elle eft plus falée
que la première de blé. Le fel naturel étant particulièrement
effentiel à la bonne qualité de la
farine , il eft à propos de la juger par le goût, qui
vient fur-tout du fel.
Le goût des farines bifes vient beaucoup du
germe, qui eft un peu fucré. La dernière farine
a.P j ë°ût (Itie les premières , parce qu’il entre
plus de germe dans la dernière farine que dans
les autres. Or | le germe eft la partie du blé qui
a le plus de goût ; c’eft pourquoi auffi cette der-
mere farine donne un pain moins blanc, mais qui
eft plus fuave ; c’eft fur-tout ce qui fait le goût du
pain de ménage.
L’odeur de la farine eft auffi à confidérer pour
juger de fa bonté. La farine de chaque efpèee de
grain a fon odeur particulière. La farine de feigle
a plus d’odeur que celle du froment, d’orge ou
d’avoine : l’odeur de la farine de feigle tient de
celle de la violette.
Pour mieux connoître la farine , pour mieux
l’effayer, on a coutume d’en faire un peu de
pâte avec de l’eau. Dans cet état, on la goure
mieux, on voit plus diftin&ement fi elle eft piquée
, on voit mieux fa couleur, on fent mieux
auffi quelle odeur elle a que fi elle étoit fèche
en farine. Une bonne farine donne une pâte qui
a une bonne odeur, au lieu que la pâte des farines
de grains gâtés ou qui font venus dans des
terres très-fumées , a une mauvaife odeur.
On trouve que la farine eft bonne, fi le grain
de la pâte eft blanc, tirant fur le jaune, 6c non
pas fur le brun.
On reconnoît auffi que la farine eft bonne lorf-
que la pâte qu’on en a fait durcit ; parce que
c’eft figne que la farine boit plus d’eau, 6c qu’elle
peut fournir plus de pain. Uqe mauvaife farine
donne une pâte qui, laiffée quelque temps, pa-
roît s’amollir au lieu de durcir : il faut auffi que
la pâte n’en foit pas friable ou trop caftante ; il
faut, lorfqu’on la tire en l’alongeant, quelle ne
ne fe caffe pas en foiblijfant, pour fe fervir de l’ex-
preflion des boulangers.
La pâte de la première farine de blé eft plus
longue que celle de la farine de gruau, mais ellq
eft moins dure, 6c elle foiblit plus ; elle s'af-j
fermit moins en l’alongeant, que ne fait la pâtes
de la farine de gruau ; ce qui vient vraifembla-
blement de ce que la première farine de blé contient
plus de la partie qui fait l’amidon , 6c de
ce que la farine de gruau contient plus de celle
qui eft la partie collante qui fe trouve dans la
décompofition de la farine.
Mathiole dit des farines : « La meilleure eft
n celle qui n’eft pas trop moulue , ne fraîche
» moulue, ne trop gardée auffi ; car la farine par
» trop moulue fait le pain comme s’il étoit de
» fon : celle qui eft trop fraîche retient encore
» quelque chofe de la meule. Si elle eft trop
3? gardée , fera gâtée , ou par poudre , ou par
» moififfure, ou fera artifanée ,: ou aura quelque
» mauvaife fenteur. » Comm.fur Diofcoride, /. m ,
C. LXXVIH.
De la confervation des farines.
La farine eft une poudre très-fufceptible de fermentation.
Les farines font fujettes à s’échauffer
6c à fe gâter, fur-tout en é té , lorfque l’air eft
humide, ôc dans des temps d’orage. C’eft dans
les mois de mai 6c de juin que les farines fe»
gâtent le plus. Il fe fait en elles un travail plu$
intime , plus interne dans les mois de mars 84