
| feroit capable d’exciter l’orgueil' des uns &
jaloufie des autres.
dû m o u v e m e n t fur la bouche.des perfonnes avec I
l e f q u e l l e s ils vivoient, ils étoient avertis aulïi cert
a i n e m e n t q u e ces perfonnes prononçoient un pa ,
ou un ta ou un f a , que nous le fommes nous-
mêmes par la différence des Tons qui viennent
frapper nos oreilles.
O r , il ne faut point s’imaginer que les confon-
nes dures, telles que font b , t , ƒ , q , s , ch ,
foient les feules qui produifent à nos yeux une
imprefiïon fenfible lorfqu’on les prononce en
notre préfence.
Je conviens qu’elles nous frappent davantage ;
m a i s les autres confonnès & les voyelles ont aulïi
leurs caraélères diftinctifs que nos yeux peuvent
apercevoir : ce que nous avons déjà dit fur la
manière dont on doit s’y prendre pour montrer
aux fourds & muets à je s prononcer, en eft la
preuve ; mais il eft jufte d’en donner une autre ,
qui, étant une preuve d’expérience, fera fans doute
plus d’impreflion fur nos le&eurs.
L’alphabet manuel n’eft pas le feul que nous
montrons à nos élèves ; nous leur apprenons aulïi
l’alphabet'labial.
Le premier des deux eft différent dans les différentes
nations : le fécond eft commun à tous les
pays & à tous les peuples.
Le premier s’apprend en une heure ou environ :
le fécond demande beaucoup plus de temps. Il
faut pour cela que le difciple foit en état de
comprendre & de pratiquer tout ce que nous avons
dit fur la prononciation.
Mais quand une fois il a compris toutes les dif-
pofitions qu’on doit donner aux organes de la
parole pour prononcer une lettre quelconque ,
il importe peu que nous lui en demandions une ,
telle qu’elle foit, ou par l’alphabet manuel, ou par
l’alphabet labial, il nous la rendra également, &
nous lui di&erons lettre à lettre des mots entiers
par l’alphabet labial , comme par l’alphabet
manuel.
Il les écrira fans faute ; je ne dis pas qu’il les
entendra, mais feulement qu’il les écrira, parce que
je ne parle ici que d’une opération phyftque, & d’un
enfant qui n’eft point avancé dans l’inftruâion.
Les fourds & muets acquérant cette facilité de
très-bonne heure, & d’ailleurs étant curieux, comme
le refte des hommes, de favoir ce que l’on
dit, fur-tout lorfqu’ils fuppofentqu’on parle d’eux ,
ou de quelque chofe qui les intéreffe, ils nous dévorent
des yeux ( cette exprelïion n’eft pas trop
forte ) , & devinent très-aifément tout ce que nous
difons, lorfqu’en parlant nous ne prenons pas la
précaution de nous fouftraire à leur vue.
C ’eft un fait d’expérience journalière dans les
trois maifons qui renferment plufieurs de ces
enfans, & j’ai foin de recommander aux perfonnes
qui nous font l’honneur d’alîifter à nos leçons,
de ne point dire en leur préfence ce qu’il n’eft
point à propos qn’ils entendent, parce que cela |
Je conviens cependant qu’ils en devinent plus
(ju’ils n'en aperçoivent diftin&ement, tant que
je ne me fuis point appliqué à leur apprendre l’art
d’écrire fans le fecours d’aucun figne, d’après la
feule infpeélion du mouvement des lèvres.
Mais je ne me preffe point de leur communiquer
cette fcience : elle leur feroit plus nuifible
qu’utile , jufqu’à ce qu’ils aient acquis la facilité
d’écrire imperturbablement fous la diétée des fignes
en toute orthographe, quoique ces lignes ne leur
repréfentent ni aucun mot, ni même aucune lettre
, mais feulement des idées dont ils ont acquis
la connoiffance par un long ufage.
Avant qu’ils ioient parvenus à ce terme , fem-
blables à un grand nombre de perfonnes qui n’ér
crivent que comme elles entendent prononcer, &
qui font par conféqüent une multitude de fautes d’orthographe
, ne fachant pas la différence qu’on doit
mettre e ntre l’écriture & la prononciation ; nos fourds
& muets écriroiejat les mots félon qu’ils les ver-
roient prononcer, d’où il réfulteroit néceffaire-
ment une confufion infupportable, non-feulement
dans leur écriture, mais même dans leurs idées.
Au contraire, ayant, fortement gravé dans leur
efprit l’orthographe des mots dont ils fe font fervis
cent & cent fois, & d’ailleurs étant bien & due-
ment avertis que nous prononçons pour les oreilles
, mais que nous écrivons pour les yeux, ils
favent qu’ils ne doivent point écrire ces mots comme
ils les voient prononcer, de même que nous
favons que leur prononciation ne doit point être
la règle de notre écriture.
Et comme la matière dont on parle & le contexte
d’une phrafe nous font écrire différemment
des mots dont lé fon eft parfaitement femblable
dans nos . oreilles, le bon fens que les fourds &
muets poffèdent comme nous, dirige également
leurs opérations dans l’écriture.
Il eft aifé de concevoir que dans le commencement
de ce genre d’inftrudion , il eft néceffaire
i° . que le fourd & muet foit dire&ement en face
de fon inftituteur, pour ne perdre aucune
des. impreflîons que les différentes pofitions de
l’Alphabet labial opèrent fur les organes de fa
parole, & fur les parties qui les environnent. î °.
Que l’inftituteur force, autant qu’il eft poflible,
ces efpèces d’imprefïions pour les rendre plus
fenfibles. 30. Que fa bouche foit affez ouverte
pour laiffer .apercevoir les différens mouvemens
de fa langue. 40. Qu’il mette une efpèce de paufe
entre les fyllabes du mot qu’il veut faire écrire ou
prononcer, afin de les diftinguer l’une d’avec
l’autre.
Il n’eft pas néceffaire qu’il faffe fortir de fa bouche
le moindre fon , & c’eft toujours ainfi que
j’en ufe : les alïiftans voient des mouvemens extérieurs
, mais ils n’entendent rien , & ne favent pas
| ce que ces mouvemens fignifient ; le fourd &
muet, qui voit ces mêmes mouvemens, & qui
en fait la fignification, écrit le mot, ou le prononce
au grand étonnement de ceux qui l’environnent^
Il eft vrai que tous ceux qui parlent vis-à-vis
des fourds & muets, ne prennent pas toutes les
précautions que nous venons d’expliquer, & c’eft
ce qui fait qu’ils ne font pas aulïi clairement entendus
; mais, M il fuffit prefque toujours, pour
un fourd & muet intelligent, qu’il'aperçoive
quelques fyllabes d’un mot & enfuite d’une phrase
, pour qu’il devine le refte. a0. L’habitude continuelle
des fourds & muets avec les perfonnes
chez lefquelles ils demeurent, facilite beaucoup la
poflibilité de les entendre. 3®. Si les fourds &
muets n’entendent pas autant qu’ils le pourroient,
ce n’eft pas leur faute, mais celle des perfonnes
qui parlent devant eux, & qui ne prennent pas
les précautions néceffaires pour fe faire entendre.
En vain répondroit-on que ces perfonnes ne
favent pas les difpofitions qu’elles doivent mettre
dans leurs organes, pour rendre fenfibles aux fourds
& muets les paroles qu’elles prononcent : fans
doute elles ne le favent pas, & c’eft pour elles une
efpèce de myftère ; mais elles les mettent machinalement
(ces difpofitions) dans leurs organes, fans
quoi elles ne pourroient parler, & les fourds &
muets ( inflruits) les apercevront toujours, tant
qu’on ouvrira la bouche autant qu’il fera néceffaire
, & qu’on parlera lentement en appuyant fépa-
rement fur chaque fyllabe.
Nous avons cette complaifance pour les étrangers
qui apprennent notre langue , & qui commencent
à l’entendre & à la parler ; & de leur
coté ils font la même chofe avec nous, tant que
la leur ne nous eft pas familière.
Pourquoi n’en uferions-nous pas de même avec
les fourds & muets nos frères, nos parehs , nos
amis, nos commenfaux ? & ne ferons-nous pas
affez récompenfés de cette efpèce de gêne , fi tant
eft qu’elle mérite ce nom , par la confolation
qu’elle nous donnera de remédier en quelque
forte au défaut de leurs organes , en leur fournif-
farit un moyen de faifir par leurs yeux ce qu’ils
ne peuvent entendre par leurs oreilles ?
Je crois avoir rempli la double t£che que je
m’étois propofée, qui confiftoit, i°. à préfenter
la route qu’on doit fuivre pour apprendre aux
fourds à prononcer, comme nous, toutes fcrtes de
paroles. 20. A faire connoître comment on pouvoit
parvenir à rendre fenfibles à leurs yeux , & intelligibles
à leur efprit routes les. paroles qui fortent
de notre bouche , mais qui ne font aucune im-
preffon fur leurs oreillesH
Puiffe ce fruit de mon travail être de quelque utilité
, jufqu’à ce que d’autres inftituteurs aient
répandu plus de lumière fur cette matière importante.
Fiat, fiat. '
I I I . . P A R T I E.
. C o n t r o v e r s e .
. Depuis qu’il a plu à la divine providence de me
charger de i’hiftruélion d’un nombre confidérable
de fourds & muets, la fingularité de cette oeuvre ,
& les exercices publics de mes élèves , annoncés
parla diftribution de leurs programmes , ont attiré
à mes leçons une affluence de perfonnes de toute
condition & de tout pays. Je ns connois aucune
partie de l’Europe, à l’exception de la Turquie ,
dont il ne foit venu des étrangers, pour s’affurer ,
parleurs propres yeux, de la vérité des faits qui
leur paroiffoient incroyables d’après le rapport
de ceux mênles qui en avoient été les témoins
oculaires.
Les perfonnes les plus diftinguées dans l’églife
& dans l’état, fe font fait un plaifir & en quelque
forte un devoir, de confidérer avec attention
la facilité & la fimplicité des moyens qu’un inftituteur
, très-fimple lui-même, mettoit en oeuvre
pour fuppléer au défaut de la nature, & développer
fucceflivement l’intelligence de ces êtres ,
qu’on avoit été comme tenté jufqu’alors de regarder
comme des efpèces de demi-automates.
Mais il étoit réfervé au prince le plus augufte ,
qui avoit daigné en être le témoin , de ne pas fou-
frir que la France réftât feule dépofitaire d’un
fecours dont les autres nations pourroient retirer
de grands avantages.
Il réfolut donc d’attirer le premier & de fixer
dans fes états un enfeignement dont il aperce-
voit la nécefiité pour un nombre de fes fujets, qne
fon amour paternel lui faifoit appeler fes femblables
( lettre de Jofeph I I , à l’inftituteur des fourds &
muets de Paris ) ; & voici quelle en fut l’occafion.
Cet ami fouveràinement refpe&able de l’humanité,
ayant vu par lui-même, pendant deux heures
& demie, de quoi les fourds & muets pouvoient
devenir capables , quand on fe donnoit la peine de
les inftruire, ne penfa d’abord qu’à une jeune per-
fonne de la plus haute naiffance, fourde & muette
à Vienne, à laquelle fes parens défiroient avec
ardeur de procurer une éducation chrétienne.
Il demanda donc comment on pourroit s’y prendre
pour inftruire cette jeune demoifelle. Je répondis
qu’il y avoit deux moyens ; que le premier
féroit de la faire conduire à Paris, où je l’inftrui-
rois très-volontiers ( gratuitement bien entendu ) ;
mais qu’il y en avoit un fécond beaucoup plus
fimple, qui feroit de m’envoyer un fujet intelligent
de trente ans ou environ, que je mettrois en
état de réuflir parfaitement dans cette entreprife.
L’expédient étoit de nature à être goûté : aulïi
le fut-il fur le champ, d’autant plus qu’il annon-
çoit au prince une reffource toujours fubfîftante
pour ceux de fes fujets qui étoient réduits an
même état d’ii fi mité, ou qui le feroient dans la
fuite.
Cet augufte fouverain, vraiment digne d’être le mo-
d èle de tous les autres, qui auroient befoin d’un pareil
fecours, ne fut donc pas plutôt de retour à Vienne ,
qu’il me fit l’honneur de m’adreffer la lettre fwt^-